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Au service de sa majesté

Roger Federer, Wimbledon 2021, © Antoine Couvercelle

C’est lui qui le dit ! Federer aimerait « un mec à la James Bond » pour jouer son rôle en cas de biopic sur sa rivalité avec Rafael Nadal. Smoking impeccable pour l’un, mèche toujours bien rangée pour l’autre. C’est vrai que l’analogie est tentante entre le joueur de tennis le plus iconique de tous les temps et l’espion le plus emblématique du 7e art. Au-delà d’une classe naturelle similaire, on ne se hisse pas à ce rang sans des armes hors normes, permettant de déjouer les plans adverses. Pour Bond, une panoplie de gadgets dernier cri ; pour Federer, un service high-tech, l’une de ses armes de prédilection sur lequel ses rivaux se sont souvent cassé les dents. Décryptage, en quelques faits et gestes, pour comprendre les secrets du service de Federer.

 

1. L’homme au pistolet d’or

D’après les statistiques de l’ATP pour la saison 2021, et malgré un genou douloureux l’année de ses 40 printemps, Federer fait encore partie des 5 meilleurs serveurs du circuit aux côtés de John Isner, Milos Raonic, Reilly Opelka et Nick Kyrgios (figure 1). Si la présence de ces derniers en tête de ce classement n’est pas une surprise au regard de leur taille exceptionnelle, (le petit) Federer arrive en 5ème position alors qu’il leur rend 8 à 20 cm en taille ! Il devance même (le grand) Matteo Berrettini (1,96 m) et (le très grand) Kevin Anderson (2,03 m). Le Suisse ne doit pas sa réussite à sa taille mais à une main en or, digne de Goldfinger, lui assurant notamment une grande précision. Au cours de ces dernières années, Federer est le joueur le plus performant sur sa deuxième balle avec près de 60 % des points remportés après sa 2nde balle de service. Il est aussi très régulier avec moins de 2 doubles fautes en moyenne par match.

Figure 1

Enfin, il sert plus d’aces côté avantage : ce résultat témoigne de sa formidable capacité à bien servir lors des points importants (balles de jeux ou de break), ce qui lui a souvent Permis de tuer ses adversaires. Par contre, Federer n’est pas le joueur le plus puissant du circuit au service avec une première balle frappée en moyenne à 190 km/h. Le service le plus rapide de Roger a été flashé à 230 km/h en 2010 à Halle en Allemagne, une vitesse que ne renierait pas l’agent 007 au volant de sa célèbre Aston Martin dans Meurs un autre jour. Toutefois, la grande force du service de Federer ne réside pas tant dans sa vitesse mais plutôt dans sa précision. « Quand il joue très bien, c’est le coup qui fait la différence, analyse Mickaël Llodra. Il arrive à être très précis. Il peut toucher toutes les zones du carré de service. » Pourtant, Roger est loin d’être le plus grand joueur du circuit : comment se fait-il que toutes les zones du carré de service s’offrent à lui ?

 

2. Casino Royal

Tel un joueur de casino, visage illisible, masqué de sa fameuse « poker face », Federer est connu pour être le maître du masquage, ce qui a déstabilisé tant d’adversaires par le passé. « Roger peut faire chaque service avec le même lancer de balle, et avec une extrême précision, c’est pourquoi il est si difficile de jouer contre lui. Vous ne savez pas où la balle va aller, et là, tout à coup, il touche la ligne (…) Roger lance la balle en l’air, et vous guettez un signe, mais le lancer est le même, la position du corps est la même, où qu’il dirige sa balle. Et au tout dernier moment, Roger change et envoie la balle où bon lui semble ». Ces propos de Toni Nadal témoignent de l’extrême difficulté qu’ont ses adversaires à lire son service. Federer possède, en effet, cette capacité à réaliser un lancer de balle identique et à modifier l’inclinaison de sa raquette juste avant l’impact en fonction du type d’effet et de la zone souhaitée (figure 2) grâce aux actions de son avant-bras et de sa main, capables de faire tomber la foudre comme dans Opération Tonnerre.

Figure 2

3. Skyfall

Chez Federer tout part des jambes, et quand vous êtes au retour le ciel peut vous tomber sur la tête ! Techniquement, son service est un petit bijou qui mériterait sa place dans Les Diamants sont éternels. Son jeu de jambes est très souvent loué pour sa qualité de déplacements et son côté aérien en fond de court. Il en va de même au service. La performance du service du Suisse réside en grande partie dans l’action de ses jambes, véritable rampe de lancement pour se propulser vers l’impact. Au départ du mouvement, les appuis écartés lui fournissent une base d’équilibre importante. La flexion des genoux et des chevilles lui permet d’aller chercher énormément d’énergie dans le sol (figure 3).

Figure 3

Il exploite ensuite cette énergie lors de la poussée de ses jambes, tellement explosive qu’elle le fait très largement décoller du sol. Au service, la poussée des jambes se situe à un double niveau : genoux et chevilles. Beaucoup de joueurs présentent une extension explosive des genoux mais pas toujours des chevilles. La position caractéristique de Federer, pieds en l’air, pointes de pieds orientées vers le sol, témoigne de sa capacité à exploiter complètement l’extension de ses chevilles pour se propulser vers la balle (figure 4).

Figure 4

Sa poussée des jambes est si performante qu’il touche la balle à près de 3 m du sol, soit aussi haut que Milos Raonic, Kevin Anderson ou encore Juan Martin Del Potro pourtant bien plus grands que lui (figure 5). Federer semble planer au-dessus du court.

Figure 5

4. Rien que pour vos yeux

Esthétiquement, le service de Federer s’approche de la perfection. « Tout ce qu’il fait est beau, décrit Stan Wawrinka. Son jeu est une partition, c’est magnifique. » Pendant son lancer de balle, sa main gauche monte parallèlement à la ligne de fond de court. La position d’armé est atteinte pile au moment où il fléchit au maximum ses jambes : la synchronisation est parfaite ! Cette position d’armé est exemplaire (figure 6) : raquette en position haute, avant-bras perpendiculaire au sol, coude fléchi, lignes des épaules et des hanches inclinées, bras libre en direction de la balle. Ensuite, le rythme de sa frappe s’accélère et toutes les actions du corps s’enclenchent parfaitement les unes avec les autres jusqu’à violemment impacter la balle : poussée des jambes, descente de la raquette dans le dos pour la prise de vitesse, dévissage du tronc, descente contrôlée du bras libre, extension du coude, flexion du poignet, pronation de l’avant-bras et rotation interne de l’épaule.

Figure 6

En biomécanique, le service est très souvent assimilé à une chaine qui commence par l’action des membres inférieurs, se poursuit par celles du tronc et se termine par le bras qui tient la raquette. Federer coordonne parfaitement les différents segments et les nombreuses articulations de son corps grâce à un timing optimal qui permet un transfert d’énergie et une augmentation progressive de la vitesse de ses articulations depuis ses appuis jusqu’à sa raquette. Pour produire la vitesse la plus importante possible à l’extrémité d’une chaîne de segments (c’est à dire au niveau de la raquette à l’impact de la balle), il existe un principe biomécanique selon lequel les vitesses des différentes articulations du corps augmentent progressivement et s’additionnent, en quelque sorte, tout au long du mouvement. Le suisse respecte parfaitement ce principe (figure 7) lui permettant d’atteindre une vitesse de sa raquette estimée à près de 170 km/h en première balle au moment de l’impact. Visuellement, le geste du service de Federer donne une impression de facilité.

Figure 7

5. Mourir peut attendre

« Rodge est capable de s’arracher, de repousser ses limites comme très peu de joueurs, fait remarquer Yves Allegro. Mais parce qu’il ne le montre pas, parce qu’il se met minable avec la classe de James Bond, cela passe inaperçu .» Sa longévité exceptionnelle dans les hautes sphères du tennis mondial tient peut-être en partie à son efficience gestuelle. Fluides, rythmés et dépourvus de toute action inutile ou parasite, les mouvements de son corps au service semblent limiter sa dépenser d’énergie. Un maximum de performance pour un minimum d’énergie apparaît comme un autre secret de la légende Federer, toujours vivante. Alors que le Spectre de sa retraite approche, Federer, qui a annoncé devoir subir une troisième opération chirurgicale de son genou droit en août 2021, tente de repousser une nouvelle fois les limites, prce que Demain ne meurt jamais.

Tutti a casa

Italie - Espagne, Fed Cup 2018, © Ray Giubilo

L’Italia non cambia. Possono mancare i vaccini, possono chiudere le aziende, possono fallire tutti, ma lo sport è sacro, non si tocca. Durante il periodo più critico della pandemia, quando tutto il paese si paralizza e i contagi aumentano, nasce un nuovo gioco : Tutti a casa !

Sapientemente incastrato tra calcio e politica, il gioco viaggia veloce e sicuro sulla cresta dell’onda RAI. Riscuote un ampia partecipazione e qualche dovuta infrazione. Le modifiche successive e i numerosi decreti studiati alla luce della trasformazione istituzionale e digitale permettono agli italiani di vincere sempre o quasi, rispettando le regole imposte dal coprifuoco. L’importante questa volta non è arrivare primi sul divano migliore del salotto, ma essere presenti nella rosa dei papabili per attribuirsi il merito della vittoria. Insomma, il gioco premia cittadini e sportivi di ogni tipo disposti ad osservare le nuove regole. Regole che cambiano e consentono di ridistribuire equamente i posti migliori in classifica insieme alle mascherine disponibili.

Piccoli grandi maghi

Mentre a Genova le ragazze osano sfidare il vuoto giocando a tennis sui tetti della città, esplode in tutta Italia il nuovo tennis guidato da Jannik Sinner e Lorenzo Musetti. Un tennis rivisitato, a volte contagioso, fatto di amore e di speranza con qualche inevitabile delusione. Subito il primo risultato con il romano Matteo Berrettini nei quarti di finale di Roland Garros. Per arte e magia consumata, si rialza ancora la terra rossa francese della Porte d’Auteuil con il giovane e talentuoso Musetti. Poi sull’erba magica, un primo set di Berrettini contro Djokovic in finale a Wimbledon.

l’Italia si desta, sorride con Matteo e aspetta col cuore in gola, senza volerci credere troppo. La sera stessa torna in diretta il grande calcio italiano. Italia/Gran Bretagna, finale degli europei nello stadio inglese di Wembley. Il pallone vola e parte subito un attacco fulmineo diretto a sfondare la difesa azzurra. Partita sospesa sul pareggio ed interrotta dalla pubblicità con diciotto milioni di telespettatori su RAI 1 e un’ombra di dubbio che scende in campo, prima leggera e poi sempre più insidiosa. Altri calci di rigore dopo i tempi supplementari. Gli ultimi, decisivi. Si va oltre la mezzanotte Forza ragazzi ! Ma di cosa stiamo parlando, di calcio o di tennis ?

Matteo Berrettini, Wimbledon 2021, © Antoine Couvercelle

Il Bel Paese

Nessuna importanza. Contano i risultati anche se parziali, con molto entusiasmo in testa. Il nostro è un paese di tifosi non di sportivi. Sono pochi quelli che fanno sul serio e si allenano in modo continuativo durante l’anno. Si parla del 35% degli italiani. Una percentuale piuttosto bassa rispetto al resto dell’Europa, e che non riflette appieno l’impegno straordinario degli allenatori e dei giocatori. Spetta alla Federazione Italiana di Tennis (FIT) e calcio (FIGC), decidere sulla ripresa, sull’avvenire del paese e dello sport. La posta in gioco è alta. Si tratta di continuare ad essere bravi e rispettosi degli avversari, a giocare pulito per vincere insieme alla grande, così come riusciamo a farlo qualche volta in casa Italia. Se si parla di tennis, meglio forse con palle nuove questa volta. Con dieci giocatori ai vertici della classifica internazionale possiamo formare una vera squadra. Una squadra imbattibile. Ci siamo quasi e sembra davvero di giocare a pallone. Ma ancora una volta, è tutto da decidere.

Dopo Wimbledon, Berrettini si ritira. Soffre di una lesione alla coscia. Vorrebbe potere vincere su una gamba sola. Magari ce la farebbe pure. Suo malgrado è costretto a rinunciare. Così siamo giunti alle Olimpiadi di Tokyo a fine luglio di quest’anno, incerti e dimezzati ma sempre pronti a rischiare a cavallo di un nuovo gioco ormai popolarissimo: ‘Tutti a casa’! Lo stesso titolo del capolavoro cinematografico di Luigi Comencini che descrive la situazione dell’Italia dopo l’annuncio dell’armistizio dell’8 settembre 1943

Sogno di mezza estate

A Tokyo, dopo qualche fallo di piede, Fognini perde con Medvedev, la Giorgi stecca uno smash e perde a sua volta con Svitolina. L’Italia non si smentisce e il Bel Paese rinuncia alla medaglia. Lo sport, per gli italiani è sempre stato uno dei divertimenti preferiti. Un gioco a rischio. Quello di farci sognare ad occhi aperti. Un modo come un altro per riinventarci ogni giorno che passa. Il tennis è arte. Si tratta di una sfida continua, contro se’stessi e contro gli altri. Il calcio esprime una passione assoluta. Ci unisce per meglio dividerci. Tutto in perfetta sintonia con la grande storia del nostro paese. Risorgimento e Unità d’Italia, guerre d’indipendenza, spedizione dei Mille e presa di Roma.

Camila Giorgio, US Open 2016, © Ray Giubilo Photo Ray Giubilo

Naomi Osaka

Vaisseau spécial

Naomi Osaka lors de sa victoire contre Serena Williams en demi-finale de l'Open d'Australie 2021, © Ray Giubilo

Nous sommes sur le Court Philippe-Chatrier, le samedi 28 mai 2016. « Moi, la pression, je la bois », s’exclame une Timea Bacsinszky fort détendue au micro d’Eurosport. Cinq ans plus tard, la relation de Naomi Osaka avec la meilleure ennemie de tout athlète de haut niveau (la pression, pas Timea) semble avoir carrément tourné au vinaigre. On en veut pour preuve les fameuses « conférences de stress » (oui, c’est la 700ème occurrence de cette formule depuis juin, d’où les guillemets) qui ont mené à ses forfaits parisien et londonien cet été. A peine remise de sa gueule de bois tokyoïte, les larmes de la dernière relayeuse de la flamme olympique face à la presse de Cincinnati à la suite d’une question, pourtant aussi inoffensive qu’un coup droit de Benoît Paire dans un stade vide, n’auront rassuré personne. A l’instar d’Alexander Zverev dans l’enchaînement d’une pause toilettes adverse de vingt minutes, on avoue y perdre peu à peu notre latin. D’autant que – timing is everything paraît-il – la présence d’Osaka en couvertures de Time Magazine, Vogue Hong Kong, de l’édition spéciale maillots de bain de Sports Illustrated, de Women’s Health ainsi qu’à la baguette d’un numéro spécial de Racquet dans la foulée de ses déboires médiatiques estivaux sur le Vieux Continent avait de quoi laisser songeur le théoricien du complot qui sommeille en nous. On le laisse à sa grasse matinée pour l’instant puisqu’on imagine que ces publications étaient prévues de très longue date et que tout lien direct avec les incidents susmentionnés serait aussi fortuit que la présence d’un journaliste progressiste sur un plateau de CNews. 

