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« Au touchtennis, tu peux être Roger Federer ! »

© touchtennis.com

Enfants, les plus fougueux et moins disciplinés d’entre nous se laissaient parfois aller aux poussées d’adrénaline en bravant les règles du foyer familial pour jouer à la balle à l’intérieur de la maison. Transgression menant, plus ou moins régulièrement selon l’habileté de chacun, à l’accident suprême : le bris d’un vase. De quoi mériter une punition redoutée, aimable épée de Damoclès avec laquelle il était presque jouissif de flirter. Mais, à moins de parents dignes d’être interprétés dans Mindhunter, nul n’eut jamais le crâne fendu pour autant. Pourtant, il fut un temps où la dégradation d’un tel objet pouvait valoir un énorme coup de francisque sur la caboche – « Souviens-toi du vase de Soissons ! » Époque à laquelle cette cité trônait en tant que glorieuse capitale de la France. Ou plus exactement du Royaume des Francs. Déchue de ce statut en 508 ap. J.-C., Soissons n’est aujourd’hui « qu’une » sous-préfecture de l’Aisne. Néanmoins, dans un domaine, elle est redevenue capitale française. 

Emeric Démottié ne descend pas de la dynastie des Mérovingiens. Toutefois, comme Clovis, il a fait de sa ville une place-forte. Celle du touchtennis français. « Le quoi ?! », vous ois-je vous questionner. LE TOUCHTENNIS ! Cette version miniature du tennis dont les compilations de hot shots peuvent atteindre plusieurs millions de vues sur les réseaux sociaux. S’il en est encore à ses premiers pas dans l’Hexagone, ce sport se jouant sur un court de 12 x 5 mètres – 6 mètres en double – avec des raquettes de 21 pouces et une balle en mousse connaît un très beau succès en Angleterre. Son berceau. Là où il naît, en 2002, dans un jardin afin de divertir une petite fille. Celle de Rashid Ahmad. Puis, celui qui approche aujourd’hui la cinquantaine joue aussi avec des amis. De plus en plus d’amis. Au point de finir par organiser une compétition. « Nous avons fait le premier tournoi officiel en décembre 2007, la première Masters Cup, nous précise le père du touchtennis. Chose impensable pour moi, j’ai perdu en finale (rires) ! Alors, comme je voulais ma revanche, j’ai organisé d’autres tournois. Ainsi, un circuit est né et, petit à petit, il est devenu de plus en plus grand. »

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Pour divertir une petite fille ; ainsi naquit le touchtennis

Notamment grâce au potentiel viral des partages sur Internet. « On a commencé à publier des photos via Facebook et YouTube (Instagram n’existant pas encore), ajoute celui qui aime jouer de son personnage d’autoproclamé G.O.A.T. Les gens voyaient ça et m’écrivaient en disant : “Je peux te battre.” Alors je leur répondais : “O.K., venez tenter votre chance.” J’ai même eu deux étrangers qui sont venus chez moi. Je ne savais pas qui ils étaient. Je les ai laissés entrer et jouer. » Et, pour faciliter la croissance de son bébé, l’hospitalier Rashid Ahmad pense à un concept basique. Les idées les plus simples sont souvent les meilleures. « L’instauration du classement (dès 2007), a été un pas énorme pour l’évolution du touchtennis, explique-t-il. Parce que tout le monde voulait savoir jusqu’où il pouvait aller. » L’hameçon est lancé dans la marre des compétiteurs. « Nous rencontrions tout le temps des gens qui disaient : “Je veux être le numéro 1 mondial de touchtennis.” Encore aujourd’hui, on en voit sans arrêt (rires). »

La chose n’est pas si aisée. Certes, la progression est plus rapide qu’au tennis, mais quelques règles diffèrent. Par exemple, seul un service est autorisé. S’il est manqué, le point est perdu. En outre, une fois la balle lancée, le serveur est obligé de la frapper. « Nous ne tolérons pas ceux qui s’y reprennent à 10 fois avant d’engager », est-il écrit dans le règlement officiel parsemé d’humour. Les matchs se disputent en deux manches gagnantes, trois en Grand Chelem, de quatre jeux. Point décisif à 40/40, tie-break à 4 partout, le premier à 5 points l’emporte. Nul besoin de deux unités d’écart. En laissant courir vos doigts sur le clavier pour taper « Adam Hassan », « Alex Miotto » ou « Simon Roberts » – ces derniers étant respectivement anciens 747e et 884e à l’ATP –, vous aurez un aperçu de ce qui se fait mieux en matière de touchtennis. Des artistes capables de martyriser la mousse, de la desquamer peu à peu à chaque frappe en variant angles, effets, trajectoires et vitesse à une cadence folle. Marcus Willis, « vedette » et coqueluche éphémère du public de Wimbledon 2016, fait, lui aussi, de temps à autre, parler son toucher dans cette discipline.

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Indétrônables Anglais

« Pour moi, Simon Roberts (qui vit désormais à Dubaï, loin du circuit) est le meilleur, largement, estime Rashid Ahmad. Il est pratiquement injouable ! Le seul autre gars qui, je pense, pourrait le battre régulièrement, c’est Marcus Willis. » En nos contrées gauloises, nul ne peut prétendre détrôner ces empereurs. Les Anglais ont, pour l’instant, bien trop d’avance sur les peuples étrangers. Les deux premières épreuves françaises datent de 2018. Grâce à Romain le Mellay et Nizar Amirouch, respectivement organisateurs des tournois de Malestroit dans le Morbihan et d’Évreux en Normandie. Mais c’est en 2019 que le touchtennis réussit une belle avancée. En mars, l’ASPTT signe une convention avec Rashid Ahmad pour pouvoir créer des sections de touchtennis au sein de leurs clubs partout en France. Un accord scellé à Soissons sous l’impulsion d’Emeric Démottié. Notre Clovis contemporain faisant ainsi de sa ville la « capitale » française du touchtennis. Là où il devient reconnu comme véritable sport, fédéré.

« Le 12 mars, on a accueilli les Anglais pour signer la convention, raconte le jeune quarantenaire. On en a profité pour faire une démonstration qui a attiré un peu plus de 200 personnes ! On a fait une rencontre France – Angleterre. Gagnée par les Anglais, évidemment, emmenés par Adam Hassan. On appelle ces rencontres jouées par l’Angleterre face à d’autre nations l’Angelini Cup. Du nom du premier étranger ayant battu Rashid Ahmad. » Pionnier de la discipline en France, Emeric, guidé par sa passion, investit énormément de temps et d’efforts en dehors de son boulot de kiné pour l’aider à conquérir de nouveaux territoires. « Mais c’est mon bébé, j’y prends beaucoup de plaisir », confie-t-il dans un sourire. Un bébé né d’un coup de foudre dans l’âpreté d’une froide soirée d’hiver. « Je ne prenais plus du tout de plaisir au tennis, en plus j’avais mal au bras, détaille-t-il. Chaque fois que j’enchaînais deux matchs, je mettais trois semaines à m’en remettre. Puis, en décembre 2017 ou janvier 2018, je suis tombé sur une vidéo de touchtennis sur Facebook. Chaque fois que je la regardais, je me disais : c’est totalement dingue, ça joue à 3 000 à l’heure ! » 

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Soirée d’hiver et coup de foudre

À force de visionner des vidéos, sa main le démange. Elle a besoin de tenir cette mini-raquette, sentir le cordage gratter la mousse. Alors, quelques semaines plus tard, il achète du matériel sur le site officiel et frappe à la porte du Factory 5 de Soissons, un complexe d’activités sportives en intérieur. « J’ai pris mon courage à deux mains et je suis allé voir les deux gérants pour leur demander si je pouvais tracer un court, avec du scotch, se souvient-il. Ils étaient un peu interloqués, se demandaient ce que c’était, mais ils m’ont laissé faire un essai. Au pire, si ça ne fonctionnait pas, on enlevait le scotch et c’était terminé. » Avec son ami Rachid Elyajdaïni, celui qui l’aide dans cette aventure depuis le début, leurs cœurs sont conquis dès les premières sensations. « C’était en février 2018, se rappelle-t-il. On a tout de suite été sous le charme. D’emblée, on s’est dit : c’est un truc de fou, le potentiel est dingue ! Et on s’est mis à jouer plusieurs fois par semaine. » Le temps passe, et le court reste. La flamme dont ils brûlent attire des curieux voulant eux aussi tenter de faire des étincelles.

Parce que, au touchtennis, il devient possible de s’esbaudir et d’ébaubir l’adversaire en claquant des coups d’un autre monde. Celui des surhumains comme Roger Federer, Rafael Nadal et autre Serena Williams que nous, simples mortels, sommes incapables d’imiter sur un court grand format. « Nous pensons tous être très bons quand nous jouons au tennis, affirme Rashid Ahmad. Et puis, en nous voyant en vidéo, nous comprenons que nous ne sommes pas si bons que ça, que la balle avance très lentement. En étant honnête avec toi-même, tu te rends compte que tu ne seras jamais Federer. Que tu ne seras même pas Christophe Rochus, par exemple. Que tu n’auras jamais ce niveau. Jamais. Or, au touchtennis, tu peux être Federer. Tu peux être le gars qui lâche ces frappes hors du commun à chaque échange ! C’est ce que j’aime le plus. Pouvoir réussir des coups complètement fous, à la Kyrgios ! » Le nombre d’épris du touchtennis augmentant, Emeric Démottié décide de contacter la mairie.

