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Aux enfants de la chance

© Daniel Deladonne

À en croire Marvel et mon neveu de 9 ans qui ne manque pas une seule aventure de Spiderman, nous vivons dans un multivers, c’est-à-dire une constellation d’univers superposés dans lesquels nous évoluons cahin-caha, inconscients de notre multitude parallèle, peu enclins à penser qu’il existe, dans d’autres dimensions plus heureuses, de meilleures versions de nous-mêmes. Nul doute que, dans cet infini des possibles, il est une planète où Grigor Dimitrov a pleinement réalisé son potentiel ; j’irais même jusqu’à penser que, pas loin de la nôtre, il existe une Terre sur laquelle des tennismen français réussissent à gagner des Grands Chelems. Et tant qu’à être sur cette lancée, je mise mon polo en lycra anti-transpirant que, dans certains univers, tous les futurs champions de tennis bénéficient dès leur jeune âge d’un accompagnement à la hauteur de leur potentiel avec la bienveillance, l’engagement et l’environnement familial adapté à la concrétisation d’un projet professionnel un peu fou quand on est encore un enfant. 

Il faut dire qu’en la matière, la seule planète dont on mesure la gravité sur la balance n’est pas tout à fait à la hauteur des attentes. Les lecteurs réguliers de Courts connaissent désormais bien Edge, qui nous permet de vous faire découvrir les coulisses du monde du tennis, et dont le modèle d’accompagnement familial et plurisectoriel porte peu à peu ses fruits, en témoignent les résultats remarquables depuis des années de leurs protégées dans les catégories « Junior » et désormais chez les « Pro ». Eh bien, figurez-vous que, sans attendre l’hypothétique avènement d’une convergence des multivers, la structure s’est mise à accompagner de jeunes ados dans l’idée de les porter vers le haut niveau. Or, qui dit enfants dit familles, qui dit familles dit délicatesse et qui dit délicatesse, semble-t-il, dit Edge. 

© Daniel Deladonne

Détecter autrement

Guillaume Ducruet, agent et manager chez Edge en plus d’être le père d’un jeune joueur prometteur, résume assez bien le problème de la détection des jeunes enfants : « Les fédérations tendent souvent à faire leur choix en fonction des résultats quand elles recrutent leurs futurs joueurs. Or, à 13 ou 14 ans, il existe un vrai différentiel biologique entre les jeunes joueurs, notamment chez les garçons. Il est évident qu’un garçon de 14 ans qui mesure plus de 1,80 mètre et dont la croissance est terminée aura d’excellents résultats à son âge (ndlr : COURTS Magazine avait d’ailleurs publié un article très intéressant à ce sujet en prenant l’exemple emblématique de Julien Maigret) ; mais cela ne doit pas exclure les autres enfants qui ont d’autres qualités et atteindront leur plein potentiel athlétique plus tard. Sans l’œil expert de certains techniciens, ce processus aurait pu remettre en cause la carrière de jeunes joueurs à maturité physique lente, comme David Goffin ou Pierre-Hugues Herbert qui a d’ailleurs profité du double pour progresser au classement à l’adolescence… »

En Europe, il faut compter jusqu’à 50 000 euros par an pour mettre en place puis maintenir un projet sérieux de professionnalisation, entre les déplacements, le matériel, les entraînements, etc. D’où la nécessité de trouver une structure à même de soutenir la famille qui porte le projet, rôle traditionnellement dévolu aux Fédérations, alors que dans les pays de l’Est, les prétendus « mécènes » privés sont souvent la seule solution. Mais ils attendent des retours sur investissement… et ne se gênent pas pour les réclamer de manière musclée. 

De là, trois types de profils émergent chez les apprentis champions et leur famille : les privilégiés, façon Gulbis, qui peuvent se permettre de financer un projet fou sans certitude de retour sur investissement ; les débrouillards, façon Herbert, qui s’appuient sur leur réseau pour récolter de l’argent auprès des entreprises, des sponsors et des collectivités ; les autres, voués à l’abandon ou tenus de rembourser les sommes qu’ils réussiraient à réunir, quitte à ce que ce remboursement soit demandé avec l’amabilité d’un Makarov sur la tempe. 