 

Netflix & chill

Si comme nous vous avez l’impression d’avoir complètement perdu le fil, pas de panique : en effet, comme depuis mars 2020, Netflix a la solution à tous vos problèmes. A défaut d’une pression bien fraîche, c’est donc trois petits shots de rappel qui nous sont offerts par le documentaire sobrement intitulé « Naomi Osaka », en ligne depuis le mois de juillet (tiens, comme la nouvelle Barbie à son effigie). De quoi convaincre les détracteurs de la Nippo-Haïtienne de mettre de l’eau dans leur vin à son sujet après s’être envoyé ces trois tournées cul sec ? On a regardé le premier épisode pour vous pour en avoir le cœur net (bon OK, et après on n’a pas pu s’empêcher de jeter un œil à la suite quand même).

L’opacité aussi extrême que celle d’une stratégie d’invasion de l’armée américaine qui règne autour du personnage de Naomi Osaka est bien pratique : chacun peut l’interpréter à sa guise en l’absence de vérité communément admise. La réalisatrice new-yorkaise Garrett Bradley l’a d’ailleurs fort bien compris. Notre guide à travers les méandres du labyrinthe qu’est la personnalité de celle qui a également inspiré une héroïne de manga a une vision bien précise de son sujet, et elle prendra tous les raccourcis nécessaires pour nous l’imposer si besoin est. Selon la page Wikipédia du documentaire – aussi frugale qu’un repas de judoka avant la pesée – ce dernier se veut différent d’un résumé complet de la biographie… Wikipédia de la joueuse. D’après la même source, le récit qui nous occupe a plutôt vocation d’être une sorte de photographie d’une période de sa vie (2018-2020 en l’occurrence) sans en former un portrait définitif. Après avoir visionné le premier épisode (« Rise »), on se dit que Bradley aurait pu prendre la peine d’enlever le cache avant d’appuyer sur le déclencheur. Au terme des 113 minutes que dure l’entier de la série, on admet volontiers qu’un coin du voile a tout de même été soulevé.

De l’ivresse du strass…

Le premier flash offert par ce chapitre initial nous conforte immédiatement dans l’utilisation du terme « personnage ». Telle une héroïne de fiction, la petite Naomi (3 ans) semble déjà avoir perdu le contrôle de son destin, orchestré par l’auteur de ses jours, qui se voit déjà écumer les courts du monde entier en Richard Williams haïtien accompagné de ses deux filles virtuoses de la raquette qui viennent de débarquer sur le ciment new-yorkais en provenance de… Osaka. Un premier frisson nous parcourt déjà l’échine après moins de 60 secondes, alors que Naomi déclare dans le plus grand des calmes : « I feel like a vessel », c’est-à-dire un vaisseau ou récipient utilisé pour une fonction particulière. On a connu des constats un chouïa moins cyniques de la part d’une jeune femme d’à peine 23 ans, des millions plein les poches et du potentiel à ne plus savoir qu’en faire. Mais à vrai dire ça tombe plutôt bien : c’est finalement assez proche de la thèse qui semble postulée par Garrett Bradley, à savoir que la ressortissante de l’archipel nippon est un produit dont le rôle est très précisément défini (par d’autres) : taper dans une balle à la puissance économico-médiatique infinie pour le restant de ses jours. La fonction zoom de l’appareil photo de la cinéaste est désormais verrouillée avec Naomi Osaka – et elle seule – en point de mire.

Fast forward jusqu’à Flushing Meadows, samedi 8 septembre 2018. Oui, on vous avait prévenus, il y a quelques menues ellipses – oh, 18 ans, trois fois rien – et tout ce qui ne va pas dans le sens de notre postulat de base est écarté avec autant de ménagement qu’un adversaire de Rafael Nadal en première semaine de Roland-Garros. La fameuse finale de l’US Open 2018 donc, vous vous souvenez ? Un match absolument sans histoires selon notre documentaire. Serena Williams est expédiée 6-2 6-4 en 79 minutes, la démonstration est conclue sur un service gagnant. Circulez, y’a rien à voir. Ah oui, quelques larmes de la gagnante et quelques sifflets du public pendant la remise des trophées. Normal après tout, elle vient de déboulonner son idole d’enfance devant un public acquis à la cause de cette dernière. Rien à voir avec le coaching illicite de Patrick Mouratoglou. Aucun rapport non plus avec le véritable psychodrame agrémenté d’insultes et de sanctions arbitrales qui s’est ensuite joué du côté américain du filet, et a purement et simplement gâché la fête de celle qui a vécu six des neuf premières années de son existence dans l’Etat de New York. Et puis surtout, on a décidé de ne parler que de Naomi Osaka et son statut, et on s’y tient. Pas question de laisser la réalité des faits, même lorsqu’elle concerne le comportement orchidoclaste d’une des championnes les plus titrées de tous les temps, mettre des bâtons dans les roues de notre angle de narration. Soit. Ça a le mérite d’être clair. Enfin sauf si vous découvrez l’actuelle numéro 3 mondiale pour la toute première fois via Netflix. Dans ce cas, on vous conseille d’aller faire un tour sur… ah ben tiens, Wikipédia. Histoire de former votre propre opinion sur les débordements qui ont eu lieu entre la favorite de tout un peuple et son adversaire, qui est parfois vue comme celle qui a malencontreusement tourné le dos à son pays d’adoption pour jouer sous la bannière japonaise malgré un métissage toujours très mal accepté au Japon ainsi qu’une maîtrise de la langue locale toute relative.

Naomi Osaka et Serena Williams, remise des prix de la finale de l'US Open 2018, © Ray Giubilo

Le même traitement est d’ailleurs réservé à Belinda Bencic, son bourreau au troisième tour du même tournoi l’année suivante. Osaka n’a perdu que contre elle-même, à cause du fait qu’elle est désormais au sommet du classement WTA, dans une position de « chassée » qu’elle a du mal à gérer. Le fait qu’une compétitrice s’était bel et bien présentée sur la ligne de fond adverse ce jour-là n’est qu’une péripétie. Après une succession de plans rapprochés sur notre protagoniste (qui semble être seule sur le court pendant de longues minutes), la caméra s’attarde presque par erreur sur sa rivale pendant une poignée de secondes avant de se laisser aller à un plan large sur la balle de match. La future double médaillée olympique a d’ailleurs laissé un souvenir tout aussi impérissable à Ellen DeGeneres, qui a déjà oublié son nom au moment d’accueillir sa victime dans son talk show quelques jours plus tard. Rideau.

… à la détresse du stress

Comme on se tue à vous le dire, Naomi est d’abord un produit. Le tennis est une chose, mais la pression (le terme est utilisé pour la première fois dès la sixième minute de l’épisode) semble venir d’ailleurs. Quand elle joue, elle se met « en mode robot », comme elle l’affirme elle-même. Quand elle sort du court, c’est une autre histoire. Micros, caméras, selfies, autographes, en veux-tu en voilà. Le membre de son entourage qui semble avoir le plus d’importance n’est d’ailleurs pas directement lié au terrain, mais bien au département vente de la petite entreprise Osaka. En effet, Stuart Duguid, son agent, est le premier à qui Bradley donne la parole à l’écran en dehors de la joueuse japonaise elle-même. On comprend très vite qu’il doit avoir pas mal de boulot pour gérer l’ampleur du phénomène lorsqu’un journaliste explique à Osaka en conférence de presse qu’une petite fille a fondu en larmes de joie à la simple vue de son idole. Au fait, vous a-t-on dit que Naomi était un produit ? Il se vend bien, mais que rapporte-t-il vraiment à la native du Pays du Soleil-Levant ?

Le tourbillon dans lequel nous entraîne le reste de l’épisode nous apporte paradoxalement nettement plus de clarté en ce qui concerne l’état d’esprit pour le moins troublé dans lequel doit actuellement se trouver notre championne. On y découvre une Naomi Osaka époustouflée par sa propre célébrité complètement disproportionnée pour une demoiselle tout juste sortie de l’adolescence (« an overnight superstar » selon son agent). Puis une Naomi Osaka quasiment forcée de prendre Coco Gauff (15 ans et seule autre joueuse – avec Victoria Azarenka dans une certaine mesure – qui semble jugée digne d’intérêt par la réalisatrice) sous son aile l’année suivante, comme si elle avait soudain rejoint la catégorie des vétérans spécialistes ès relations médiatiques (tiens donc !) d’un claquement de doigts. « We have to let these people know how you feel », explique Naomi à son adversaire en larmes après sa défaite, une sortie qui nous laisse pantois à la lumière de ses refus d’obstacles médiatiques récents. Et enfin, une Naomi Osaka dont les supporters principaux se nomment Kobe Bryant et Colin Kaepernick (excusez du peu) alors que dans le même temps la perspective de dormir loin de la maison familiale provoque encore chez elle des frayeurs de gosse. En termes de montagnes russes psychologiques, il y a effectivement de quoi griller autant de fusibles que l’électricien des stades qu’est Nick Kyrgios.

Bref, malgré la direction narrative limpide (et quelque peu lapidaire) prise par Garrett Bradley, même si on a clairement mis le doigt sur les causes de certains maux, on n’est pas beaucoup plus avancé en ce qui concerne notre décryptage de l’identité exacte de la plus grande joueuse asiatique de l’histoire. Et Naomi, qu’en pense-t-elle au juste ? Figurez-vous qu’elle ne semble pas y avoir réfléchi, tant son rôle (on y revient) semble toujours avoir été une sorte de fait accompli dans son esprit. Une dualité, pour être plus précis : « Be a champion or probably be broke ». Une nouvelle fois, la lauréate de quatre titres majeurs a perdu le contrôle de sa propre destinée, cette fois au profit de la pression de subvenir aux besoins d’une famille aux origines modestes. On croit soudain comprendre pourquoi la moindre question anodine en conférence de presse suivant une défaite prématurée a tendance à tout remettre en cause. 

« Who am I if not a tennis player ? » Difficile de faire mieux en termes de cliffhanger avant les deux épisodes suivants (« Champion Mentality » et « New Blueprint »). Spoiler alert : le produit Osaka devient soudain multifonctions et on continue de s’arracher les cheveux en se posant cette question : « Mais qui est vraiment Naomi Osaka ? » Wim Fissette, son nouveau coach, ne sera ni le premier ni le dernier à se gratter le crâne à ce sujet. A notre vaisseau spécial aux airs d’OVNI de continuer de tenter d’y répondre pour elle-même, entre allégeance familiale, appartenance(s) ethnique(s), linguistique(s) et culturelle(s) et star system pour donner une chance au reste du monde de la comprendre et de ne plus être tenté de lui lancer « your black card is revoked » à chaque infidélité à sa bannière étoilée adoptive. Tout cela commencera peut-être par un rejet de son fameux rôle de « vaisseau » (expression réitérée à plusieurs reprises par la principale intéressée après l’occurrence initiale mentionnée dans cet article) récipiendaire des attentes d’autrui. Un rôle qui va jusqu’à la conduire à demander à sa mère si avoir gagné deux tournois du Grand Chelem à son âge est un résultat « acceptable » au moment de souffler ses 22 bougies.

La réponse à toutes nos questions se trouve peut-être dans les velléités activistes qu’Osaka se découvre en pleine pandémie, messages masqués à l’appui. Ou pas du tout, qui sait, puisqu’elle nous dit elle-même « I feel like I’m too far down this path to even, like, wonder what could have been ». Trophée de l’US Open 2020 en mains, elle n’est toujours pas prête à nous livrer sa vérité sur un plateau d’argent. « What was the message that you got ? » nous demande-t-elle en écho à nos multiples interrogations. 

The end ?

Impossible de conclure ce texte sans mentionner les derniers mots prononcés par Naomi Osaka dans une pièce qui commence fort à s’apparenter à sa Room 101 personnelle. Un an s’est écoulé depuis son dernier triomphe en Grand Chelem. Presque deux mois après la sortie de son documentaire, la tenante du titre s’incline au troisième tour de l’US Open 2021 face à la jeune prodige canadienne Leylah Fernandez, 18 ans et 363 jours au moment des faits. Un match en forme de passation de pouvoir. Coïncidence ou pas, c’est aussi le jour où le vénérable et parfois incontinent Stéfanos Tsitsipás (23 ans) est également passé pour un vieux briscard sur le retour détrôné par la « Next Next Gen » (on fait confiance au département marketing de l’ATP pour dénicher un label un peu moins pourri) en la personne de Carlos Alcaraz, 18 ans et des nerfs de démineur chevronné. Non, il n’y aura pas de vanne sur le thème carcéral, passez votre chemin. Bref, on s’égare. Et ces derniers mots de Naomi aux médias dont on vous promettait la substantifique moelle alors ? « When I win I don’t feel happy. I feel more like a relief. And then when I lose, I feel very sad. I don’t think that’s normal. […] Basically I feel like I’m kind of at this point where I’m trying to figure out what I want to do, and I honestly don’t know when I’m going to play my next tennis match. » Quelque chose nous dit que sa prochaine conférence de presse devra d’abord avoir lieu en son for intérieur.

Naomi Osaka, remise des prix de la finale de l'US Open 2018, © Ray Giubilo

Les Petits As

le carrefour des rêves et des illusions 

Rendez-vous incontournable des prodiges du monde entier, le 39e chapitre des Petits As de Tarbes vient de se refermer, pour la première fois de son histoire, dans la douceur estivale du mois de septembre. Au pied des Pyrénées, le Tchèque Maxim Mrva et la Française Mathilde Ngijol Carré ont gravi le sommet en inscrivant leur nom dans la légende du tournoi. Si le « Mondial des 12-14 ans » est un formidable accélérateur de carrière, la route est encore très longue et semée d’embûches pour toutes ces graines de champions qui espèrent, un jour, marcher dans les traces de leurs idoles. Entre promesses gâchées et étoiles filantes, zoom sur plusieurs parcours de joueuses et joueurs qui n’ont pas confirmé les espoirs placés en eux. 

 

Proche des cîmes pyrénéennes et à une encablure de la côte atlantique, la ville méridionale de Tarbes est une halte indispensable pour les amateurs de tourisme. En plus de sa situation géographique attractive, la capitale de la Bigorre possède de multiples autres facettes. Ville sportive, Tarbes est connue du monde cycliste pour être régulièrement traversée par le Tour de France, avant les explications de texte dans les cols pyrénéens. Terre de basket féminin et de rugby, elle a également formé plusieurs champions olympiques en escrime. Dans un autre registre, Tarbes a vu naître une légende militaire, le Maréchal Foch, illustre commandant en chef des forces alliées durant la Première Guerre mondiale. Empreinte de cet héritage militaire, la ville a conservé cette tradition guerrière avec la présence sur son territoire de l’Arsenal, fondé en 1870 pour la fabrication des canons à balles. 

Deux siècles plus tard, à quelques kilomètres à vol d’oiseau, ce sont d’autres balles qui fusent au Parc des expositions de Tarbes. Des graines de champions entre 12 et 14 ans, issues des quatre coins du globe, certaines pas plus hautes que trois pommes, et d’autres déjà bien taillées, se livrent une lutte acharnée, raquette en main. Toutes sont animées par le même objectif : remporter le titre officieux de champion du monde de la catégorie. Une réputation prestigieuse qui auréole la compétition depuis plusieurs décennies. Une notoriété acquise grâce à Michaël Chang. Sacré à Roland-Garros en 1989, seulement trois ans après sa victoire à Tarbes, le prodige américain a projeté le tournoi des Petits As sur le devant de la scène mondiale. 

