fbpx

Marcheur au grand cœur

© Sébastien Jacques

Il a connu l’enfer. Quatre années cloué sur un canapé, en raison d’une tumeur au cerveau. Ancien grand espoir du tennis canadien, il a été contraint d’abandonner son rêve de jeunesse. Opéré depuis avec succès, Sébastien Jacques a remporté sa plus belle victoire, une seconde vie qu’il croque à pleines dents : durant 183 jours, le Québécois a traversé les États-Unis à pied afin de partager son histoire. Rencontre avec un homme courage qui trace le chemin de l’espoir.

Courts : Comment as-tu découvert le tennis, toi le natif du Québec, terre de hockey sur glace ? 

Sébastien Jacques : C’est vrai, le hockey au Québec, c’est le sport national. Je n’avais que deux ans lorsque j’ai commencé à patiner. À l’âge de douze ans, un club de tennis a ouvert dans ma petite ville, à Magog. Mon père m’a demandé si ça m’intéressait et j’ai dit oui. Il se trouve que le coach qui donnait les leçons était un entraîneur de haut niveau qui venait de Montréal, son frère Martin Laurendeau était même top 100 mondial. J’arrive sur le terrain, il prend un panier de balles et il me les envoie de gauche à droite. Il a tout de suite remarqué mon côté athlétique. Je n’avais aucune technique, mais je n’ai manqué aucune balle. Le coach a dit à mon père que c’était assez extraordinaire, pour une première fois. Ça m’a bien motivé. J’avais l’habitude d’être performant dans les sports collectifs, alors j’ai vu ce sport individuel comme un challenge. Moins d’un an après, mon entraîneur a quitté Magog pour déménager à Québec. Il a proposé à mes parents que je l’accompagne et j’ai dû faire un choix entre le hockey et le tennis. Bizarrement, j’ai choisi le tennis. Je n’étais pourtant pas très bon, mais cela m’intéressait d’être seul sur le terrain et d’essayer de trouver des solutions moi-même. C’est donc à Québec que j’ai commencé à prendre le tennis au sérieux. À treize ans, je m’entraînais deux à trois fois par semaine, puis à quatorze ans, cinq à sept jours par semaine. 

 

C : À 16 et à 17 ans, tu es le meilleur joueur du Canada dans ta catégorie d’âge. As-tu alors l’objectif de devenir professionnel ? 

S.J. : À cet âge-là, c’était mon rêve de devenir joueur professionnel. Je m’entraînais énormément, à tel point que mes coachs me demandaient parfois de quitter le terrain tellement j’y mettais d’intensité. Mais j’avais aussi le désir d’aller à l’université et je ne me voyais pas être sur le circuit dès 18 ou 19 ans. J’ai donc eu l’idée assez tôt d’aller à Virginia Tech avant de rejoindre les rangs professionnels. C’est d’ailleurs quelque chose que je conseille vivement. En Amérique du Nord, c’est de toute façon assez rare de passer directement des juniors aux professionnels. Il y en a plein qui sont passés par l’université : John Isner, Kevin Anderson, Steve Johnson ou encore Somdev Devvarman.

 

C : La suite, c’est donc ton départ pour l’université Virginia Tech aux États-Unis. Dans ton livre Oser avancer à travers la maladie et les défis, tu contes une anecdote qui symbolise ta détermination. Lors d’une course, un de tes lacets se détache. Peux-tu raconter la suite ?

S.J. : Sur le coup, c’était quelque chose d’anodin. Mais a posteriori, après tout ce que j’ai vécu depuis, c’est un moment marquant, c’est vrai. Au début de chaque saison, à l’université, on participe à des tests physiques. Le test le plus connu, c’est le fameux « mile ». On doit courir 1,6 kilomètres, l’équivalent de quatre tours de stade. J’étais le petit nouveau dans l’équipe. J’ai toujours eu un bon niveau physique, alors j’ai tout de suite voulu montrer aux entraîneurs que j’étais prêt à me battre pour faire partie des meilleurs. On commence la course, mais au bout d’un seul tour, un de mes lacets craque. J’aurais pu choisir de le refaire, mais je ne voulais pas perdre cinq à dix secondes. Alors, tout en galopant, j’ai retiré une espadrille, puis la deuxième, car c’était impossible de courir avec une seule chaussure. Je me souviens de la réaction de mon coach, très étonné. Mais moi, j’étais juste concentré sur la course et je suis arrivé en tête. Cet événement caractérise bien mon état d’esprit : ce n’est pas un petit pépin qui va m’arrêter. 

 

C : Dans ton livre, tu écris : « Nous avons deux choix lorsque nous sommes confrontés à un obstacle, soit de nous plaindre en nous apitoyant sur notre sort, soit de nous retrousser les manches en cherchant des solutions, à nous de choisir. » Tu donnes l’impression d’adopter cette philosophie depuis toujours. D’où vient-elle ?

S.J. : Il y a forcément une part d’inexplicable. Sans doute que le tennis a renforcé chez moi cette mentalité. Mais je crois que je suis comme ça depuis tout petit. C’est peut-être le fait d’être le plus jeune de trois enfants. Vouloir faire comme les grands et ne jamais abandonner. Cela vient peut-être aussi des valeurs inculquées par mes parents. Toujours relax, ils souhaitaient que je m’amuse, ne me forçaient pas, mais ils m’incitaient toujours à essayer. Je crois vraiment qu’il ne faut pas voir les obstacles contre nous, mais pour nous. Pour nous faire apprendre, pour nous faire grandir et pour nous faire devenir la personne que l’on veut être dans la vie. Face à l’adversité, à nous de choisir l’attitude adéquate.

 

« Quand j’étais un athlète, mon coach me donnait un plan de match. Je savais quelle direction prendre. Cette fois-ci, c’était le néant. Aucun médecin n’était capable de me dire ce que je devais faire pour recouvrer la santé. »

© Sébastien Jacques

C : Ta vie bascule le 10 février 2011. Tu es en train de jouer au tennis et tu ressens une douleur étourdissante au crâne. C’est le début de quatre années de doutes et de frustrations. C’est aussi la fin de ta carrière tennistique. Au fil des mois, tu ne seras plus en mesure de marcher plus de quinze minutes par jour. Raconte-nous cette période qui s’assimile à un parcours du combattant. 

S.J. : Je n’avais jamais eu de problèmes ou de blessures graves. Au début, je pensais que c’était simplement un rhume ou une grippe et que j’allais rapidement reprendre le chemin des courts. Mais au fil des semaines, au fil des mois, aucun médecin ne parvenait à trouver quelque chose en rapport avec mes symptômes un peu étranges : maux de tête, étourdissements, faiblesse musculaire. J’ai vraiment réalisé que j’avais un gros problème lors d’une des courses qui se déroulaient à la fin de chaque entraînement. Normalement, je terminais toujours premier. Là, j’ai dû me donner à fond pour ne pas finir dernier. Puis les mois sont devenus des années. J’ai d’abord vu des médecins aux États-Unis, puisque toute l’histoire a débuté à l’université. Mais ils ne trouvaient rien. Heureusement, j’ai quand même pu obtenir mon diplôme, car les professeurs ont accepté que je travaille de ma chambre, sans être obligé d’aller à tous les cours. Ensuite, je suis rentré au Québec et là aussi, impossible de trouver ce que j’avais. C’était quelque chose de très difficile à accepter. Quand j’étais un athlète, mon coach me donnait un plan de match. Je savais quelle direction prendre. Cette fois-ci, c’était le néant. Aucun médecin n’était capable de me dire ce que je devais faire pour recouvrer la santé. Tout cela prenait beaucoup de temps. Il fallait parfois attendre plusieurs mois entre deux rendez-vous avec des spécialistes. Pendant ce temps-là, je restais chez mes parents, à Magog, sur le canapé. Heureusement qu’ils étaient là, ils m’ont sans cesse soutenu. Ce qu’on savait depuis le début, c’est que j’avais une tumeur bénigne placée au centre de mon cerveau. Mais les médecins ne se prononçaient pas trop à ce sujet. Cela me paraissait étrange, étant donné les pressions que j’avais à la tête. Au bout de trois ans et demi, j’ai refait une batterie d’examens. Les médecins ont dit une chose qui m’a marqué : « Les neurochirurgiens ne sont pas certains que cette tumeur au cerveau soit la cause de tes problèmes de santé, mais c’est de toute façon trop risqué d’aller chercher quelque chose dans cette zone. » C’était la première fois qu’on m’annonçait que cette tumeur avait peut-être un lien avec mon état ! Auparavant, on me disait qu’il n’existait aucun lien. Alors, j’ai commencé à chercher des médecins spécialisés dans ce type d’opérations délicates. Il était hors de question d’arrêter de me battre. Pendant quatre ans, j’y ai toujours cru, je me suis entouré de personnes positives, pas d’individus qui avaient de la pitié pour moi. Je suis finalement tombé sur des médecins californiens à Santa Monica. Je leur ai envoyé tous mes examens. Ils m’ont répondu qu’ils pratiquaient ce genre d’intervention chirurgicale dix à quinze fois par an et qu’ils pensaient pouvoir me redonner une vie normale. Un vrai soulagement !

 

C : Mais un nouvel obstacle s’est présenté à toi : le coût de l’opération.

S.J. : Oui, 110 000 dollars ! Avec du recul, j’aurais pu abandonner. Ni mes parents ni moi n’avions cette somme d’argent. Dans mon malheur, j’avais eu un brin de chance. J’étais un petit peu connu à Magog et les médias aimaient mon histoire : «Un ancien champion canadien veut retrouver la vie !» J’ai donc lancé un appel à l’aide et nous avons récolté la somme requise en moins de deux semaines. C’était extraordinaire ! Des tas de gens que je ne connaissais pas ont souhaité m’aider. Cela démonte la beauté du genre humain, parce que ces personnes m’ont sauvé la vie. J’ai reçu des doses d’amour incroyables durant la levée de fonds. J’avais tellement envie de retrouver une vie normale, ça m’a boosté encore davantage. Les médecins m’ont parlé des risques sur la table d’opération, mais je n’étais pas du tout nerveux. Même si c’était à pile ou face, j’aurais dit oui : je n’avais plus de vie. J’étais un homme vivant dans un corps mort. Je devais être une des seules personnes heureuses de me faire ouvrir le crâne ! 

 

C : Quel était ton état d’esprit après cette intervention chirurgicale ? As-tu eu le sentiment de vivre une seconde naissance ?

S.J. : Juste après l’opération, j’avais très mal à la tête, mais je ne ressentais plus cette pression étrange. J’ai donc assez vite compris que j’allais me sentir mieux, même si c’était l’enfer la première semaine. Après quelques jours, les douleurs se sont avérées moins intenses. Au bout de trois semaines, j’étais assez en forme pour prendre l’avion et rentrer au Québec. Et après trois mois, j’étais en train de faire un voyage au Costa Rica avec mon sac à dos, tu imagines ! C’était comme une deuxième vie. C’est en quelque sorte le cadeau que j’ai reçu à travers mes problèmes de santé : j’ai réalisé la chance dont on dispose d’être en vie, tant elle est fragile. Cette épreuve m’a fait apprécier les choses les plus simples. J’étais quelqu’un de très compétitif et j’envisageais, après ma carrière de sportif, de fonctionner de la même manière. Travailler dans telle entreprise, posséder telle automobile, gagner telle somme d’argent. Mes problèmes de santé ont totalement modifié ma façon de voir la vie, et c’est une chance ! Si je devais retourner en arrière, début 2011, et qu’on me proposait d’effacer ces quatre ans de malheur, je dirais non ! Je ne voudrais pas effacer ce que cette période m’a appris. 

 

« Le tennis m’a un peu sauvé la vie. C’est assez spécial et inexplicable, mais je trouve que le tennis est un sport qui permet de tisser des liens forts. » 

© Sébastien Jacques

C : Ton premier grand projet après l’opération, c’est un grand voyage en Australie. Partir loin du Canada, c’était une manière de recommencer à zéro ? 

S.J. : Exactement ! Redevenir anonyme. Je ne voulais pas qu’on me parle de mes problèmes de santé ni de mon passé de champion de tennis. On avait beaucoup parlé de moi dans les médias, j’avais envie de redevenir un inconnu. L’Australie, c’était parfait pour ça ! J’ai vécu des moments extraordinaires pendant presque une année là-bas. Pendant quelques mois, j’ai eu la chance d’être complètement caché. Mais au bout d’un certain temps, des clients dans le club de tennis pour lequel je travaillais en tant que coach m’ont posé des questions. Ils me voyaient frapper dans la balle et ont fait des recherches sur mon compte. On m’a demandé de raconter mon histoire. C’est à ce moment-là que ma vision des choses a évolué. Une dame avait une fille qui avait des problèmes de santé assez graves, une maladie auto-immune très délicate à traiter. Elle m’a demandé de lui parler pour lui dire de continuer à se battre. Ce fut un déclic ! J’ai réalisé qu’il ne fallait peut-être pas rester anonyme, mais au contraire raconter mon parcours afin d’aider les gens. Ce n’est pas mon histoire qui est intéressante, mais c’est ce qu’elle peut offrir sur le plan humain. Voilà, c’est en Australie que j’ai eu l’idée de faire cette grande marche aux États-Unis, avec l’objectif de venir en aide au plus de gens possible.

 

C : D’une certaine façon, c’est le tennis qui t’a mené à t’engager dans ce projet de marche.

S.J. : C’est drôle, en racontant mon histoire, je réalise la place primordiale que revêt le tennis dans ma vie. C’est le tennis qui m’a donné en partie cette détermination, cette persévérance. C’est aussi la famille du tennis qui a grandement contribué à la levée de fonds. Au moins la moitié des 110 000 dollars provient du monde du tennis. Et c’est parce que je donnais des leçons de tennis en Australie que j’ai rencontré des personnes qui m’ont donné l’idée d’effectuer cette grande marche. Le tennis m’a un peu sauvé la vie. C’est assez spécial et inexplicable, mais je trouve que le tennis est un sport qui permet de tisser des liens forts. 

 

C : On en vient à cette marche. Une marche d’un peu plus de 5 000 kilomètres. Tu as traversé à pied une partie du Québec et les États-Unis d’est en ouest, avec des choix révélateurs en ce qui concerne le tracé de ce parcours.

S.J. : L’idée de départ était effectivement de partager mon histoire avec le plus grand nombre. Alors forcément, pour obtenir une exposition médiatique, il me fallait réaliser un exploit, c’est comme ça. J’ai trouvé qu’il y avait un sens à parvenir à marcher quarante kilomètres par jour – l’équivalent d’un marathon –, alors que j’étais incapable de marcher plus de quinze minutes par jour lorsque j’étais malade. C’était une façon de dire aux gens que chacun peut accomplir des choses extraordinaires. J’aimais l’idée d’allumer la petite flamme dans la tête de ceux qui doivent surmonter des épreuves. J’ai ensuite réfléchi au parcours et j’ai cherché quelque chose qui avait valeur de symbole pour moi. Commencer la marche au Québec d’abord, car c’est de là que je viens et c’est aussi là qu’on a levé la plupart des fonds. Ensuite, je voulais retracer mon histoire de vie. Il fallait donc passer par Virginia Tech, parce que c’est là que mes problèmes de santé ont commencé, puis terminer en Californie, car c’est à Santa Monica que j’ai retrouvé la vie. Je voulais terminer en serrant la main des neurochirurgiens qui m’ont sauvé la vie. Rien que l’idée me donnait des frissons. Finalement, j’ai débuté de l’océan Atlantique pour finir dans l’océan Pacifique. 

 

« Les obstacles font partie de la vie. Une vie sans épreuves est une vie lisse. Lorsqu’on a une vie parfaite, je me demande si on exploite tout son potentiel. » 

 

C : Il s’est passé beaucoup de choses lors de cette marche de 183 jours : les aléas de la météo, les douleurs physiques, la découverte de paysages incroyables, la rencontre d’un ours, de serpents, des coups de feu dans des faubourg douteux… Que retiens-tu d’essentiel de ce long périple ? 