Et bien sûr, il y a Edge : « Chez Edge, nous travaillons sur du temps long. Nous suivons chaque enfant de tournoi en tournoi, examinons tous les compartiments de son jeu, sa combativité, son envie, son mental, sa technique, son physique, tout comme l’attitude et le comportement en dehors du court, et nous rencontrons les parents… Quand nous sommes convaincus (en cas d’accord avec la famille) et prêts à investir nos ressources (aussi bien financières qu’humaines) en tant que partenaires à long terme, c’est donc sur la base de fortes convictions. Le processus de recrutement, dans lequel les différents experts de Edge interviennent dont Rick Macci, peut, selon les cas, prendre parfois plus d’un an ! Surtout que le déficit physique, chez ces jeunes joueurs, peut les conduire à développer des qualités de coup d’œil, de déplacement, d’endurance, qu’ils conserveront une fois leur croissance terminée. »

À la différence d’autres structures du même type, Edge propose un format d’accompagnement plus souple, qui peut s’apparenter au fonctionnement d’une fondation puisque rien n’oblige les familles à rembourser l’argent investi avant éventuellement que l’athlète n’atteigne le plus haut niveau ; ainsi, si le joueur décide par exemple d’aller dans une université américaine plutôt que de passer pro, la famille ne doit rien à l’agence. Face au multivers des offres, ce format, mêlé à la diversité des aides apportées par Edge, convainc bien souvent les joueurs et leurs proches. 

 

Un accompagnement total

Inutile de revenir dans le détail sur les prestations proposées par Edge : stages chez et avec Rick Macci en Floride, personnalisation des raquettes via Dieter Calle, accès à la statistique auprès de Fabrice Sbarro, solutions d’hébergement, préparateurs physiques dédiés, partenariat avec des Fédérations, bases d’entraînement à travers le monde, aide à l’obtention de visas et de Wild Cards… L’originalité est de proposer cet accompagnement dès le plus jeune âge pour que les futurs pros maximisent rapidement leur potentiel. Parce que l’idée est quand même d’aider ces jeunes passionnés à devenir forts, très forts même. Si forts d’ailleurs que Rick Macci, après avoir vu Sofiia Bielinska, 11 ans, jouer, a commencé à crier sur tous les courts qu’il n’avait jamais coaché une fille avec un potentiel pareil depuis les sœurs Williams il y a 30 ans. En même temps, cela peut se comprendre compte tenu de son parcours…

© Daniel Deladonne

Sisi la famille

Sofiia est ukrainienne, fille d’une ex-joueuse au modeste parcours pro. Après des débuts prometteurs, comme lors du tournoi Futures Stars d’IMG en 2021 (elle avait 10 ans et après avoir battu plusieurs participantes plus âgées, avait joué en double mixte face à Alcaraz), elle s’est vu proposer un contrat typique des grandes agences historiques. Sauf qu’il se serait agi de quitter l’Ukraine pour les USA et d’être séparée de sa mère, Olga, alors qu’elle ne parlait pas un mot d’anglais. Un refus et une invasion russe plus tard, voici Sofiia, sa mère, sa grand-mère et le chien (ne manquent plus que la reine et le petit prince) qui fuient l’Ukraine pour la Lettonie, quasiment sans ressource. 

Edge, averti de la situation, commence à aider bénévolement la famille par pur esprit solidaire afin de permettre à la petite de continuer à s’entraîner. Le temps aidant, des liens d’amitié et de confiance se tissent entre la famille et la structure, qui débouchent sur la signature d’un partenariat avec des engagements à long terme. En novembre dernier, Sofiia et sa famille ont ainsi pu rejoindre la Floride où la petite a disputé l’Orange Bowl et où, depuis, Rick Macci l’entraîne personnellement et quotidiennement. 

La famille a choisi de revenir fin avril sur le Vieux Continent pour quelques mois afin que Sofiia puisse participer aux tournois « Tennis Europe ». Ils sont du coup tous hébergés sur le bassin d’Arcachon dans la propriété d’un des Partenaires Fondateurs de Edge.

Ce fonctionnement familial a d’autant plus d’importance que s’occuper de jeunes enfants implique aussi de s’intégrer au sein des familles et de créer du lien commun. Comme l’explique Daniel-Sacha Fradkoff, co-fondateur de Edge : « Nous passons beaucoup de temps avec les familles avant de prendre des décisions, car nous avons besoin d’être certains que nous allons collaborer avec des personnes “Ra-Re” : Raisonnables /  Rationnelles – Reconnaissantes / Respectueuses. C’est à la fois une nécessité pour nous, en tant que partenaires pour qui l’aspect humain du projet est primordial, mais aussi pour les jeunes joueurs, car c’est l’assurance qu’ils seront équilibrés dans leur vie. »