« Une 39e édition pas comme les autres »

32 ans après, l’épreuve est entrée dans une autre dimension. 45 nationalités, 42 tournois pré-qualificatifs, deux phases de barrage internationaux – l’une aux Etats-Unis, l’autre en Asie -, 128 participants, filles et garçons confondus, et depuis 2020, une promotion en Super Category, le grade ultime des compétitions du circuit junior. Echappant de peu à la pandémie mondiale en 2020, le tournoi avait pu honorer son nouveau statut l’an dernier. En revanche, l’équation était plus complexe à résoudre pour 2021. Pour ne pas briser les rêves d’une génération d’enfants, les organisateurs ont tenu à ne pas faire l’impasse sur cette 39e édition, en plaçant la notion de jeu au premier plan. Un leitmotiv défendu par Claudine Knaëbel, co-fondatrice des Petits As : « C’est une édition pas comme les autres, axée sur la compétition. Chaque année, les joueurs attendent le tournoi comme le Messie. C’est le seul Super Category qui a eu lieu cette année et le numéro 1 dans la hiérarchie. Nous tenions à reculer le tournoi pour que les jeunes puissent y participer, dans un souci d’équité. Il a fallu qu’on soit costauds des épaules pour pouvoir tout organiser. Malheureusement, nous avons dû faire des concessions notamment au niveau des animations pour le public. » En effet, les habitués des lieux auront été quelque peu déboussolés en pénétrant sur le site, réaménagé pour l’occasion. Covid oblige, le hall principal, où grouillent habituellement jeunes tennismen, bénévoles et spectateurs, était divisé en deux zones, l’une consacrée au public et l’autre aux joueurs, par une barrière de panneaux de sponsoring. Le mur d’escalade, le simulateur de vol de l’armée de l’air et le trampoline, animations appréciées des plus jeunes, ont malheureusement fait les frais de ce nouveau décor temporaire. Seul survivant au milieu de cette hécatombe : l’emblématique stand de bonbons, dont raffolent petits et grands, d’où s’échappe un parfum de sucrerie qui vient chatouiller les narines. Autre élément incontournable, l’écran géant, qui diffuse habituellement les matches de l’Open d’Australie, n’a pas bougé d’un centimètre. Mais il a changé de fuseau horaire. Traditionnellement disputé en janvier, le tournoi, chamboulé par la Covid-19, s’est mis exceptionnellement à l’heure américaine en s’alignant sur les dates de l’US Open. Entre deux rotations ou après leurs parties, les champions de demain ont ainsi pu suivre les exploits new-yorkais d’Emma Raducanu, de Leylah Fernandez ou encore de Carlos Alcaraz, qui ont enflammé le public de Flushing Meadows. A l’image de ces trois pépites, passées par Tarbes en 2016 seulement, de nombreuses légendes de la petite balle jaune ont posé leurs valises dans la Bigorre à l’adolescence comme le rappelle la montgolfière de rubans, qui surplombe le complexe, où est inscrit le palmarès prestigieux du tournoi. Juan Carlos Ferrero en 1994, Kim Clijsters en 1997, Richard Gasquet en 1999, Rafael Nadal en 2000, Bianca Andreescu en 2014… Avant de devenir les rois et reines de leurs générations, ils étaient des Petits As. Mais en scrutant de plus près cette kyrielle de noms inscrits à jamais au panthéon du tournoi, plusieurs d’entre eux éveillent la curiosité. Ceux de joueuses et joueurs qui sont tombés dans l’oubli.

 

Julien Maigret : de la notoriété à l’anonymat

Vainqueur de l’édition 1997 aux côtés de Kim Clijsters, Julien Maigret en fait partie. Liés par leur titre commun, les deux lauréats ont eu par la suite des trajectoires totalement différentes. Avec philosophie et une touche de nostalgie, le Français a accepté de se replonger 24 ans en arrière et de partager son histoire. « Je garde un énorme souvenir des Petits As. A l’époque je m’entraînais au Creps de Poitiers où j’étais en sport-étude en internat. C’était un de mes objectifs les plus importants de la saison. Cela a été une des plus belles victoires, une des plus marquantes de ma carrière tennistique, c’est une certitude. »

Tête de série numéro une du tournoi, le jeune Frenchy était particulièrement attendu au tournant lors de cette édition 97. Solidement entouré, le joueur au physique déjà imposant pour l’époque, se souvient ne pas avoir eu de mal à absorber la pression grandissante qui l’entourait au fil de son épopée tarbaise. « Tout ceci était moteur, je l’ai vécu de manière positive. J’essayais de transformer tout ce stress en bonne énergie pour parvenir à mes objectifs. Ma famille a toujours été soudée derrière moi. Il le fallait car à cet âge-là, ce n’est pas simple, on est encore adolescent, on est en phase d’apprentissage, on se cherche. J’avais la sensation à cette époque de faire une concession dans ma vie personnelle avec un aboutissement. »

Au terme d’une finale décousue (2-6, 6-1, 6-2), le tricolore avait fait parler la poudre avec son énorme gifle de coup droit et son service surpuissant, les deux caractéristiques principales de son jeu, pour prendre le meilleur sur l’Espagnol Carlos Cuadrado, disparu des radars. Porté par son titre aux Petits As, Julien Maigret rafle tout sur son passage chez les juniors. La même année, il devient champion d’Europe « en écartant deux balles de match en finale » tout en collectionnant les titres nationaux. Encadré par la fédération et formé au Pôle Espoirs de Roland-Garros jusqu’à ses 18 ans, le Petit As avait fait ses débuts chez les grands de la meilleure des manières en s’imposant au Future d’Aix-en-Provence, un 15 000 dollars à l’époque.

Malheureusement, la suite des événements ne sera pas aussi radieuse. « La transition entre la réussite que j’ai connue jeune et la difficulté du circuit professionnel a été très compliquée. Pas sur le plan physique ni tennistique, c’était vraiment mental. Passer du statut de « jeune médiatisé » jouant sur des super terrains aux conditions géniales, à l’immense jungle du circuit professionnel, c’est très brutal psychologiquement. Quand on se retrouve sur le court numéro 15 d’un tournoi avec quatre balles, contre un inconnu qui est mort de faim, c’est dur à gérer. Cette différence entre la notoriété et l’anonymat, c’est de loin ce qui m’a le plus marqué. » Après avoir écumé le circuit secondaire jusqu’à ses 23 printemps, le 557e mondial à son top a été usé par la cruauté du tennis professionnel et les galères financières. « J’avais des pépins physiques au genou, cela m’a freiné dans ma progression mais honnêtement je me suis lassé de cette vie de galère. La réalité du circuit représente un coût énorme. Entre les frais de compétition, le staff, les voyages, il faut compter entre 50 000 et 60 000 euros pour réaliser une saison complète. Il y a peu de place pour l’élite. Être très bon ne suffit pas, il faut vraiment être exceptionnel pour bien gagner sa vie dans le tennis. »

Du haut de ses 38 ans, Julien Maigret, désormais retraité des courts, s’est reconverti dans un autre sport de raquette, le padel, où il excelle sur la scène nationale. Toutefois, le vainqueur des Petits As 97 n’a pas entièrement refermé son chapitre sur la petite balle jaune puisque celle-ci l’accompagne encore au quotidien. « Je suis moniteur de tennis dans un club de 300 adhérents dans les Yvelines. Avant ça, j’ai fait un petit peu tout dans le monde du coaching professionnel. Je suis allé travailler en Chine dans l’Académie de Justine Henin : Sixième sens. J’ai également collaboré avec Patrick Mouratoglou par le passé. Après avoir baigné dans ce milieu où la pression est omniprésente, j’étais heureux de renouer avec un climat plus convivial et plus familial. Je suis dans mon club depuis sept ans, tout se passe très bien. C’est un autre état d’esprit. » Si l’homme est parvenu à trouver sa plénitude intérieure, il n’esquive pas pour autant la question des regrets sur sa carrière. Avec sagesse et humilité, Julien Maigret reste fier du chemin parcouru : « Je ne cache pas que j’aurai aimé avoir une carrière professionnelle plus aboutie et en vivre pendant des années. Rentrer dans le top 100 c’était mon objectif, je n’y suis pas arrivé malheureusement. Mais ça n’enlève rien au fait que c’était une très bonne expérience de vie avec des supers souvenirs, des bons moments et des belles rencontres à la clé. Je n’en retire que du positif. »

Anna Kournikova : l’histoire d’un gâchis

Il est temps de retourner dans le hall du Parc des expositions de Tarbes et de s’arrêter sur un autre portrait. Celui d’Anna Kournikova. La totalité de cet article aurait pu porter sur la jeune russe tant celle-ci était un phénomène sur tous les plans. Malgré le poids des années, la gagnante de l’édition 1994 aux côtés de Juan Carlos Ferrero, a laissé une empreinte indélébile dans les allées des Petits As. « Poupée russe », « peste insupportable », « diva », « immense gâchis… » De la bouche des organisateurs et des différents bénévoles qui l’ont connu toute petite, les avis divergent. Mais une chose est sûre : Kournikova ne laissait personne indifférent. 

Eric Wolff, cordeur des Petits As depuis sa troisième édition, fait partie de ceux qui ne la portaient pas haut dans son cœur. « Kournikova était, désolé du terme, une « emmerdeuse » de première. C’était une prétentieuse. Elle jouait avec des Yonex et je me souviens qu’elle avait des consignes très précises. Elle voulait que son cordage soit fait toujours de la même façon. Le nœud de départ devait être dans une position précise, et pas une autre. Même chose pour le nœud d’arrivée. Il fallait que ce soit toujours dans le même sens. Le moindre petit écart aurait été un drame absolu. » Pure superstition ou obsession du détail, la Russe savait ce qu’elle voulait. Un fort caractère dépeint par Claudine Knaëbel, marquée par la prestance et la maturité de la fillette : « C’était une jolie gamine, débrouillarde comme tout. Elle demandait ses entraînements, elle allait au comptoir, elle gérait tout. Je la revois avec sa robe magnifique, elle était déjà sponsorisée par Adidas à l’époque, c’était une princesse sur le terrain. » A l’aise sur le court avec son style de jeu ultra offensif, la petite pile électrique l’était aussi en dehors : « On sentait que par rapport aux médias, elle travaillait déjà son image. Elle se comportait en vedette. Elle soignait son attitude. »

A seulement 12 ans, plusieurs signes subtils laissaient déjà présager la tournure qu’allait prendre plus tard la carrière de la belle Anna. Mais avant de se perdre en chemin, hypnotisée par le monde des paillettes, Kournikova était un monstre de précocité, raquette en main. Un an après son sacre tarbais, elle poursuit son ascension fulgurante en devenant championne du monde junior en 1995 à l’Orange Bowl et est même sélectionnée, à tout juste 14 ans, dans l’équipe russe de Fed Cup. La saison suivante, l’étoile montante du tennis féminin perfore le classement WTA en passant de la 299e à la 56e place mondiale. En 1997, elle atteint la demi-finale de Wimbledon avant de se hisser au 8e rang l’année suivante. A cet instant précis, il est difficile voire impossible d’imaginer que 1998 marquera le firmament de la carrière tennistique de « Kourni ». Et pourtant, un élément perturbateur va tout faire basculer. Une blessure au pouce qui la déviera de sa destinée tennistique. 

En convalescence, la Russe commence à s’intéresser grandement au monde de la mode. Avec ses yeux azur et sa silhouette de rêve, la longiligne blonde a tous les arguments pour briller de mille feux sur les tapis rouges. En revanche, le canon de beauté ne scintille plus sur les courts de tennis. Son comeback en 1999 est timide et la gloire passée ne semble plus être qu’un lointain souvenir. Incapable de gagner en simple, Kournikova se tourne vers le double et remporte l’Open d’Australie avant de récidiver trois ans plus tard en 2002. Mais il est déjà trop tard, le tennis est passé au second plan. A la même période, celle qui figure en couverture de Sports Illustrated, multiplie les conquêtes amoureuses avant de tomber dans les bras du chanteur espagnol Enrique Iglesias. Aveuglée par toute cette starification, le succès lui monte à la tête : « Je suis comme un menu dans un grand restaurant, vous pouvez regarder mais vous n’avez pas les moyens de vous le payer » balance-t-elle. En 2001, la Russe devient la joueuse de tennis la mieux payée au monde avec plus de 10 millions de dollars. Une fortune qu’elle doit en immense partie aux contrats juteux de ses nombreux sponsors. 

Elue femme la plus sexy du monde d’après le classement FHM de 2002, Anna Kournikova erre dans les bas-fonds du classement l’année suivante avant de raccrocher définitivement les raquettes en 2004. A même pas 23 ans. « Un gâchis total. C’est tellement dommage. Elle avait réellement tout pour elle. Mais elle avait justement trop tout pour elle. C’est une jeune fille qui a été laissée à l’abandon. Les personnes qui s’en sont occupées n’ont pensé qu’à l’argent, aux contrats… Je ne veux pas cracher dans la soupe sur les agents mais on fait signer des gosses à 14 ans dans l’espoir qu’il y ait un retour sur investissement. » L’analyse est signée Christian Prévost, responsable de la réservation des entraînements aux Petits As. Mine d’informations et d’anecdotes en tous genres, le surnommé « Kiki » est depuis peu le manager d’une jeune serbe prometteuse, Klara Vaja, 15 ans. Un binôme qui a vu le jour justement à Tarbes : « Elle participait à l’édition 2020 du tournoi où elle a été éliminée en phase de qualif’ internationale. Elle est venue me voir et m’a demandé si je pouvais venir l’aider. Depuis ce jour, nous avons décidé de collaborer ensemble. Elle s’est fixée comme objectif Wimbledon en 2024. La route est encore longue mais je n’ai jamais vu une telle bosseuse de toute ma vie. » Père d’une fille du même âge que Klara, Christian est soucieux de préserver l’environnement de sa joueuse pour ne pas qu’elle s’égare en route à la manière d’une Kournikova. « Quand je vois qu’elle risque de déraper, avec ce petit ego, les réseaux sociaux et surtout Instagram, je m’empresse de la remettre dans le droit chemin. Le matin quand je l’emmène à l’entraînement, elle passe de longues minutes à se prendre en photo dans les vestiaires, je la titille volontairement en lui demandant si elle est sûre de devenir joueuse de tennis ou si elle veut finir comme Kournikova ». Si la Russe aura été plus célèbre pour sa plastique que pour son coup droit, son parcours illustre parfaitement les pièges et les tentations qui contrarient l’ascension vers le plus haut niveau. 

Donald Young, la fausse promesse américaine

Si l’emballement médiatique n’est pas comparable à ce qu’a pu ressentir récemment un Hugo Gaston, courtisé par tous les plus gros médias français, au lendemain de son épopée fabuleuse à Roland-Garros en 2020, la lumière des projecteurs des Petits As et les attentes qu’elle suscite peuvent constituer des freins à la progression d’un joueur. D’autant plus à un âge où la construction personnelle et la quête d’identité sont prédominantes.

Et ce n’est pas Donald Young qui dira le contraire. Vainqueur du tournoi en 2003, l’Américain, fils de deux parents profs de tennis, avait déjà un agent et un contrat avec Nike lors de son passage dans la cité pyrénéenne. Nul doute que ce trop plein de pression a dû peser ensuite sur les épaules de l’adolescent. Pourtant, après avoir longtemps dominé le tennis mondial avec son tandem légendaire Agassi-Sampras, son duo Courier-Chang, puis un peu plus tard son canonnier Andy Roddick, les Etats-Unis étaient persuadés d’avoir enfin trouvé leur nouveau porte-étendard. Annoncé comme un futur crack, le jeune Donald, alors à peine âgé de 10 ans, avait même été adoubé par John McEnroe en personne lors d’un match de gala à Chicago. « C’est la première fois que je vois un gamin avec les mêmes mains que moi » s’était-il émerveillé.