S.J. : Ce fut une aventure extraordinaire à plusieurs niveaux. J’ai vécu de beaux moments. À Virginia Tech, j’étais ému. Beaucoup de gens m’attendaient. La dernière fois que j’y étais allé, j’étais pratiquement reparti en chaise roulante. Il y a eu des passages difficiles aussi. J’ai éprouvé beaucoup de douleurs et des moments de solitude. Mais ce n’est pas le défi de la marche que je voulais mettre en avant. Je voulais que les médias parlent aux gens de mon histoire, je voulais partager avec eux. C’est l’aspect humain de la marche que je retiens. Des inconnus qui s’arrêtent sur le bord de la route pour connaître mon histoire et qui m’offrent leur hospitalité pour la nuit, c’est inattendu et incroyable. Je retiens toutes ces rencontres. La météo, les serpents, je m’y attendais. Être hébergé par des inconnus, pas du tout. Quand tu marches en fin de journée au cœur du Kansas et que tu t’apprêtes à dormir dans ta tente, qu’un homme arrête soudain son camion avec un grand sourire pour te proposer de dormir sous son toit, c’est quelque chose que j’ai encore en mémoire. Ça ne paraît pas grand-chose, mais pour moi c’était important. Cela me permettait de me reposer bien sûr, mais aussi d’expliquer le pourquoi de ma démarche. J’ai aussi rencontré beaucoup de gens qui m’ont raconté leurs vies et c’était dingue ! Je leur disais qu’eux aussi pourraient écrire un livre. On vit tous des épreuves. Ce n’est pas parce que mon histoire est médiatisée que celles des autres, moins exposées, ne peuvent pas servir à quelqu’un. Ce que je voudrais que les gens retiennent de mon parcours, c’est qu’il faut croire en soi. Les obstacles font partie de la vie. Une vie sans épreuves est une vie lisse. Lorsqu’on a une vie parfaite, je me demande si on exploite tout son potentiel. 

 

C : Aujourd’hui, tu occupes le poste de directeur général du Mount Royal Tennis Club à Montréal. As-tu néanmoins en tête un nouveau projet de marche ? 

S.J. : Après mon périple en Amérique du Nord, je ne pensais pas renouveler un projet de ce type. Mais avec le temps, je me suis rendu compte qu’à chaque fois que je raconte ma vie, ça rallume un peu la flamme, l’envie de partager mon histoire et d’inspirer certaines personnes. Alors l’idée d’une nouvelle marche est venue et j’ai le projet de parcourir l’Italie. Je suis assez suivi là-bas sur les réseaux sociaux, car lors de mon périple aux États-Unis, j’ai rencontré une blogueuse italienne connue qui avait relaté mon histoire. Mon livre a été traduit et bien accueilli dans ce pays. Tout dépendra de la Covid-19. Mais si c’est possible, je souhaite traverser l’Italie du sud vers le nord. Je n’ai pas encore fait un calcul précis, mais je crois que ça durera 45 jours, soit 45 marathons. La blogueuse collabore avec une fondation qui aide les enfants malades en Italie. Si ma marche pouvait aussi aider à participer à cette mission, ce serait vraiment génial ! 

© Sébastien Jacques

LE MOUNT ROYAL TENNIS CLUB : UN PETIT WIMBLEDON 

À l’extérieur, un bâtiment en briques rouges surplombe quelques arbustes. À l’intérieur, d’autres briques, plus claires, côtoient les murs recouverts de boiseries. Dès l’entrée, on aperçoit une grande cheminée, sur laquelle sont posés de nombreux trophées. À côté, des clichés rappelant le glorieux passé de cette institution centenaire fondée en 1907. Bienvenue au Mount Royal Tennis Club, situé dans la partie ouest de Montréal. C’est ici que Sébastien Jacques, directeur général, passe la moitié de son temps. Le club ouvre en effet ses portes six mois par an, de début mai à fin octobre. Les douze courts empruntés par les 900 adhérents se trouvent tous en extérieur. Dans ces conditions, impossible de jouer en hiver, une saison glaciale et rigoureuse au Québec. 

« Mon challenge, c’est d’apporter un vent nouveau au club, tout en essayant de conserver ce qui en fait son charme », prévient l’ancien no 1 canadien dans la catégorie junior. Si les infrastructures se veulent modernes – le site a été restauré en 2008 et abrite une grande terrasse, une piscine d’eau salée et un restaurant de qualité –, les structures ainsi que la décoration demeurent traditionnelles. Une touche « british » qui régit également le code vestimentaire puisqu’au MRTC, tous les membres sont invités à se vêtir en blanc avant d’aller taper dans la petite balle jaune. Et comme environ 60 % des joueurs sont anglophones, il règne un petit parfum de All England Lawn Tennis and Croquet Club, même si les courts ne sont pas en gazon mais en « har-tru », cette fameuse terre battue grise verte, une surface propre aux terrains de tennis d’Amérique du Nord. 

« C’est un club typique, explique Marc Germain, président bénévole du conseil d’administration et membre du club depuis trente ans. Ici, on vient avant tout pour jouer, s’amuser et boire un coup ou dîner, puis on rentre à la maison. C’est en quelque sorte une oasis au cœur de Montréal, un lieu préservé. » L’accueil est particulièrement soigné, et si le tennis est roi, l’aspect humain et la dimension sociale sont primordiaux. « Beaucoup d’animations sont organisées pour favoriser le bien-être des adhérents. L’ambiance est bon enfant, des soirées jazz sont programmées et notre nouvelle cheffe de cuisine est très compétente. Nous recevons toutes les catégories d’âges, même jusqu’à 85 ans. On ne forme pas de futurs professionnels, ce n’est pas une académie. » 

Depuis la fin du XXe siècle, le club s’est démocratisé. Les frais sont devenus plus raisonnables et il n’existe plus de liste d’attente comme autrefois. Il y a cent ans, le MRTC était beaucoup plus conservateur et seule une certaine élite était autorisée à fouler les terrains de tennis. « C’est le club le plus ancien de Montréal et l’un des plus vieux du Canada. À l’époque, il y avait des estrades au bord des courts, c’était un mini-Wimbledon », s’enthousiasme Marc Germain. Un club si prestigieux qu’il a été choisi comme hôte de 25 rencontres de Coupe Davis entre 1920 et 1960. En 1925, la Britannique Kitty McKane-Godfree, victorieuse à deux reprises à Wimbledon, a joué au club. Un peu plus tard, l’un des plus grands noms de l’histoire du tennis est venu s’entraîner au MRTC. Il s’agit de Ken Rosewall, ancien no 2 mondial et vainqueur de huit titres du Grand Chelem, de passage avec l’équipe d’Australie en 1953 afin de préparer la finale de la Coupe Davis contre les États-Unis.

En 2007, le MRTC a intégré un cercle très prisé, le Centenary Tennis Club. Cette association regroupe actuellement 78 clubs centenaires et permet à leurs adhérents de vivre leur passion du tennis partout dans le monde. Ainsi, Marc Germain a eu l’occasion de venir visiter le Racing Club de France à Paris. Parmi les autres illustres sociétaires, citons le Kooyong Lawn Tennis Club en Australie, le Monte-Carlo Country Club à Monaco, l’International Tennis Hall of Fame aux États-Unis ou encore le Royal Léopold Club en Belgique. Autant de possibilités de voyager, même si la pandémie du coronavirus limite depuis peu les échanges. « La Covid-19 a modifié certaines habitudes, précise Sébastien Jacques. En raison du confinement, nous avons été obligés d’ouvrir le club avec trois semaines de retard et l’accès aux courts est interdit après 20 heures (pour 23 heures en temps normal). Mais la reprise du jeu reste un vrai bonheur ! » 

 

Article publié dans COURTS n° 9, automne 2020.

« À gauche de la chaise, Albert Camus… »

© singita.com

« J’ai une patrie, la langue française. » Ces mots évoquent peut-être quelques lointains souvenirs… Des bancs d’école un peu râpés, les chewing-gums collés sous les pupitres. L’odeur du Lagarde et Michard, qui n’a jamais chatouillé les narines des plus jeunes ; celle des Bled élimés, tachés d’encre, de blanco, d’effaceur en fin de vie. Oui, ces mots d’Albert Camus ont résonné dans nombre de salles de classe. Peut-être les a-t-on oubliés… Mais ils inspirent encore, près de 60 ans après la sortie des Carnets posthumes de Camus des presses de Gallimard.

Ce sont d’ailleurs ces mots que Daniel Chausse, vice-président en charge, notamment, de la francophonie à la Fédération française de tennis, invoque lorsqu’il s’agit de définir les fondamentaux d’un ambition projet : fédérer le monde francophone du tennis, grâce à une association internationale et une académie installée en Afrique. « Au bénéfice de nos jeunes élites », détaille-t-il sur le site de la FFT, et « pour mieux exister dans un monde dominé par la communauté anglophone ». Quelques termes bien choisis qui révèlent tout de go des enjeux transversaux : politiques, économiques, sportifs, mais aussi humanistes. 

 

« La Francophonie est porteuse de messages universels »

Pour bien comprendre ce projet, encore faut-il cerner ce qu’on appelle francophonie. Un mot pas loin d’être sentencieux, lourd d’une sémantique pesante, charriant des merveilles sociales et culturelles dans le sillon d’une histoire coloniale difficile. Un mot que forgea Onésime Reclus, un géographe du XIXe siècle, qui ferait, aujourd’hui, hurler tant par ses favoris anarchiques que par son impérialisme colonial. Mais pour qui les langues étaient aussi les racines mêmes des civilisations et de leurs relations. « Subst. fém. Communauté de langue des pays francophone » : telle est la francophonie ou son institution, la Francophonie et son F capital, clame le Larousse entre les mots « francophone » et « franco-provençal ».

 

« La Francophonie est à la fois un concept et un espace habité par ceux qui ont le français en partage. Mais elle est aussi une manière d’appréhender, de comprendre, d’écouter, de communiquer, d’agir ; bref, un comportement, un humanisme. Elle est plus encore un outil de communication interculturelle et le seul espace fédérateur de ceux qui veulent reconnaître, accepter et valoriser les différences. […] Elle est plurielle, généreuse, respectueuse des autres et porteuse de messages universels. » 

Jacques Barrat, géographe, Géopolitique de la Francophonie

 

Cette francophonie, c’est celle de Courts, qui attache autant d’importance à la petite balle jaune qu’aux mots qui la racontent. C’est aussi celle de la FFT qui lancera donc, en juin prochain… la première Association des fédérations francophones de tennis, l’AFFT. « Une structure commune », explique Daniel Chausse, qui néanmoins ne suffit pas et a besoin « d’une maison commune ». « Cette maison, ce sera une académie francophone de tennis qui devrait se trouver au Sénégal et qui pourrait avoir une antenne au Bénin. »

 

Renforcer l’influence du monde francophone dans les instances internationales

Pourquoi ? Pourquoi s’intéresser à la francophonie à l’ère du franglais, des infidélités à Molière et des calls à Shakespeare ? « Je vois plusieurs raisons », explique le vice-président. « L’une d’entre elles est politique. Il s’agit de plus compter dans les instances internationales, dominées par la communauté anglophone qui peut se targuer d’avoir trois des quatre tournois du Grand Chelem et une langue universelle. Renforcer l’influence de la francophonie, non pas en opposition, mais en apposition au monde anglophone, afin d’enrichir et de renforcer notre fédération internationale. » Et ce n’est pas un enjeu à négliger à l’heure actuelle, tandis que le monde du tennis traverse une zone de turbulences prononcées, où soufflent les vents d’intérêts divergents.

 

Exporter et développer la marque Roland-Garros

« Autre raison : l’économie. Roland-Garros représente 90 % du budget de la FFT », continue Daniel Chausse. « En soutenant ce tournoi à l’international, nous soutenons le tennis de base. Nous avons intérêt à exporter plus fortement la marque Roland-Garros dans des pays qui sont en demande. En somme, enrichir la marque et, par un ruissellement naturel, soutenir le tennis à tous les niveaux jusqu’à celui du club. » C’est aussi un moyen de faire évoluer l’image élitiste du tennis dans l’Hexagone : les collectivités locales doivent avoir envie de soutenir ce sport en France et cela passe par une image plus populaire. « Ce sont ces collectivités qui permettent, très souvent, aux jeunes et aux moins jeunes de jouer sur des courts qui leur appartiennent et dont elles confient la gestion à des associations sportives. Et elles sont sensibles à l’image d’un tennis moins élitiste. »

 

« Le tennis n’est pas une fin en soi »

La dernière raison nous fait remonter le cours des ans, aux sources mêmes de la francophonie, perdues entre Camus et Reclus sur les rayonnages poussiéreux de nos bibliothèques. Cette francophonie qui touche à l’homme et à son développement. C’est, comme le confirme Daniel Chausse, « une raison humaniste ». « Le tennis n’est pas une fin en soi, c’est un prétexte pour faire avancer la cause sociale et humaniste dans un continent d’une richesse humaine inouïe avec lequel on partage une langue commune, ainsi qu’une histoire parfois malheureuse. »

Trois raisons dévoilant une genèse aux préoccupations transversales : « Notre communauté est en plein développement démographique et l’on comptera un milliard de locuteurs francophones dans quelques décennies. Le tennis francophone se devait de réfléchir aux façons d’accompagner cette évolution, notamment en Afrique subsaharienne. » Si le tennis s’y développe, l’AFFT prendra du poids, Roland-Garros poursuivra son expansion… et le tennis lui-même en sortira grandi. « Il suffit de vous rendre en Afrique pour constater qu’il y a une foultitude d’enfants qui ne demandent qu’à jouer. Mettez leur une raquette dans les mains, vous verrez ! »

 

« L’identité est profondément liée à la langue, et vice versa. […] On sait que c’est d’être formulées et dites que les choses prennent corps. […] C’est avec des mots que se fait l’homme et c’est avec de l’homme que se fait la langue. Il faut y ajouter que langue n’est pas langue seulement, qu’elle n’est pas exclusivement nominative, qu’elle est aussi syntaxe, c’est-à-dire logique, et allégorie, c’est-à-dire philosophie, ontologie, métaphysique. […] Le français, grande langue internationale ouverte à toutes les directions de la rose des vents, a un rôle déterminant à jouer pour ces pays qu’elle aide à mieux respirer. »

Salah Stetié, écrivain, intervention à l’université de Balamand (Liban), avril 2007.

© singita.com

La création d’une Association des fédérations francophones de tennis…

Les paroles ne sont belles que lorsqu’elles sont en cohérence avec les actes. La FFT va donc concrétiser son projet d’AFFT afin de fédérer, dans son sillage, les fédérations francophones. « L’union fait la force », affirme Daniel Chausse. « L’AFFT, c’est l’union de structures qui sont à des niveaux de développement différents : la France, la Belgique, la Suisse, le Québec, le Sénégal, le Bénin, le Gabon… Le fait que nous soyons tous regroupés au sein d’une même association permet d’ouvrir plus grand les portes. » Ce n’est pas un exposé aride ou éthéré, c’est une réalité : « Il est plus facile de s’adresser aux pouvoirs politique et économique, qui peuvent soutenir et accorder des aides, lorsqu’on est collectivement organisés. » Dans le monde du tennis francophone africain, le besoin en financement est tellement important qu’il fallait une structure légitime et rassurante. « Il faut aller chercher les soutiens pour financer les équipements, la formation des cadres administratifs et sportifs, structurer les clubs afin de leur permettre d’accueillir du tennis loisir et de compétition. » C’est le rôle de l’AFFT.

