Break Point
Par Myriam Bouguerne
Comme dans Drive to Survive, les caméras du docu-série Break Point sont pointées sur les athlètes et le scénario suivi explore leurs pressions quotidiennes, leurs faiblesses, mais aussi leurs motivations et leurs forces à travers certains tournois majeurs de l’année 2022.
Il ne faut pas s’attendre à du arty façon The French ou du consistant à la HBO, la série est évidemment formatée à la Netflix. Rythme filmique soutenu, séquences au ralenti façon blockbusters et mécanique bien huilée basée sur un algorithme savamment étudié. Le ton est introspectif et légèrement romancé, axé sur les joueurs/ses et leurs ressentis et non pas sur le jeu. Le docu flirte parfois avec les codes de la télé-réalité. Ce qui ne fait que confirmer que la cible principale des producteurs est le jeune public plus ou moins néophytes.
L’angle adopté est effectivement celui de l’intime et de la vulnérabilité. On est, de façon très privilégié, plongé dans les coulisses du monde tennistique. Alors que ce genre d’images se font rares, nous avons droit, ici, à des discussions et des moments très privés d’avant ou d’après-match. Des moments de doutes extrêmes très touchants, c.f. Ajla Tomljanovic qui, complètement dépitée après une lourde défaite, confie à son équipe que ce sport la fait tellement souffrir qu’elle en arrive à remettre toute sa carrière en question au point de songer à l’arrêter.
La santé mentale, longtemps tabou dans le monde du tennis, est de plus en plus ouvertement abordée. Sans être aussi doctement disséquée que dans l’excellent Breaking Point, le documentaire Netflix sur l’Américain Mardy Fish, elle est évoquée ici à plusieurs reprises. Notamment dans le premier épisode centré sur Nick Kyrgios mais aussi celui avec Paula Badosa. La joueuse espagnole, bouleversée, nous révèle au cours d’une réunion avec sa team qu’elle se bat contre des états dépressifs depuis de longues années.
L’épisode 2 est mon préféré. On en apprend davantage sur Matteo Berrettini, son histoire et sa personnalité. Son humilité, sa timidité, son charme et son naturel illuminent l’écran et émeuvent, d’autant plus lorsqu’on le voit en Italie avec sa famille. Beaucoup de tendresse.
On y suit en parallèle le parcours de sa petite amie de l’époque, Ajla Tomljanovic, lors de l’Open d’Australue. Chose intéressante puisqu’on y apprend davantage sur les avantages et les inconvénients d’une relation amoureuse entre tennisman et tenniswoman.
Le court passage sur Rafael Nadal dans le même épisode est à mon sens le moment de grâce du documentaire. Introduit par Kyrgios (lol) qui le compare à un dieu, magnifier par le choix des images, les angles avantageux et les ralentis… On croirait voir une apparition divine – chargée d’histoire et d’un fort pouvoir orgasmique. Plus globalement, le charisme et la pertinence des champions apparaissant furtivement apportent du relief, avec tout particulièrement les passages “punchlinesques” de Maria Sharapova.
« Même les champions qui quittent le court après une défaite se demandent s’ils sont assez bons, lâche, par exemple, la Tsarine. Mais il faut affronter ce sentiment. C’est l’intérêt de ce sport. Une recherche constante. On veut savoir qui on est, jusqu’où on peut aller. »
Les créateurs ont intelligemment utilisé les différents acteurs secondaires : Maria Sharapova et Andy Roddick, les vieux sages. Rafa Nadal, personnage mystique, mi homme, mi dieu, dans l’ombre, il finit par prendre toute la lumière et devenir un personnage central. Même l’entraîneur Patrick Mouratoglou qui n’apparaît que trente secondes dans l’épisode 5 fait mouche (en la prenant) en taclant sans vergogne tonton Toni Nadal (pour changer). Sûrement la séquence la plus piquante de la série.
Le mordant (et la polémique) est indéniablement ce qui avait le plus contribué au succès de Drive to Survive avec la mise en avant des tensions entres pilotes et leurs (parfois exagérées) rivalités. En manque-t-il généralement dans le tennis pour en jouer ou n’ont-ils pas voulu en jouer ? Ou peut-être s’agit-il simplement de paresse scénaristique ?
Il y a évidemment quelques défauts, notamment le travail de contextualisation qui est un peu fainéant : on ne parle pas de la blessure de Nadal lors de la finale d’Indian Wells, on n’explique pas les nuances essentielles sur la question de l’égalité salariale… Ou encore, dans l’épisode 2 sur Ajla Tomljanovic, quand on présente Paula Badosa, sa future adversaire, on nous informe que l’Espagnole vient de gagner le tournoi précédent sans nous préciser qu’elle a éliminé l’Australienne dans la foulée.
Autre bémol : la mauvaise traduction des sous-titres. Un fait assez symptomatique de la plateforme Netflix. Ça aurait pu être anecdotique s’il s’agissait seulement de quelques fautes de frappe, malheureusement elles sont bien plus problématiques. « Roland » écrit avec deux « l », le nom des joueurs est écorché, on confond parfois également quelques règles du jeu essentielles du tennis. Des petits détails qui peuvent embrouiller le public peu connaisseur qu’on veut initier à ce sport – détails qu’on espère réglés dans les prochains épisodes.
Malgré ça et le caractère parfois monotone et répétitif de certaines séquences, je trouve le résultat plutôt satisfaisant mais aussi intéressant et novateur dans l’angle d’approche et dans le traitement égalitaire hommes/femmes. Conclusion : même si la série est construite et calibrée pour séduire les néophytes, je conseille aussi Break Point aux adeptes du tennis, ne serait-ce que pour découvrir un bon nombre de révélations inédites d’athlètes qui ne sont habituellement pas mis en avant.