En 2003, les spectateurs du Parc des expos de Tarbes partageaient le constat de « Big Mac » en découvrant le toucher magique et la délicieuse patte de gaucher de l’Américain. Croisé au détour d’une allée, Noël Vignes, arbitre historique des Petits As, qui a eu la chance d’orchestrer les parties d’une multitude de champions, se souvient parfaitement du phénomène américain. « Un joueur qui montait sans cesse à la volée. Il était extraordinaire dans le jeu, il avait une main formidable. Il avait survolé la compétition cette année-là. » Déconcertante de facilité, la tête de série numéro une du tournoi avait fait respecter la hiérarchie en ne laissant effectivement que des miettes à ses adversaires tout au long de la compétition. Quelques mois après les Petits As, le jeune prodige de Chicago surfait sur son excellente dynamique en remportant la prestigieuse Orange Bowl, une première pour un Américain depuis Jim Courier en 1986. Deux saisons plus tard, en 2005, à 16 ans et 5 mois, le phénomène de précocité battait le record d’un autre spécialiste en la matière, Richard Gasquet, en devenant le plus jeune champion du monde junior de l’histoire.

Mais alors que tout semblait tracé pour lui et que les observateurs lui promettaient un brillant avenir, la machine a commencé à s’enrayer. Aveuglé par toutes ces louanges, celui qui avait annoncé vouloir « remporter les quatre tournois du Grand Chelem au moins une fois » a été rattrapé par la réalité du circuit professionnel. De Grand Chelem, Young en remportera, certes, un, Wimbledon en 2007, mais seulement chez les Juniors. Chez les grands, l’Américain brillera surtout par son inconstance et sa friabilité mentale. Jamais mieux classé que 38e à son pic (un classement déjà monstrueux mais bien en deçà des attentes), le gaucher s’était offert son moment de gloire en 2015 à Flushing Meadows, en atteignant les 1/8e de finale de l’US Open au terme de plusieurs batailles homériques. Par deux fois, le natif de Chicago avait réussi à remonter un handicap de deux sets à rien (ndlr : contre Gilles Simon et Viktor Troicki), devenant ainsi la coqueluche du public new-yorkais, friand de ce genre d’exploits. Malheureusement, il n’a depuis pas vraiment donné suite à cette performance. Une habitude pour l’actuel 406e mondial qui attend toujours de gagner son premier tournoi sur le circuit principal.

Carlos Boluda : le successeur maudit de Nadal

Impossible de passer sous silence le cas de Carlos Boluda, nom bien connu des puristes de la petite balle jaune. Immense promesse du tennis mondial, terreur des compétitions de jeunes, l’Espagnol a marqué à jamais de son empreinte la légende des Petits As. Si les Suissesses Martina Hingis et Timea Bacsinzky sont parvenues à signer le doublé en simple, respectivement en 1991 et 1992 puis en 2002 et 2003, le natif d’Alicante est le seul à détenir ce record chez les garçons. Pas même Rafa Nadal, finaliste en 1999 et lauréat en 2000, n’a accompli pareille prouesse. Christian Prévost, qui a vu défiler sous ses yeux tous les plus grands noms de ce sport, se souvient parfaitement du prodige. « C’était un garçon très humble. La première année, il était freluquet, tout fin, il avait un jeu avec vraiment rien de particulier. C’était une sorte de mini-Nadal, impassible. Mais il était déjà une machine. La première édition en 2006, il remporte le tournoi sans perdre un set. L’année d’après, il avait pris 10 kilos. Il avait grandi, il servait le plomb et il a regagné les Petits As de nouveau sans perdre la moindre manche. » 

Devant de tels résultats, la presse ibérique et internationale ne tarissent pas d’éloges au sujet du jeune Carlos. Avec un coup droit d’une précision chirurgicale, un sens tactique particulièrement aiguisé pour son âge et un mental en acier, Boluda a tout d’un futur grand. Inévitablement, les comparaisons avec l’ogre de l’ocre commencent à fleurir. Mimétisme troublant, l’Alicantin est indébordable sur le court comme son idole de jeunesse. Cela ne fait aucun doute, l’Espagne a trouvé le digne héritier de Rafael Nadal. Malheureusement, le jeune prodige ne connaîtra jamais le destin du Taureau de Manacor. Compétiteur acharné, l’appétit féroce de Carlos s’est retourné contre lui en grandissant. A force d’accumuler les matches et les tournois, son physique, en apparence inusable, a commencé à s’étioler. En 2010, son poignet le lâche, l’obligeant à rester éloigné des courts pendant quelques temps. Commence alors une longue descente aux enfers. 

Miné par les blessures, l’Ibère peine à revenir avant d’être rattrapé par la réalité économique d’un joueur de tennis jonglant entre tournois Futures et Challengers. Interviewé en début d’année par le site espagnol Punto De Break, Boluda était revenu sur son calvaire : « Chaque année qui passait dans ma carrière de tennis, j’avais une personne de moins à mes côtés. Ma famille m’a beaucoup aidé mais elle ne vient pas du monde du tennis. Je ne suis pas « crâmé », une personne « crâmée » est une personne qui ne veut même pas s’entraîner. En ce moment, je pourrais m’entraîner huit heures d’affilée mais ce n’est plus le sujet. J’ai perdu l’envie. Toute ma vie, j’ai investi de l’argent dans le tennis, je pense que c’est comme ça qu’il faut faire, mais il arrive un moment où les comptes sont à sec. Mon cœur peut me demander de jouer au tennis, mais le portefeuille ne pense pas la même chose. Ce que je peux vous dire, c’est qu’en étant 254e en 2018, mon meilleur classement, je n’ai pas gagné d’argent. Heureusement je n’ai jamais joué au tennis en pensant à l’argent. En janvier, j’aurai 28 ans, si je continue sans gagner un euro, ce n’est pas logique. » Ne pouvant plus subvenir à ses besoins, celui qui a tout donné pour son sport s’est rendu à l’évidence. Avant même de souffler ses 28 bougies, le 520e mondial a pris la décision de ranger définitivement les raquettes dans l’anonymat le plus total. Une triste fin qui rappelle à quel point le monde du tennis est sans pitié quand on ne s’appelle pas Rafael Nadal ou Roger Federer. 

 

L’Everest du haut niveau

Les Alexandre Krasnoroutski (2001), Dylan Arnould (2002), Andrew Thomas (2004), Chase Buchanan (2005), Henrik Wiersholm (2011), Kanami Tsuji (2010), Anna Orlik (2007) et bien d’autres, tous titrés à Tarbes, auraient également pu compléter cette liste non exhaustive de joueurs et joueuses qui n’ont pas confirmé tous les espoirs placés en eux à l’adolescence. Si la réussite précoce ne garantit pas une grande carrière, la réciproque est également vraie. Ne pas affoler les compteurs dans les jeunes catégories ne signifie pas pour autant que l’horizon sera sombre. Roger Federer en est l’exemple le plus célèbre. Huitième de finaliste des Petits As en 1995, le Suisse, noyé dans la masse, n’avait pas attiré l’attention des plus fins observateurs lors de son séjour pyrénéen. Pas même l’arbitre Noël Vignes, présent aux premières loges, perché sur sa chaise : « A l’époque, il était difficile de déceler le potentiel de Federer. Il a fait un passage assez court aux Petits As. C’était un gentil garçon, bien élevé mais un joueur comme les autres qui ne sortait pas du lot. » Un constat partagé par Claudine Knaëbel : « A ce moment-là, il n’avait pas la même tête que maintenant. On était loin du Federer d’aujourdui, calme, posé, mature, qui sait ce qu’il veut. J’ai souvenir d’un Roger un peu dissipé sur les courts. Je n’aurai jamais pu prédire une telle trajectoire par la suite. »

Mais alors, quelle est la recette miracle pour percer au plus haut niveau ? Si la co-fondatrice du tournoi rappelle que « le sport n’est pas une science exacte », son comparse « Kiki », drogué à la petite balle jaune, a un avis tranché sur la question : « Mon point de vue est simple. A 13/14 ans, le joueur ou la joueuse peut avoir des réactions d’ego. Si vous ne canalisez pas cet ego maintenant, vous finissez par ne plus les voir. Tout dépend de la manière dont ils sont éduqués et accompagnés pour arriver au haut niveau. Il y a aussi un facteur chance avec les blessures à ne pas négliger. Mais le joueur ne pourra accéder à l’élite que s’il est bien dans sa tête. Le tennis est un sport mental, psychique et psychologique. Enfin, le principal argument pour devenir un immense champion est le travail. Ce n’est pas parce que tu as du talent que tu dois te reposer. »

Les prometteurs Maxim Mrva et Mathilde Ngijol Carré, couronnés cette année, deviendront-ils les champions de demain ou resteront-ils d’éphémères prodiges ? Après avoir gravi les sommets pyrénéens, pourront-ils atteindre les cîmes de l’Himalaya professionnel ? « La seule certitude, c’est que rien n’est certain » disait le philosophe romain Pline l’Ancien. Si la petite balle jaune n’existait pas encore à l’Antiquité, le sage ne croyait pas si bien dire. Tel un match de tennis, entre rebonds et rebondissements, bande du filet gagnante ou perdante, ligne blanchie ou effleurée, la trajectoire de nos Petits As reste aléatoire. Métaphore de la vie, le tennis est fait d’émotions, de tensions, de temps heureux et malheureux mais surtout d’incertitudes. Et c’est pour cela qu’on l’aime autant.

Le badminton à haut-niveau
Asie VS Europe

Un double mixte opposant l'Indonésie à l'Allemagne aux JO de Londres en 2012 / © Ian Patterson via Flickr : flic.kr/p/cHLtMq / CC BY 2.0)

1. Introduction

Dans un article du Monde intitulé « Du château de Badminton à Jakarta, le volant a conquis l’Asie », une joueuse indonésienne, Vita Marissa, affirme que « l’Indonésie en badminton, c’est un peu le Brésil en football ». La suprématie asiatique en badminton ne ferait aucun doute. D’ailleurs, en 2013, un reportage intitulé « Very Bad Trip » est diffusé sur Canal +. Il est consacré au badminton, laissant le spectateur bouche bée devant l’intensité des entraînements des jeunes Indonésiens, qui aspirent au plus haut niveau. Cette série de documentaires Intérieur Sport s’étale aujourd’hui sur 13 saisons et 214 reportages. Ils rendent compte du quotidien de sportifs de haut niveau au sein d’activités variées. Leur répartition en fonction des différents sports est d’ailleurs un indicateur intéressant de leur place dans l’univers médiatique français : s’il en existe 30 sur le football, un seul porte sur le badminton. Faut-il pour autant en conclure qu’en badminton, la France, et plus globalement l’Europe, n’ont pas leur mot à dire ?

Comme les autres sports de raquette, le badminton est une activité duelle, dans laquelle les participants (en simple ou en double) utilisent des raquettes afin d’envoyer / renvoyer un objet dans l’espace de l’adversaire, avec une recherche simultanée de continuité et de rupture. A certains égards, le badminton fait figure d’exception dans le paysage des sports de raquette : il est le seul à être pratiqué avec un volant, le plus rapide en termes de trajectoire du mobile (400 km/h en sortie de raquette), le seul à proposer une modalité de pratique mixte en compétition. Egalement, il connaît une place variable selon les cultures : sport national dans certains pays asiatiques, il est en voie de développement en Europe, loin derrière le tennis.

En prenant appui sur le reportage « Very Bad Trip » (2013), nous souhaitons dresser les grandes lignes de ce qu’est le badminton aujourd’hui à l’échelle mondiale, en montrant le mouvement qu’il a suivi, d’une hégémonie exclusivement asiatique, à la concurrence grandissante des pays européens. Plus encore, ce processus engage à un véritable dialogue culturel, qui participe de l’évolution du jeu vers un équilibre plus important entre les dimensions technique et tactique de cette activité sportive.

L’Indonésien Taufik Hidayat (champion olympique en 2004) / © Chewy Chua via Flickr : flic.kr/p/hSjge / CC BY-NC-ND 2.0

 

2. Le badminton : un sport asiatique avant tout

2.1. Les origines asiatiques du badminton

Nommé « badminton » en 1873, en référence aux officiers revenus des Indes et réunis dans le château du Duc de Beaufort, dans la ville anglaise de Badminton, ce sport est en fait une modernisation du « poona », un jeu indien qui se pratiquait avec une raquette et une balle légère (remplacé par un bouchon de champagne, auquel on attachait quelques plumes). Et après ce détour par l’Europe, c’est bel et bien l’Asie qui a retrouvé la mainmise sur ce sport, comme un juste retour des choses…

Fondée en 1934, la Fédération internationale de badminton a été créée avec l’objectif de gérer et de développer le badminton dans le monde, ainsi que d’édicter des règles du jeu. Son siège se situe en Malaisie, à Kuala Lumpur. Mais c’est aujourd’hui chez son voisin indonésien que le badminton constitue un sport particulièrement développé, un véritable art de vivre.

« Very bad trip » en est une illustration certaine. Les reporters y montrent que la pratique du badminton atteint même les villages de campagne. Nous découvrons une culture populaire, dans laquelle le badminton a pris racine. Taufik Hidayat, joueur indonésien ayant gagné la médaille d’or aux jeux olympiques d’Athènes (2004), se souvient : « dans mon village, il y avait un terrain vague juste derrière chez moi, c’est là que j’ai commencé. On prenait des morceaux de bois pour tracer des lignes, et on jouait, quand le soleil ne tapait pas trop fort ».

A haut niveau, le badminton revêt aussi une importance capitale. Les joueurs le pratiquent au Centre National d’Entraînement d’Indonésie à Kaharta. Jojo Suprianto (Entraîneur national) explique : « nos joueurs font la fierté de l’Indonésie. Certains sont même devenus des héros. Grâce au badminton, leur vie a totalement changé ». C’est notamment le cas de Taufik Hidayat, devenu une icône dans tout le pays. En suivant ses performances extraordinaires, le peuple indonésien s’est très vite identifié à lui. En Indonésie, le Badminton est une voie bien plus porteuse que le Football ou le Basketball. Symboliquement, il est « le seul sport ou les Indonésiens sont reconnus au niveau mondial. Notre réputation, c’est d’avoir un jeu plus souple, plus artistique. C’est pour ça qu’on nous admire », explique Sony Dwi Kuncoro, n°4 mondial en 2013.

Si l’Indonésie s’est imposée comme la terre du badminton entre 1992 et 2013 avec 18 médailles olympiques, elle n’est toutefois pas épargnée par la concurrence avec les autres pays asiatiques : « avant, l’Indonésie était devant la Malaisie, aujourd’hui c’est l’inverse. Peut-être que bientôt, ça va encore changer. Mais le plus dur, c’est de lutter contre la Chine car elle a beaucoup de joueurs », explique le Malaisien Lee Chong Wei, Malaisien, n°1 mondial. Effectivement, la Chine apparaît comme un redoutable adversaire à l’échelle Asiatique, avec un investissement conséquent de l’état, comme le souligne Juning Zhou, Chinois devenu l’entraîneur de l’équipe de France masculine de simple en 2006 : « le badminton est un sport très populaire. Les joueurs sont très connus. Par exemple, Lin Dan est arrivé l’année dernière à la deuxième place des sportifs chinois derrière l’athlète Liu Xiang en termes de revenus publicitaires. On peut les comparer aux stars du football ». Le badminton a fait son entrée officielle aux Jeux olympiques à l’été 1992, et 69 des 76 médailles décernées entre 1992 et 2008 ont été gagnées par des Asiatiques, ainsi que 23 des 30 médailles de 2012 et 2016. Finalement, toutes les médailles olympiques de badminton ont été remportées par des pays asiatiques (87,6%) ou européens (12,4%), mais l’Asie mène amplement puisqu’elle a décroché 7 fois plus de médailles que l’Europe. Les badistes chinois dominent largement puisqu’ils ont gagné 38,8% des médailles disputées et, surtout, ont remporté un peu plus de la moitié des médailles d’or (20 sur 39). Lors des JO de Londres (2012), les Chinois ont réalisé un grand chelem historique en remportant les 5 titres (simple hommes, simple dames, double homme, double dames, double mixte).