 

… doublée d’une académie internationale, implantée au Sénégal

Ça le sera aussi de l’académie francophone de tennis. Implantée à Diamniadio, une ville nouvelle au Sénégal, située à 30 kilomètres de Dakar, elle constituera cette fameuse « maison commune » à la communauté francophone. « Cette académie accueillera un club créé de toute pièce, labellisé Roland-Garros. » Un label qui récompense des clubs répondant à plusieurs conditions : qu’ils soient nantis de courts en terre battue ; qu’ils soient structurés avec des dirigeants, des bénévoles, des salariés permanents ; qu’ils possèdent une école de tennis permettant d’apprendre et de s’améliorer ; qu’ils aient, si possible, un club-house ; et qu’ils puissent dispenser des formations académiques à leurs membres, à travers une plateforme numérique éducative mise à disposition.

Installée dans ce club de Diamniadio, l’académie remplira de nombreuses missions. « Elle accueillera les jeunes élites du tennis francophone », développe le vice-président. « Les joueurs francophones de tous les continents viendront faire des stages collectifs dans cette académie. » De quoi leur permettre de rencontrer des cultures différentes et de tirer le meilleur du cosmopolitisme. « Vous aurez, par exemple, des Français techniquement intéressants, qui ont besoin d’être dotés d’un mental plus affirmé. Et des jeunes Sénégalais ou Gabonais qui, eux, ont un mental à toute épreuve, une volonté sans limite, mais une technique parfois moins précise. »

L’académie sera également dédiée à la formation de cadres administratifs et sportifs. « Il n’y aura pas de développement du tennis en Afrique sans clubs. Mais il faut que ces clubs fonctionnent – et cela passe par les cadres. Des dirigeants avec les compétences nécessaires, mais aussi des entraîneurs, des arbitres… Ces gens-là doivent avoir un lieu de formation au plus près du terrain. » Enfin, cette académie doit être « adossée à un sport-études tennis. C’est fondamental pour la création de cette élite tennistique africaine qui passe tant par la formation sportive que par l’éducation linguistique, civique… On l’a déjà fait pour le football et ça marche bien. Il n’y a pas de raisons que ça ne fonctionne pas pour le tennis ! » 

 

La création de clubs Roland-Garros et la diffusion d’un savoir-faire

Évidemment, une académie seule ne saurait être à l’origine du succès du tennis africain. Elle est un point de départ, qui doit ensuite être soutenu par la création de clubs labellisés Roland-Garros un peu partout en Afrique subsaharienne. Des clubs qui auront la responsabilité du développement du tennis dans les villes où ils sont situés et qui devront répondre aux critères définis plus haut. Tout doit être fait pour créer les conditions dans lesquelles une élite africaine verrait le jour et qui profiteraient à tous. « À ce titre, l’AFFT sera là pour soutenir les clubs, les fédérations dans leurs démarches pour trouver des moyens financiers et une légitimité auprès du politique. »

« L’idée n’est pas de donner de l’argent », conclut Daniel Chausse, « mais d’apporter du savoir-faire ». « Le savoir-faire dans la formation, le repérage des jeunes Africains à haut potentiel, la terre battue… Aider à créer des tournois afin que ces jeunes puissent se confronter à ce qui se fait de meilleur sur le continent, mais aussi permettre aux joueurs d’obtenir des visas plus facilement pour les disputer – grâce à l’appui de l’AFFT. Mettre en place des projets avec les pépites repérées, discuter avec les familles… De toute façon, il y a une évidence : un territoire structuré, avec une académie, des clubs organisés et des cadres performants entre dans un cercle vertueux. Un cercle qui permettra la création de compétitions et l’émergence des talents. »

 

Un Africain vainqueur à Roland-Garros dans dix ans ?

Et qui amènera un jeune Africain à soulever, dans dix ans, la coupe Suzanne-Lenglen ou celle des Mousquetaires ? Daniel Chausse y croit. Si tout est à construire, le potentiel africain paraît énorme. On ne recensait encore que 13 000 courts sur l’ensemble du continent il y a cinq ans, pour 1,3 million de pratiquants occasionnels ou réguliers… Mais c’est toute la force de la francophonie : faire converger les intérêts – du rayonnement économique d’un sport au poids politique d’une institution, en passant par l’exportation d’une marque, Roland-Garros, et la création de synergies entre fédérations. 

Il y a la Suisse, son PNB de 558 milliards de dollars, ses 600 000 pratiquants, ses 900 clubs ou centres et « son » Roger Federer… Mais aussi le Burundi, ses 8,4 milliards de dollars de PNB, et ses quelques jeunes prometteurs qui, pour le moment, se dépatouillent comme ils peuvent. Sada Nahimana, par exemple, 17 ans, 35e mondiale chez les Juniors, qui dressait ce constat en marge des jeux Olympiques de la jeunesse : « Le tennis n’est pas populaire dans mon pays et il n’y a pas grand monde qui y joue. Nous n’avons qu’un seul grand club de tennis, l’Entente Sportive, à Bujumbura. Il y en a d’autres dans d’autres villes et des courts dans certains hôtels, mais c’est le seul qui soit vraiment important. »

Ces deux pays ont la langue en commun. La seule patrie d’Albert Camus, et celle de tous les passionnés impliqués dans ce projet. « L’ambition est grande, mais les besoins le sont au moins autant. Tout comme notre volonté ! » 

 

Article publié dans COURTS n° 4, été 2019.

Jardin à l’italienne

© Gaibledon

En 2012, dans un petit village de la Vénétie bordé par le Pô, le succès des leçons de tennis est tel qu’on manque de place. Pour tromper le désœuvrement et l’espace géographique, des enfants tirent un filet sur un terrain de football et improvisent des échanges sur le gazon. De cette leçon de débrouillardise créative naît l’étincelle qui se transformera en véritable club : le Gaibledon – contraction de Gaiba,  du nom de cette petite commune d’un millier d’habitants, et d’un hommage évident au célèbre tournoi londonien sur herbe. 

 

Avant Gaibledon, il n’existait pas de tournoi sur gazon en Italie, et ni le climat ni la tradition n’encourageaint ce type de surface. Mais Nicola Zanka, ancien président du club (toujours très impliqué mais devenu depuis… maire de la commune à 34 ans), et ses complices ne sont pas hommes à s’en soucier. Ils préfèrent s’inspirer d’Enzo Ferrari, né à quelques dizaines de kilomètres de Gaiba : « Si vous pouvez le rêver, vous pouvez le faire. »

Pour concrétiser ce rêve, Nicola Zanca peut aussitôt compter sur l’aide des autres villageois. La popularité de Gaibledon grandit ensuite rapidement, des joueurs avides de pratiquer sur cette surface rare et prestigieuse s’y pressent, et les médias nationaux s’intéressent à ce Wimbledon du Sud. L’arrivée de sponsors, comme Mizuno et Head, aident au développement du club, qui compte aujourd’hui quatre courts. Et autant de surfaces en gazon à entretenir. Quarante bénévoles, principalement des jeunes que l’on appelle les jardiniers, aident à accueillir les joueurs et les invités, à la mise en peinture des lignes et, surtout, à maintenir une herbe de la plus haute qualité. Au printemps, il faut un mois pour semer, couper et passer les courts au rouleau. « Nous parcourons plus de 400 km pour tondre le gazon, nous utilisons plus de 700 litres de peinture et l’entretien nous demande au total plus de 1 000 heures de travail », chiffre Elia Arbustini, ancien jardinier de profession, nouveau président du club à 22 ans et homme à tout faire de Gaibledon.

Ouvert à tous, le TC Gaiba accueille des amateurs passionnés, comme l’opiniâtre Fulvio Colonna, héros local qui s’y rend chaque jour de tournoi depuis Venise, au terme d’un trajet de… cinq heures, bateau à vapeur compris. Gaibledon attire aussi des joueurs du monde entier : des espoirs et des pros, retraités (comme Omar Camporese et Mara Santangelo) ou non. Ainsi, Viktor Galovic, vainqueur 2018 de la Coupe Davis avec la Croatie, apprécie de s’y exercer avant de s’envoler pour Wimbledon. Petite fierté locale : la Fondation Wimbledon a envoyé ses meilleurs vœux à sa petite cousine italienne en 2015. Et si l’on y retrouve la même tondeuse qu’à Londres, le dress code y est, lui, plus relâché. 

« Gaiba est un petit village avec un grand rêve, conclut Nicola Zanca. Nous voulons organiser un tournoi pro et accueillir des joueurs du monde entier. Mais surtout, nous voulons continuer de permettre aux amateurs de s’entraîner sur cette surface légendaire. Que le rêve magique de Gaibledon se prolonge ! »  

 

Article publié dans COURTS n° 5, été 2019.

Elegant, Competitive, Global

Roger Federer

on His Two Decades on Tour

© Hugues Dumont

That was the challenge Courts Magazine and Wilson set for Louis Castellani. When the 45-year old, father of two and life-long tennis fan is not being a lawyer in London, he’s on a tennis court or messing around with his hobby Instagram account @vintage.tennis. His tennis idols are Borg, Lendl, Sampras and Federer.

“I thought to myself, if the greatest player ever, Roger Federer, sat next to me one day on my 30-minute train journey into work, what would we talk about? What do I want to know from him? And in one word it came down to longevity, which was also relevant to the heritage of the Wilson brand. I wanted to know things about how this guy with four kids who’s a couple of years away from being forty is still able to compete at the very highest level in professional tennis.” 

August 2019. Roger was competing in Cincinnati and had beaten Juan Ignacio Londero 6-3 6-4 the day before. Louis was on vacation sipping a Campari when suddenly his phone rang from a mysterious Swiss mobile phone number: “Hi, it’s Roger…”

© Ray Giubilo

LC:
Just to introduce myself and this interview very quickly before we get going. My name’s Louis Castellani and when I’m not being a lawyer in London I’m doing something around tennis and on this occasion contributing to Courts Magazine which is the magazine this interview is for. It’s a quarterly, thoughtful, francophone, magazine. It’s in its 6th edition. Some of its commercial partners so far have been Rolex and Wilson. And for the first time, we are doing something in English and in French with Wilson. So this interview is central to that because one of the major themes for the Wilson edition in English is going to be longevity of the Wilson brand, its relationships with players and the careers of the players themselves, so this interview with you Roger is absolutely central to those themes. 

RF:
Right ok. 

 

LC:
So we put together some questions all around longevity, so if that’s okay we’ll get going. 

RF:
Absolutely, I’m ready, let’s do it. 

 

LC:
Ok! So, you’ve been on tour now for a couple of decades and you’ve maintained the highest of levels ever in that period. At this stage of your career, what is now the hardest part of life on tour? For example, is it the daily physical regimes and disciplines to keep yourself prepared, is it being single-minded and focused on controlling distractions? Where’s the difficulty at this stage of your career? 

RF:
Well I mean, obviously I think organizing the entire family to get on the road takes major organization and just planning skills and also patience and all that stuff, you know, because it’s just a lot of work. But you know, as long as it all is worth it and the kids are happy on the road and we are having a good time, it’s all good you know. As a player, I think it’s just how you keep the fire burning because I’ve been to a certain tournament-let’s say Cincinnati-20 straight years, I’ve been to Wimbledon 20 times. You still want to make it as special almost to some extent like it would be your first, second, third time you know, or like when you first tried to defend that title so you want to have that fire burning to win every single point, win every single game, win every single match and beyond. So I think just being able to keep that going I need a really strong team around myself you know, that also helps me to squeeze that extra one percent, ten per cent, whatever it may be out of me, and remind me to bring the energy for the next match. Just because it’s a second round, for instance, doesn’t mean that we’re not going to be motivated and into it, so I just think these little things, that maybe are completely natural in the beginning, you maybe just have to be aware of as you get older on the tour. In terms of physicality, I think just listening to the body, the signs and managing a good schedule. 

 

LC:
So it’s about doing everything to avoid hitting that cruise control button, it’s about staying alive to everything around you? 

RF:
Yeah, basically. 

 

LC:
The physicality of playing on tour for a long period of time-like you said, your 20 Wimbledons straight-has that required you to adapt what you do off the court with training and fitness? I mean, how have the things you focus on with your team changed as you’ve developed as a player? 

RF:
Well, I think in the beginning, you know, when you’re younger you have to put in the hours, you have to be able to stay focused, prove to yourself that you can stay with your opponents, focus on the ball for 2, 3, 4, 5 hours you’re doing a day, and also physically you can endure the stress and everything. Also, you know it’s one thing doing it in practice but it’s also another thing being able to prove it in the matches when the stress level gets greater. You could cramp because of stress, playing with fatigue like jet lag, changing surfaces from one day to next, to changing surfaces to play another match. I think in the beginning it’s all a learning experience but you have to learn quick. And then later, you know it all so you don’t have to work on it that much anymore, so it becomes maybe more. I believe in quality over quantity if you like. 

© Ray Giubilo

LC:
You mentioned jet lag there. We, the viewing public, I think, underestimate-do we, do you think–the effect that has on those early rounds when players arrive just a few days beforehand. Do you have to really think about that as part of the schedule? 

RF:
100 percent, 100 percent. That’s why you sometimes as a professional can say like “ok I’m going to sacrifice a few more days at home to leave early to the tournament to get over the jet lag”. The thing is, you just don’t know if that’s really going to make a difference in the draw, and sometimes being home for a bit longer makes you maybe a bit more happy, so you always have to weigh it-is it worth it, you know, but that’s why maybe you would try to have a schedule that doesn’t go make you go from South America to Asia to America to Europe to Africa to America you know, so you try to have it in swings rather. But I do believe when you’re playing with jet lag you have a bigger chance and a bigger risk of injuring yourself. The body might be sleeping and you’re awake or vice versa. Like yesterday, I mean I arrived Friday so I feel like I’ve arrived plenty early enough, but yesterday I played at night at 7:00 PM, and with a 6-hour time change so that’s like in the middle of the night, and I’m walking out on court-I was happy I got through, you know, just because you just don’t know. Maybe you’re feeling all of a sudden tired when the third set rolls around. Now, winning yesterday gives me an extra couple of days to get over to jet lag again so I do believe how you manage jetlag and how you manage your flight and pre-flight routines all makes a difference in your health throughout your career.

 

LC:
Yeah, it’s all the hidden stuff. I mean another big challenge talking about the body is playing 5 sets.

RF:
Yup 

 

LC:
We often hear tennis pundits talk about the challenges of playing 5 sets because it doesn’t happen at that many tournaments anymore and particularly the recovery for the next match when you’ve won. You often find your way through a drawer, but you’ve played and won some big 5 set matches. What’s the toughest bit of recovering for the next match a day or two later when you’ve won in 5? Is it as simple as the shoulder and arm, it’s sore, or is it general fitness, is it the emotional side, whether it has been hot? 

RF:
I really think you can’t put a finger on it and say, like, it’s always let’s say the arm or the shoulder or the back or whatever it may be. I think always everybody has a sort of a problem, you know, that pops up faster-for some it’s the back, for some it’s the foot, for some it’s the shoulder like you said, but I think it’s just that the overall energy comes down a little bit, that explosiveness maybe, you know, that peak of point for point mentality and that sharpness you have maybe has just been shaven off a little bit when you’ve played a 5-setter, so you really have to give sort of extra effort to recreate that energy, it doesn’t come natural anymore maybe. That’s maybe one thing I see that maybe younger guys struggle with the most and maybe even when you get older too, but obviously the problem is if you’re playing 5 sets and you’re carrying somewhat of an injury, that injury probably will only increase as the tournament goes on, and that’s why people do say “you can’t win a slam in the first week, but you could definitely lose it.” 

 

LC:
I see that. You touched on injury there. Players, I suspect just about every player, walk on court with some kind of constant but managed injury or recurring injury they’re carrying that no-one really knows about outside the team or the locker room.

RF:
Right

© Antoine Couvercelle

LC:
I mean every player is different, but generally how do players, how do you, play through an injury and still manage to be competitive on tour? To people who aren’t on tour it’s a difficult thing to get around because you put the racket down if you’re a club player whereas you guys are carrying it and you play through it, so how do you play through? 