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« Au touchtennis, tu peux être Roger Federer ! »

« Le Factory 5, où le court existe toujours, est une entreprise privée, explique-t-il. Il faut payer à l’heure pour jouer. C’est moins dans l’esprit du touchtennis. Rashid Ahmad veut que ce soit abordable pour tout le monde, à un faible coût. La mairie m’a mis en relation avec leur association sportive, et ils m’ont dit oui tout de suite ! Au service des sports, ce sont des gens que je connais depuis plus de 30 ans. Ils savent que si je m’engage dans quelque chose, ce n’est pas pour rien. Je leur ai montré des vidéos et eux aussi ont tout de suite saisi le potentiel du truc. Ils m’ont donné deux heures par semaine dans le gymnase. Depuis septembre 2018, tous les mercredis, j’anime une session de 21 heures à 23 heures pour une vingtaine de personnes en moyenne. » Conquérant, « Emeric-Clovis » ne s’arrête pas à ce succès. Il agrandit le territoire du touchtennis. Début 2019, il obtient la création d’une section au sein de l’ASPTT Soissons, ce qui lui permet de mettre en place une seconde séance hebdomadaire. Le premier club de touchtennis français est né. Pour s’éclater avec encore plus de monde.

Le touchtennis, c’est plus qu’un sport. C’est un état d’esprit. Celui du plaisir avant tout. « On promeut fun, fair-play et égalité, stipule le créateur Rashid Ahmad. Tout cela est très important pour nous, bien plus que taper dans une balle. » « Une fois que tu as goûté au touchtennis, tu ne peux plus t’en passer, ajoute Emeric Démottié. Par exemple, les tournois se jouent sur une seule journée (deux en Grand Chelem). Donc tu joues trois, quatre matchs, un peu plus si tu es bon, et tu passes un super moment. Tout le monde est sympa, tout le monde se parle, on fait des rencontres. Il n’y a pas de “je veux t’écraser”. On veut que ce soit convivial, on organise un grand repas le midi, tous ensemble. » Témoin de cette envie de communion : la mixité. Aucun tableau n’est réservé aux hommes. En plus de l’épreuve féminine, ces dames peuvent s’inscrire à la compétition « open » ouverte à tout le monde. Tenue début septembre 2019, la première édition du tournoi de Soissons – la Clovis Cup – a affiché complet. En plus de la présence d’Adam Hassam, alors no 1 mondial, 47 autres personnes se sont ruées sur les places disponibles. En quelques jours. 

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À la conquête de la France

Centre névralgique du touchtennis en France, l’ASPTT œuvre en faveur de l’expansion. De la décentralisation. « On a fait des formations ici (à Soissons), précise Emeric. On a fait venir des responsables de clubs ASPTT d’un peu partout. Mais surtout du quart Nord-Est de la France. C’est cette région qui va être un peu pilote. En août, un autre membre de l’ASPTT Soissons est parti faire une formation à côté de Bordeaux, et moi, je suis allé en Ardèche. Le but est de former des gens motivés pour qu’ils puissent ensuite animer des sessions comme je le fais à Soissons et lancer le touchtennis un peu partout dans les clubs ASPTT. » En région parisienne, Cergy et Pantin se sont révélés hautement intéressés. Représentant officieux de ce sport sur le sol tricolore, Emeric Démottié est très sollicité. « Tout le monde m’appelle, confie-t-il. Des structures privées, des clubs de tennis, pour me demander comment développer le touchtennis. » 

Au niveau mondial, le tennis petit format, survitaminé, est « joué dans 30 pays, affirme Rashid Ahmad. Après l’Angleterre, c’est en France, puis en Espagne et en Italie qu’il est le plus populaire. » Au pays des Ibères, c’est la fédération nationale de tennis qui s’attache à développer l’activité. Depuis 2019, la Corée du Sud a elle aussi un tournoi officiel. En accord avec Rashid Ahmad, l’homme qui rêve « de ne plus voir un seul Anglais dans le top 100 d’ici 5 ans. » Bien sûr, ne nous méprenons pas, il « ne désire pas que ses compatriotes échouent. » Il souhaite « qu’il y en ait toujours quelques-uns parmi les meilleurs, que le no 1 mondial soit anglais. Mais une telle révolution, ça voudrait dire que le touchtennis grandit partout », au point d’espérer permettre un jour à « des gens d’en vivre grâce à des jobs d’entraîneurs dans des clubs, par exemple. Ce serait absolument fou ! » Si le touchtennis venait à devenir aussi grand que dans les songes de son inventeur, il ferait sans doute le bonheur de bon nombre de parents collectionneurs de bibelots. Avec une balle en mousse, les dégâts de l’impétueuse progéniture seraient limités.

 

Article publié dans COURTS n° 6, automne 2019.

Des hiéroglyphes sur mon carnet

Notes du journaliste Phillippe Bouin.

« À quoi bon ? », se demanderont les mauvaises langues. À quoi bon tout pointer, jusqu’à la plus anonyme d’une deuxième balle du quatrième point du troisième jeu du premier set, quand vraiment plus rien n’y oblige ? Plus personne ou presque ne prête aujourd’hui attention à la restitution du compte rendu exhaustif d’un match. Long, ennuyeux, dépassé, dit-on. Il faut faire court et vite, people plus que technique. Dans le monde frétillant des nouveaux médias numériques, le suiveur est rivé au desk, les yeux sur tous les écrans de tous les matches, pour assurer la réactivité sur le web et twitter à gogo. Il est partout, et nulle part. Oui, pourquoi se noyer dans les détails alors qu’un GIF resituera mieux que tout l’atmosphère d’une rencontre ? Pourquoi s’échiner à synthétiser sur papier le revers court croisé (rcc ou revcoco ou bhcc, on y reviendra) à 4-4, 30-40 à grand renfort de points d’exclamation et/ou de surlignages à gros traits alors qu’un appel aux nouvelles techniques – dans l’intranet du site d’un tournoi – permettra de commander ledit point pour le revisionner pépère à l’écran ? 

Et pourtant, si. Le carnet, secondé par son bic (quatre couleurs, c’est mieux), reste encore le meilleur ami des reporters, même les plus verts et les moins papivores. Personne ne regarde un match en freestyle avec sa mémoire comme seule alliée. Tout le monde écrit quelque chose, fébrilement ou pas. Et toujours dans des proportions bien supérieures aux besoins requis. La prise de notes, comme jadis à l’école, reste l’éternel et indispensable pense-bête. Cet exercice, primordial, dit tout de celui qui la rédige. L’analyse y distingue le névrosé, le maniaque, le distrait, l’appliqué, le pointilleux, l’artiste ou le négligent. Celui qui, d’un coup, peut restituer le pourcentage de deuxième balle dans les trois derniers jeux du match n’est pas loin de rendre la copie parfaite. Un autre vous dira combien chaque point aura fourni d’échanges : celui-là est incontestablement le champion du monde. 

Mieux qu’un traceur GPS, la lecture des notes d’autrui vous signalera quand il s’est absenté, si le score passe brutalement de 1-2 à 3-3 sur la feuille blanche (pause pipi ?). Ou s’il a travaillé dans les conditions d’une deadline trépidante, au vu des mots bâclés qui commencent à s’envoler sur la copie en forme de hiéroglyphes inachevés, en suivant la courbe du palpitant de son auteur qui doit tout à la fois suivre le match et écrire son article. 

Il n’y a pas plus fidèle qu’une prise de notes pour prouver l’univers géométrique, mathématique et artistique du tennis. Les chiffres et les lettres s’imbriquent dans ce qui peut ressembler à des gribouillis ou des estampes. On y traque le scoring, les séries de points consécutifs, le pourcentage de premières balles dans un jeu à forte tension, le nombre de balles de break sauvées, l’archivage des aces, le minutage des instants fatidiques, la multiplication des jeux blancs, la tendance lourde en fautes directes de revers. Tout l’art du reporter-
robot est de synthétiser ces données pour qu’elles soient toutes analysables en un coup d’œil à la fin, quelle que soit la durée du match. 

Notes du journaliste Kaoru Takeda.

Presque tout un art quand on connaît la multiplication des temps de jeu dans un match de tennis. L’objectif – et la raison première de la prise de notes – est de tout noter pour ne rien rater du ou des moments essentiels d’une rencontre qui peuvent intervenir à n’importe quel moment. Parfois, le premier point est celui qui va tout déterminer. Le « shift ot the momentum », comme disent les Anglais, peut aussi se cacher dans la jungle du deuxième set. 80 % des interactions d’une rencontre peuvent être déterminantes. Mais seules quelques-unes d’entre elles feront la différence. Raison de plus pour tout noter, afin d’être sûr d’extraire la substantifique moelle d’une partie qui peut partir dans tous les sens. 

Le reporter fait aussi appel à la prise de notes – il ne faut pas s’en cacher – pour être bien sûr de rester concentré dans cet univers parfois anesthésiant d’une balle qui ne cesse de voler au cours de matches qui ne cessent de s’enchaîner. Pour garder le contrôle d’une attention qui peut s’égarer dans les tribunes, vers les nuages ou au plus près de son téléphone portable, le pointage méthodique de tous les points reste un moyen plus dynamique que l’absorption d’un double café serré. 