Le Chinois Lin Dan (champion olympique en 2008 et 2012) / © Chewy Chua via Flickr : flic.kr/p/hS9xf / CC BY-NC-ND 2.0

 

2.2. Répétition technique et dépassement de soi : les ingrédients d’une suprématie asiatique

Selon Taufik Hidayat (2013), il n’y a qu’une voie pour que l’Indonésie demeure le pays du badminton : « nous devons être plus disciplinés, avoir plus de rigueur à l’entraînement. Si nous y arrivons, peut-être que dans 4 ou 5 ans, il y aura quelqu’un comme moi, plus fort même, et il fera la fierté du pays ». « Very Bad Trip » nous propose à ce titre une immersion dans une académie de badminton à Gresik.

Très tôt le matin, les enfants effectuent un réveil musculaire de type « shadow ». L’entraîneur leur demande de donner leur maximum, de ne pas rigoler, de rester sérieux. Une jeune fille de 9 ans raconte : « j’aimerais bien dormir plus mais je dois m’entraîner pour devenir une championne. (…) Ma maman, mon papa et ma maison me manquent. Mes parents ont bien voulu que je vienne ici. Ils m’ont dit que si mon rêve, c’était de devenir une championne, j’avais raison de partir ». L’après-midi, deux autres entraînements sont proposés, d’une durée totale de cinq heures. Au total, les enfants sont sur le terrain 30 heures par semaine. Dans ce contexte, le climat de concurrence est élevé. Un garçon de 15 ans explique : « je dois rester motivé. (…) Il y a de la concurrence dans le centre. On doit travailler et faire le maximum pour ne pas être renvoyés ».

Ces méthodes traduisent une conception particulière de l’entraînement du badminton. Koko Pambudi, responsable de l’Académie, exprime l’importance de la répétition et de l’effort pour créer des automatismes : « certains enfants n’arrivent pas à tenir la cadence. (…) Le badminton, c’est un sport de répétition. Si on ne le fait pas répéter quand ils sont jeunes, ils ne vont pas enregistrer. Tous leurs gestes doivent devenir automatiques ». Cette logique se prolonge au Centre National d’Entraînement d’Indonésie de Kakarta. L’entraînement commence par une prière tournée vers le culte du dépassement de soi et de la performance de haut niveau. La répétition technique, sous la forme de situations « multivolants », occupe une place majeure. En une heure, chaque joueuse frappe 700 volants. Selon Chiu Sia Liang (Entraineur national), « il faut forcer, c’est comme ça qu’on avance. Si je baisse l’intensité dès qu’elles sont fatiguées, elles ne vont pas progresser ». La discipline et la capacité à se dépasser sur la durée sont la base du succès : « je dois tester les limites de mes athlètes, savoir jusqu’où je peux les pousser et quand je dois arrêter. S’ils ne peuvent pas résister à ces efforts, ils ne doivent pas rester ici », détaille Joko Suprianto, entraîneur national.

Malgré tout, la place de ce travail technique est actuellement interrogée, en lien avec un constat partagé : aujourd’hui quand les joueurs étrangers affrontent les indonésiens, ils ne sont plus effrayés. Ils ne se disent pas que ça va être un problème, car ils voient bien que les résultats des Indonésiens ont un peu baissé : « peut-être qu’ils sont plus forts tactiquement en ce moment. Alors je dois changer des choses et continuer à apprendre. Il faut que je m’entraîne mieux et plus longtemps encore », confie Sony Dwi Kuncoro, joueur indonésien, 4ème mondial.

 

3. Le développement du badminton européen

3.1. La montée en puissance du badminton en Europe

En Europe, le Danemark s’inscrit également au plus haut niveau, en s’imposant comme la 4ème nation olympique (8 médailles dont une en or) et la 3ème nation aux championnats du monde (10 victoires finales). Ce pays nordique fait figure d’anomalie, pour des raisons abordées par le Danois Peter Gade (quintuple champion d’Europe), qui a été nommé directeur de la performance à la FFBad en 2015 : « la tradition a créé de grosses structures qui permettent de créer des champions. Les enfants commencent à 6-7 ans au Danemark, et avec les structures et les connaissances importantes acquises, on peut voir loin et les amener au haut niveau ». Avec des champions locaux qui ont montré la voie depuis les années 40-50, les générations de petits Danois se succèdent et produisent, à chaque fois, des joueurs parmi les meilleurs mondiaux. La concurrence, rude dès un très jeune âge, les aguerrit, et ils vont ensuite se mesurer aux champions asiatiques de leurs jeunes générations. Un simple cercle vertueux qui dure depuis longtemps, et qui trouve son apogée avec les performances aux JO de Viktor Axelsen en simple homme : médaille de bronze à Rio (2016) et médaille d’or à Tokyo (2021) face au chinois Chen Long. L’Espagnole Marín est aussi venue déjouer les statistiques, en s’imposant trois fois aux championnats du monde de 2014 à 2018, et en devenant championne olympique à Rio en 2016.

Depuis les dernières années, certains joueurs français, comme Brice Leverdez, se font remarquer sur la scène internationale. Chez les femmes, personne n’a encore vraiment pris la suite d’Hongyan Pi qui, en 2009, avait remporté une médaille de bronze aux championnats du monde. P. Limouzin, directeur technique national de la fédération de badminton, expliquait en 2016 que les badistes français évoluaient entre la 5ème et la 10ème place européenne, et aux alentours de la 15ème place mondiale par équipe. Aux championnats d’Europe de 2016, l’équipe de France masculine est même devenue vice-championne d’Europe. L’échelon européen constitue donc aujourd’hui le niveau dans lequel les meilleurs français sont en capacité de performer. Le nombre de licences est également en hausse, passant de quelques 18 550 licenciés en 1991 à 70 589 en 2000, puis 191 602 licenciés en 2016. Le badminton est désormais un sport reconnu, une occasion d’activité exigeante, attractive et motivante.

Une des explications de cet essor du badminton en France est lié au dynamisme de l’activité en éducation physique et sportive (EPS). En effet, le badminton y figure parmi les pratiques sportives les plus enseignées (94% des collèges, 96% des lycées, 94% des lycées professionnels en 2005). Les élèves sont par ailleurs nombreux à le retenir lors des épreuves du baccalauréat (44% des lycéens en 2003, et 50,77% en 2005). La progression est encore plus spectaculaire dans le cadre de l’association sportive scolaire. De 21 748 en 1990, le nombre de jeunes badistes atteint 94 121 licenciés dix ans plus tard, plaçant ce sport tout en haut des activités pratiquées. Finalement, « le badminton français peut être fier aujourd’hui de son histoire partagée avec le monde scolaire. Sa structuration son ambition fédérale sont imprégnées de ces relations qui font de ce sport une véritable pratique culturelle, qui ne se retrouve, avec une telle spécificité, dans aucun autre pays européen ».

Le danois Viktor Axelsen : champion Olympique (2021) / © Viktor Axelsen, Instagram

 

3.2. Une conception du jeu qui revalorise l’aspect tactique

Le badminton européen semble véhiculer une conception de l’entraînement alternative à celle des pays asiatique, plus équilibrée entre technique et tactique. B. Carème et P. Limouzin affirment qu’« on en revient aux origines de ce jeu qui est un acte tactique. En effet, on mesure maintenant les limites du technicisme. Certes, comme dans tous les sports, les apprentissages techniques, la condition physique, la préparation mentale sont indispensables, mais ils doivent être mis au service des problèmes à résoudre et à poser à l’adversaire. C’est le sens du jeu ».

En réponse, toutes les nations tendent aujourd’hui vers l’équilibre entre technique et tactique. Les asiatiques eux-mêmes, réputés pour aller très vite et taper très fort, se recentrent progressivement sur les aspects tactiques, après avoir vu leur domination contestée par le jeu danois notamment, qui les gênait considérablement d’un point de vue tactique. En France, Brice Leverdez explique : « quelles que soient les écoles de jeu, les Asiatiques ont toujours dominé. Ils ont réussi à changer leur style de jeu, désormais plus technique. Si on veut rivaliser, il faut développer cette notion de partie d’échecs et l’apport de la vidéo. L’acte tactique est notre seule chance d’exister ». Un constat partagé par Eric Silvestri (entraineur national) qui estime que techniquement et physiquement, les asiatiques sont imbattables. La seule solution qu’il voit est de « mieux former tactiquement, ce qui passe par la connaissance minutieuse de l’adversaire » . La part psychologique est aussi essentielle. Pour lui, c’est ainsi que les danois, par exemple, tirent leur épingle du jeu au niveau internationale, sans avoir la masse de pratiquants des asiatiques.

Finalement, à la culture du sacrifice total type « loi de la jungle » en vigueur dans les pays asiatiques, Peter Gade oppose son modèle danois « affectif et solidaire », et souligne qu’en ce qui concerne le badminton français, « le modèle danois peut s’adapter au nôtre alors que le modèle asiatique est trop différent ». Enfin, outre la confrontation Asie-Europe, des pays d’Amérique du Sud (Brésil en particulier) ou d’Afrique, commencent à émerger sur la scène mondiale.

Malgré tout, il y a peu de chance que l’hégémonie asiatique disparaisse dans les 10 prochaines années : culture, vivier, potentiel technique… l’écart est vraiment trop important même si ponctuellement, des victoires sont toujours possibles. Il faudra du temps pour que de nouveaux équilibres apparaissent à l’échelle mondiale, d’autant que ces dernières années, le badminton européen semble se cherche un second souffle. Par exemple, la fédération française de badminton s’est récemment inquiétée de taux de croissance des effectifs en berne. Même si l’EPS et le milieu fédéral marchent main dans la main, le chemin reste long pour que la France, et plus globalement les pays européens, soient susceptibles d’ébranler la suprématie asiatique.

L’Espagnole Carolina Marín (championne olympique en 2016) / © Singapore Sports Council via Flickr : flic.kr/p/eRJ3pU / CC BY-NC-ND 2.0)

 

4. Conclusion

L’état des lieux du badminton aujourd’hui révèle un glissement. D’un sport essentiellement asiatique, il en devient une activité pratiquée à l’échelle européenne, voire mondiale. Simultanément, d’une vision techniciste dominante dans l’entraînement asiatique s’ajoutent des préoccupations tactiques, impulsées par les Européens. Dès lors, le dialogue établi entre Asie et Europe, auquel viennent se mêler de nouvelles nations (Amérique, Afrique), enrichit le badminton en permanence.

D’ailleurs, dès le plus jeune âge, certains badistes français partent en Asie, jouent devant des milliers de spectateurs, dans des stades remplis. Ces expériences, comme un trait d’union entre les cultures, leur donnent à voir la diversité du monde et des conceptions de l’entraînement, tout en pratiquant le même sport. A plus haut niveau, Brice Leverdez projette même de rester en Asie entre les tournois pour s’entrainer là-bas. Bien qu’il connaisse leur style de jeu depuis dix ans, il aspire désormais à éviter le décalage horaire…

Un autre documentaire Intérieur Sport, intitulé « A la table des maîtres » (2013), relate le parcours de Simon Gauzy, champion français de tennis de table, qui part à la découverte des joueurs chinois, car le progrès passe par la confrontation à la culture asiatique, dominante dans les compétitions internationales. Sur ce point, badminton et tennis de table semblent partager une trajectoire commune, comme le soulignait en 2010 le président de la FF Bad, Paul-André Tramier : « avec le tennis de table, le badminton préfigure ce que sera la domination asiatique sur le sport. Ces pays vont truster la plupart des podiums ». En tous les cas, tenter de se projeter dans le futur nécessite de s’interroger en termes de culture et de valeurs, dans un dialogue entre Asie et Europe.

Billie Jean King 

The Shooting Star

© Wilson Sporting Goods Co.

1969

The Billie Jean King Autograph racket:
The beautiful balanced Strata Bow racket used by Billie Jean King in her record fifth Wimbledon victory, this racket offered long handle pallets to reduce torque, and adds strength and stiffness to the shaft and flexibility to the head.

“Tennis gave me a platform for change and a voice to make a difference in the lives of others,” King concludes.

Hitting 75 has not slowed down the legendary Billie Jean King. As the times change, her push for equality and inclusion holds even more importance.

Larger than tennis and larger than life. 

That’s Billie Jean King—past, present and future. 

The brightest star in a tennis firmament littered with legends and luminaries, King is the beacon of light that won the Battle of the Sexes over trash-talking Bobby Riggs and later won over the hearts and minds of tennis’ most ruthless power brokers. A determined do-gooder that never learned the meaning of the word “quit”, King rose to fame, changed the game and tennis would never be the same. 

It all started from humble roots. 

As the story goes, King turned to her mother while washing dishes at the age of five and said: “I am going to do something great with my life.” 

Another formative experience, when she was eleven years old, spurred King further on: “Ever since that day when I was eleven years old and I wasn’t allowed in a photo because I wasn’t wearing a tennis skirt, I knew that I wanted to change the sport,” King recalls. 

The greatness lies not in the statement, or in the desire to make a difference, but in the follow-through. King didn’t just dream big, she played big. So big that Wilson made her the first woman to ever have a signature racket named after her, an honor bestowed on only five players in history, long before she found her voice as an activist. 

Later in life, when the opportunity to affect change and become a vital role model presented itself, King molded those words into action. 

It was all part of a singular mission that came naturally to the Southern California native—and it is a mission that is never complete in King’s mind.

“As far as my legacy… I am not done yet,” King says, emphatically.

Blessed with the poise and panache that would eventually take her to a record 20 Wimbledon titles (and a whopping 39 major titles in total), King lit a fire under tennis in the early 70’s when she founded the WTA Tour and gave female athletes a voice that they had never had before. It was King’s talent on the court that pushed her into the public eye, but it was her humanity, open-mindedness and passion for justice that made her the chosen woman, the one with the power to make a difference and change the sport of tennis from the foundation up. 

© Art Seitz

Would tennis as a professional sport have enjoyed such incredible success in the Open era without the thriving women’s tour that King and her disciples created? Would men and women be receiving the same prize money at all four Grand Slams today if it had not been for the sacrifices that King and her generation made? Probably not. 

Known as a shapeshifter who transcended the sport of tennis, King was a true pioneer for equality and social justice.

She still is, even today.

“My generation was the transition generation and because of what we were able to accomplish in 1968 and the decade beyond, tennis is a leader in the world of sports today” King says, as she proceeds to list a few transitional moments that she herself spearheaded. “The start of the Virginia Slims Series and the impact the Original 9 and Gladys Heldman had on tennis in 1970 changed the sport; securing equal prize money for the 1973 US Open changed the sport; the creation of the Women’s Tennis Association in 1973 changed the sport; the Battle of the Sexes match against Bobby Riggs in 1973 elevated the sport to new levels.”

King’s dominance and athleticism is sometimes an afterthought due to her success in other realms. We rarely hear about all the Grand Slam titles that she has won, but her success off the court would not have been possible without success on it. 

We mustn’t forget that King was an absolute dynamo on the tennis court. A spritely figure at 5’4 ½, she played with the confidence and courage of a giant. Her aggressive style wreaked havoc on her opponents, and she was an absolute force at the net.