RF:
So I think it’s important to listen to your body and understand the signs of the body, and as long as you know that the injury cannot get worse or much worse it’s worth playing, I believe. If you know that you could literally snap a tendon or you could break something by playing further, if that’s going to really damage the future of your career or take you out of the game for a long period of time, you’ve got to really weigh it up-is it worth it, you know. But then, you could always just not walk on court the day of the match just because it’s like “I just cannot take this chance right now,” but more often than not, I always believe you can navigate through the pain or the injury and I always tell myself maybe if I’m hurt or not feeling well, I tell myself well maybe my opponent is also carrying something-who knows-or maybe it’s gonna start raining, or you know, you never know but you might get lucky, and you win a match and the next thing is the next day you feel better. But I think most importantly is that you understand how severe your pain or your injury is. 

 

LC:
It requires a lot of mental toughness to cope and manage the pain. 

RF:
Of course, that goes without saying, that sometimes it just is really uncomfortable playing sick or injured but I feel like this is what we do and as long as you are not taking a huge massive health risk you know, it’s ok, but yeah you don’t need to shout about it I think we’re all very tough on the tour. 

 

LC:
Sure. The tennis season is a long one and I won’t get into that, but at the end of it some players head for the beach, others for some intensive training blocks. You’ve previously streamed from Dubai some of your winter training although it didn’t look much like winter I have to say! Do you consider the November-December period before Australia as your off-season for recovery or your pre-season to prepare, or a bit of both? 

RF:
Yeah, I mean obviously it sort of resets January 1st in a way. I mean it used to be the classic off-season where you’re taking a break and then you’re really having the pre-season right after, and you train really hard and that’s what you do. But since I schedule maybe a bit differently now and I have a family as well, I have several of these blocks in my year when I do have time for a break and time for preparation, and usually I have 2 of them: one at the end of the year and one mid-year. In the previous years, I had one during the clay-court season, this year now I didn’t because I’m still profiting I think from working hard in those off-seasons. I think they’re very crucial for a player and how they can prepare because when you are able to take 6 to 8 weeks off, take a proper break of maybe of 10 days to 2 weeks, and then train really hard physically and eventually also add tennis to that, you can really improve your potential. The problem is that if you’re only playing tournaments all the time, and not taking enough time to practice, you actually will not really improve. You become a better match player, you become match tough and all that, but actually your shots or your game are not really evolving and that’s why I’m a big believer in training blocks. Because just imagine if you now went out to the court and just worked six months on your serve and volley game-you would be such a better player, you know, but nobody dares to do it because you have ranking points, your ranking might drop, you want to play tournaments, it might be a financial thing too-who knows. But I think it’s really important to recognize that, to become the best player you can become, it’s crucial that you utilize those training blocks the right way. 

 

LC:
Yeah, although some players are using an injury and really capitalizing on it just to do that kind of game improvement. 

RF:
Yeah, and very often you see when somebody does return from injury, how hungry, fresh and rejuvenated they are, you know, you see it very often so it shows taking breaks sometimes is a good thing. 

© Ray Giubilo

LC:
Talking a little bit now about equipment. You’ve played through an era of tennis, when you look back, that had quite significant racket and string innovations in it. You adopted them with hybrid stringing and a bigger head size on your Pro Staff. This is a difficult question, I think, unless you are very close to it, as you are, but where do you see the next trend or big leap in tennis technology? What are you seeing? Are people taking weight out, maybe lowering tensions? Where’s the next big thing? 

RF:
Yeah, I mean I think the big switch was definitely, obviously, from the wooden rackets to the rackets we have today, and then racket head size and how that’s grown, and then string technology how that really gave us an opportunity to be able to hit through the ball in a completely different way than we could do it before in terms of angle, power, consistency and all that stuff. So I would think, if you ask me, the biggest jump might be another type of string that is just going to give us even more velocity, more spin, more power but with control, you know, I see being another leap there. I don’t know how much more can be done in the racket, but we see more powerful rackets more than ever, and the guys are getting bigger and stronger and taller and all that stuff, so I think it could be a bit of both, a combination. But I do think that maybe we have most potential with the strings, because not long ago when I came on tour I also still played with all gut strings so maybe there is a certain sort of way to create like some other incredible type of string. 

 

LC:
I mean, your RF97, I’ve hit with it, it’s an axe, it’s not for the faint-hearted! What is it about the weight, balance, swing weight and all those things, that makes it right for you? It’s not dissimilar to the original Pro Staff 85 in terms of some of the specs so there’s a kind of pattern to it. 

RF:
Yeah, well, I mean I think you grow up with a certain feel you like, grip size, swing weight, the weight in general. I switched to that Pro Staff 85-the racket that Pete and also Stefan Edberg used to play-back when I was 14 already. I mean, that was like you said an axe or hammer in my hand at the time because I was still half the size I am today basically, and I was playing with it, you know. Nowadays, I know that kids grow up differently with different types of softer balls, the smaller rackets maybe for a longer period of time, but eventually you gotta switch to the more solid racket. Every player has different preferences and then your game also shapes towards the racket you play with, and vice versa too. I think it’s actually a very versatile racket, you know. I feel like everybody can play with it, that’s why I’m happy Wilson created the different types of models with different weights because I understand that not everybody has the power to play with a lighter racket. But the advantage you get with the heavier racket is that you have less vibration, you have easier power and having easier power also helps you just on a daily basis; it’s easier to play better consistently. It’s just nicer to play, that’s my biggest switch with the 97-which also I realized when I went from the 85 to 90 and then from the 90 to 97-it’s just how much easier it is on a daily basis to play with this the RF97 I’m playing with now. I remember, with the 85, I used to play and just think to myself: every ball I have to be in perfect position not to shank it. Now that’s obviously very different with the 97.

 

LC:
That 85 had a tiny sweet spot 

RF:
Yeah 

 

LC:
Wilson put some footage online of you having a hit for fun and I think you were doing it–with their new Clash racket. A much lighter racket. 

RF:
Oh yeah, exactly 

© Ray Giubilo

LC:
I mean that’s just so easy to hit with going from your RF97. Some days do you just think, man, it would be so much easier if I could just hit that easier racket, maybe with the kids? 

RF:
Absolutely. I played with that Clash and I was like “oh look how it just jumped out of the strings and it’s just so much easier.” I mean I could play I’m sure with it on tour as well if I did the proper weight and balance for me, you know. Being able to return a 142mph rocket from somebody serving big, you need something in your hand that can absorb that. But it’s true, I think nowadays as the junior growing up you have a great choice of Wilson rackets that really help you with the game. I do believe still it cannot be all about the racket, it also has to be about how you evolve your game, but that Clash is a great example of how to make it easier for players getting on a tennis court because it’s just that much easier to hit with.

 

LC:
The next 3 questions are little bit about tennis in a sort of wider context. The first one is this. Has tennis taught you any lessons over the years that you think are relevant to real life off court, you know, real life, how you adapt what you learn on court? 

RF:
Oh yeah, yes of course. I think anticipation. You know on a tennis court we anticipate every single move we do, basically–“is he going to play there or there?” I think in life you do sometimes the same, not every step you take, but you know in life we also anticipate a lot, we try to plan a lot and that as tennis players we have to do that, take a decision, micro decisions, on a tennis court, you know, “what’s going to happen next, where shall I serve, what am I going to do.” But then also just in general too from a business perspective I have to take so many decisions you know–who I want to work with, which tournaments to play, how are we going to do this, yes or no to sponsorship or to press requests whatever it may be, so I learned a lot there. And then all the stuff when it comes to being able to battle through the sort of perseverance that we were talking about before, you know, fighting through injury, overcoming tough moments coming back from defeat, how do I handle it now coming back from my Wimbledon loss, am I just going to say, like, “aah that was too bad but I don’t care,” or am I going to say, like, “well that kind of was terrible, I want to, I need to go back on the practice court and train really hard,” or “you know what, I just need a break”-how do you get back from a moment like this and how do you stay motivated after you’ve won it all-I’ve done that. I see a million things that I’ve learned from tennis and I’m super grateful. 

 

LC:
The culture of tennis, there are some things in it that remain constant but it is also forever changing as generations go through it. In 3 words how would you describe the tennis culture today? 

RF:
Hmm. So I think tennis has always been an elegant sport, so I’d say elegant, I think people see it that way too, there is the sort of the ballerina aspect as well that we have on the tennis court. I think it’s an arena sport you know in a way, I think the stadium’s big but not too big so I think it’s intimate and really elegant. It may be one of the most global sports. We go on the world tour from January to November, so I always compare it to us being a musician going on a world tour. Musicians don’t do it every single year but we have to, and we do it every single year so I think it’s super global. And then I just think it’s competitive. It’s super competitive, there’s a lot of tennis players out there. With that ranking system you have to defend what you did the year before, you know, you’re only as good as your next match and it makes it very hard, you know, in some ways, to be at the top and I think the competition is huge, so I’d say it’s elegant, global and competitive. 

 

LC:
I had two of those. I have heritage in there which I think is the same thing as elegant. 

RF:
Yeah I think heritage is like elegant, I’d go in that direction for sure. What’s the other one? 

 

LC:
Well I had global, gladiatorial and heritage. 

RF:
Oh yeah, there we go. We’re very similar, good. I’m happy we agree! 

 

LC:
You talked about the business world before. Relationships come and go and you rarely, and very rarely in tennis, see an athlete stay with the same set of partners for their full career, but you’ve done that with Wilson. 

RF:
Yup. 

© Antoine Couvercelle
© Ray Giubilo

LC:
We touched on it a little bit earlier when you were talking about moving to the Pro Staff when you were 14, but what has made you want to be with, and stay, with Wilson throughout your pro career, and even before? 

RF:
Well I mean I’d say that Wilson is very strong on grass roots, you know. As a junior, you’re not really aware of it, all I remember is that a lot of my friends all played Wilson and then you know my heroes played Wilson, as in Sampras and Edberg, and that’s the racket I wanted to play with, you know, a Wilson racket. And then when I got to know them, even at a junior level, they were all very supportive and helpful when it came to a grip here or a string there or whatever. I just always felt like the local people at Wilson were really well-equipped already to help a young player to feel special, you know, I think that was nice for me especially with my parents who come from very normal backgrounds. We were happy with any support we could get, like getting a free racket or something that was very helpful already at a young age. I think in some ways you are also forever grateful you know, for that, the initial help that we received. And then I think just getting to know top management and the people at Wilson. I feel it’s a family and, I don’t know, I always had a great time with them, they couldn’t have been nicer to me. And I think the racket you know is the extension of your arm so you want to be really comfortable with the racket. And talking to them about new technology and what else is going on. And I think we’ve always had a wonderful relationship with one another. We never had any issues ever and you know I don’t see myself ever changing, I remember where I come from, where they’ve been with me all along the way. This is more than just a business agreement in my eyes. 

 

LC:
I mean you’re in that kind of dream scenario which is having your first racket which is the 85, then your 90, then your own custom 97, all on your garage wall one day. 

RF:
Right, yeah, well I even have rackets from the before the 85, I had the Thunderbird or whatever it was called and other ones that I don’t even remember the names. Yeah, I’ve played Wilson since I was basically 8 years old, since I started. 

 

LC:
You mentioned the word “stadium” when we were talking about the three words that describe the culture of tennis. Playing on Centre Court in SW19 on the one hand, all quiet and hushed, and then heading where you’re going to be heading, to Arthur Ashe in New York-those are very, very different tennis playing environments. 

RF:
Very. 

 

LC:
I’m not going to ask you to choose one because that’s not fair, but I think most people would find the Arthur Ashe incredibly difficult to play on, people who aren’t pro. 

RF:
Right. 

© Hugues Dumont

LC:
How do you keep focused when you’ve got that going on around you, the noise? 

RF:
Well I think the good thing is that a lot of the practice courts sometimes are very busy and loud. Like here now [in Cincinnati] I was practicing next a ventilator the last few days and then there are trucks driving in and out, there are the fans. The practice courts usually are a more sort of savage environment, you know. So usually when you go on a match court it’s much easier to focus, right? So I know the US Open might be tough, because it’s loud, there’s the pressure of the stadium, you do hear the subway going by or a train on the track, you feel like you smell the grill of the hot dogs and all that stuff, and it’s loud at the change of ends, they play the music and people are dancing, and there almost is this culture as well that maybe the fans are talking during the point to some extent, because that’s what fans are allowed to do in basketball, and baseball and NFL and all that stuff. But it’s only in tennis that it’s really just a hushed, super quiet environment and then you’re allowed to be loud at the US Open, and I think that’s the beauty of our sport. I hope you never lose it and that’s what’s so nice about Wimbledon, the difference. But I think, because of the practice court anywhere never really feels like a match court, it’s actually quite easy to go out on the US Open courts. They have incredibly beautiful dimensions, there’s no glare in the Arthur Ashe stadium you know because of the size of the stadium itself so the sun cannot creep in from the side you know, because it’s blocked by the stadium. I don’t know, I just think it’s a great place to play and what I like about the US Open, what I like about the pressure of the US Open and Arthur Ashe, is that basically you feel the people show up there, it’s like at the movie theatre-they eat their popcorn, and then they are waiting for something to happen and then once you start making good shots, good points and you show you are engaged, this is when they are like–“oh right this is when the movie starts, this is the entertainment factor we’ve been waiting for and looking for,” and that’s when they engage fully and they’re one of the most incredible crowds in the world that I love to play in front of. I love to play at the Open, I mean I love playing at Wimbledon too, and if you ask me as a tennis guy probably I’d pick Wimbledon just because, you know, but I’m happy it’s not every week Wimbledon, like I’m happy it’s not every week Arthur Ashe but the combination is crazy good and I love both equally. 

 

LC:
I mean Arthur Ashe is like a modern-day Coliseum in Rome, it really is that kind of atmosphere, the crowd get so into it. 

RF:
Yeah. 

 

LC:
Last couple of questions Roger, short fun ones. So, looking back, what advice would you give to your 20 year-old self? So, you would have just started out on tour, maybe been on there a year or two, what advice would you give yourself looking back then? 

RF:
Ooh, well it’s funny you know. In a way I’d say like “hey don’t worry. You have time Roger,” and at the same time like “it’s going to go by fast.” It’s a bit of both because you know a lot of the time when you’re young, you’re like it’s got to happen right now or tomorrow, we don’t have time, you gotta do it. At the same time, you realize that “Hey, we have time, take your time, practice, you know, don’t stress out about everything.” So I think it’s important to enjoy it, you know, not stress too much about every little detail to begin with, try your best, learn quick-I think learning quick and not making the same mistakes a million times. And then trust your coach and trust the training. But then really get stuck into the details because I do believe at the very top on the professional tour, it’s the details that make the difference.

 

LC:
Last question. What advice do you think your 50-year old self would give you now? 

RF:
He’d tell me play for a few more years! 

 

LC:
I thought you might say that! 

RF:
Really?! I don’t know, I’d be like “Come on Roger, try to play as long as possible and enjoy yourself.” I hope that’s what he would say! 

 

LC:
I think my 50-year old self would tell me not to shout at my kids so much! 

RF:
Yeah ok we can go that route too! We’re in the same place then! 

 

LC:
Roger, thank you ever so much for making the time today. 

RF:
Of course, it’s been a pleasure. 

RF:
Take care, no problem, speak to you soon. Bye bye.

TC Lillois

L’histoire d’un siècle, de La Madeleine au Faubourg de Béthune

Un siècle, 100 ans, 1 200 mois et des jours par dizaines de milliers. Le Tennis Club Lillois devient, en 2020, une institution séculaire. L’histoire est belle et s’y conjugue à tous les temps. Récit.

 

Le siècle est au temps ce qu’un rivage est à la mer ou à l’océan. La falaise plongeante aux verticalités érodées, la plage de galets lisses et patinés, la dune littorale au sable piqueté par les racines d’oyat… Ici, là-bas, des Antipodes aux prolongements de la côte d’Opale, le rivage n’est qu’une cruche fendillée, grêlée par cette eau qu’elle ne contient ni ne confine jamais vraiment. Avouons-le : la Manche, la mer du Nord se fichent bien des plages du Pas-de-Calais, de Dunkerque ou de Grand-Fort-Philippe, auxquelles elles préfèrent leurs vastes dérives et leurs courants océaniques. 