Tout le monde a donc intérêt à ce que les parents ne soient pas fous, ce qui s’entend bien. Mais l’idée va plus loin, puisque cette convergence des valeurs a également vocation à créer un team spirit, comme on dit sur LinkedIn. En Floride, Sofiia et sa famille ont partagé un appartement avec David Cercel, autre jeune prodige de la bande d’origine roumaine, et sa mère Alina (elle-même ex-joueuse pro, actuelle capitaine de Fed Cup -BJK- et convaincue par la méthodologie de Edge). Barrière absolue de la langue et notions d’anglais très très approximatives côté Ukrainien. Cela n’a pas empêché les deux familles de se rapprocher et les jeunes enfants de réaliser ensemble de A à Z un gâteau pour l’anniversaire de Rick Macci, à croire que le sucre, plus encore que la musique, a valeur de langage universel. Cette logique d’entraide est au cœur du projet. C’est une question de valeurs, bien évidemment, mais pas uniquement. Une vie de tennisman semi-pro puis pro, c’est une vie de nomade. Pas d’école fixe, pas d’ancrage réel, des amis toujours loin… Cette camaraderie est cruciale pour le bien-être de l’enfant, au même titre que de savoir que ses parents sont associés au projet. 

Et pour les parents, il n’en va pas autrement. Ainsi Theo, le père du petit David (qui était pendant une douzaine d’années le préparateur physique de Simona Halep jusqu’à l’été 2022 et l’arrivée de Patrick Mouratoglou), qui aide volontiers bénévolement d’autres jeunes de Edge dès qu’il en a l’occasion.

 

Les parents, ces solitudes agrégées

Accompagner un enfant sur ce chemin de la professionnalisation, c’est parfois très dur pour les parents qui peuvent se retrouver isolés socialement. D’une part, quand il faut se lever tous les dimanches matin et faire de la route pour accompagner ses enfants à un tournoi qui n’est pas tout à côté, cela empêche de se rendre aux dîners où l’on est invité. Mais surtout, c’est un projet qu’il faut vivre pour pouvoir se le représenter et la plupart des gens projettent des idées fausses. Entre ceux qui pensent que c’est un caprice parental subi par le gamin et ceux qui voient derrière cette volonté d’accompagner un enfant dans sa passion une manifestation de prétention, on peut se retrouver coupé du monde. D’où aussi l’importance d’avoir une unité familiale forte tout comme de pouvoir échanger, partager.

Cette logique d’entraide se concrétise parfois très clairement, comme lorsqu’un autre jeune joueur de Edge, Daniil Valter, 12 ans, Russe vivant en Serbie, est allé jouer un tournoi junior en Roumanie. Il est arrivé sur place une dizaine de jours plus tôt et a alors été hébergé par la famille de David, son homologue roumain pré-ado comme lui, avec qui il partage par ailleurs une passion commune pour les Lego. Doubles, entraînements communs avec un des coachs envoyés par Edge pour l’occasion, vie de famille loin de sa propre famille et sans doute beaucoup de constructions en briques de plastique. Une certaine idée de la normalité et du bien-être. 

Car pour les parents comme pour le climat, il n’y a pas de planète B. Si les entraîneurs passent, leur enfant, lui, est unique. Une fois le projet échafaudé, difficile de revenir dessus sans avoir l’impression de renoncer, de décevoir. Se savoir partie intégrante d’une communauté change tout au problème.

Une communauté réunie autour de valeurs d’entraide et qui sait qu’au bout de l’aventure leurs enfants ne seront pas tout à fait pareils aux autres enfants. À force de voyager, de discuter dans toutes les langues, de porter sur leurs épaules la réussite d’un projet dans lequel leurs parents ont investi du temps, de l’argent et de l’énergie, les jeunes joueurs développent des aptitudes qui ne s’apprennent pas en cours d’Éducation civique à l’école. Ils apprennent des langues, découvrent prématurément le pouvoir de la résilience, le goût de l’effort, l’abnégation, la solitude et la débrouillardise. Autant de qualités d’adultes bien utiles dans le monde du travail et qui leur ouvrent les portes de grandes universités américaines, bourses à l’appui. 

Et pour s’assurer que toutes ces qualités développées très tôt conviennent à l’enfant, il est incontournable d’intégrer les parents dans le dispositif. D’autant que ce sont eux qui ont les codes Disney+ grâce auxquels, après une bonne journée d’entraînement et un match gagné, les gamins pourront se régaler du Spiderverse. 

Parce qu’ils restent malgré tout des enfants, même s’ils nous mettraient une déculottée sur le court. 

 

Article publié dans COURTS n° 14, printemps 2023.