Reste à savoir comment dompter son art de la synthèse et du gribouillage. On a l’impression de lire parfois un message codé en temps de guerre. FD CD ll (faute directe en coup droit long de ligne) ; BH UE (backhand unforced error) ; SG (service gagnant) ; Co (coup droit out) ; e (échange) ; Vf (volée filet) ; BB (balle de break)… et on en passe. C’est un langage universel, mais tout le monde adopte ses propres codes. Un voisin ne pourra jamais copier pour s’y retrouver dans le décompte d’une partie. Il y a mille manières de nommer les choses. Une double-faute sera DF pour les uns (un grand classique, certes), mais aussi X pour d’autres. Sans parler des Japonais qui brisent tous les codes. Un petit rond vide pour un coup gagnant, un petit triangle pour signaler une faute directe, un triangle noirci pour une double-faute, et un XX pour le break : nous voilà plongé dans un univers poétique qui détonne avec les rendus plus cliniques en pattes de mouche ou abréviations. 

Certains arrivent à tout faire tenir en une ou deux pages, éclairées de touches de couleur pour alerter sur les moments forts, souvent les balles de break ou les balles de match. D’autres s’étendent sur plusieurs pages d’un petit carnet d’une écriture uniforme, sans aspérité, parfois même sans revenir à la ligne à chaque nouveau jeu, au point qu’on se demande comment ils arrivent à redonner du sens à ce magma. Mais ils y arrivent. S’il fallait signaler ceux qui auraient pu faire école dans l’art de l’extraction des données d’un match, on nommerait Philippe Bouin, l’ancienne plume de L’Équipe, à qui on rend toujours hommage en s’attelant au « bouin par bouin » – lire point par point – avant les gros matches pour tenter de rester aussi précis qu’il l’était. On pourrait aussi conseiller aux nouveaux la patte de l’Italien Ubaldo Scanagatta, qui tout au long de ses carnets de Grand Chelem archivés (il en a 151…) duplique sa façon bien à lui d’aligner les points du serveur au-dessus d’une ligne (et ceux du receveur en dessous), de compter le nombre de points de l’un ou de l’autre dans un jeu (4-1 à 40-15) pour les consigner en fin de set, d’encercler l’initiale de celui qui perd son service, etc.

Et l’émotion dans tout ça ? Oubliée dans cet univers pointilleux où s’enchaînent les 30, les 15, les gros points noirs (et les petits), les cercles et les carrés ? Un point d’exclamation bien senti, parfois, en dit beaucoup, certes. Mais ce serait oublier l’ajout d’une marge aux côtés de cet alignement des scores et des points. Pour une fois, tous les suiveurs sont d’accord. C’est là, dans cet espace réservé, qu’ils placent les remarques en tout genre qui humaniseront leur transcription mécanique.

 

Article publié dans COURTS n° 4, printemps 2019.

Notes prises par le journaliste Ravi Ubha lors de l'Open d'Australie 2019 pendant le match opposant Milos Raonic à Alexander Zverev.

Marion Toy :

le tennis au pays des merveilles

Match point © Marion Toy

Mári Dimitrouli, alias Marion Toy, explore l’univers du sport et des loisirs dans des jeux visuels pop qu’elle définit comme de l’art conceptuel surréaliste. Portrait et échange pétillant avec cette artiste grecque, fan de tennis, qui réinvente les sports de raquette.

Coming Through © Marion Toy
Coming Through © Marion Toy
Coming Through © Marion Toy
Coming Through © Marion Toy

L’art et le tennis se trouvent parfois des affinités inattendues. C’est d’ailleurs un des passe-temps favoris de Mári Dimitrouli qui aime jouer à brouiller les frontières entre l’art et le quotidien. Originaire d’Athènes, cette directrice artistique et photographe amatrice, passée par le design graphique, propose des captations pop et surréalistes nées d’expérimentations avec les couleurs, les formes et les idées, tout en conservant la mode comme point d’ancrage. En 2013, elle crée Marion Toy et son monde fantaisiste et vitaminé. Ouvrir de nouvelles perspectives, c’est son leitmotiv. Ses clichés et ses autoportraits dévoilent ainsi toutes sortes de scénarios fantasques qu’elle met en scène avec « beaucoup de patience et de joie ». 

Napoleon © Marion Toy

Service gagnant

Du concept à la direction artistique, en passant par les créations en papier, le stylisme, le maquillage et les prises de vue, Mári Dimitrouli est une femme-orchestre qui gère tout quand elle ne fait pas appel à un photographe. L’Athénienne manie l’art subtil des assemblages d’objets hétéroclites et d’icônes du quotidien. L’irrationnel et l’humour côtoient ainsi à merveille l’univers du sport, des loisirs, de la pop culture, du fooding et des marques. À l’image de sa série « Coming Through! » qui fait de la raquette de tennis une broyeuse d’accessoires (brique Lego, 45 tours, dinosaure ou donut), les transformant en Adidas Originals Superstar Supercolor de Pharrell William. La Superga est aussi aux premières loges, devenue ici du dentifrice sur une brosse à dents géante en papier. De même, la balle jaune s’émancipe de ses fonctions premières pour se dévoiler sous des apparats loufoques entre bigoudis, citron pressé et jus de nattes. Sa consœur en tennis de table préfère, elle, exhiber sa rondeur sur une raquette portée en épaulettes napoléoniennes. Ailleurs, cette même petite raquette se métamorphose en un jardin verdoyant, le temps d’un thé pour uneAlice contemporaine en mode athleisure. L’artiste grecque laisse libre cours à son imagination pour créer une passerelle entre le monde de l’enfance et celui des adultes grâce à la pertinence du sport. Des moments de féérie submergés par des tons pastel vibrants. 

Alice © Marion Toy

L’art du jeu

Si son attrait pour l’univers tennistique est intarissable, Mári Dimitrouli étend son champ créatif à d’autres activités dans un portfolio des plus attrayants : chevaux de courses qui galopent sur des gambettes ; cheerleader à tête de pompon ; ballon de basket dont les traits deviennent des rubans de pâte à déguster ; voitures de rallye miniatures en guise de masque contre le coronavirus. Ses créations cultivent un sens de l’émerveillement qu’elle a réussi à façonner avec un appareil photo sans miroir, une lampe flash externe et Photoshop pour de légères retouches finales. Son inspiration, elle la puise partout, dans toutes sortes de détails. Elle communique ainsi avec panache son humeur, ses envies et son esthétique, sans jamais renoncer à ses aspirations conceptuelles. Des images qui activent les zygomatiques et invitent à interagir. Si Marion Toy reste un projet parallèle, elle espère que ce nom de scène deviendra à terme sa principale occupation. On le lui souhaite.

Pattern Alice © Marion Toy

Courts : Pourquoi « Marion Toy » ? 

Mári Dimitrouli : Je pense que j’avais besoin d’un nom artistique à l’image de mon humeur créative quand tout a commencé. Je voulais jouer, créer des objets amusants, expérimenter avec des couleurs vives et des concepts surréalistes. « Marion » était le surnom que m’avait donné un très bon ami à moi, c’est donc resté, et « Toy » exprime avant tout le plaisir de jouer ! J’avais avoué à un ami que ce projet était un prétexte pour continuer à m’amuser avec des jouets tout en vieillissant.

 

C : Quelle a été l’étincelle dans ce travail que vous définissez comme de l’art conceptuel surréaliste ? 

M.D. : Le surréalisme est devenu une partie de mon identité créative sans aucun effort personnel, comme si ça y était inhérent. Dès l’enfance, j’ai été fascinée par les scènes de films et les tours de magie. Cela a dû sans doute grandir en moi et j’ai trouvé la façon de concevoir mon propre monde. Le surréalisme est également un excellent moyen de raconter une histoire à travers des codes. C’est comme inventer une langue que chacun traduit à sa manière.

 

C : Dans votre portfolio, il y a une ligne directrice : la mode. Mais vous aimez particulièrement explorer les domaines du sport et des loisirs, comme le tennis et le ping-pong. Qu’est-ce qui vous plaît dans les sports de raquette et leurs accessoires ? 

M.D. : C’est vrai que j’ai une obsession pour le tennis et le tennis de table, car l’un de mes principaux objectifs est de créer des visuels surréalistes avec des accessoires facilement reconnaissables. Les raquettes et cette fabuleuse balle jaune ont un design exceptionnel et intemporel. Ils sont devenus des symboles. C’est donc un excellent moyen pour moi de créer des images qui altèrent l’utilisation de ces objets connus, comme par exemple la raquette de tennis et la déchiqueteuse dans ma série « Coming Through! » ou la raquette de ping-pong en épaulettes dans « Napoléon ». Je prévois d’ailleurs de créer une table de ping-pong DIY parce que jouer me manque vraiment.

 

C : Comment est née justement l’idée de cette série sur les Adidas Originals Superstar Supercolor ? 

M.D. : Je voulais créer ma première série avec un placement de produit impliquant une raquette de tennis qui fonctionne comme une déchiqueteuse. Cette idée est restée dans ma tête pendant plus d’un an et ces sneakers étaient exactement ce que je cherchais. Tout comme la raquette, les baskets aux trois bandes sont devenues un symbole. Le fait qu’elles n’aient qu’une seule couleur a fait fonctionner mon concept de broyeur. Ces clichés sont le résultat d’un travail acharné sur la fabrication des accessoires. Mon ami et photographe Panos Georgiou a pu me fournir les sneakers, alors je me suis dit que ce serait une belle opportunité de travailler ensemble. Les retours ont été incroyables, je suis vraiment ravie du résultat.