“She had one of the best volleys—ever” her former doubles partner Rosie Casals says. 

Six decades after she won her first major singles title, Kings’ significance continues to grow. Like the brightest stars in the galaxy that take billions of years to burn out, Kings’ influence and impact is just beginning to take hold on the sporting world. 

She is tennis’ original activist and its greatest treasure. Young players flock to her, pining for selfies and words of wisdom, which she is always quick to share. 

“Tennis gave me a platform for change and a voice to make a difference in the lives of others,” King concludes. 

She is the shooting star that never missed her target. The timeless legend that coined the phrase “pressure is a privilege” and the spiritual center of a sport that never stops pushing forward. 

And we are lucky to have her. 

© Art Seitz

Week-end à New York

Benjamin Markovits, Traduit de l’anglais (États-Unis) par Laurence Kiefé et Christian Bourgois, 2019

« Les familles ne se ressemblent pas toutes entre elles, mais leurs personnages sont souvent les mêmes que ceux des livres. » C’est un peu ce que nous explique Benjamin Markovits dans son huitième roman. L’auteur s’attache à y décrypter la communication d’une cellule familiale transculturelle. En clair et entre les lignes, la psychologie d’un langage mimétique et codé.

Le clan Essinger se réunit à New York pour voir jouer Paul, tennisman professionnel, qualifié une nouvelle et peut-être dernière fois à l’US Open. Ses parents viennent de loin, d’Europe et des quatre coins des États-Unis, pour l’encourager. Bill, fier et surpris par la carrière de joueur de son fils, n’aurait jamais osé imaginer qu’un de ses enfants connaisse un tel succès. Liesel, sa mère, ne comprend pas vraiment. Il s’agit de sport, ça la dépasse un peu. Elle vit aux États-Unis depuis longtemps mais elle est d’origine germanique, et associe les valeurs du sport et de la compétition à l’éducation américaine et étrangère reçue par ses enfants. 

« D’emblée, elle avait aimé les Juifs américains. Qui sait pourquoi – une attirance culturelle. Son mari était Juif, ses enfants vaguement Juifs et elle était assise dans Washington Square, pour aller prendre un petit déjeuner avec une journaliste. Pour parler de son enfance allemande. Au cours d’une longue vie, on fait feu de tout bois.»

La plupart des Essinger travaillent dans l’enseignement, ils sont fidèles au rendez-vous new-yorkais et ne le rateraient pour rien au monde. Pas si simple de les réunir chaque année. Il faut leur procurer des billets d’entrée, les installer en ville. Cette tâche un peu ingrate revient à Dana, la compagne de Paul. L’appartement qu’elle leur trouve appartient à son ex-mari. Cela n’arrange pas forcément les choses. Paul et Dana ont un petit garçon de deux ans, Cal. Il est au centre de leur vie plutôt aisée à Manhattan. Dana a été mannequin, elle reste éblouissante. Elle suit des cours de photographie, ça la passionne et ça inquiète Bill, le père de Paul. Les amis jeunes, beaux et branchés fréquentés par le couple l’inquiètent eux aussi.

 « Enfin, se dit-il, chacun vit à sa façon. […] Mais quand on se lie à des vies instables, il y a un prix à payer. L’instabilité est contagieuse pensait Bill, et de fait, Paul et Dana n’étaient pas mariés. » 

Côté jardin, le tableau familial semble enchanteur. Côté cour, la vue est moins réjouissante. La douceur du gazon cède progressivement la place au béton armé. On y distingue un mélange de divergences et de rancœurs inavouées, des alliances, des incompréhensions et des secrets jalousement gardés. De profonds désaccords. Tout finira inévitablement par basculer, au cours d’un week-end révélateur. Markovits nous y prouve son talent d’écrivain.

Week-end à New York, ce pourrait être le titre d’une comédie romantique ou d’un film de Woody Allen. Le livre peut aussi être lu comme une métaphore de la vie de famille en général, dans le sillage du film culte et engagé du cinéaste Ken Loach, en 1971, Family Life. Markovits traite ici d’un cas assez particulier, en évoquant à son tour deux cercles coercitifs, la famille et la société. Ce n’est pas tant de Paul, le personnage clé du livre, qu’il s’agit, mais de tous ses parents, victimes indirectes de leur classe sociale et de leurs ambitions : « Que son fils ait réussi à ce point à New York, la ville que son grand-père et ses grands-oncles avaient quittée deux générations plus tôt… »

Week-end à New York n’est pas une simple fiction. C’est la mémoire d’une jeunesse. Celle de Benjamin Markovits. L’auteur est bien le fils d’une allemande catholique et d’un père juif, élevé dans les faubourgs de New York. Les similitudes entre sa famille d’origine et la famille Essinger ne sont pas le fruit du hasard. 

Au bout du compte, Markovits s’attaque aux valeurs conventionnelles, aux ambitions professionnelles un peu trop classiques des membres d’une cellule familiale bourgeoise. À l’exception de Paul, le joueur de tennis, le clan Essinger est formé de professeurs et d’enseignants. Une grande famille unie et assez uniforme à première vue. Pas évident dans ces conditions de se démarquer. Pour faire valoir l’originalité d’un choix de vie différent, Paul devra-t-il remporter un match de plus à l’US Open ? Rien n’est moins sûr. Ce n’est d’ailleurs pas ce qui compte le plus. 

« Derrière lui, la grille, peut-être poussée par un courant d’air, se referma avec un claquement profond. Le vent passait entre les barreaux », écrivait poétiquement Boris Vian dans l’Arrache-cœur, son dernier roman publié en 1953. « Cette cage symbolique avait été construite avec soin par une mère pour ses enfants. Elle laissait filtrer une impression de liberté. Jamais elle n’y donnerait réellement accès. » Paul, dans Week-end à New York, empruntera la clé du tennis pour s’évader de la cage intellectuelle, sociale et culturelle où sa famille tout entière souhaite le retenir prisonnier.

Les dialogues sont au centre du roman de Markovits et offrent un aperçu très réaliste de la vie de famille. Les Essinger aiment se retrouver à table autour d’un repas pour débattre longuement de tout et de rien, avec un naturel surprenant. C’est dans ces moments simples de partage quotidien qu’on devine le mieux les personnages. Nous sommes à table avec eux et leur conversation nous enchante. Tout au long du livre, l’auteur laisse librement parler sa plume et s’exprimer les autres. Il a le don de savoir les écouter attentivement, sans jamais les interrompre.

Benjamin Markovits est un auteur anglo-américain. Il a étudié à Yale et à Oxford. Ex-joueur de basket professionnel, ses connaissances du sport et de la préparation mentale et physique des athlètes lui permettent de nous livrer des secrets d’alcôve. Polyvalent et éclectique, Markovits collabore à de nombreuses publications dont The New York Times, Esquire, Granta et The Guardian. Il signe ici son huitième roman, après une brillante trilogie sur la vie de Lord Byron. Sélectionné parmi les meilleurs jeunes écrivains britanniques, il a reçu en 2016 le prix du roman pour son récit You Don’t Have to Live Like This.

 

Article publié dans COURTS n° 6, automne 2019.

Qu’est-ce que le talent ?

© Antoine Couvercelle

Il arrive souvent de lire ou d’entendre des commentaires affirmant que le talent d’un joueur ou d’une joueuse de tennis est quelque chose d’inné qui ne demande qu’à être peaufiné. Bien que je sois parfaitement d’accord avec cette affirmation j’ai toujours trouvé la notion de « talent » utilisée de façon floue et aléatoire, certains en seraient dotés et d’autres pas. Le « talent » paraît complètement abstrait et alors on a tendance à le voir comme un je-ne-sais-quoi, une sorte de faculté inexplicable, en somme. Or, je crois qu’avec un peu de réflexion on peut arriver plus ou moins à déterminer les origines de ce que l’on appelle « le talent », et à le caractériser davantage que la simple définition qu’on peut trouver dans un dictionnaire, à savoir :  « Le talent : aptitude particulière, dans une activité. » Ou encore : « aptitude remarquable dans le domaine intellectuel ou artistique. »

Si l’on s’en tient à ces explications, nous pouvons en déduire que tout peut être sujet à être qualifié de « talent », il suffit seulement de se détacher dans une activité précise. En effet, même si l’on a tendance à percevoir le contraire, il est pourtant clair que le monde regorge de personnes talentueuses, il n’y a qu’à ouvrir la porte d’un restaurant pour découvrir les exquises créations de bons cuisiniers, tous les métiers possibles pourraient d’ailleurs  être cités, même le plus vieux. Nous pouvons aussi dénicher quelques génies de l’absurde, il suffit simplement d’ouvrir le livre des records pour se rendre compte à quel point l’humain peut se montrer créatif. D’aucuns n’y verront pas le moindre talent, pourtant le niveau d’absurdité et de créativité dont requièrent ces prouesses nécessite obligatoirement un certain talent… Parfois celui-ci est si grand et précurseur qu’il passe totalement inaperçu, incompris de tous. Un grand nombre d’artistes n’ont été reconnus par les critiques qu’après leur mort. C’était pendant plusieurs siècles extrêmement courant. « Ah ! Quel talent je vais avoir demain ! On va enfin jouer ma musique ! », ironisait le compositeur français Hector Berlioz alors qu’il était sur le point de mourir. D’ailleurs, il repose aujourd’hui dans un des lieux où le taux de concentration de personnes talentueuses est le plus élevé : le cimetière du Père Lachaise. Le talent est tellement présent que finalement, le plus talentueux d’entre nous serait celui n’en possédant pas.  

Une omniprésence dans notre quotidien que notre cerveau finira par trier et classer quasi-instinctivement selon une échelle particulière : celle du plaisir. En effet, plus le talent d’une personne est grand, visible et manifeste, et plus sa puissance purgatrice (la catharsis) est efficace et c’est évidemment pour cela que souvent les gens des arts et des sports lui sont directement associés. Naturellement, nous serons davantage passionnés par un athlète, un chanteur ou une actrice que par un physicien ou un chirurgien, non pas parce que ces derniers sont moins talentueux mais parce que leur talent incompréhensible (exigence intellectuelle trop élevée) ne donne pas accès au plaisir ; ce qui crée obligatoirement une distance, la personne ne pourra pas s’identifier malgré toute l’admiration qu’elle peut éprouver à leur égard. Tandis que dans le sport, le tennis par exemple, le pouvoir est populaire et donc l’identification facilement possible, et la transcendance du sportif visible et communicative : les émotions transmises sont donc primaires et la catharsis peut opérer beaucoup plus naturellement. 

Si le tennis de haut niveau abonde de talents en tous genres,  il existe aussi dans le tennis amateur des personnes que l’on peut considérer comme talentueuses, c’est d’ailleurs dans le tennis club que « le talent » a pu éclore et s’émanciper progressivement ! 


La stratification des talents

Le tennis club, véritable berceau des amateurs de la balle jaune, il voit naître et évoluer une multitude de personnalités tennistiques parmi lesquelles un échantillon va réussir à se détacher aux yeux des autres licenciés et entrer, ou pas, dans une dimension supérieure. Assurément, dans chaque club, il y a toujours un ou deux joueurs qu’on aime voir jouer plus que les autres, souvent leurs résultats en tournoi sont bons, très bons voire excellents, et lorsqu’ils parviennent à exécuter parfaitement un de leurs gestes signature au cours d’un match amical, nous nous extasions en les gratifiant d’un entraînant « bravo ! Magnifique » avant de penser à voix haute ou basse « quel talent… ». Ces amateurs en sont indéniablement dotés et celui-ci est d’autant plus visible et identifiable lorsqu’il est exercé au sein d’un groupe où ne pratiquent que les amateurs, c’est-à-dire dans les tennis clubs, le bas de l’échelle, le commencement. Une échelle composée de plusieurs strates dont le niveau croissant a tendance à laisser grand nombre de ces amateurs talentueux sur le palier. Effectivement, si ceux-là se détachent aisément au début, la suite est plus corsée. Le parcours est long. Plus on gravit des paliers, plus les exigences sont élevées. À tel point que le talent, jadis si perceptible, donne l’impression de se réduire, et parfois, lorsque le niveau est trop haut, il se fond et se confond avec celui des autres pour finalement former un mélange homogène de banalités. Et alors sur ce premier palier seulement une poignée de joueurs se démarquent, cependant, seul ceux au plus fort potentiel exploité progressent crescendo pour passer un à un les échelons, jusqu’à entrer dans le monde du tennis professionnel, le top 300,  200, 100, le top 50… puis le top 20, 10, et enfin pour les plus doués des plus doués, le top 5. 

En effet, si au départ, les écarts de niveau entre les joueurs sont moindres, ils ne cesseront de se creuser au fil des ans en raison d’une multitude d’éléments intrinsèques ou extérieurs au tennis. Mais aussi à cause des capacités innées ou acquises qui vont constituer ce que l’on appelle « le talent ».


L’inné : la chance, le corps et l’intelligence 

« Il y a des langages autres que des mots, un langage de symboles et des langues de la nature. Il existe des langages du corps. Et le combat de boxe est l’un d’eux. Un boxeur […] parle avec un contrôle de son corps qui est, dans son intelligence, aussi détaché, subtil et total que tout exercice de l’esprit. Il s’exprime lui-même avec de la vivacité, avec du style et du flair esthétique. La boxe est un dialogue entre les corps, c’est un débat rapide entre deux ensembles d’intelligences. » – Norman Mailer 

Le talent c’est en quelque sorte l’intelligence de l’esprit au service de celle du corps. C’est la capacité à évaluer la meilleure alternative face à un problème en fonction du but à atteindre puis la mettre à exécution, c’est en somme la traduction de son intention en actes. Cela rejoint ce que disait l’éminent psychologue britannique Frédéric Bartlett : « La condition essentielle de toute exécution que l’on peut dire talentueuse devient beaucoup plus manifeste si l’on considère un petit nombre d’exemples réels. Le joueur dans une partie de base-ball, l’ouvrier à son établi de travail, dirigeant sa machine et utilisant ses outils ; le chirurgien réalisant une opération ; le médecin prenant une décision clinique – dans tous ces exemples et dans d’autres innombrables que l’on pourrait tout aussi bien prendre, on constate un flux continuel entre les signaux que l’exécutant reçoit de l’extérieur et qu’il interprète, et les actions qu’il mène à bien ; puis il passe aux signaux suivants et aux actions suivantes, tout cela culminant avec l’achèvement de la tâche ou de la partie de la tâche, quelle qu’elle soit, qui constitue l’objectif immédiat […]. Une exécution talentueuse doit être constamment soumise au contrôle du récepteur et doit être initiée et dirigée par les signaux que l’exécutant doit choisir dans son environnement, en combinaison avec d’autres signaux, internes à son propre corps, qui lui parlent de ses mouvements au fur et à mesure qu’il les fait. »

Selon l’analyse de Bartlett, toute performance inclut un sens très aigu de la chronologie, chaque morceau de la série devant s’adapter au mouvement d’ensemble d’une façon délicate, pour lui le talent est une succession de mécanismes réfléchis et de ce fait quelque chose de parfaitement conscient. Le talent va donc exister dans la manière qu’on a choisi de se servir de son corps mais aussi dans la façon de le comprendre. 