Pour autant, sans ce rivage, point d’histoire. Loin de la houle informe perdue au milieu de nulle part, à des milles de la côte, son érosion raconte tout ce qu’il faut savoir : des calmes plats, des grains, des tempêtes… 

Alors, oui, un siècle, ce n’est pas grand-chose au regard de l’Histoire, de son H solennel et capital. Une construction un peu vaine, qui n’empêchera pas le temps de s’échapper. Mais c’est déjà une somme innombrable de récits, d’histoires, de rebondissements et de péripéties. 

Un siècle. C’est ce qu’a vécu depuis sa création le Tennis Club Lillois. Un siècle qui l’a emmené de l’entre-deux-guerres et de ses Années folles à la très prochaine troisième décennie du XXIe siècle. La Seconde Guerre mondiale, ses fronts, ses terreurs et ses milliers de morts ; l’après-guerre et ses baby-boomers ; l’avènement du rock’n’roll et les années yéyé aux circonvolutions capillaires contestables ; les Trente Glorieuses – puis ses Trente Piteuses ; les eighties et la chute d’un certain mur à l’Est, avant de basculer vers les années 2000 et leurs conflits sociaux… 

 

« C’était, au départ, un petit club privé qui n’avait qu’un unique court en terre battue… »

Oui, des histoires, il en a vu passer et il en a tellement à conter, notre TC Lillois. C’est au sortir de la Grande Guerre, en 1920, qu’il voit le jour chemin du Romarin, entre les potagers d’une campagne pittoresque. Son fondateur ? Paul Chapignac, un président qui le dit et l’écrit dès les premières années : « Nous sommes ambitieux, nous voulons grandir et nous voulons bien faire. » « C’était, au départ, un petit club privé, situé à La Madeleine, qui n’avait qu’un unique court en terre battue. Cinq ans plus tard, il en possédait quatre de plus », rappelle Antoine Sueur, l’actuel président. Mais l’ocre emporté par le vent et la poussière qui tâche les chaussettes s’accommodent mal des caprices de la météo… « Le club manquait d’infrastructures couvertes, ce qui a généré son lot de difficultés. C’est pour cette raison qu’il est devenu municipal en 1962. Et qu’il a ensuite été transféré au Faubourg de Béthune, sur les installations actuelles de la rue du Mal Assis, en 1991. »

Il n’avait néanmoins pas attendu d’être couvé du regard par le clocher de Notre-Dame-des-Victoires pour croître, pousser, grandir et narrer des histoires de succès et de poings serrés. Un nom, à l’image de son club, s’en est rapidement fait l’écho : Marcel Bernard. Né à La Madeleine en 1914, quelques années avant l’institution lilloise, il est un témoignage de l’ADN du club : un modèle de réussite, d’humilité et de persévérance. Un modèle de talent, tout simplement ! Et pourtant, il a fallu un peu de hasard et un clin d’œil du destin pour offrir à Bernard sa juste place dans les livres d’histoire… Ce gaucher au toucher magique, biberonné aux terres du club, n’était plus cet espoir formidable du tennis tricolore lorsqu’il se présente pour disputer le premier Roland-Garros d’après-guerre, en 1946. Âgé de 32 ans, il n’a prévu de s’aligner qu’en double et double mixte. Oui, mais voilà… Le tableau de simple n’a pas ses 64 joueurs et le juge-arbitre le sollicite pour compléter. Marcel Bernard accepte. Dix jours après, il remporte le titre en battant Jaroslav Drobny en cinq manches, après avoir été mené deux sets à zéro. Mieux, vainqueur en demi-finale d’Yvon Petra, tête de série numéro un du tournoi, il s’impose à ses côtés en double. Et reste 37 très longues années le dernier vainqueur français de Roland-Garros – avant que Yannick Noah ne lui succède enfin.

 

Une histoire pavée de trophées et de grandes réussites nationales et internationales

Le Tennis Club Lillois n’a pas patienté si longtemps pour soulever des trophées ou en voir scintiller sur ses courts. Et dans toutes les catégories… Champion de France par équipes cadet en 2006. Trois fois champion de France en individuel, dont Hélène Kereselidze en 15/16 ans l’année dernière. Et, surtout, champion de France par équipes de Première Division en 2001 – et trois fois finaliste. David Goffin, Paul-Henri Mathieu, les frères Rochus, Robin Haase, Benoît Paire… Ils sont nombreux à avoir récemment défendu les couleurs du club. Avec vingt années consécutives de présence en Première Division, une performance inégalée. 

Oh, elle peut sembler un chouïa rébarbative cette énumération litanique, certes ! Mais elle rappelle combien la performance et le haut niveau sont une antienne pour l’institution du Faubourg de Béthune. « Le club a toujours eu des dirigeants ambitieux, qui ont voulu le faire grandir avec persévérance et passion », confirme Antoine Sueur. Comment ? « En s’appuyant sur les forces vives et les innombrables talents des personnes qui s’investissent au quotidien. Et en se retroussant les manches pour surmonter les difficultés (rires) ! L’histoire ne s’est pas faite sans remous, mais on a su durer envers et contre tout. »

Un siècle a deux extrêmes. 1920, c’était hier ; 2020, c’est aujourd’hui ; et, aujourd’hui, le Tennis Club Lillois a vu son petit court en terre de La Madeleine céder sa place à neuf courts intérieurs, trois courts extérieurs, un club-house sur trois niveaux, une salle de fitness, 750 adhérents pour plus de 1 200 pratiquants… Un véritable complexe inauguré en 2016, nommé… Marcel Bernard, évidemment.

Et demain ? Car l’histoire prépare toujours demain et c’est un nouveau siècle qui vient humer le parfum des cordes tendues et du feutre qui vole au Tennis Club Lillois. 

C’est le Play In Challenger, un tournoi ATP Challenger 90 organisé par le club lui-même. Oui, le club a son tournoi et c’est une vraie prouesse : les clubs accueillent des Challengers, mais rares sont ceux qui les organisent. « On a cette tradition du tennis professionnel ancrée dans notre identité », explique Antoine Sueur. L’Open de Lille, créé en 1991, devenu l’Open du Nord en 2013, un tournoi ITF Future. Et, enfin, le Play In Challenger en 2018. L’un des dix plus gros tournois en salle de France. « Le Tennis Club Lillois est le premier à s’être lancé dans une telle aventure dans la région. C’est un projet au long cours : on a la volonté de l’inscrire dans la durée, d’en faire une étape incontournable du calendrier avec des prestations toujours plus qualitatives. » Des initiatives innovantes aussi, puisque la présentation des joueurs s’était faite au centre commercial Westfield Euralille en 2019. Une façon d’amener le tennis… là où on ne l’attend pas. « C’est notre mission avec un tel tournoi ! On souhaite œuvrer à notre manière au développement du tennis, à sa promotion auprès de tous les publics, en espérant participer à l’éclosion des passions de demain… et de ses champions. »

 

Le Play In Challenger, afin de perpétuer la longue tradition du tennis de haut niveau au TC Lillois

Demain. Encore. Les champions qui, justement, foulent les courts du TC Lillois sont les Marcel Bernard de demain. Ceux qui, dans un futur plus ou moins proche, brilleront en Grand Chelem. Pour certains, c’est déjà le cas… « Le tournoi a vu se révéler et s’imposer d’immenses talents par le passé : Jo-Wilfried Tsonga, vainqueur en 2006, Karen Khachanov en 2015, Daniil Medvedev, présent en 2015 et 2016… » Plus récemment, ce sont Corentin Moutet et Antoine Hoang, des pépites tricolores, qui se sont illustrés. Et Grégoire Barrère, évidemment ! Vainqueur des éditions 2018 et 2019 du Play In Challenger, le Français est un bel ambassadeur de l’épreuve : « Qu’il ait gagné chez nous, ce n’est pas neutre », en sourit Antoine Sueur. « C’est un joueur en pleine progression, qui est entré dans le Top 100 l’an passé. Il véhicule une très bonne image et il a laissé de très beaux souvenirs, ceux d’un garçon bien élevé et très respectueux. »

Cela tombe bien : pour le TC Lillois, l’avenir se construit sur des valeurs morales fortes, profondément ancrées dans l’ADN de l’institution. « Notre ancrage géographique même, au Faubourg de Béthune, fait de nous, à l’origine, un club populaire, de quartier. On a donc un rôle éducatif et social et c’est pourquoi l’on accueille énormément de scolaires, d’étudiants, d’écoles de Lille, mais également l’antenne lilloise de l’association Fête le Mur… Cela fait partie de notre mission : transmettre l’envie de se dépasser aux plus jeunes, le goût de l’effort, la solidarité, le respect de l’adversaire… Autant de valeurs qui doivent permettre aux jeunes de se construire en tant qu’hommes et que femmes. »

Un positionnement ni feint, ni vain, qui séduit. « On a plus d’une trentaine de partenaires forts et fidèles que l’on remercie toujours plus. La Fédération française de tennis nous accompagne formidablement bien, tout comme la Ville de Lille, la Métropole européenne de Lille, le Département du Nord, la Région Hauts-de-France… Sans oublier nos partenaires privés à qui l’on essaie de proposer des prestations de qualité supérieure ! » L’économie d’un tournoi de tennis est un défi constant : ce sont ces partenariats qui lui offrent un avenir et une pérennité. 

« Par le passé connaît-on l’avenir. » C’est un vieil ouvrage du XIXe siècle qui évoque cet adage sentencieux, coincé entre un proverbe de grand-mère et une pensée philosophique… Il est un peu banal, cet adage, il faut le reconnaître. Un brin mensonger et plus qu’un tantinet grossier. Parce qu’on aurait tendance à dire qu’hier est la seule chose qui puisse nous permettre d’imaginer ce que sera demain, mais qu’imaginer a quelque chose à voir avec l’espoir, plutôt qu’avec la certitude. Pour autant, la façon dont a vécu le Tennis Club Lillois durant un siècle entier lui promet son lot d’heureux lendemains… Et autant d’histoires, d’émotions, de souvenirs qu’un nouveau siècle peut en raconter. 

 

Article publié dans COURTS n° 7, printemps 2020.

Tennis Gallery 112

Arthur Road, Wimbledon Park 

« Le tennis, c’est plus qu’un sport. C’est un art, au même titre que la danse ! »

Bill Tilden

 

Ces mots de Bill Tilden disent tout de ce qu’est le tennis sur le court. Mais pour Richard Jones, qui tient la Tennis Gallery, une étonnante petite boutique à quelques hectomètres de Wimbledon, le tennis est un art bien au-delà du court.

C’était en 1969. « Année érrr-wotique », susurrait Jane Birkin à l’oreille de Gainsbourg et de son Gainsborough… Sa voix vaporeuse le suggérait sans le savoir : ce 3 juillet 1969, c’est un érotisme tout tennistique qui se dévoile à Richard Jones. « C’était seulement la deuxième fois que je venais à Wimbledon », se souvient ce Britannique so British qui découvre un Centre Court humide, boueux, au gazon laminé par un orage soudain… mais qu’Arthur Ashe reverdit le temps d’un set, en demi-finale, face aux arabesques gauchères de Rod Laver – « le meilleur tennis jamais joué », racontera Jack Kramer, triple vainqueur en Grand Chelem.

 

Une petite boutique de briques rouges

C’était en 1969. Il y a 50 ans. Mais ce jour-là, Richard le garde en mémoire, tout comme les centaines d’autres qui, des décennies suivantes, ont écrit les plus grandes pages de l’histoire du tennis… Des pages colorées qui s’alignent dans les rayonnages de sa petite boutique au 112, Arthur Road, Wimbledon Park. Car Richard Jones, auteur et historien du tennis, a créé un petit musée de ses souvenirs et de ceux des passionnés du feutre, des cadres en acier ou en bois laminé : Tennis Gallery. 

« Ce magasin est le seul, en Grande-Bretagne, exclusivement dédié à la mémoire du tennis, à tout ce que ce sport possède d’artistique ou de littéraire », explique-t-il à l’envi. Avec, en vrac : « Plus de 1 000 ouvrages sur notre sport de 1880 à nos jours. 8 000 affiches originales, dont celles de Wimbledon de 1986 à 2019, celles de Roland-Garros depuis 1991, de rencontres de Coupe Davis ou de Fed Cup, de tournois un peu partout dans le monde… 3 000 programmes de Wimbledon de 1907 à maintenant. Des cartes postales, des magazines, de l’argenterie… Toujours et seulement en rapport avec le tennis. »

 

Cela s’est passé le 3 juillet 1969

Quand on lui parle du 3 juillet 1969, Richard Jones se montre intarissable. « J’avais fait la file à Somerset Road dès 7 h du matin pour réussir à décrocher un billet pour le Centre Court. Le jeu avait débuté à 14 h précises. Le premier match opposait John Newcombe et Tony Roche, de solides serveurs-volleyeurs… mais assez ennuyeux à regarder. Tout a changé lorsque Rod Laver et Arthur Ashe ont pénétré sur le court ! Ashe était rapide comme l’éclair et les frappes de Laver résonnaient comme des coups de feu. L’élégant Arthur avait remporté le premier set très rapidement – et je n’en croyais pas mes yeux, car Rod The Rocket était alors imbattable ! » L’Australien avait fini par remporter le match en quatre manches, 2-6 6-2 9-7 6-0. « Mais je ne me souviens pas d’avoir regardé le score une seule fois tant le tennis pratiqué ce jour-là était éblouissant. Tous les deux jouaient dans un autre univers. » Cela tombe bien : « Deux semaines après, le 20 juillet 1969, Neil Armstrong et Buzz Aldrin foulaient le sol lunaire pour la toute première fois… »

 

« Le seul magasin en Grande-Bretagne exclusivement dédié à la mémoire du tennis »

C’est à l’époque d’Andre Agassi, de Tim Henman et de Greg Rusedski, juste avant que le gazon du All England Lawn Tennis Club voie son mariage de ray-grass et de fétuque rouge traçante évincé au profit d’un ray-grass vivace, mortifère pour le service-volée, signant l’extinction des zones brunes au filet, que Richard et sa femme, Chris, ouvrent leur première boutique. Depuis 1996 et la dernière édition des Kent Championships, ils écumaient les tournois et les rencontres de Coupe Davis, installant des magasins éphémères au succès immédiat : « Nous vendions des milliers de livres sur le tennis chaque année… » 

Au point qu’il fallait un palier, un pignon et une petite maison de briques à 20 minutes à pied du Centre Court pour rassembler ces innombrables pages. C’est chose faite le 1er octobre 1999. Depuis, comme pour se remémorer des souvenirs délicieusement désuets, Rod Laver, Ken Rosewall, Neale Fraser, Betty Stöve, les illustres plumes Richard Evans ou Gianni Clerici… tous ont franchi cette porte, serré la main de notre affable Mister Jones, comme en pèlerinage dans cette galerie des Wilde et des Shakespeare de la balle jaune.

« Gallery : a room or building for the display or sale of works of art 1. » Si le vénérable Oxford English Dictionary le dit… Tennis Gallery fait du tennis un art. Mieux : il en est la mémoire.

 

Article publié dans COURTS n° 5, été 2019. 

Tennis Gallery

112, Arthur Road, Wimbledon Park, London SW19

tennisgallerywimbledon.com

Horaires d’ouverture : 10 h-17 h, du mardi au samedi, toute l’année.