 

C : L’illustration vintage de la Superga est tout aussi fun et ludique.

M.D. : Oh, cette brosse à dents a été le support papier le plus grand et le plus difficile à fabriquer ! Elle mesurait plus d’un mètre et les fils de la brosse étaient faits de pailles transparentes. J’avais eu l’idée d’un dentifrice géant qui ferait quelque chose de bizarre et lorsque j’ai vu la Superga, tout a pris sens. Je remercie vraiment l’équipe de la marque qui a accepté le visuel final sans connaître mes intentions, sans croquis ni rien. C’est extrêmement rare dans les projets commandés. Je les remercie vraiment d’avoir cru en mes compétences.

Vitamin T © Marion Toy

C : Quel regard portez-vous sur le tennis ? Êtes-vous une sportive dans l’âme ? 

M.D. : Je prenais des cours quand j’étais très jeune. Je n’aimais pas beaucoup le sport en général, mais mes parents jouaient souvent au tennis pendant les vacances d’été. J’étais toujours là, je leur jetais les balles et j’observais leur match. On regardait souvent le tournoi de Roland-Garros à la maison. Je me souviens encore du couple emblématique André Agassi et Steffi Graf… Les tenues de tennis ont également eu un impact considérable sur ma façon de m’habiller. Les Stan Smith font aussi partie de ma vie depuis toujours et j’ai une garde-robe de jupes de tennis. Je rêve de découvrir un match en direct, de sentir les vibrations et d’écouter le bruit de la raquette frapper la balle. Je pense que si je devais choisir un sport avec lequel je me sens en adéquation, ce serait certainement le tennis.

 

C : Le pastel vibrant submerge tout votre travail. Les couleurs et vous, c’est une longue histoire ?

M.D. : Elles ont toujours joué un rôle essentiel dans ma vie. Je n’ai pas de couleur préférée, je les aime toutes ! Car elles peuvent exercer des changements d’humeur majeurs dans le bon sens. Le fait d’avoir choisi le vert menthe pour l’arrière-plan dans mes séries a été accidentel mais cela a très bien fonctionné. Je crois que le vert menthe, en particulier dans les tons clairs, peut devenir le nouveau gris. Il devient presque neutre lorsque vous ajoutez d’autres teintes.

 

C : Qu’est-ce qui anime in fine votre processus créatif ?

M.D. : C’est toujours une question délicate pour moi, car je ne sais jamais vraiment quand cela se déclenche. Je pourrais voir certains éléments m’animer, comme un pantalon rouge ou une paille jaune, puis l’oublier complètement. Un ou deux mois plus tard, une idée jaillit liée à ce que j’ai vu. C’est comme avoir un programme dans un coin de ma tête qui recueille des images intéressantes sans le savoir, ni si cela a un sens.

 

C : Et qu’est-ce qui nourrit vos inspirations ?

M.D. : Mes derniers coups de cœur sont les œuvres du photographe Zhang JiaCheng et de la maquilleuse Chiao Li Hsu, deux artistes vraiment exceptionnels. Sinon j’aime depuis toujours Yayoi Kusama, la reine des pois et des couleurs, le photographe de mode britannique Tim Walker et le réalisateur Wes Anderson. Je rêve aussi de visiter le Japon et la Chine, car j’adore leurs arts esthétiques et plastiques.

 

C : Envisagez-vous de travailler plus souvent avec des marques de sport comme le tennis ? 

M.D. : Attendez-vous à voir beaucoup de visuels sur le tennis signés Marion Toy, car je n’en ai pas du tout fini ! Je travaille actuellement sur des visuels personnels, mais je reste ouverte à des commandes intéressantes tant que je dispose d’un certain temps pour les concevoir comme je le veux. J’aime que tout soit parfait, ce qui implique beaucoup de recherches et de travail personnel avant le résultat final. 

 

Article publié dans COURTS n° 8, été 2020.

Charlélie Couture 

« Les vrais sportifs sont des artistes-guerriers »

© Charlélie Couture
© Charlélie Couture
© Charlélie Couture
© Charlélie Couture
© Charlélie Couture
© Charlélie Couture

« Artistes, parce qu’au-delà du résultat lui-même, les grands champions se doivent de faire le vide, pour laisser filer des gestes. Or, pour être parfaits, ces gestes ont été rejoués des milliers de fois, répétés dans l’Absolu, sans tenir compte de l’adversaire ou de quoi que ce soit. C’est bien le même Absolu qui attire les artistes. »

Rencontrer Charlélie Couture, c’est oublier le rôle de l’intervieweur et de l’interviewé. C’est rencontrer un artiste complet, qui réunit le corps et l’esprit par le prisme de divers modes d’expression artistique : sons et musique, mots et écriture, images et arts plastiques. Actuellement en tournée pour son 23e album, Même pas sommeil (sorti en janvier), il expose également au musée Paul Valéry, à Sète, une série de 27 peintures (Passages) inspirées de sa vie new-yorkaise.

Charlélie Couture est un décloisonneur d’horizons, un briseur de murs, un bâtisseur de ponts non seulement entre les différentes disciplines artistiques mais aussi entre le monde de l’art et d’autres domaines tels que le sport. Sa passion pour le tennis a notamment accouché d’un livre intitulé Beaux Gestes, ode à la beauté du tennis sous la forme de dessins empreints de poésie.
À l’occasion du vingtième anniversaire de cet ouvrage paru en 1999, Courts saisit la balle au bond pour donner la parole à un artiste tout-terrain. Il nous reçoit à son domicile parisien, immeuble-atelier à son image : authentique, habité, inclassable.

 

Courts : À quel moment vous-êtes vous mis à dessiner le tennis ?

Charlélie Couture : J’ai développé un rapport artistique au tennis après l’avoir moi-même pratiqué. Auparavant, en tant que spectateur, je l’envisageais plutôt comme un sport bourgeois fermé sur lui-même et visant plus à favoriser l’image sociale qu’à atteindre le dépassement de soi ou toute autre considération élevée.

En fait, j’ai vraiment découvert ce sport, désormais mon préféré, de manière accidentelle et tardive, à 33 ans, dans le cadre de ma carrière de chanteur et lors d’un événement politique majeur, la chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989. Ce jour-là, alors que j’avais les yeux rivés sur un reportage en direct depuis une chambre d’hôtel, un musicien de l’équipe m’a invité à échanger des balles sur le terrain d’à côté. Je l’ignorais à l’époque mais cette expérience a changé ma vie. Sans faire de jeu de mots, cet événement a ouvert une brèche dans mon existence. Le mur de mes préjugés s’est écroulé et un nouveau monde s’est offert à moi.

J’ai surtout dessiné pour rendre au tennis ce qu’il m’a apporté, et pour le montrer autrement. Jusqu’alors, les illustrations dans les magazines et les journaux se bornaient soit à la glorification d’idoles, soit à des dessins-caricatures uniquement destinés à susciter l’amusement. Dans les deux cas, il manquait de l’émotion, de l’humain et de la poésie.

 

C : Pourquoi cette passion pour le tennis ?

C.C. : J’ai principalement été séduit par la simplicité des règles, par le défi d’apprendre à apprivoiser l’instrument à cordes tennistique, la raquette, par la beauté des gestes et par l’opportunité de penser des enjeux philosophiques : dépassement de soi, rapport à l’autre comme adversaire et condition de notre réalisation, gestion des émotions, mort, survie.

Prenons les gestes principaux en tennis, au nombre de sept dans mon livre (coup droit, revers, service…). De la même manière, la musique repose sur sept notes (do, ré, mi, fa, sol, la, si). À partir de cette base simple, de ce dénominateur commun, on peut créer son propre style et complexifier son jeu.

J’ai également aimé ce sport pour son impact positif sur mon hygiène de vie, puisqu’il me protégeait de certains périls de la vie nocturne.

À défaut d’atteindre le beau geste parfait moi-même sur le terrain, je m’escrimais à reproduire celui des autres par le dessin. Je réalisais sur le papier ce que j’étais incapable de faire sur le terrain. Ce rêve d’amateur – au sens d’amato, amare, « aimer » – du geste parfait m’a toujours accompagné et poussé à me dépasser.

 

C : En quoi votre pratique artistique a-t-elle influencé votre pratique tennistique ?

C.C. : Ma sensibilité artistique m’a permis de voir ce sport au-delà de sa dimension sportive, en explorant sa relation à l’esthétique, à l’image, à la poésie, à l’art et à la philosophie. En tant qu’artiste et joueur, j’accordais autant d’importance à la manière qu’au résultat, à la beauté de la forme qu’à l’efficacité.

J’ai néanmoins voulu combiner ces deux aspects par le dessin. D’une part, je dessinais les bons gestes enseignés par mes professeurs et coaches, dans une visée didactique et scientifique. J’utilisais l’art comme un artisan : ce savoir-faire ne se mettait pas au service d’un idéal artistique mais bien d’un idéal d’apprentissage afin d’améliorer ma technique. D’autre part, je dessinais les beaux gestes que m’inspiraient, subjectivement, les autres joueurs. Je cherchais, par l’art, à représenter le sentiment de poésie et de vitalité qu’ils me procuraient.

Enfin, je dessinais aussi pour jouer au tennis de manière fictive lorsqu’il m’était impossible d’y jouer réellement. Raison pour laquelle les personnages représentés dans le livre sont toujours en mouvement, libres de toute contrainte, comme si je les rêvais.