Le corps et l’intelligence sont une structure physique et une aptitude naturelle que chaque humain obtient de façon innée, cependant, bien que ces deux éléments soient améliorables ou perfectibles, au départ il y a bien évidemment des personnes mieux équipées que d’autres. Effectivement, là où le hasard ou la chance va jouer un rôle fondamental, c’est dans la répartition de ces éléments : «l’injustice » et « l’inégalité » intrinsèque de l’existence (la naissance, cette grande loterie…) va indubitablement profiter à certaines personnes, tant sur le plan physique qu’intellectuel. Et si l’on s’en tient à cette logique, Federer, Nadal et Djokovic seraient actuellement les meilleurs joueurs de tennis, mais bien que très talentueux ne seraient peut-être pas les plus talentueux. Ou alors, s’ils s’avéraient être les plus talentueux, ils bénéficieraient grandement de caractéristiques physiques extraordinaires et de leur détermination purement génétique. 

Jean-Paul Loth distinguait le talent pour un coup spécifique du tennis. Il s’insurgeait ainsi qu’on puisse dire que Karlović n’avait pas de talent alors que, selon lui, il a un grand talent pour le service. Certes son service est excellent… mais c’est peut-être passer un peu vite sur la taille de Karlović (2m11), sans laquelle il lui serait impossible de servir aussi bien. Un joueur d’un mètre 75 qui aurait le même talent que Karlović pour le geste de service n’en tirerait pas grand avantage et personne ne parlerait de son talent dans cet aspect spécifique. Dans ce contexte, comment faire abstraction de la taille de Karlović (l’inné) pour mesurer son talent au service ? C’est impossible.

© Antoine Couvercelle

On peut aussi s’attarder sur Novak Djokovic et son incroyable souplesse lui permettant de glisser presque ventre à terre pour réussir des coups de défense dans les positions les plus insensées. « C’est quelque chose qui n’est pas dans les livres d’apprentissage du tennis. Je dois un peu ça à Spider-Man. J’ai passé pas mal de temps avec lui ces dernières années, il m’a aidé pour les étirements (…). Neuf joueurs sur dix n’essaieraient probablement pas la même chose, surtout sur gazon », a-t-il déclaré en conférence de presse après sa demi-finale de Wimbledon face à Denis Shapovalov. Il poursuivait en essayant d’expliquer plus sérieusement le pourquoi de son extraordinaire aptitude. « Je suppose que c’est l’une de mes caractéristiques authentiques, un mouvement sur lequel je me suis entraîné toute ma vie, sur toutes les surfaces. Je pense que ça a beaucoup à voir avec le ski, notamment pour la souplesse des chevilles. C’est en quelque sorte une habitude de glisser pour faire un coup. » 

Il dit juste. Les raisons qui lui ont permis d’exceller dans cet exercice sont bel et bien les entraînements et la pratique du ski mais aussi ce qu’il appelle une « caractéristique authentique ». Sans cette caractéristique physique innée, il n’aurait très certainement pas pu se permettre toute cette gymnastique abracadabrantes même en s’étant entraîner durement. Jannik Sinner, qui a pratiqué le ski toute sa vie et à haut niveau et qui s’entraîne comme un forcené, est très loin de maîtriser la glissade comme le fait Djokovic. L’Italien n’a tout simplement pas la force singulière du serbe, oui parce que lorsqu’on parle d’aptitude particulière on parle plus précisément de singularité. Que seraient devenus Roger Federer sans sa grâce, Ivo Karlović sans ses deux mètres onze, Serena Williams sans sa puissance, Gustavo Kuerten sans sa joie ou John McEnroe sans son irrévérence ? « Il n’y a pas d’excellence sans singularité », a dit le philosophe Charles Pépin.


L’acquis : une question d’entraînement et d’envie

« Je suis convaincu d’une chose : le talent, ça n’existe pas. Le talent, c’est avoir l’envie de faire quelque chose. Je prétends qu’un homme qui rêve tout d’un coup de manger un homard, il a le talent à ce moment-là. Dans l’instant… Il a le talent pour manger convenablement un homard. Pour le savourer convenablement. Et je crois qu’avoir envie de réaliser un rêve, c’est le talent ! Et tout le restant, c’est de la sueur, de la transpiration. De la discipline. » – Jacques Brel

L’envie est en grande partie responsable du talent. L’envie de faire du tennis son métier, l’envie de se lever tous les matins avec la passion au creux de la poitrine et le désir insatiable de progresser afin d’atteindre des objectifs pour s’en fixer de nouveaux. En effet, le talent c’est aussi l’envie. C’est avec ce moteur que les joueurs/ses vont essayer de trouver les solutions pour améliorer leur technique, leur condition physique, leur mental et leur tactique : leur jeu de façon plus générale. 

Le sportif, lorsqu’il évolue à haut niveau, se doit de travailler et de maintenir notamment une forme physique irréprochable tout simplement parce que c’est indispensable.  Effectivement, dans le monde du tennis professionnel, là où chacun a déjà des bases solides, le physique en est peut-être la pierre angulaire, dans le sens où c’est ce critère qui va permettre aux autres de vivre – voire de s’émanciper – il va en quelque sorte faire office de bouclier protecteur et permettre ainsi une meilleure pratique. 

Lorsque j’évoque les autres critères je parle principalement de la technique, de la tactique et du mental, comment aller loin dans une compétition, ou comment devenir un monstre du tennis sans les protéger ? C’est simplement impossible… L’exemple de Federer est peut-être le plus frappant car cet homme, qui est – à juste titre – vu comme un génie de son sport pour sa technique sans égal, est à mon sens aussi un monstre physique. Les experts seront d’accord mais la plupart des gens ont tendance à l’oublier – d’ailleurs il est certain que le physique est le critère auquel on l’associe le moins en général. Vous me direz que c’est un peu sa faute aussi puisqu’il est de ces êtres touchés par la grâce et dont la grâce du toucher et de déplacement donne une impression de légèreté et de facilité qui nous font ainsi oublier, ou en tous cas mettre au second plan, son incroyable puissance physique. Malgré tout son bagage technique, il est indéniable que sans un travail lui permettant d’exploiter la totalité de son potentiel (ou la quasi-totalité puisque la perfection n’existe pas) physique, il n’aurait pas atteint un tel niveau tennistique et stylistique, encore moins aussi longtemps. Le perfectionnement physique protège le joueur/la joueuse, dans le sens le plus évident il va protéger de la blessure et deuxièmement, protéger le jeu (et le style) en étant totalement à son service. Si on a un toucher exceptionnel mais pas le physique qui permet de produire son jeu sur la durée d’un match, d’un tournoi, c’est peine perdue. Prenons l’exemple de Richard Gasquet, un joueur dont la main est à juste titre toujours vantée, dont souvent le manque de punch et d’endurance l’a fortement pénalisé en le faisant quitter prématurément un tournoi…  Son arme principale s’effaçait peu à peu et il avait malheureusement tendance à ne plus exister face à des joueurs qui ,eux, possédaient ce physique. La question qui se pose est la suivante : lors de ses jeunes années pouvait-il perfectionner son physique en améliorant quelques points précis (hygiène de vie, endurance, musculation…) ou avait-il déjà exploité le maximum de son potentiel ? 

A force d’entraînement acharné, un certain nombre de sportifs/sportives vont arriver à développer une sorte d’instinct. À ce sujet, une joueuse d’échecs hongroise disait qu’il était très important de faire travailler sa mémoire dès le plus jeune âge pour développer ce fameux sixième sens, l’instinct. Dans ce sport intellectuel, il y a des millions voire des milliards de combinaisons possibles, il est donc humainement impossible de toutes les retenir… Cependant, à force de s’exercer dès le plus jeune âge, encore et encore, son cerveau a fini par enregistrer un nombre incroyable de coups et de combinaisons jusqu’au point de savoir très précocement ce que tel ou tel coup allait engendrer. Son cerveau analysait tout tellement vite qu’elle n’avait presque plus besoin de réfléchir, ça devenait instinctif, ce qui en a fait une joueuse d’exception.

On peut faire l’analogie avec le tennis, sport dans lequel la mémoire, la répétition et la capacité d’analyse sont très importantes. Certains joueurs vont évidemment mieux apprendre et assimiler les gestes et de façon plus rapide, et ça dès les premiers entraînements. Les gestes ou les choix tactiques d’ailleurs… Au point de sentir et ne plus vraiment réfléchir, ainsi développer  ce fameux instinct. Un instinct qui sera particulièrement visible dans l’exécution du coup parfait, par exemple dans un passing en bout de course de Rafael Nadal ou une amortie de Roger Federer, dans le moment de grâce pur.

© Antoine Couvercelle

Charles Pépin sur le moment d’excellence dans un coup de raquette :  « C’est lorsque le joueur est là tout entier. Totalement présent. Avec toute son histoire, tout son passé, tous ces talents, toutes ses faiblesses, ses victoires et ses échecs. »

Paradoxal est le moment de grâce. Il s’agit d’être là tout entier, dans un état de concentration maximale, mais c’est en même temps un moment d’abandon total dans lequel on ne pense plus mais l’on ressent, un moment purement intuitif. Des années de travail intense pour arriver à maîtriser le lâcher-prise, passer tout son temps à essayer d’apprendre comment désapprendre, c’est finalement la poursuite essentielle d’un sportif de haut niveau.


L’exploitation maximale de ses capacités 

« Deviens ce que tu es. » – Friedrich Nietzsche

Si un joueur a déjà exploité de façon optimale toutes ses ressources intellectuelles et physiques alors on peut le considérer comme extrêmement talentueux, à l’échelle de son propre potentiel. Il n’y a que ça qui compte lorsqu’on veut jauger le talent d’une personne, savoir si celle-ci a donné le meilleur d’elle-même et non le comparer avec celui de quelqu’un d’autre. Lorsqu’on s’attarde par exemple sur un joueur comme le japonais Kei Nishikori, on s’aperçoit très vite qu’il est plein d’envie et de volonté et qu’il essaye sans relâche de fournir le maximum de son potentiel. C’est un joueur avec des armes redoutables, un merveilleux revers, un jeu de contre incroyable, des facilités en retours, une vélocité et une rapidité rare tant dans l’exécution du geste que dans la course, etc… Il a montré une régularité phénoménale en se maintenant pendant plusieurs années dans le top 10, c’est incontestablement un joueur d’exception. Seulement, si l’on regarde son palmarès on constate malheureusement qu’il n’est pas très fourni, il n’apparaît aucun titre majeur, ni Grand Chelem, ni Masters 1000.  Et pour cause ; la concurrence fut et est toujours exceptionnelle, les trois monstres que sont Djokovic, Nadal et Federer se sont partagés la quasi-totalité des grands titres pendant plus d’une décennie, sans oublier les excellents Murray et Wawrinka qui ont su parfois tirer leur épingle du jeu.

Très peu de joueurs ont pu rivaliser avec eux et Kei fait partie de cette poignée, il a su les faire vaciller voire les faire flancher mais il n’a su le reproduire continuellement. Effectivement, bien qu’il ait des armes redoutables, face à des joueurs de ce calibre, ça ne suffit pas ! Il présente quelques faiblesses majeures, qu’on pourrait qualifier de fatales arrivé à un certain niveau d’adversité : son service ainsi que son manque de puissance, lesquels découlent de son gabarit assez moyen (1m78 pour 74kg). Les quelques joueurs cités plus haut mesurent tous aux alentours de 1m85, soit un peu plus, soit un peu moins et possèdent une belle musculature. Il est évident que ce n’est pas le seul critère qui les différencie, mais il est fort possible que cette caractéristique soit la fondation solide et parfaite qui permette une émancipation supérieure de la pratique du tennis. S’ajoute à cela un physique très fragile (une carrière constamment et tristement entachée par les blessures) et il n’a aucune chance face à eux, quelque soit la grandeur de son talent. 


L’essentiel n’est pas dans cette conclusion fataliste mais dans l’humanisme qui s’y cache. 

Roger Federer au sujet de sa rivalité avec Rafael Nadal : « Nous avons partagé tellement de moments forts sur et en dehors du court que nous avons noué une forme d’amitié. Plus nous vieillissons et plus je me rends compte de l’importance de “Rafa” dans ma carrière. Il restera toujours mon rival ultime. Et même si j’étais déjà numéro un quand il est arrivé, il m’a aidé à progresser, à devenir un meilleur joueur. »

L’adversité est un élément essentiel quant au dépassement de soi. Si tous ces grands joueurs n’avaient pas eu un niveau d’adversité aussi exceptionnel ils n’auraient certainement pas pu exploiter tout leur potentiel. Pour Aristote, cette adversité c’est aussi de l’amitié. Dans son ouvrage Éthique à Nicomaque il dit que pour « actualiser sa puissance », à comprendre comment exploiter tout son potentiel, il faut rencontrer une occasion de le faire. Pour lui, est un « ami » toute personne qui permet l’actualisation de cette puissance. Charles Pépin reprend quant à lui le concept d’Aristote en associant l’amitié à la relation joueur/entraîneur : « Lorsque vous avez un entraîneur qui permet à un joueur d’actualiser sa puissance, ce n’est en réalité pas lui qui apporte la puissance et qui développe l’autre, c’est plutôt la relation qu’il va instaurer avec l’autre qui va le développer. Autrement dit ce n’est pas l’entraîneur qui permet au joueur d’arriver à sa propre perfection mais c’est la relation qu’il sait instaurer avec le joueur qui va permettre son développement. »

Maintenant que nous savons comment arriver à notre plein potentiel, la question qui se pose est la suivante : quand savons-nous que nous progressons, que nous atteignons progressivement notre plein potentiel, quel est l’indicateur ? 

Encore une fois, Aristote répond de façon absolument géniale : selon lui ce qui va permettre de jauger un niveau, c’est le plaisir que la personne prend à l’acte. Le degré de compétence est donc directement proportionnel à l’intensité du plaisir. En conséquence, si vous travaillez par exemple votre coup droit sans plaisir, c’est que vous n’êtes pas encore parvenu au degré de compétence que vous souhaitez. Par contre si le geste est fluide, glissant avec allégresse, cela traduit forcément une sorte de satisfaction, de plaisir, et donc une certaine compétence. C’est peut-être ça le talent finalement, lorsque toutes les compétences sont acquises, lorsque le sentiment de plaisir prédomine le plus souvent le sentiment de frustration, lorsque l’entrave de l’immaîtrise laisse place à la liberté de la maîtrise, lorsque votre singularité peut enfin et pleinement s’exprimer.

© Antoine Couvercelle

Polar hitchcockien à Forest Hills

© Jean Lovera

Dans un train, les chaussures de deux hommes se frôlent. Guy Haines (Farley Granger), un champion de tennis, est ainsi abordé par un jeune oisif nommé Bruno Anthony (Robert Walker) qui lui dit connaître par la presse à scandales ses infidélités et sa passion pour Ann Morton (Ruth Roman), la fille d’un sénateur. Bruno propose à Guy un marché démoniaque : échanger des meurtres. Lui fera disparaître Miriam (Laura Elliott), l’encombrante épouse de Guy, lequel, à son tour, débarrassera Bruno d’un père qu’il déteste. En l’absence de mobiles personnels, les crimes pourraient ainsi être qualifiés de parfaits.

Guy refuse mais Bruno passe néanmoins à l’action et assassine Miriam sur une île, dans un parc d’attractions et, peu après, menace Guy de laisser sur la scène du crime un briquet qui l’incriminerait si ce dernier n’exécute pas sa part de contrat. Le briquet est gravé « A to G » et orné de deux raquettes entrecroisées. Pour se disculper, Guy, surveillé par la police, doit absolument récupérer le briquet avant la fermeture du parc. Mais avant cela il doit terminer rapidement la finale qu’il joue à Forest Hills… Filmé par Hitchcock, ce match est l’apogée du suspense. Les plans montrant Guy, essayant de gagner tout en regardant l’horloge, et ceux de Bruno, se rendant sur l’île pour y déposer le briquet, se mêlent et s’enchaînent.