 

1 « Gallery, nom : une pièce ou un bâtiment consacré à l’exposition ou à la vente d’œuvres d’art. »

Petit dico amoureux des surnoms

© Art Seitz

Savez-vous qui a gagné la finale de l’Open d’Australie 2019 entre le « Djoker » et l’« Ogre de l’ocre » ? Quel est le bilan des confrontations opposant « Iceborg » et « Big Mac », « Jimbo » et « Ivan le Terrible » ? Combien de fois se sont affrontées la « Divine » et la « Reine » ? Le « Kid de Las Vegas » a-t-il jamais battu « Pistol Pete » à Wimbledon ? « Gattone » a-t-il jamais remporté un titre du Grand Chelem ? La « Tsarine » reviendra-t-elle au plus haut niveau en 2020 ? 

Au sein d’un vocabulaire tennistique dynamique et extrêmement diversifié, les termes techniques dotés d’un contenu sémantique unique et précis (le coup droit, le jeu décisif, le hawk-eye) côtoient des productions lexicales métaphoriques et allusives. La signification de celles-ci, souvent non-transparente en raison de la charge culturelle cachée, peut s’avérer inaccessibles aux profanes. 

C’est d’autant plus vrai pour l’expression des identités des championnes et des champions de tennis, souvent pourvus de surnoms et de sobriquets culturellement prégnants, émotionnellement intenses ainsi que linguistiquement révélateurs. Produites par les journalistes, les supporteurs ou les joueurs eux-mêmes, ces appellations savoureuses sont loin d’être anodines et nous en disent beaucoup sur l’univers de la raquette et de la petite balle jaune. Effectivement, les surnoms dévoilent tout un monde symbolique, où l’inventivité de chacun contribue à alimenter un vaste réseau de correspondances analogiques, formelles et naturelles. 

© Art Seitz

Petite histoire de la surnomination tennistique 

Les premiers surnoms des joueuses et des joueurs de tennis mondialement connus datent de la fin du XIXe siècle et désignent les pionniers de ce sport, tels que les frères Ernest et William Renshaw, les jumeaux pluri-vainqueurs du tournoi de Wimbledon en simple et en double pendant les années 1880. Inventeurs de la tactique du double ainsi qu’excellents volleyeurs, ces deux frères sont passés à l’histoire en tant que « Renshaw Rush » (Renshaw les fonceurs), surnom allitératif qui constitue une référence à la capacité de ces champions de se ruer à l’attaque, en direction du filet, à la moindre occasion propice. 

En traversant la Manche, la conscience linguistique de tout individu ayant une culture sportive moyenne permet d’associer l’adjectif « Divine » à Suzanne Lenglen, première et plus grande vedette du tennis tricolore, capable de remporter 34 titres du Grand Chelem (simple, double dames et double mixte confondus) entre 1919 et 1926. 

Chacun des membres de l’équipe de Coupe Davis des « Mousquetaires » (surnom littéraire, en référence au célèbre roman d’Alexandre Dumas père, Les Trois Mousquetaires, publié en 1844), qui a remporté six fois d’affilée le saladier d’argent de 1927 à 1932, possédait un surnom : Jacques Brugnon était surnommé « Toto » (surnom affectif), alors qu’Henri Cochet, en raison de son imprévisibilité sur le terrain, était connu sous le petit nom de « Magicien ». Quant à Jean Borotra, son surnom était le « Basque bondissant », en raison à la fois de ses origines (il était né à Biarritz, au Pays Basque) et du fait qu’il avait l’habitude de porter, sur le terrain, un béret basque. René Lacoste, de son côté, a été affublé du surnom de « Crocodile ». L’origine de ce petit nom réside dans un pari effectué en 1923 entre Lacoste et Alan Muhr, capitaine de Coupe Davis de l’équipe française. Celui-ci avait promis à René, comme cadeau, une valise en peau de crocodile en cas de victoire d’un match important. Malheureusement, Lacoste perd le match en question. Cependant, un journaliste du Boston Evening Transcript s’inspire de cette anecdote pour écrire son article, dans lequel il affirme : « Le jeune Lacoste n’a pas gagné sa valise en crocodile, mais il s’est battu comme un vrai crocodile : il n’a jamais lâché sa proie. » Dès lors, l’image du reptile ne quittera plus René Lacoste, qui choisira un crocodile comme logo de l’entreprise de textile qu’il fondera en 1933. 

Toutes les époques tennistiques ont produit des surnoms célèbres. À cheval sur les années 1940 et 1950, à l’Américain Ricardo Alonso Gonzales, dit également « Pancho », vainqueur de l’Open des États-Unis en 1948 et en 1949, fut attribué le sobriquet de « Gorgo », abréviation par apocope de « Gorgonzales », en référence au gorgonzola, un fromage italien. Il se trouve que, au cours de l’édition de 1949 du tournoi de Wimbledon, la prestation décevante de Gonzales poussa un journaliste de l’époque à lui conférer l’étiquette dépréciative de « champion de fromage ». Son partenaire de double, Frank Parker, commença alors à appeler le champion américain « Gorzongales », sobriquet que Gonzales n’appréciait pas. 

Pendant les années 1960, Margareth Smith-Court, la joueuse de tennis la plus titrée de l’histoire avec ses 63 titres du Grand Chelem au total, dont 24 en simple, était surnommée par synecdoque The Arm (le bras), en raison de la longueur remarquable et de la puissance dévastatrice de ses membres supérieurs. Tous les passionnés de la petite balle jaune se souviennent de la rivalité qui a opposé, pendant les années 1970, Little Ice Maiden (La petite fille de glace) et Navrat the Brat (Navrat[ilova] la môme), petits noms, respectivement, de l’imperturbable Chris Evert et de Martina Navratilova, talent précoce, qui ont disputé 80 rencontres sur le circuit WTA, remportant chacune 18 titres du Grand Chelem en simple. 

D’autres rivalités qui ont marqué d’un trait indélébile l’histoire du tennis, sur le circuit masculin, ont eu pour protagoniste Big Mac, surnom de John McEnroe. Ses rencontres disputées pendant les années 1970 et 1980 contre les autres numéros un mondiaux Jimbo ou Jumbo – Jimmy Connors –, « Ivan le Terrible » – Ivan Lendl, considéré comme antipathique à cause de son attitude austère et ombrageuse sur le terrain – et surtout Ice Man – Björn Borg, joueur doté d’un tempérament glacial –, resteront gravées à jamais dans la mémoire des passionnés de la raquette. 

Les surnoms les plus célèbres des années 1990 ont été ceux octroyés aux numéro un mondiaux Steffi Graf, dite « Mademoiselle coup droit » en référence à son meilleur coup, un coup droit redoutable devenu sa marque de fabrique ; Pete Sampras, dit Pistol Pete en raison de la puissance de ses frappes, et notamment son service ; et enfin André Agassi, surnommé le Kid de Las Vegas car originaire de la ville des casinos, située dans le désert du Nevada. 

Les années 2000, en consonance avec les décennies précédentes, ont produit une multitude de surnoms et de sobriquets. Ainsi, « Rodgeur » est un des surnoms affectifs du Suisse Roger Federer, considéré comme étant le meilleur joueur de tous les temps, en raison notamment de ses 20 triomphes en Grand Chelem en simple, record absolu dans le panorama tennistique professionnel masculin. Rafael Nadal, de son côté, est surnommé, entre autres, l’« Ogre de l’ocre », en référence à la couleur de sa surface préférée, la terre battue, qui l’a vu triompher douze fois aux Internationaux de France de Roland-Garros. Le Serbe Novak Djokovic, de son côté, est surnommé de manière affective « Nole », alors que le Britannique Andy Murray porte le sobriquet de « Muzzard » (de l’anglais to muss, qui signifie ébouriffer), en raison de ses cheveux souvent en désordre. L’Écossais, qui montre souvent une attitude irritée sur les courts, est surnommé également Angry Murray, en jouant sur la ressemblance phonétique entre le prénom « Andy » et l’adjectif angry, qui signifie furieux. 

© Art Seitz

Les pouvoirs infinis de la métaphore 

Après cet excursus, nécessaire afin de fournir un premier aperçu de la quantité remarquable de surnoms et de sobriquets des joueuses et des joueurs de tennis apparus au fil du temps, nous allons nous focaliser sur les surnoms attribués par analogie, à partir d’un mot déjà existant, sur la base d’une caractéristique physique, d’un trait de caractère ou d’une habileté technique de la championne ou du champion auquel le surnom ou le sobriquet s’applique. 

La richesse des sources d’inspiration est remarquable. Plus précisément, les journalistes, les joueurs et les supporteurs qui façonnent les petits noms effectuent souvent des analogies animalières, évoquent des ressemblances physiques ou des héros aux pouvoirs extraordinaires, puisent dans le règne végétal, attribuent des titres de noblesse, font allusion à l’univers magique ou font référence à la guerre afin de mettre en évidence les vertus hors du commun des as de la raquette et de la petite balle jaune. 

 

Un véritable zoo

Nombre de surnoms et sobriquets évoquent le royaume animal, sous toutes ses facettes. Si l’élément aquatique est représenté par le « Crocodile » René Lacoste, que nous avons déjà évoqué, l’élément aérien peut compter sur le Letton Ernests Gulbis. Celui-ci est surnommé « Albatros » en raison de sa préparation de coup droit, pendant laquelle il déploie les bras à l’horizontale, rappelant l’envergure des ailes de cet oiseau marin. L’Espagnol Juan Carlos Ferrero, de son côté, porte le surnom de Mosquito (moustique en français) en référence à son agilité sur le terrain. Quant à l’élément terrestre, le jardin zoologique de la surnomination tennistique comprend : un « Chien » – The Dog, surnom attribué à l’Ukrainien Alexandr Dolgopolov à la fois par ressemblance phonétique avec son nom de famille et en raison de sa technique, qui évoque la rapidité des mouvements d’un chien – ; un « Poussin » et un « Pou » – respectivement le Français Gilles Simon et l’Espagnol David Ferrer, joueurs dont le physique n’est pas massif – ; une « Moufette » (l’Australien Pat Rafter, qui présente une mèche de cheveux blancs) et plusieurs chats : le Slovaque Miloslav Mecir, surnommé par la presse italienne Gattone, « Grand Chat » pour ses mouvements félins et sa nonchalance ; et l’Argentin Gaston Gaudio, surnommé El Gato. L’Américain Vitas Gerulaitis, de son côté, était surnommé « Lion lituanien » pour sa crinière blonde. Notre répertoire comprend également un acronyme : GOAT, dont les lettres constituent les initiales de l’expression greatest of all time (le plus grand de tous les temps). Il s’agit d’un surnom utilisé souvent par les journalistes afin de désigner le Suisse Roger Federer, considéré comme étant le joueur le plus fort de toutes les époques en raison des nombreux records qu’il a battus. Curieusement, le mot goat signifie « chèvre » en anglais ! Un autre sobriquet d’Ivan Lendl était « Poule mouillée », forgé en 1981 par Jimmy Connors. Celui-ci, après avoir battu Lendl dans le troisième match du groupe « deux » au cours du Master de New York, accuse le Tchécoslovaque d’avoir joué sans mordant, de peur de terminer premier de sa poule et d’affronter, au tour suivant, le redoutable Björn Borg. Une force physique hors du commun est à la base d’un des surnoms de Stanislas Wawrinka, appelé par la presse « Stanimal ».

© Art Seitz

You look like…

Les surnoms et sobriquets fondés sur les traits physiques ne sont pas moins imaginatifs. Ainsi, le colosse Américain John Isner (qui mesure 2,08 mètres) est associé au Big Ben, en référence à la grande tour d’horloge londonienne, alors que la ressemblance frappante entre Jo-Wilfried Tsonga et Cassius Clay a mené les journalistes à surnommer le tricolore « Mohammed Ali », le nom que Clay a adopté à la suite de sa conversion à la religion islamique. Le Chilien Marcelo Rios, de son côté, était surnommé El Chino en raison de ses traits asiatiques, tandis que le Français Adrian Mannarino, gaucher et talentueux comme le joueur de Santiago, était appelé « Le Rios français ». Yannick Noah avait choisi lui-même le surnom de « Nègre » afin de désamorcer les propos racistes. L’ironie, et non pas la métaphore, est à la base du surnom de Ken Rosewall. Celui-ci, tout en ayant un physique fluet, était en effet surnommé Muscles par ses coéquipiers de Coupe Davis. Un bandeau rouge destiné à retenir ses cheveux longs valut à un jeune John McEnroe le surnom de « Johnny le rouge ». L’Espagnol Feliciano Lopez, en raison de son charme, est surnommé, pour sa part, « Deliciano », en associant le mot « délice » et la partie finale de son prénom. Le Bulgare Grigor Dimitrov, dont le style technique a été forgé par imitation de celui de Roger Federer, son idole pendant sa formation tennistique, porte le surnom de Baby Federer. De son côté, le Français Benoît Paire est nommé « La tige » en raison de son physique longiligne. Enfin, l’Argentin Diego Schwartzman, qui mesure à peine 1,70 mètre, est surnommé Peque, abréviation de pequeño, qui signifie « petit » en espagnol.

 

Les super-héros

Les capacités hors du commun de certains tennismen donnent lieu à des associations avec les super-héros ou des figures marquantes qui évoquent une force et un courage extraordinaires. Parfois, à la base de ces petits noms, on constate également la ressemblance phonétique entre le patronyme du joueur et le nom du personnage de fiction. Ainsi, Novak Djokovic est le Djoker, Xavier Malisse est X-man, alors qu’Ivo Karlovic est appelé Doctor Ivo, en référence à Doctor Evil, l’antagoniste du personnage cinématographique Austin Powers. Le quartet de joueurs les plus prolifiques de la génération actuelle (Federer, Nadal, Djokovic, Murray), désignés par le petit nom Big Four, possède également le surnom de Fab Four (« Les Quatre Fantastiques », du côté francophone), ce qui constitue une référence au groupe musical The Beatles mais aussi à l’équipe de super-héros de la maison d’édition Marvel, populaire pendant les années 1960. L’Espagnol David Ferrer, pour sa part, est surnommé en espagnol El Gladiator en raison de son tempérament de grand battant, alors que son compatriote Rafael Nadal est dit « Le Matador », en référence à celui qui, à l’issue des courses de taureaux, doit mettre à mort l’animal. Toujours concernant les surnoms liés aux capacités exceptionnelles des joueurs, la Française Marion Bartoli, lauréate du tournoi de Wimbledon en 2013, revendiquait un QI de 175, ce qui lui a valu le surnom de « Génie ». Quant à Roger Federer, son tennis sans faille, associé à une élégance et une fluidité gestuelle hors pair sont à la base du surnom peRFect, où les initiales du champion suisse sont mises en exergue par le caractère majuscule. Björn Borg, pour sa part, portait le surnom de Iceborg (de l’anglais ice, glace + borg, nom de famille du joueur mais aussi aphérèse de cyborg), en référence à son caractère imperturbable associé à des capacités physiques hors norme, presque surhumaines, qui lui valurent l’association avec un robot, un cyborg. Le dernier finaliste français des Internationaux de France de Roland-Garros, Henri Leconte, était surnommé « Riton la foudre » en raison de la rapidité de ses frappes ainsi que de sa capacité à monter rapidement à la volée. Quant au coriace Autrichien Thomas Muster, il porte le surnom de « Musterminator », en référence au robot à l’apparence humaine, presque invincible, incarné au cinéma par Arnold Schwarzenegger.

© Art Seitz

L’union fait la force

L’univers de la surnomination tennistique comprend également des surnoms de couple, tels que « Murraysmo » (Andy Murray et Amélie Mauresmo), « Dimipova » (Grigor Dimitrov et Maria Sharapova) et « Fedal » (Roger Federer et Rafael Nadal). Si le lien existant entre Andy Murray et Amélie Mauresmo entre dans le cadre d’une collaboration strictement professionnelle entre joueur et entraîneur, Maria Sharapova et Grigor Dimitrov ont eu une liaison amoureuse de 2013 à 2015. Quant à « Fedal », ce surnom associe les deux plus grands champions de la génération actuelle, Roger Federer et Rafael Nadal, dont la rivalité a donné lieu, de 2004 à 2019, à 40 rencontres, dont neuf finales dans les tournois du Grand Chelem.