 

C : Tout bon geste est-il un beau geste ?

C.C. : Oui, même s’il ne s’agit pas de dire que le plus beau geste se confond avec le geste le plus correct. Prenons les deux principales conceptions du jeu : le technicien et le tacticien. Le premier se fixe pour but d’apprendre le bon geste technique, en se concentrant avant tout sur lui-même. Tandis que le second agira davantage en fonction de l’adversaire, privilégiant l’efficacité. J’étais pour ma part un technicien manquant de tactique ! J’imaginais pouvoir concilier rigueur technique, beauté et efficacité.

Dans le livre, je pars du principe que jouer au tennis signifie jouer beau. Que la pureté du geste garantit sa beauté, que la beauté garantit sa fluidité, que la fluidité garantit son aérodynamisme, et que l’aérodynamisme garantit l’efficacité. Selon moi, tout geste efficace possède une part de beauté.

 

C : Quelle distinction faites-vous entre un geste artistique et être un artiste ?

C.C. : Le sportif, contrairement à l’artiste, n’a cure de la portée poétique ou esthétique de sa manière de faire, elle n’est qu’une conséquence. En raison des enjeux propres au sport : montants financiers, productivité, responsabilité de l’individu envers la collectivité, le groupe – l’individu s’inscrit non seulement dans une structure, une équipe lui donnant les moyens de réaliser son choix de vie, mais il porte aussi parfois sur ses épaules le poids des aspirations de toute une nation – et nécessité de gagner contre le rival. En art, la concurrence existe mais pas de manière aussi frontale : pour réussir, l’artiste n’éprouve pas le besoin de vaincre un autre artiste. En sport, réussir signifie gagner et donc faire perdre, tandis que, pour un artiste, réussir signifie se réaliser.

Une autre différence de taille concerne la relation aux règles. En art, le but consiste à sortir des règles, à s’en libérer et à les réinventer. La règle se réduit à un moyen. En sport, la réussite passe par le respect des règles. Impossible d’inventer de nouvelles règles lors de chaque match ! La règle s’apparente à une finalité en soi.

Néanmoins, les sportifs professionnels se rapprochent des artistes à de nombreux égards. En un sens, un sportif est un artiste dont l’art ne consiste pas à créer des œuvres mais bien des gestes artistiques. Un sportif est un artiste involontaire, dépassé par la portée artistique de ce qu’il accomplit.

Être un athlète de haut niveau, c’est aussi se lancer des défis à soi-même, en raison d’un trop-plein d’énergie. Un biathlète, un tennisman ou un rugbyman se définit avant tout comme une personne débordant d’énergie qui éprouve le besoin radical de la canaliser par le corps. On retrouve le même besoin à l’origine de la démarche des artistes : ils créent pour extérioriser et exploiter leur abondance d’énergie et d’émotions. On limite trop souvent le sport et l’art au divertissement, éclipsant par là même leurs dimensions de catharsis, de nécessité et de dépassement de soi. Le sport et l’art ne relèvent pas seulement d’une activité ou d’un métier, mais bien d’un mode de vie qui engage l’être de celui qui les pratique.

D’un point de vue personnel, je recours souvent à une métaphore sportive pour illustrer ma philosophie de vie en tant qu’artiste exerçant plusieurs arts (l’art des mots à travers l’écriture, l’art des sons à travers la musique, et l’art de l’image à travers la peinture et la sculpture) : le triathlon. Je me sens triathlète au sens où j’allie plusieurs disciplines parallèles correspondant chacune à une dimension de moi-même.

 

C : Vous portez un intérêt tout particulier à la question de la mort. On dit souvent que « philosopher, c’est apprendre à mourir » : pensez-vous qu’au tennis, « perdre, c’est apprendre à mourir » ?

C.C. : Absolument. Au tennis, ce n’est pas la victoire qu’il faut apprendre à domestiquer et à gérer, mais bien la défaite. On perd plus un match qu’on le gagne. Si on gagne, on a seulement réussi à atteindre l’objectif voulu. La victoire se mue en conséquence logique et naturelle d’un processus de travail et de préparation. Au contraire, la vraie victoire consiste à surmonter un échec. Quand on gagne, on gagne un match alors que quand on perd, on perd plus qu’un match, on se perd temporairement. On perd le goût de la vie et la confiance en soi. Un vide immense nous envahit, semblable à une mort. Comme si la vie nous quittait. On éprouve une blessure intérieure car, non seulement on n’a pas obtenu ce qu’on voulait, mais quelqu’un d’autre l’a obtenu à notre place.

Par-delà le paraître et la diversité au niveau du langage corporel des joueurs (les mimiques guerrières de Hewitt et Nadal, la nonchalance de Kyrgios, la swing samba de Kuerten…), un même conflit entre la vie et la mort se joue. Sur le terrain, chacun veut tuer l’autre pour rester vivant. Même Federer s’apparente à un gentleman serial killer, un tueur tout en élégance et en beauté qui a assassiné des carrières (exemple : Roddick, Safin…). Les vrais sportifs sont des artistes-guerriers.

Ce qui m’intéresse profondément dans le tennis et le sport en général, c’est la relation à la mort. Un match met en scène une lutte entre deux corps et deux sources d’énergie, au gré de laquelle l’un, le gagnant, va prendre l’énergie de l’autre, le perdant, en le vampirisant. Le tennis fait d’ailleurs partie des sports où l’issue d’un match se solde nécessairement par une victoire et par une défaite, où toute perspective d’égalité est exclue.

Perdre, c’est être éliminé, rayé d’une liste, d’un tableau. C’est une négation existentielle. Ceux qui gagnent en finale sont ceux qui existent jusqu’au bout. Chaque combat est un combat pour exister. Jouer n’a rien d’un jeu si on prend l’exemple du carnage lors des tournois majeurs tels que Roland-Garros. Après une semaine, la moitié des participants est reléguée aux oubliettes. Qu’est-ce qu’un joueur qui ne joue plus ? Jouer, c’est être, exister, et donc survivre. 

D’ailleurs, le langage utilisé pour parler du sport est très révélateur : « tuer », « massacrer », « anéantir », « liquider », « sauver », « survie », « mortel », « atomiser », « décapiter »…

Le sportif incarne potentiellement un gladiateur dépositaire des affects injectés en lui par le public, qui s’identifie à un héros porteur de valeurs et d’attentes aux échelles familiale, locale, régionale, nationale, prêt à mourir pour la patrie, à se sacrifier pour le bien de la communauté. Il y a parfois une logique sacrificielle.

 

C : En parlant d’échec et de défaite, en quoi la culture de l’échec aux États-Unis diffère-t-elle de celle en France ?

C.C. : Le fossé qui sépare ces deux pays au niveau du rapport à l’échec résulte d’un autre fossé, dans leur rapport au temps. Aux USA, on envisage le présent comme une base pour le futur, tourné vers les possibilités offertes par l’avenir. L’essentiel réside dans l’objectif qu’on se fixe. Par conséquent, on bénéficie de la liberté d’échouer, car on n’est pas enfermé dans les échecs du passé. L’échec est une étape sur le chemin de la réussite. On a le droit de perdre. La perception de l’échec ne dure pas plus longtemps que l’échec lui-même. En France, par contre, le présent est la conséquence du passé, de toutes les expériences vécues. Le présent est le produit du passé, au lieu que le futur soit le produit du présent.

 

C : Quel est l’impact de la culture de l’échec dans ces pays sur leur culture tennistique ?

C.C. : Immense ! Aux USA, on a tendance à favoriser le point fort d’un joueur, indépendamment de ses points faibles. Si un joueur est doté d’un bon coup droit, on travaillera ce coup en priorité. L’accent est mis sur le positif. On cherche à rendre plus fort le point fort. En France, on choisit souvent de travailler et corriger les défauts, on se concentre plus sur le négatif, le point faible.

 

C : Quelle distinction faites-vous entre les notions d’artiste et d’artisan ?

C.C. : Un artiste doit savoir faire confiance à son instinct. Il est porté par son geste, un geste qui le dépasse. L’artisan, lui, est réfléchi, il analyse la situation avant d’agir et applique un protocole. Il met tout son talent dans la précision de sa réalisation, possède une méthode, une certaine façon d’agir, et il s’y conforme. L’artiste invente, improvise, se remet en cause et prend des risques, juste pour le plaisir de se faire peur. Il considère qu’il est face à un absolu et tente de résoudre une énigme.


C : Comment ces notions s’appliquent-elles à des joueurs tels que Federer et Nadal ?

 C.C. : Nadal s’assimile à un colosse qui applique une charte, obéissant aux conseils de celui qui le guide. À l’instant où il entre sur le court, sautillant sur place, il impose sa présence comme il impose son jeu. Il a l’autorité des puissants qui peuvent tétaniser leurs adversaires. Endurant, courageux, Nadal est un exemple de constance dans l’application d’une technique. Si sa balle tourne très vite, ses coups sont pourtant rarement brillants. Néanmoins, ils s’avèrent terriblement efficaces.