Finalement, Guy parvient à gagner, s’enfuit du stade en tenue de tennis et retrouve Bruno sur l’île. Ils se battent sur un manège et Bruno meurt écrasé par le manège devenu fou. Au moment de mourir, Bruno ouvre sa main : le briquet en tombe.

Inspiré par le roman de Patricia Highsmith Strangers on a Train (1950), Alfred Hitchcock réalise magistralement son adaptation en exaltant notamment le suspense grâce au match de tennis. Le film sort en 1951 et s’intitule en français l’Inconnu du Nord-Express. Pour tout joueur de tennis, devoir terminer un match dans un temps déterminé – sans le « balancer » – constitue certainement l’angoisse maximale. Hitchcock utilise la dramaturgie du jeu pour amplifier celle du film. Il dit à ce propos : « De Guy, nous fîmes un champion de tennis au lieu d’un architecte, ce qui nous permit de matérialiser l’idée de l’échange sous la forme d’une balle qui va et vient d’un joueur à l’autre. » La succession des plans de phases de jeu – points gagnés, points perdus – et de ceux montrant la foule, l’horloge, l’arbitre et le visage tendu de Guy fait croître la tension aux limites du supportable.

Hitchcock révèle, grâce au film, la singularité du stade du West Side Tennis Club de Forest Hills. Les joueurs tout d’abord, semblent perdus au milieu du terrain, isolés des spectateurs, tant l’espace en forme de fer à cheval est vaste – trois courts peuvent être aménagés dans l’aire centrale ; pour les finales, seul le court du milieu est utilisé. Les tribunes sont surmontées de grands aigles en pierre. Une petite tribune bâchée d’une toile rayée vert et blanc ferme le côté ouvert du U et donne au grand stade une ambiance très décalée de « partie de campagne ». Enfin, tout autour des courts, de grands murs sont percés de baies vitrées à impostes en plein cintre. Tous ces éléments sont filmés par Hitchcock et contribuent au malaise ambiant en renforçant l’idée que ce n’est pas seulement un match de tennis qui se joue, mais une sorte de drame. Les spectateurs du match et ceux du film assistent au supplice de Guy. De nombreux longs métrages ont représenté le tennis en valorisant le plus souvent le thème de l’échange mais l’Inconnu du Nord-Express met en scène toute la dramaturgie du jeu de tennis fondée sur son système de décompte de points. Hitchcock a dédoublé le suspense en fixant le nœud de l’intrigue sur le seul fait qu’un match de tennis n’a, en théorie, pas de limite de temps. Il fait de Guy un héros prométhéen qui, supplicié, lutte contre le temps et se révolte. Le génie du réalisateur fut d’en faire un champion de tennis et d’avoir choisi cette étrange arène ! 

 

Article publié dans COURTS n° 6, automne 2019.

Les virtuoses de Wilson à l’US Open

© Wilson Sporting Goods
High resolution images from the historical covers of Wilson Catalogs

Les marques de raquettes de tennis à succès se comptent sur les doigts d’une main. Parmi elles, Wilson occupe une place majeure. À la faveur de champions et de raquettes d’exception, la marque américaine a multiplié les coups d’éclat, à New York notamment. Flashback sur les heures de gloire de Wilson à l’US Open depuis 1968.

© Jean Marc Pochat/Presse Sports

Pete Sampras et la Pro Staff Original : un duo légendaire

Connaissez-vous l’île de Saint-Vincent, située dans l’archipel des Grenadines au sein des Petites Antilles ? A priori plus réputée pour son sable fin, ses eaux translucides et ses facilités fiscales que pour son histoire tennistique. Et pourtant, ce micro-territoire de 346 km2 a joué un rôle essentiel dans la carrière de Pete Sampras. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’île est le seul endroit au monde où la Wilson Pro Staff Original 6.0 utilisée par Pistol Pete a été fabriquée. Sampras joua exclusivement avec les modèles de la Pro Staff produits dans les Antilles. Non seulement il ne changea jamais de raquette, contrairement à la tendance actuelle, mais il tenait en plus à recevoir toutes ses Pro Staff précisément de l’île de Saint-Vincent. L’usine de l’île est désormais fermée mais la Pro Staff a survécu, s’améliorant même au fil des upgrades de ces vingt dernières années.

Imaginez que c’est entre les mains de ce jeune Américain fluet et timide de 19 ans que la Pro Staff a conquis ses premiers succès sur le sol new-yorkais. En 1990, Sampras remporte l’US Open à la surprise générale et enchaine des victoires de prestige face à Ivan Lendl, John McEnroe et André Agassi pour devenir le plus jeune vainqueur de l’histoire du tournoi. Il frappe les esprits par son service diabolique, ses volées incessantes et son calme olympien. Big Mac souligne d’ailleurs après sa défaite que Pete était « aussi froid qu’un concombre». Après  Ice-Borg, un nouveau phénomène impassible est né… Quelques années plus tard, il démontrera que, sous la carapace, d’intenses émotions pouvaient éclater au grand jour.

Le hard court rapide de Flushing Meadows convient parfaitement au jeu offensif de Sampras. Il décroche ainsi quatre autres trophées à New York. En 1996, Pete dispute un match d’anthologie contre Alex Corretja. Perclus de crampes d’estomac dans le tie-break du 5e set, il vomit sur le court. Épuisé, titubant entre les points, menacé de disqualification par l’arbitre pour dépassement de temps, il doit même sauver une balle de match pour finalement emporter la timbale. Six ans après, en 2002, Sampras clôture sa carrière de façon étincelante. Tout avait commencé pour lui sur le ciment new-yorkais en 1990… et tout s’achève au même endroit, face au même adversaire, le rival de toujours que fut André Agassi. À la clef cette fois, un ultime triomphe en Grand Chelem. 

Le brillant quintuplé de Sampras à l’US Open n’aurait probablement pas été possible sans son instrument de prédilection, sa baguette à aces qu’était la Wilson Pro Staff Original 6.0. La Pro Staff, lancée dans les années 80, est une raquette révolutionnaire avant qu’elle ne devienne mythique. Elle octroie davantage de puissance à condition de frapper la balle avec une précision chirurgicale. Seuls les joueurs exigeants et de haut niveau sont à même d’exploiter tout son potentiel. Mais quasiment tout joueur dans les années 80 et 90 est attiré et essaie la raquette. C’est presque du fétichisme !

La Pro Staff a un profil très caractéristique. Elle est composée tant de graphite que de kevlar, afin d’obtenir un juste équilibre entre la puissance et le contrôle de la balle. Dotée d’un poids important (357 g), quoiqu’il s’agisse de la norme à l’époque, et d’un petit tamis de 85 square inch (ou 548 cm2), son sweet spot est très étroit. Chaque frappe de balle doit donc être parfaitement centrée pour que la raquette puisse donner sa pleine mesure. Elle ne pardonnait dès lors aucune erreur à l’impact de la balle. De plus, seul un swing complet en coup droit et en revers permet de donner de la puissance à la balle. Les petits mouvements, faute d’efficacité, sont par conséquent bannis. 

Pete magnifie la Pro Staff. Il personnalise cette raquette d’anthologie et la rend encore plus difficile à jouer qu’elle ne l’était déjà, ajoutant quelques grammes à sa raquette via des bandes de plomb situées à 3h et 9h du cadre. La tension de son cordage est en outre particulièrement élevée, jusqu’à 37 kg, entrainant souvent de nombreuses ruptures de cordes pendant un match. Classique et élégante, la Pro Staff de Pete est restée dans les annales.

La victoire de Sampras en 90 s’inscrit dans une longue série de succès de Wilson. Plus de vingt ans auparavant, la firme de Chicago inaugurait déjà son palmarès new-yorkais à la faveur du premier US Open ouvert aux joueuses et joueurs professionnels.

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La Chris Evert Autograph : le succès et la grâce

En 1968, Arthur Ashe glane à Forest Hill le premier titre de Wilson de l’ère Open. Sa raquette en bois, dénommée la Tony Trabert Autograph, lui permet d’accumuler les points gagnants sur le gazon de l’époque. Très lourde, elle facilite toutefois le contrôle des frappes à plat d’Arthur Ashe. 

Après Stan Smith en 1971, et à la même époque que John McEnroe qui gagne le titre en 79 et 80 avec une Jack Kramer Autograph, Chris Evert fait entrer Wilson dans l’histoire du tennis féminin. Durant les années 70 et 80, elle brille de mille feux à l’US Open avec une Chris Evert Autograph en bois. Sur le court, aussi gracieuse qu’indifférente à la pression, the Ice Maiden impressionne et enchante les messieurs comme les dames. Son revers à deux mains, l’un des premiers du genre chez les femmes, prend de vitesse la majorité des joueuses. Au sommet de son art, elle remporte six couronnes à l’US Open entre 1975 et 1982.

En fin de carrière, Chris Evert est séduite par la Pro Staff 6.0 85 et atteint la finale de l’US Open en 1984. Performance singulière dont Chrissie peut se targuer : durant ses 19 années chez les pros, la joueuse de Boca Raton n’a jamais occupé un rang inférieur à la 4e place mondiale. Incarnation de la régularité et du talent, elle atteint 54 demi-finales de Grand Chelem sur les 56 tentatives qui jalonnent sa carrière légendaire. Un record inouï parmi tant d’autres… 

© Presse Sports

Jimmy Connors et la T2000 : une raquette trampoline en acier

Jimmy Connors met la « marque au W » sous le feu des projecteurs new-yorkais. Il gagne 5 titres entre 1974 et 1983… sur trois surfaces différentes : gazon, terre battue et ciment ! Face à un Ken Rosewall en fin de carrière, il survole la finale de 74 en 1h18 minutes : 6-1, 6-0, 6-1. Il s’agit encore aujourd’hui de la finale de Grand Chelem la plus courte en temps et en jeux. 

Armé d’une autre raquette légendaire, la Wilson T2000, Connors traverse avec succès les époques des raquettes en bois et en graphite. Sa Wilson en acier inoxydable lui offre suffisamment de puissance pour exprimer son jeu agressif. La particularité de la T2000 réside également dans la manière surprenante par laquelle le cordage est relié à la raquette. Les joncs, ces minuscules ouvertures destinée à donner assise et régularité à la fixation du cordage, ne sont pas utilisés. Seule une structure de fil d’acier recouvre le cadre et retient en suspension l’ensemble des cordes. C’est pour le moins détonnant. Le résultat est également étrange : le cordage produit un effet trampoline lors de l’impact de la balle, rendant le contrôle de celle-ci extrêmement compliqué. Elle en devient l’ennemie des joueurs du dimanche. 

Connors joue bien quelques mois avec la Pro Staff Original 6.0 en 1984, mais il retourne ensuite à l’iconique raquette métallique. Pour la petite histoire, la T2000 est au départ une invention de René Lacoste dans les années 50. Wilson achète les droits du modèle inédit avant que Jimmy n’en devienne l’unique ambassadeur. Dans les mains de « Jimbo », elle acquiert ses lettres de noblesse.

La romance entre Wilson et l’US Open se poursuit dans les années 90 et 2000, avec une succession de victoires, tant chez les femmes que chez les hommes. Stefan Edberg et Roger Federer, ainsi qu’une série de championnes, continuent de hisser la marque américaine au sommet à New York.

© Bob Thomas/Getty Images

Stefan Edberg et la Pro Staff Classic : le jeu de l’apparence

Muni d’une Pro Staff Classic 6.1, Stefan Edberg enchaine deux titres d’affilée à New York en 91 et 92. Lui aussi très stoïque, le Suédois possède une esthétique extrêmement propre et efficace qui en fait un des meilleurs volleyeurs de tous les temps. Sa gestuelle au service est très ample et son kick incisif lui permet de se présenter au filet dans les meilleures conditions. Son revers à une main, éblouissant d’envergure, d’élégance et de polyvalence, est aussi une arme décisive sur le ciment américain.

Lors de ces deux éditions, Edberg joue avec une Pro Staff en apparence bien distincte de celle de Sampras. Elle est bariolée de rouge et jaune en différents endroits. Son nom commercial n’est pas la Pro Staff Original mais bien la Pro Staff Classic. Si son tamis est censé être plus large, à savoir 90 square inch (612 cm2), Stefan utilise en réalité exactement la même raquette que Pete. Seule la touche légèrement plus moderne de la raquette à travers les couleurs vives est différente de la Pro Staff Original. C’est un secret de polichinelle pour les collègues d’Edberg, mais pas pour le grand public…

© Al Bello / Getty Images

Roger Federer et Wilson : une fidélité gagnante

Après avoir commencé sa carrière avec la Pro Staff de Sampras, Roger change rapidement de modèle et joue par la suite avec différentes raquettes. Mais la marque reste la même. Fidèle à Wilson, il signe un life agreement avec la firme américaine en 2006 et c’est donc avec Wilson qu’il gagne cinq trophées d’affilée à l’US Open. En 2009, la série record s’interrompt et il s’incline en finale face aux coups de boutoir d’un autre champion maison, l’Argentin del Potro.

Les changements de raquettes de Fed impliquent principalement de légères évolutions plutôt que des révolutions. Les seuls ajustements notables sont liés à l’agrandissement du tamis : de 85 square inch à 90 square inch en 2001, il passe ensuite à 97 square inch (626 cm2) en 2014. Cette dernière innovation est la plus significative. En effet, à la suite d’une annus horribilis en 2013, Roger travaille avec Wilson afin d’améliorer en profondeur sa raquette. Il souhaite un instrument plus puissant, un tamis plus large et un cadre plus épais. La Wilson Pro Staff Roger Federer Autograph 97 voit ainsi le jour et mènera le Suisse à de nouvelles consécrations en Grand Chelem.

© Hugues Dumont

Les championnes de Wilson : une domination implacable

Entre 1998 et 2015, Wilson occupe le firmament du palmarès du tournoi féminin de l’US Open. De Lindsay Davenport à Flavia Pennetta en passant par Justine Henin et les sœurs Williams, les joueuses bénéficiant des raquettes de la marque américaine s’imposent à 12 reprises en simple dames. Une hégémonie quasiment sans partage. 

Au-delà du talent de ces joueuses, la raquette est personnalisée au maximum afin de s’adapter au jeu de chaque championne. Par exemple, la Wilson Hyper Hammer 5.3 de Justine Henin pèse seulement 290 grammes. Ce poids plume permet à la Belge d’imprimer beaucoup de vitesse à la balle sans trop d’effort. Serena Williams, en revanche, est davantage en quête d’une raquette qui l’aide à dompter sa puissance de fond du court. Les différents modèles élaborés par Wilson pour Serena, tel que les Hammer ou les Blade, remplissent parfaitement cette fonction. La plus jeune des Williams sisters occupe aujourd’hui une place singulière au panthéon de l’histoire du jeu. Avec 23 trophées du Grand Chelem, elle est la joueuse la plus titrée de l’ère Open, hommes et femmes confondus. Elle est même la seule championne à remporter 10 tournois du Grand Chelem dans deux décennies différentes. Stupéfiant ! 

Avec la complicité des joueuses et des joueurs, les modèles se sont progressivement renouvelés. Plus légers et modernes, donc faciles à maîtriser, ils ont ouvert la voie à une nouvelle tendance. Les icônes de Wilson sont cependant restées longtemps fidèles à des raquettes emblématiques telles que la T2000 ou la Pro Staff. Au point que de chaque Wilson émane, encore aujourd’hui, un parfum new-yorkais de victoire. 

 

Article publié dans COURTS n° 2, été 2018.