 

La royauté

Certaines appellations journalistiques attribuent des titres de noblesse aux tenniswomen et aux tennismen. Ainsi, si les Russes Maria Sharapova et Ievgeni Kafelnikov portent respectivement les titres de « Tsarine » et « Tsar », conformément à la tradition des pays de l’Est européen, l’Américaine Helen Wills, grande rivale de Suzanne Lenglen à la fin des années 1920, affiche le titre de « Reine ». Le Letton Ernests Gulbis, que nous avons déjà évoqué au sujet des surnoms animaliers, est surnommé « Petit Prince » car il provient d’une famille particulièrement fortunée. Mais le seul tennisman pouvant arborer le titre de « Roi » tout court est Roger Federer, dit également le « Maestro » (de l’italien maestro, maître) en raison des innombrables records battus sur le circuit professionnel. Quant à la hautaine et élégante Martina Hingis, son surnom était « Princesse suisse ».

 

La magie

Des joueurs fantasques, imprévisibles sur le terrain car capables de donner à la balle des trajectoires trompeuses, ont suscité chez les passionnés du tennis des analogies faisant référence à l’univers magique. Par exemple, si les Français Henri Cochet et Fabrice Santoro, l’Argentin Guillermo Coria ainsi que la Polonaise Agnieszka Radwanska partageaient le petit nom de « Magicien(ne) », l’Australien Norman Brookes était le « Sorcier », alors que le tricolore Gilles Simon est dit l’« Hypnotiseur ».

© Art Seitz

L’exaltation de la force

Une multitude de surnoms et de sobriquets font allusion à la guerre et à la puissance, ce qui n’est pas surprenant étant donné que le tennis, sport de duel, se fonde essentiellement sur des actions d’attaque et de défense. Ainsi, le Russe Ievgueni Kafelnikov est surnommé « Kalachnikov » pour la violence extraordinaire de ses frappes, dont le bruit évoquait la déflagration produite par une arme à feu. Dans le même esprit, la puissance remarquable de son service valut à l’Australien Mark Philippoussis le surnom de « Scud », en référence au potentiel destructeur de ces missiles à courte portée. De son côté, Rod Laver, le seul joueur capable de remporter les quatre épreuves du Grand Chelem au cours de la même saison, en 1962 et en 1969, était surnommé The Rocket (la fusée) pour la vitesse exceptionnelle de ses déplacements sur le court, en particulier lors de ses services-volées. L’agressivité sur le terrain, associée à un tempérament combatif, sont les caractéristiques principales de la Française Mary Pierce et des Espagnols Rafael Nadal et David Ferrer, dont les surnoms sont respectivement « La Tueuse », « La Tornade » et Ferru (qui signifie « fer » en catalan). Stan Wawrinka, dont la puissance des frappes et le mental d’acier constituent les atouts principaux, possède, entre autres, le surnom de Iron Stan. Quant à l’Américain Jim Courier, ex-numéro un mondial en 1992, il portait le petit nom de « Le Roc » en raison de son endurance extraordinaire ainsi que de son intensité sans limite sur le court. 

 

En conclusion

La productivité lexicale, dans le domaine de la surnomination des champions de tennis, commence dès les origines de ce sport et ne connaît pas de stagnation, contribuant remarquablement à l’enrichissement et au dynamisme du lexique tennistique. 

La composante ludique ainsi que la connivence qu’ils contribuent à créer entre les locuteurs est indéniable, mais on aurait tort de s’arrêter à ce stade en négligeant un examen minutieux de ces appellations savoureuses. Effectivement, une telle analyse permet de mettre en évidence non seulement la grande créativité langagière de ceux qui façonnent ces surnoms, en l’occurrence les journalistes, les supporteurs et les joueurs eux-mêmes, mais aussi la forte charge émotionnelle et culturelle de ces dénominations. 

Par le biais de la métaphore, de l’ironie, de la caricature et de l’hyperbole, les surnoms et les sobriquets, qui alimentent essentiellement des pratiques discursives portant sur la performance et sur l’esthétique corporelle, remplissent une fonction éminemment identitaire et structurent la mémoire communautaire. Les processus d’identification et de reconnaissance collective exacerbent les individualités des as de la raquette et exploitent le caractère pragmatique de la métaphore afin d’assimiler les caractéristiques et les talents techniques, physiques, tactiques et mentaux des champions autour de microcosmes hautement symboliques, tels que les super-héros, la flore et la faune, l’univers magique, le monde littéraire et cinématographique, la royauté, la guerre. Voilà pourquoi des considérations socioculturelles sont essentielles afin de saisir pleinement la densité émotionnelle des surnoms et des sobriquets. Ceux-ci condensent l’essence même du langage sportif, fait d’expressions riches et jubilatoires et de termes évocateurs qui se renouvellent sans cesse. 

Valerio Emanuele est professeur de tennis diplômé d’État, docteur en sciences du langage et chercheur associé au sein du laboratoire Lexiques, Textes, Discours, Dictionnaires (LT2D) de l’université de Cergy-Pontoise. Il est l’auteur d’une thèse portant sur le discours préfaciel des dictionnaires bilingues français-italien / italien-français ainsi que du Dictionnaire du tennis, paru en 2019 aux éditions Honoré Champion. Ses recherches portent sur le lexique sportif et le paratexte des dictionnaires bilingues. 

 

Article publié dans COURTS n° 6, automne 2019.

Jimmy Connors

La pierre qui roule du tennis

© Art Seitz

Le joueur américain a écumé les courts durant vingt-cinq années et détient toujours le record du plus grand nombre de tournois remportés. Son parcours titanesque et son tempérament de feu rappellent ceux du chanteur Mick Jagger, autre fauve indomptable et immortel.

« When the train come in the station…1 »

1961. Le point de départ de notre histoire se déroule sur le quai d’une gare. Nous sommes à Dartford, une banlieue dortoir de Londres. Deux adolescents se retrouvent par hasard, après s’être perdus de vue à la fin de l’école primaire. Leurs noms : Mick Jagger et Keith Richards. Le guitariste engage la conversation, intrigué par les disques que tient en main le futur chanteur des Stones : l’un est signé Muddy Waters, l’autre Chuck Berry.

Les deux jeunes Anglais prennent conscience qu’ils partagent les mêmes goûts musicaux : le blues et le rock’n’roll. Cette musique vient des États-Unis. Jouée à l’origine par les Afro-Américains sur les rives du Mississippi et sur la mythique route 61, de la Nouvelle-Orléans jusqu’à Chicago.

 C’est précisément dans cette vaste région centrale des States que Jimmy Connors voit le jour en 1952, au bord du plus long fleuve du pays, à East Saint Louis. Une ville miteuse, marquée par la ségrégation raciale.

Comme le leader des Rolling Stones, Jimmy Connors est issu d’un milieu modeste. Sa mère, coach de tennis, lui prodigue une éducation stricte et sportive. Un apprentissage similaire à celui connu dix ans plus tôt par Mick Jagger, dont le père était prof de gymnastique. 

C’est dans ce climat impérieux que Mick et Jim, tels deux jeunes lions en cage, trépignent d’impatience à l’idée de faire leur grand saut dans l’arène. 

 

Jumpin’ Jack Flash 2

Leurs missions : devenir le numéro un mondial du tennis et bâtir le plus grand groupe de rock de la planète. Rétrospectivement, le moins qu’on puisse dire est qu’ils ont parfaitement réussi. En partie, en raison de la pugnacité de leurs deux personnalités, jamais rassasiées, toujours insatisfaites 3.

Il faut dire qu’ils ont tous les deux un caractère bien trempé ! Quand Mick Jagger tire la langue au système, Jimmy Connors ouvre sa grande bouche pour martyriser les arbitres : « You’re a bum ! I’m out here playing my butt off at 39 years old and you’re doing that ? Very clear my butt ! My butt very clear ! » (T’es un clochard ! Je me casse le cul à jouer à 39 ans et tu me fais ça ? Mon cul, oui !) 

Se soumettre à l’autorité ? Plutôt crever, oui ! Connors est un Street Fighting Man 4, un combattant des rues venu botter les fesses des aristos du tennis. Jagger, lui, multiplie les excès : il pisse contre le mur d’une station-service, organise des orgies et tripe sous acide. Il passera même quelques jours en prison. Une aubaine pour le manager des Stones qui cultive leur image de mauvais garçons. Une allure arrogante et un son dur, sale et métallique, qui résonne comme un appel aux armes. 

De son côté, Jimbo le crie haut et fort : « Le tennis, c’est la guerre ! » Et en 1978, après deux défaites consécutives en finale de Wimbledon contre Björn Borg, le joueur américain pète les plombs : « Je poursuivrai ce fils de p… jusqu’au bout du monde et je ne le lâcherai plus avant de l’avoir battu ! » Maintenant, c’est sûr, ça va saigner, alors les Stones dégainent les premiers et composent Let It Bleed5 ! 

Paint It Black6

Dans ce nouveau monde, au tournant des années 1970, la contestation gronde. Mai 68, les manifestations contre la guerre du Vietnam… Les rebelles haussent le ton et Connors, comme les Rolling Stones, ouvre la voie.

L’ascension du bad boy américain incarne à merveille le grand chamboulement des débuts de l’ère Open. Jimbo a les crocs et ses doigts rustiques agrippent le manche de sa raquette comme de la glue 7. Intenable, il bouffe tout cru les vieilles gloires du tennis : Laver, Rosewall et Emerson. Il révolutionne également la pratique de son sport avec Chris Evert et Björn Borg en popularisant le revers à deux mains, jusqu’alors excentrique. 

Les Stones innovent eux aussi. Ils ont raté Woodstock, alors ils lancent le festival d’Altamont à San Francisco. Mais la soirée dérape : engagés pour jouer les services de sécurité, les Hells Angels tuent un spectateur, devant un public défoncé. Le concert se transforme en cauchemar et noircit un peu plus la réputation d’un groupe qui symbolise terriblement ce changement d’époque. Voilà, c’est fini, les sixties Peace and Love basculent vers une période plus sombre de l’histoire du rock. 

C’est certain, Jimmy Connors et Mick Jagger aiment jouer avec le feu 8. Sur le court comme sur la scène, ils électrisent les foules. Leur style de jeu est identique : une cadence infernale et une vivacité exceptionnelle. Les attaques sont fusantes, les répliques obscènes, les poings rageurs. Leurs rugissements font crépiter les tribunes. Deux fauves qui dansent, deux bêtes de scène qui plongent les fans dans un état de frénésie communicative. Bref, deux prédateurs que le public prend plaisir à détester.

L’évolution de leur image, d’abord toxique puis diablement sympathique 9, est aussi le fruit de leur incroyable longévité. Jimmy Connors est un quadra bien avancé lorsqu’il joue son dernier match professionnel à Atlanta en 1996. Cinq ans plus tôt, il réalise l’exploit d’atteindre les demi-finales de l’US Open à 39 ans, à l’issue d’un parcours héroïque. 

Cette même année, en 1991, le papy du tennis devient le chouchou de Roland-Garros. Face à son compatriote Michael Chang, le vétéran américain lutte durant 3 heures et 30 minutes. Jimbo s’arrache pour égaliser à deux manches partout et gratte malicieusement le premier point du cinquième set, avant de jeter l’éponge. Le Central ovationne la sortie du guerrier éreinté et placé sous assistance respiratoire. Jimmy Connors s’éclipse à peine qu’il manque 10 déjà au public parisien.

 

Time Is on My Side 11

Mick Jagger aussi est increvable. Sa carrière n’est d’ailleurs toujours pas terminée. À 76 printemps, il continue de se déhancher sur les podiums du monde entier. Telle une machine dont les piles ne vieillissent jamais.

Incontestablement, le temps est du côté de Jimmy Connors et de Mick Jagger. Cinquante-sept ans après la création des Stones, les stades sont toujours pleins à craquer pour acclamer les mi-seigneurs, mi-seniors du rock. Le groupe a pourtant implosé à plusieurs reprises. La faute à la relation d’amour-haine qu’entretiennent les frères bagarreurs, Mick Jagger et Keith Richards. Les deux hommes partagent tout, la drogue et l’écriture des chansons. Déjà en 1970, l’amitié explose quand le guitariste soupçonne le chanteur d’avoir couché avec sa copine de l’époque, Anita Pallenberg. Une trahison qui va ternir à jamais les rapports entre les Glimmer Twins, les jumeaux étincelants. 

Comme dans les groupes de rock, le circuit ATP regorge de rivalités. Champion de la provocation, Jimmy Connors choisit lui-même son double maléfique : ce sera John McEnroe. Plus jeune, plus talentueux et plus fortuné. Lors de leur première confrontation, en 1977 à Wimbledon, l’aîné sent le vent du boulet. Dans le vestiaire, juste avant la rencontre, il ignore ostensiblement le frêle New-Yorkais qui vient le saluer. 

Les deux Américains ont pourtant quelques traits en commun : un ego surdimensionné et un tempérament sauvage. Car Big Mac est lui aussi un sale gosse, râleur et colérique. Forcément, lorsque les deux meilleurs ennemis se retrouvent face-à-face, ils lâchent volontiers les chevaux 12 !

Chaque joute provoque des étincelles. En 1982, à Chicago, les deux adversaires en viennent pratiquement aux mains sur le terrain. L’antagonisme entre les deux yankees atteint son paroxysme à New York lors de bouillants affrontements qui régalent les suiveurs nocturnes 13 de Flushing Meadows.

Au moment de raccrocher les gants, Jimbo est questionné sur le joueur qui l’a le plus impressionné. Sa réponse ressemble à un hommage… à la sauce Connors : « J’ai joué contre tous les grands : Pancho Gonzalez, Emerson, Laver, Borg. Mais si je devais n’en retenir qu’un, ce serait McEnroe… En dehors de moi, bien sûr ! » 

Une ultime parade, un dernier pied de nez que le chanteur des Stones aurait pu s’attribuer. C’est comme ça, Jimmy Connors et Mick Jagger ne cèdent jamais : ils auront toujours le dernier mot. 

« You can’t always get what you want, but if you try sometimes, you just might find, you get what you need 14! » 

1 Robert Johnson - Love in Vain (1937), reprise par The Rolling Stones (1969)

2 The Rolling Stones - Jumpin Jack Flash (1968)

3 The Rolling Stones - Satisfaction (1965)

4 The Rolling Stones - Street Fighting Man (1968)

5 The Rolling Stones - Let It Bleed (1969)

6 The Rolling Stones - Paint It Black (1966)

7 The Rolling Stones - Sticky Fingers (1971)

8 The Rolling Stones - Play With Fire (1965)

9 The Rolling Stones - Sympathy for the Devil (1968)

10 The Rolling Stones - Miss You (1978)

11 The Rolling Stones - Time Is on My Side (1964)

12 The Rolling Stones - Wild Horses (1971)

13 The Rolling Stones - Midnight Rambler (1969)

14 The Rolling Stones - You Can’t Always Get What You Want (1969)

 

Article, également disponible en podcast, publié dans COURTS n° 7, printemps 2020.

Finale de haute volée

© Arnaud Kool

Souvenirs d’une finale d’anthologie à Wimbledon en 1990 qui a vu s’affronter Boris Becker et Stefan Edberg pour la troisième année consécutive.

 

L’une des plus belles rivalités de l’ère Open

Boris Becker et Stefan Edberg totalisent 90 titres sur le circuit ATP, parmi lesquels douze victoires en Grand Chelem, quatre Masters et six Coupe Davis. Les deux anciens numéros 1 mondiaux se sont affrontés 35 fois entre 1984 et 1996. Et si les chiffres sont largement à l’avantage du joueur allemand (25 victoires pour 10 défaites), le joueur suédois a toutefois remporté trois de leurs quatre confrontations directes en Grand Chelem, dont deux finales à Wimbledon (1988 et 1990), ainsi qu’une demi-finale à Roland-Garros en 1989. La même année, Becker signait lui son troisième et dernier succès à Wim, après avoir infligé à son plus grand rival un cinglant 6-0 dans le premier set. Edberg tiendra sa revanche quelques mois plus tard en s’imposant en finale du Masters. 