Federer, en revanche, représente un artiste qui a plusieurs fois changé l’esprit de son jeu : tantôt défenseur, puis retourneur en embuscade. Aujourd’hui, il se trouve plus souvent en attaque au filet. Au fur et à mesure des époques, on l’a vu se réinventer, essayer des choses parfois au cours d’un même match. Parfois ça passe, et parfois il se prend les pieds dans le tapis et se perd à son propre jeu. Mais parfois il réussit, et, quand il se surprend lui-même, le public se régale de le voir sur le fil, parce que sous ses allures de héros capable de tout, on sait aussi qu’il n’est pas infaillible. Cela fait aussi partie de son charme, parce qu’il peut avoir perdu sans mériter de perdre, ou parfois gagner alors qu’on le croyait à la dérive.

 

C : Enfin, si vous en aviez eu la possibilité, auriez-vous envisagé une carrière dans le tennis ?

C.C. : Bien sûr ! Si j’avais connu le tennis plus tôt, j’aurais probablement canalisé mon énergie dedans. Pas en tant que joueur, faute d’être un athlète digne de ce nom, mais bien en tant qu’entraîneur ! 

 

Article publié dans COURTS n° 4, printemps 2019.

Je speak tennis :

histoire d’un métissage linguistique séculaire

© Frederika Adam | frederikaadam.com

Quelle est l’origine des mots que nous employons au quotidien dans le lexique tennistique ? D’où viennent les mots revers, coup droit et service ? Le mot raquette viendrait-il de l’arabe ? Avez-vous jamais rencontré un tennisseur de renom ou effectué un tir passant ? Les mots ace et court plongent-ils leurs origines dans l’ancien français ? Voyage autour des mots du tennis.

 

En guise d’introduction, un bref rappel sur le caractère universel des langues… et des terminologies 

Les langues, multitude de codes distincts et perpétuellement changeants, existent pour exprimer nos désirs et nos sentiments, pour faire connaître nos besoins, pour véhiculer notre pensée et diffuser notre savoir, mais surtout pour nous mettre en relation. En effet, les langues nous relient indissolublement les uns aux autres, spontanément, naturellement, en dépit de toutes lisières séparant artificiellement des portions de territoire que nous appelons « nations ». On se croit exclusivement Espagnols, Italiens, Arabes, Anglais, Belges, Français, etc., alors que nous sommes tous issus d’un métissage culturel. Les langues, par le biais des mots, nous le rappellent constamment, en gardant les traces des différentes communautés qui les ont façonnées au cours des siècles. 

Prenons, par exemple, notre langue française, à la base de laquelle il y a non seulement une pléthore de mots latins (dieu, miel, route), héritage de l’Empire romain, mais aussi une toute petite quantité de mots gaulois (chêne, ruche), légués par les Celtes, et un millier de mots germaniques (hanche, jardin), que l’on doit aux populations « barbares » installées dans l’Hexagone avant la christianisation mise en œuvre par les Romains. À cette triade linguistique originaire – en elle-même suffisante pour montrer que l’on ne peut pas arrêter un mot à la douane ! –, il faut ajouter les langues d’emprunt, qui ont enrichi progressivement la langue de Molière : il s’agit, chronologiquement, du norrois des Vikings (carlingue), de l’italien (balcon), de l’arabe (algèbre) et, bien évidemment, de l’anglais (pudding, week-end). Dans ce contexte, qu’en est-il du lexique du sport ? Il faut savoir que les technolectes – terme par lequel les linguistes désignent des ensembles langagiers spécifiques, propres à des techniques particulières –, dits également « terminologies » ou encore « langues de spécialité », tout en ayant un champ d’application moins étendu, présentent la même richesse étymologique que la langue standard. Le cas de la terminologie tennistique est emblématique : à côté des mots d’origine latine, nous retrouvons des vocables issus de l’ancien français et du grec, ainsi que des emprunts à l’arabe, à l’italien et surtout à l’anglais. Sans compter les mots que la langue française a exportés outre-Manche grâce au succès que son ancêtre illustre, le jeu de paume, rencontrait auprès des cours royales au Moyen Âge…

 

La terminologie du tennis : une grande variété de sources étymologiques 

Étant donné que la langue standard fournit la plupart des mots composant le lexique de base du tennis, il n’est pas surprenant de constater l’influence prépondérante du grec – qui a fourni, entre autres, des mots multisports comme stratégie, technique, tactique et trophée – et du latin. L’hégémonie de la langue latine concerne aussi bien les termes omnisports (adversaire, champion, compétition, égalité, faute, jeu, ligne, palmarès, qualification, surface, victoire), que les mots ayant acquis une signification spécifique dans la pratique du tennis, tels que service, volée, coup droit et revers. Si la volée – mot issu du latin volare, qui signifie voler doit son appellation au simple caractère aérien de son exécution, les termes revers, coup droit et service cachent des histoires surprenantes, qui plongent leur origine dans le jeu de paume. Ce sport, né à la fin du XIIIe siècle et pratiqué initialement à main nue, puis avec des gants, des battoirs en bois et, à partir du XVIe siècle, avec des raquettes, présentait des frappes similaires, au moins dans l’exécution gestuelle de base, à celles que l’on observe dans le tennis actuel. Ainsi, le revers – mot issu du latin reversus, qui signifie « retourné » – doit sa dénomination aux caractéristiques anatomiques de la main, unique outil de propulsion de la balle (nommée esteuf) au jeu de paume avant l’introduction des raquettes pendant la Renaissance. De ce fait, les joueurs droitiers recevant une balle sur le côté gauche de leur corps pouvaient projeter celle-ci avec la paume de la main gauche ou la renvoyer en utilisant le « revers » de la main droite, soit le côté opposé à la paume. Pour cette raison, le revers s’appelait autrefois « coup d’arrière-main », expression qui a survécu en anglais, où le revers est nommé backhand. 

Quant au coup droit – du latin populaire colpus, « soufflet, coup de poing » et directus, « qui est en ligne droite, à angle droit » – à l’origine du jeu de paume, il était dénommé « coup d’avant-main », car, par opposition au coup d’arrière-main, il était effectué en présentant la paume de la main face à balle. Encore une fois, les Anglais ont maintenu cette expression, traduite par le terme forehand. Mais pourquoi, dans les pays francophones, parlons-nous de « coup droit » ? La réponse vient de la configuration des anciennes raquettes. Au jeu de paume, celles-ci avaient deux faces distinctes : l’une était utilisée pour frapper la balle en revers – c’était le côté « des nœuds » car il présentait les entrelacements du cordage nécessaires pour fixer celui-ci au cadre –, alors que l’autre servait pour effectuer le coup droit et était nommée côté « des droits », car dépourvue des aspérités qui caractérisaient la face opposée. Les joueurs ne pouvaient pas choisir indifféremment l’une ou l’autre de ces deux faces, comme le fait remarquer Jacques Lacombe dans son Dictionnaire des jeux (1792) : « Pour les coups d’avant-main, on emploie le côté des droits de la raquette, et pour ceux d’arrière-main, le côté des nœuds. » En définitive, au jeu de paume, un coup droit est un coup effectué toujours avec le même côté de la raquette, celui dit « des droits » ! 

En ce qui concerne l’origine du mot « service » (du latin servitium, de servire, être esclave), elle s’expliquerait par le fait que, au jeu de la paume, l’esteuf, souvent de grande dimension et peu maniable, était mis en jeu par un serviteur afin de faciliter le début de l’échange. Curieusement, l’invention de la seconde balle de service est liée à une maladresse… royale ! L’origine de cette règle remonte au XVIe siècle, époque pendant laquelle le roi Henri VIII d’Angleterre aimait se délecter du jeu de paume. Le roi étant corpulent et peu à l’aise lors de la mise en jeu, il avait alors décrété que, pour engager sa partie, deux essais lui conviendraient mieux. Cette exception royale est ensuite devenue une règle, dont l’application a été maintenue dans le tennis moderne jusqu’à nos jours.

 

Les langues vivantes et l’ancien français 

L’apport des langues vivantes, tout en étant moins substantiel par rapport aux deux langues véhiculaires du passé (à l’exception de l’anglais, dont il sera question dans ce qui suit), n’est pas négligeable. Ainsi, l’italien a prêté, outre attaquer, et finale, le mot balle – de l’italien du Nord balla –, apparu au XVIe siècle. Quant à l’autre support essentiel de la performance tennistique, la raquette, sa dénomination trouverait son origine dans la langue arabe. Plus précisément, ce mot, apparu à la fin du XVe siècle, provient très probablement de l’arabe rahat, qui signifie « paume de la main » et a vu le jour grâce à la médiation du latin médiéval dans l’expression rasceta manus, qui indique le carpe de la main.

L’ancien français, pour sa part, a fourni, entre autres, exploit, forfait, niveau et court. Ce dernier mot – appellation de notre belle revue – désigne à l’origine un terrain spécialement aménagé pour la pratique du jeu de paume. Tout en étant un emprunt à la langue anglaise en 1887, court dérive en ligne directe de l’ancien français cort (apparu en 1155), mot qui désigne la cour, la résidence royale. Ce qui n’est pas surprenant, étant donné que le jeu de paume était l’activité favorite de la noblesse et que nombre de souverains français, tels que François Ier, Charles IX et Henri IV, le pratiquaient assidûment. Le lien historique avec la cour royale explique pourquoi le mot court est employé uniquement dans les sports de raquette dérivés du jeu de paume : on dit « un court de tennis », « un court de squash », « un court de padel », mais on ne dit pas « un court de football » ou « un court de basket » ! Il faudra alors employer le mot terrain, qui dans le lexique du tennis est interchangeable avec court, ces deux termes entretenant une relation synonymique. L’histoire du mot court n’est pas isolée dans le panorama du lexique du tennis. Bien des mots, en effet, ont effectué des allers-retours surprenants entre la France et la Grande-Bretagne. L’examen des anglicismes, foisonnants dans la terminologie du tennis, nous permettra de découvrir en détail leurs parcours. 

© Frederika Adam | frederikaadam.com

Les emprunts à l’anglais : une pénétration linguistique impressionnante

Comme les autres sports originaires d’outre-Manche à la fin du XIXe siècle, le tennis arrive en France avec un contingent imposant de termes provenant de l’anglais britannique, selon un phénomène d’emprunt massif : break, let, lift, lob, match, out, smash, slice, pour n’en citer que quelques-uns. 

Si certains termes adoptés dans la seconde moitié du XXe siècle sont encore perçus comme appartenant à un système linguistique différent (quick, tie-break), l’altérité originaire des vocables naturalisés il y a plus d’un siècle n’est quasiment plus discernable dans la conscience linguistique des locuteurs (match, lift). L’usage, suprême législateur, a enraciné leur présence au sein des pratiques langagières, d’où la difficulté de traduire a posteriori ces mots, surtout dans le cas des anglicismes qui se sont en effet lexicalisés en engendrant des dérivés (smash-smasher-smasheur, lob-lober, lift-lifter-lifteur, slice-slicer, break-breaker). Il semblerait que le pouvoir exorbitant de la terminologie anglo-saxonne soit atténué au Canada francophone, les Québécois étant plus soucieux d’endiguer l’influence linguistique de leur encombrant « voisin du Sud » par l’emploi systématique de certains termes français recommandés dans l’Hexagone mais, de facto, non utilisés. Ainsi en est-il de bris/brèche, balle de bris, brèche de service, bris d’égalité et ainsi de suite, forgés comme alternative au terme anglais break et à ses dérivés, très usités en France.

 

Les faux anglicismes et les mots oubliés ou méconnus

Parfois, il faut se méfier des apparences ! Tennisman et tenniswoman, employés couramment en langue française pour désigner un joueur ou une joueuse de tennis, sont en effet des faux anglicismes, forgés en 1903 sous l’influence de l’anglomanie en vogue auparavant.

Ces deux substantifs, qui en langue anglaise se traduisent par l’expression tennis player, auraient pu être remplacés par un équivalent bien français, mais qui est tombé dans l’oubli. Il s’agit de tennisseur, forgé en 1919 et enregistré dans le Journal officiel en 1990. 

L’expression tir passant, apparue au cours de la même année afin de traduire l’anglicisme passing-shot, a connu le même destin que tennisseur, le grand public ne l’ayant jamais adoptée. Il en est de même pour as, destiné à traduire ace, forgé en 2000 et méconnu par les passionnés de la petite balle jaune. 

Contrairement à jeu décisif, apparu également au début du nouveau millénaire. En effet, dans la terminologie française officielle du tennis, jeu décisif a bel et bien remplacé l’anglicisme tie-break, quoique celui-ci demeure très usité dans la communication informelle. 

 

Les allers-retours de mots entre la France et l’Angleterre

 Le voyage interculturel des mots tennistiques n’est pas unilatéral. En effet, en plus de court, que l’on a déjà évoqué, certains substantifs provenant de l’ancien français, tels que ace, deuce, love ou tennis, par le biais du jeu de paume, ont parcouru le chemin à l’inverse, se déplaçant, d’abord, de l’Hexagone vers la Grande-Bretagne, pour retourner enfin au sein de la langue française, riche en unités lexicales ayant effectué des pérégrinations décidemment inattendues. Les linguistes parlent, à ce propos, de « réemprunt ». Le mot sport synthétise parfaitement cette tendance : quoiqu’il acquière son sens moderne en Grande-Bretagne, au XIXe siècle, il s’agit d’un vocable issu de l’ancien français. Le mot anglais, en effet, est une troncation de disport, apparu au XIVe siècle, qui signifie « passe-temps, récréation, divertissement ». 

Il en est de même pour le mot tennis, issu de l’ancien français tenez, impératif du verbe tenir. Au jeu de paume, en effet, avant de mettre la balle en jeu, le serveur annonçait : « tenez ! » (en prononçant le z final) afin de s’assurer que son adversaire soit prêt à retourner la balle. Après de nombreuses modifications orthographiques et phonétiques (tenetz, teneys, tenys), les Anglais nous ont rendu l’injonction tenez !, qu’ils avaient adoptée durant le XIVe siècle, sous la forme actuelle tennis. 

Quant à ace, ce mot pourrait également venir de l’ancien français, où ais signifie « planche de bois ». La filiation de ce mot serait donc à rechercher dans le jeu de la courte paume, où les joueurs peuvent faire rebondir la balle sur les murs et les toits du court. Ainsi, un « coup d’ais » désigne l’impact d’une balle envoyée à la volée dans un ais maçonné du mur situé du côté du serveur. Il s’agit d’un coup d’exception, difficile à exécuter, qui pourrait avoir inspiré, dans le tennis moderne, la dénomination du service gagnant non touché par le relanceur. 

En ce qui concerne deuce, mot que les Anglais utilisent pour désigner une égalité de points à 40, il plonge ses origines dans l’ancien français deus (deux), employé au jeu de paume dans l’expression « à deux », qui désignait une égalité à 45 au cours d’un jeu ou une égalité de cinq ou sept jeux au cours d’une manche. On disait alors que les joueurs étaient « à deux » points de la victoire d’un jeu ou « à deux » jeux de la victoire d’une manche.

 

Enfin, un autre mot que la langue de Molière pourrait avoir prêté à la langue anglaise est love, terme employé en anglais dans le décompte des points dans un jeu pour indiquer la marque zéro. Son origine demeure mystérieuse, mais d’après une hypothèse fascinante, ce mot pourrait être issu de l’expression l’œuf, utilisée au jeu de paume au XIIIe siècle dans le décompte des points afin de remplacer la marque zéro. Ainsi, les joueurs de paume, en associant la rondeur d’un œuf à la forme du chiffre zéro, annonçaient, au lieu de « quinze-zéro », « quinze-l’œuf », qui deviendrait « fifteen-love » en Angleterre.

Ce parcours autour de la terminologie du tennis montre non seulement la richesse impressionnante de ses sources étymologiques, mais aussi, sur une échelle plus grande, les pouvoirs extraordinaires des mots. De simples séquences de sons capables d’abattre toute frontière établie artificiellement par les hommes. Inexorablement, progressivement, constamment, les mots élargissent les confins de notre identité, en réalisant des amalgames surprenants entre les langues. Leur trajet évoque celui d’une petite balle jaune indomptable, souhaitant éviter à tout prix les mailles du filet, libre de rebondir d’un camp à l’autre, dans un échange sportif, linguistique et culturel sans fin. 

 

Article publié dans COURTS n° 7, printemps 2020.

Valerio Emanuele est professeur de tennis diplômé d’État, docteur en sciences du langage et chercheur associé au sein du laboratoire Lexiques, Textes, Discours, Dictionnaires (LT2D) de l’université de Cergy-Pontoise. Il est l’auteur du Dictionnaire du tennis, paru en 2019 aux éditions Honoré Champion. Ses recherches portent sur le lexique sportif et le paratexte des dictionnaires bilingues. 

Les petits pas d’Uma

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Le tennis n’échappe pas à ce mouvement permanent. Sport de déplacement, jeu de jambes et de pieds, il exécute une chorégraphie en duo qui ne serait qu’insuffisamment magnifiée sans ses… chaussures. Les demi-pointes du joueur ne sont rien sans talent ; mais qu’est-ce qu’un joueur orphelin de ses chaussures ? 

Un pas en arrière. Deux. Trois. La semelle silencieuse, attentive. Quatre. Cinq. Whooshwhooshwhoosh. Six. Sept. Whoosh, un regard… Tzing – et le fléau s’élance dans un hoquet strident –, flexion, esquive… Respiration. Soudain, le tap-tap-tap des petits pas qui s’accélère, le frou-frou d’une lame qui pare, puis frappe d’estoc, de taille. Elle recule ! Course vers l’avant, un saut, un cri, un Bam retentissant et le fléau s’écrase sur la poitrine d’Uma Thurman. Une fois, la voilà désarmée ! Deux fois… Elle est à terre. 

Cette scène, le cinéphile la connaît forcément. Et elle se termine bien, même si l’on ne se risquera pas à décrire la façon dont finissent Gogo Yubari, psychopathe patentée en tenue jupette courte-chaussettes hautes agressive, et ses yeux résolument maniaques. Spoiler : une affaire de pied de table et de clous mal placés. 

Quand Kill Bill est sorti en 2003, les moins hémophiles ont eu, durant quelques semaines, les yeux rivés sur cette Uma Thurman à la blondeur souvent sanguinolente. Souvenez-vous, c’était cette drôle d’époque où l’on pouvait aimer les katanas bling-bling en inox et les chemisettes dragons aux manches trop larges, tout en étant bercé par la douceur du Bang-Bang de Nancy Sinatra… Mais, dans les salles obscures, entre deux flots d’hémoglobine, ce qu’on a rapidement remarqué, ce sont les pieds d’Uma.