 

Des styles et des personnalités opposés

Becker explose en 1985 lorsqu’il remporte Wimbledon à 17 ans. Il est alors le plus jeune vainqueur d’un tournoi du Grand Chelem. Il devient aussi, l’année suivante, le plus jeune joueur à conserver son titre dans un tournoi majeur. L’Allemand est un précurseur dans son pays tandis que le Suédois, malgré un style de jeu aux antipodes, est le digne héritier de Borg et Wilander. En 1985, celui qui est à ce jour le seul joueur à avoir réalisé le Grand Chelem chez les juniors signe lui aussi sa première victoire dans la cour des grands. Il remporte alors à 19 ans son premier Open d’Australie. Les deux amis sont des adeptes du service-volée. Edberg, qui peut compter sur un touché de balle tout en délicatesse, une volée de revers inégalable et l’un des plus beaux revers à une main du circuit, suscite immédiatement l’admiration des amateurs de beau jeu. De son côté, Becker est un athlète complet. Il impressionne avec un service qui dépasse pour la première fois les 200 km/h et qui lui vaut le surnom de « Boum Boum Becker ». Mais au-delà d’être le premier gros serveur du circuit, sa confiance en lui et sa combativité sont exemplaires. À l’image de ses plongeons au filet devenus sa signature, son tennis presque mécanique est percutant et spectaculaire. Si Edberg, plus introverti, est un modèle de fair-play et d’élégance, un vrai gentleman sur les courts, Becker est plus fantasque et plus exubérant mais tout aussi respectueux de ses adversaires. Les deux attaquants ont un autre point commun : ils ne remporteront jamais Roland-Garros.

 

Jamais deux sans trois

En 1990 à Wimbledon, peu importe la récente victoire d’Ivan Lendl (no 1 mondial) au tournoi du Queen’s, Boris et Stefan, respectivement 2e et 3e au classement ATP, sont les grands favoris. Le Suédois ne laisse d’ailleurs aucune chance au Tchécoslovaque en demi-finale. Il se qualifie en trois sets pour sa troisième finale d’affilée au All England. Becker, dans son jardin, est également au rendez-vous. Nous sommes le 8 juillet et le tennis s’apprête à vivre une de ses plus belles finales ! Dès les premiers échanges, Edberg se montre agressif au filet et enchaîne les retours de service parfaits. Au sommet de son art, l’esthète propose un récital. « Monté sur coussin d’air », il danse sur le court pour distiller sa volée de revers et ses lobs liftés. Le meilleur relanceur du circuit ne peut rien contre le virevoltant Suédois qui conclut les deux premiers sets 6-2 6-2. Boris, le tourmenté, expliquera plus tard qu’il s’était présenté groggy sur le Center Court, encore sous l’emprise de somnifères pris la veille. Mais le tenant du titre n’a pas dit son dernier mot. Il trouve les ressources mentales pour inverser la tendance et remporter les deux sets suivants 6-3 6-3. La belle se jouera donc au meilleur des cinq manches. L’Allemand, regonflé à bloc, profite de ses coups droits dévastateurs pour breaker et mener 3-1. Les spectateurs se régalent. Les échanges, en quatre ou cinq coups de raquette maximum, se déroulent à une vitesse folle et l’on comprend que c’est Edberg qui est le meilleur volleyeur. Plus vif et plus présent au filet, il recolle aussitôt à 3-3 avant de faire le break pour s’offrir à 5-4, le droit de servir pour le match. Pouvant compter sur une excellente première balle, il résiste à la pression de conclure et remporte le set décisif 6 jeux à 4. 

Les amateurs de tennis ne le savent pas encore mais ce jour-là, ils viennent d’assister à l’un des derniers véritables matches de service-volée ! 

 

Article publié dans COURTS n° 5, été 2019

Stars au parloir

« À quoi aurait ressemblé Martin Luther King sur Twitter ? » Stan Wawrinka pensait sûrement ce jour-là avoir à raconter un instant de match, ou la sensation d’un moment de la saison, et voilà que par surprise la folle question l’embarquait très loin des préoccupations du jour. On ne se souvient plus si le Suisse, tombé sur une grosse impasse, avait su s’en sortir dignement. Mais il a lui a bien fallu trouver une parade. C’est aussi son métier. Parler, pour ne rien dire ou faire la une, radoter, rire ou pleurer, esquiver, désosser, gâcher une victoire par un verbe plat, faire oublier une défaite avec du style, le joueur doit dégainer les mots aussi souvent que ses coups. 

Le cahier des charges l’y oblige après chaque match, à moins qu’il ne soit prêt à payer une amende. Un jour à Madrid, Benoît Paire, parti furieux du stade sans crier gare, était revenu en taxi quelques heures plus tard balancer quelques simples mots pour éviter la double peine de la défaite et de l’addition. D’autres pensent avoir trouvé une parade qui leur permettrait à moyen terme de zapper le pensum : décourager le journaliste de revenir en lui proposant une infâme bouillie de mots sans saveur. 

Venus Williams est devenue experte en la matière. Elle ne dit quasiment plus rien qui ne soit pas une généralité, quand elle ne synthétise pas sa pensée en monosyllabes. Récemment à Rome, alors qu’elle devait rencontrer sa sœur Serena au tour suivant pour un match alléchant, un homme courageux a tenté de lui demander si elle avait souvenir de leur dernier face à face. « Non. » Le malheureux avait insisté. « Alors un souvenir d’une autre de vos rencontres… - Non. » Glaçant. Mais les conférences de presse avec Venus Williams se perpétuent, cahin-caha. Comme avec tout le monde. 

Pas question de déroger aux habitudes. Il faut du son, du storytelling, du buzz, des mots pour remplir les articles. Aucun autre sportif (ve) au monde ne parle autant, ou aussi souvent, qu’un tennisman (woman). La routine, la corvée ou la séance psy a lieu après chaque match, qu’il soit court, long, homérique, classique, victorieux ou perdant. Évidemment, l’état d’esprit n’est plus le même. Au terme de son monumental match à rallonge face à Isner à Wimbledon en 2010, alors qu’il ne tenait plus vraiment debout, comme débordé par les sentiments extrêmes qui l’envahissaient, Nicolas Mahut avait dû faire face au tribunal des émotions. Tout le monde vous dira que c’est le plus charmant des interlocuteurs. Mais alors qu’il était très attendu pour narrer en profondeur cette « zone » de laquelle on revient après un 70-68, la tâche s’est avérée impossible. « C’est un moment où je ne me suis pas senti très bien, se souvient le Français. J’étais en total décalage avec le ressenti général, et la seule envie que j’avais, c’était de quitter la pièce. » Les salles de conférence de presse peuvent être un monde impitoyable. 

Les mêmes gens – les uns sur l’estrade encore en short ou douchés, les autres sur les sièges à poser des questions – se confrontent tour à tour pour prolonger un succès ou la pire des désillusions, en mode totalement schizophrénique. Bienveillant pour pousser le champion à enjoliver les belles émotions, le poseur de questions pourra se muer en inquisiteur impitoyable pour tenter de faire surgir les cruels détails d’un fiasco. Le joueur, lui, devra faire en sorte de gérer la situation au mieux de ses humeurs. 

© Art Seitz

Novak Djokovic n’est pas toujours aussi affable qu’après sa victoire facile à Roland cette année face à Zverev, quand il avait réussi une longue tirade après l’ébouriffante question de savoir si « Thiem n’avait pas remplacé Murray dans le rôle de Ringo Starr chez les Fab Four (Beatles) ». Il est aussi renfrogné et peu disert, comme toutes ces grandes stars se précipitant le plus souvent au parloir dans les minutes qui suivent un échec auquel elles ne sont jamais vraiment préparées. Les conséquences sont parfois fâcheuses, comme on vient de le voir à Roland-Garros lorsque l’apparition intempestive de Serena Williams, que personne du staff de la WTA n’avait pu retenir, avait poussé au départ de la salle principale un Dominic Thiem interloqué. Fait divers ! Le monde des conférences est un univers parallèle parfois tout aussi palpitant que celui des courts… 

Dans ce gigantesque moulin à paroles, il faut distinguer le tyran qui ne dira jamais rien, sciemment, même au sujet de la moindre analyse de match premier degré, du timide qui s’embrouille à l’idée d’évoquer la moindre anecdote. David Nalbandian s’y entendait pour faire aussi court que possible, dans le genre bâclé. David Ferrer aussi, mais plus sûrement parce qu’il ne trouvait vraiment pas les mots pour retracer au quotidien l’épopée du mythe du forçat émérite qu’il a fini par devenir. Quant à Nishikori, on le laisse désormais aux seules mains des médias de son pays en leur souhaitant bon courage. 

On trouve parfois des pépites de face à face véritablement furtifs, presque hostiles. Quand il a été battu par Wawrinka à Toronto l’an dernier, Kyrgios a utilisé trois phrases. « I don’t know. » « No. » « No difference for me. » Fin de la conférence. Merci d’être venu. Tomic (une sale manie australienne ?) n’avait pas l’air plus emballé cette année à Roland-Garros après sa défaite face à Fritz. Trois tentatives de lancer le débat sur son match, sur l’arbitre, sur la terre battue. Trois échecs résumés en quelques mots. « Je n’ai pas bien joué. » « Je ne m’en souviens pas. » « Pas pour moi. » Rideau. 

Mais c’est vrai, c’est aussi un spectacle. On tire souvent une meilleure histoire d’une « conf » qui ne s’est jouée qu’en zoomant sur des yeux revolver. Les moments d’aigreur, de colère, de frustration qui éclatent dans ces exercices imposés, au mépris de tout « plan com », finissent par en dire beaucoup. 

« On en a besoin, raconte Marc Rosset, l’ancien champion suisse. À notre époque, on n’était pas dans la communication. Les gens comme Kafelnikov, Safin, moi ou d’autres, on n’était pas là pour se vendre. Quand on était nuls, on le disait. Aujourd’hui, même quand ça ne va pas, t’as l’impression que le mec va forcément trouver quelque chose de positif. Mais il y a ces conférences de presse où tu ne caches plus rien. Vous vous souvenez de Djokovic quand il avait perdu en quart de finale à Roland contre Cecchinato (en 2018) ? Il était arrivé dans la première salle venue, à bout, mauvais perdant, bien loin de celui qui embrassait tout le monde quand il perdait. Et je m’étais dit : “Ça y est, on a retrouvé Djoko !” Et ça n’a pas raté. » 

Linda Christensen traque ces instants de vérité. Sténo pour l’agence ASAP (AsSoonAsPossible), elle régurgite sur papier en moins de moins de temps qu’il ne faut ces dialogues au quotidien pour faire gagner du temps aux journalistes. Avec son expérience, on ne fait pas mieux qu’elle pour humer l’atmosphère d’un instant ou sonder la mentalité de celles ou ceux qui passent au grill. Elle a tout connu. La solennité qui règne dans la salle de conférence principale de Wimbledon, presque un théâtre. Les atmosphères réfrigérées des pièces secondaires confinées et malmenées par la climatisation. Les regards exaspérés des joueurs contraints de répondre pour la millième fois à la même question (genre, à Zverev : « Que vous apporte Lendl ? »). Ou les pages entières à gratter derrière chacune des questions posées à la bavarde impénitente qu’est Kristina Mladenovic. Même si elle ne sait pas tout des subtilités de la petite balle jaune, Linda connaît sûrement bien mieux les joueurs que beaucoup de suiveurs. 

© Ray Giubilo

« J’ai adoré les conférences d’adieu de Safin durant sa dernière saison, et notamment la dernière à Bercy, quand il a répondu à tout le monde presque personnellement, et de manière très drôle, se souvient-elle. Marat avait aussi des tirades très philosophiques. Il disait n’avoir aucun regret car il ne serait pas devenu celui qu’il avait été sans avoir fait ce qu’on pouvait lui reprocher. On apprend beaucoup aussi en écoutant Nadal deviser sur le sens de l’accomplissement en faisant la distinction entre la joie, la santé, le bonheur ou la réussite par rapport aux nombres de titres. Certains font parfois de longues réponses pour remplir le temps. Rafa, non. Il est souvent très en retard pour ses conférences de presse, quelque chose qu’on aime évidemment pas trop en fin de journée… Mais je lui pardonne. Il est si gentil. Quand il avait gagné l’US Open il y a deux ans, après sa conférence finale, il m’avait vue au fond de la pièce, remplie par un mur de journalistes. Mais il avait fait un long détour pour venir me dire au revoir… » Encore une preuve qu’il peut se passer des choses essentielles derrière les parois des salles de conf. 

On ne serait pas complet si l’on oubliait les journalistes, acteurs essentiels, évidemment, de ces joutes verbales plus ou moins débridées. De sacrés numéros, parfois. Au choix ? Celui qui dit à Berdych à Wimbledon (après un match contre Simon en 2015) qu’il « doit se sentir en forme pour la suite », alors que le Tchèque vient de perdre. Celui qui s’endort pendant la conférence de début de tournoi de Nadal cet hiver en Australie devant un Espagnol aux yeux ronds qui le fait remarquer à tout le monde. Celui qui ne démarre pas trop mal en demandant à Halep si sa réduction mammaire lui « a servi sur le court », mais qui dérape aussitôt en ajoutant « et en dehors du court ? ». Celui qui demande (trop) basiquement « comment s’est passé le match ? », et qui se voit rétorquer « hey, tu l’as regardé au bar, ou quoi ? ». Celui qui pose d’un coup la question qui tue sur un dossier perso qu’il prépare en loucedé (style « si vous étiez un fruit ? »), au mépris de tous ses confrères qui bataillent pour respecter une certaine logique dans le cheminement de la confession. Celui du Yorkshire, avec son accent au couteau, qui a fait marrer un jour Zverev, et qui depuis ne lâche plus l’Allemand. Et tous ceux qui ne viennent jamais aux conférences de presse d’Isner, même aux États-Unis, laissant souvent l’Américain presque tout seul pour méditer sur son pouvoir d’attraction. 

Mais il ne faut pas trop en vouloir aux questionneurs, même chez ceux qui chercheraient à se mettre en avant. Sans leur esprit malin ou retors, leur sens de la dramaturgie, leurs devinettes parfois alambiquées, leurs effets de style et leurs provocations, plus grand-chose ne sortirait du cadre convenu. 

Jadis, le feu couvait derrière chaque apparition publique des experts en « trash-talking » qui, de McEnroe à Ivanisevic, n’hésitaient pas à titiller la concurrence au risque de s’auto-détruire, sans même avoir été activés. « J’ai plus de talent dans mon petit doigt que Lendl dans tout son corps », avait balancé un jour Big Mac dans une de ces conférences de presse vintage. Mais on ne dit plus ça aujourd’hui. Federer ne parle pas ainsi de Djokovic, ou d’un autre rival. 

Avec le maître, c’est le genre grand-messe qui prédomine, avec cette capacité quasi surréaliste de rester intéressant après des milliers d’heures derrière le micro à deviser en anglais, en français et en suisse-allemand. À sa façon, aérienne, il donne à l’exercice redondant ses lettres de noblesse. Ses jugements millimétrés sur les affaires en cours, tel Saint Louis au pied du chêne, cette langue déliée sans effort apparent pour escorter sa légende et celle de l’histoire du jeu prolongent avec style les heures passées sur le court. Certains le provoquent, parfois, comme celui qui lui avait lancé un jour à Wimbledon qu’il le trouvait « encore plus mignon que l’an dernier ». Après avoir laissé passer l’orage, Federer avait répondu un peu plus tard dans la conversation : « Je me sens incroyablement sexy ! » Sacrées confs. 

 

Article publié dans COURTS n° 5, été 2019

© Ray Giubilo