Fétichisme ? Non. On aime les petons, là n’est pas la question. Mais on les apprécie encore plus lorsqu’ils revêtent leurs Tai-Chi jaunes, ces guêpes de chaussures créées par Kihachiro Onitsuka, fondateur de la marque Asics, idéales pour la pratique des art martiaux. La semelle est fine, l’allure élégante, les tiger stripes d’Asics raient de noir leur or orangé… Feinte, esquive, fente ou parade, gageons-le : si La Mariée de Kill Bill enchaîne les prouesses martiales, c’est parce qu’elle est portée par ses Onitsuka Tiger et son petit jeu de jambes. 

 

Le jeu de jambes est « le trait d’union reliant tous les coups du tennis »

Le jeu de jambes. Que l’on manie une lame aiguisée ou que l’on préfère une activité un peu moins salissante, le jeu de jambes fait partie des apprentissages fondamentaux. Le tennis ne fait pas exception, même si le jeu de jambes et la chaussure qui lui permet de s’exprimer y tiennent plus de la performance physique que de la Bonne Paie ou du Monopoly. D’ailleurs, personne ne parle vraiment de jeu lorsqu’on évoque cette notion… Gaël Monfils le résume très bien avec ses mots simples et pragmatiques : « Le jeu de jambes, c’est surtout ce qui te permet d’atteindre chacune des balles que te propose ton adversaire. Si tu joues arrêté, tu n’as aucune chance d’être performant dans le tennis moderne. » Et Kill Bill n’aurait pas excédé les cinq longues minutes de son générique d’ouverture. 

Le jeu de jambes est « le trait d’union reliant tous les coups du tennis que vous pouvez être amené à exécuter au cours d’une série d’échanges », dissertaient Pierre Darmon et Jean Couvercelle dans l’un de ces vieux ouvrages didactiques des années 60, le Tennis en dix leçons. C’est « l’ensemble des mouvements, équilibres, rotations, flexions, impulsions, appuis, démarrages, arrêts, sauts nécessaires pour permettre à votre corps d’être placé au bon endroit au moment voulu et dans la bonne position par rapport à la balle ». Uma Thurman partageait donc quelque chose avec Rafael Nadal afin d’éviter les coups de Djoko Yubari, attaquante de fond de court capable d’étouffer son adversaire par son omniprésence.

L’importance des jambes, et plus précisément des pieds, dans le tennis est telle que des rapprochements assez uniques sont régulièrement faits avec… la danse. Darmon et Couvercelle professent d’ailleurs ce traditionnel exercice auquel on s’est tous un jour essayé, enfoncé dans un sofa renflé, face à la télé, à suer sang et eau sans bouger : fixer les jambes des joueurs en faisant abstraction du court et des coups. « Vous découvrirez à quel point elles sont en action permanente, réalisant un véritable ballet. »

 

Cours de danse et danse sur le court : des arts de l’espace du mouvement

Le mot est lâché. « Le tennis est plus qu’un sport, c’est un art au même titre que la danse. » Le moindre des passionnés connaît cette citation de Bill Tilden. Son contexte a sombré dans l’oubli, le nom de son auteur n’en est plus loin non plus. Mais la sémantique fait mouche. Par ses jambes qui le déplacent à grands ou petits pas dans un environnement restreint par la géométrie, par ses bras qui exécutent une technique aux fondamentaux qu’on aimerait absolus – serait-ce plus simple ? Pas sûr ! –, mais qui ne peuvent qu’être relatifs à chaque situation et à leur infinité de variables, le corps du joueur raconte bien des histoires, à l’image de la danse. 

« L’instrument de la danse est le corps humain. Ce corps possède trois dimensions, peut donner une infinité de courbes, de lignes, de poses, sans pour cela se déplacer, et produisant déjà par ceci une gamme de phrases plastiques. Tout en modifiant les courbes et en variant la vitesse, le corps peut effectuer sur le sol les dessins les plus divers, et même, décoller du sol. » La pensée tennistique trouve un certain écho dans ces réflexions d’Igor Fosca, danseur et chorégraphe décédé en 1993, rassemblées sur un site qui lui est consacré. Les dimensions, les phrases plastiques, la modification des variables… Nulle chorégraphie au tennis, mais une improvisation permanente en duo.

Peut-on comparer, pour autant, la programmation du Philippe-Chatrier à celle du Palais Garnier ? Assurer qu’un Toni Nadal bonhomme a quelque chose de l’émacié Angelin Preljocaj ? Ou que les petits pas de Roger Federer évoquent les mouvements de Pina Bausch ? On ne s’y risquerait pas. « On peut voir une forme de chorégraphie dans un échange au tennis. Mais la différence, c’est la violence des coups qui suivent les déplacements », estime Gaël Monfils, grand danseur parmi les danseurs du circuit, avant de nuancer : « Il me semble qu’Ivan Lendl avait pris des cours de step pour améliorer son déplacement sur le terrain. Il peut donc exister une complémentarité entre les deux. » Ivan, son faciès de glace, sa géométrie soviétique. Et son step. 

© Asics

Et si la chaussure idéale chaussait déjà vos pieds ?

Comme la danse, le tennis est une science du rythme, du relâchement, de l’équilibre ou du point d’équilibre. C’est aussi ce qui permet à Uma Thurman d’enchaîner les saltos arrière pour éviter le manriki gusari, ce gros fléau japonais, de notre étudiante un poil caractérielle. « Je dirais que la meilleure façon de se déplacer au tennis est de trouver le bon équilibre », raisonne Rene Zandbergen, responsable produit chez Asics. « Le bon équilibre qui correspond à ses propres qualités de joueur de tennis. » Cela passe par des chaussures adaptées. Dans Kill Bill, La Mariée a ses Onitsuka Tiger jaunes, LA paire adaptée à son mètre 80, sa silhouette longiligne et son style, tout en souplesse et en… équarrissage. 

« La bonne chaussure, pour moi, c’est tout bêtement une chaussure qui réponde à mes attentes, continue Monfils. Elle doit être réactive pour me permettre de démarrer rapidement, avoir beaucoup de stabilité pour les reprises d’appuis et être confortable, bien entendu, sachant que je peux être amené à les porter quatre ou cinq heures en match. » Une danseuse échangerait-elle ses demi-pointes avant d’entrer en scène ? Certainement pas. Monfils non plus : « La chaussure fait presque partie intégrante de mon corps. Je la sollicite énormément, car je mets beaucoup de force dans mes courses et mes déplacements. Elle m’apporte du contrôle et de la stabilité. »

Une chaussure. Un pied. Un jeu de jambes. Un véritable challenge à relever pour les ingénieurs qui ne vivent que pour nos pédicules. « Une bonne chaussure de tennis doit permettre au joueur de jouer à son meilleur niveau, renchérit Rene Zandbergen. Les joueurs, du loisir au professionnel, le disent tous : ils ont besoin d’avoir pleinement confiance en leur chaussure et en sa façon de s’adapter au jeu qu’ils veulent pratiquer. » 

 

Asics Gel Resolution 8, un challenge de l’équilibre et de la technologie au service du jeu de jambes

Mais qu’est-ce que ce « jeu » ? Répondre à cette question, c’est définir des styles, dessiner de grandes lignes, catégoriser le mouvement. « Nous nous basons sur deux styles de jeu qui correspondent à une grande majorité des joueurs. Il y a le joueur tout-terrain, qui se déplace à gauche, à droite, mais va aussi au filet et, forcément, doit reculer pour se replacer. Et puis le joueur de fond de court qui a tendance à rester derrière ou sur sa ligne, se déplaçant principalement à gauche ou à droite. Pour les joueurs tout-terrain, on va chercher à offrir plus de légèreté et de flexibilité sur l’avant-pied, afin qu’ils soient plus rapides dans leurs déplacements. Pour un joueur de fond de court, c’est différent. Les chaussures Asics vont offrir plus de stabilité sur les côtés et au niveau du médio-pied. L’objectif : que le joueur puisse aller vite d’un côté à l’autre, en conservant un maximum d’équilibre quand il freine et repart. » L’équilibre, encore, et des technologies développées par la marque pour maximiser l’efficacité de la chaussure. Le Dynawall pour accroître cette stabilité au milieu du pied et sur les déplacements latéraux ; le Trusstic System pour assurer le soutien de la voûte plantaire sans rien négliger du déroulé naturel du pied. 

Certes, ce n’est pas la technologie qui a permis à La Mariée de résister à sa confrontation avec Gogo Yubari. Mais sur un court de tennis où la survie, le désespoir, l’affrontement ne sont que cathartiques, ce sont les plus petits détails qui font la différence. « Ce qui permet à Djokovic, Goffin ou Monfils d’être si performants dans leur jeu de jambes, c’est un mariage parfait entre tous ces petits détails, leurs prédispositions biomécaniques, leurs conditions d’entraînement et leur préparation mentale. » La Gel Resolution 8 est un bel exemple de la façon dont ces différents paramètres, alliés à la technologie, permettent au joueur d’être toujours meilleur. « Elle est optimisée pour le joueur de fond de court, explique Rene Zandbergen. C’est une chaussure d’un niveau supérieur en matière de stabilité et de confort. Elle profite de la technologie Dynawall sur les côtés, créant une stabilité latérale optimale, sans rien sacrifier à l’amplitude de mouvement. En d’autres mots, même si elle est vraiment stable, la chaussure reste flexible et capable de se tordre dans les directions demandées. Mieux, avec sa semelle extérieure sur toute la longueur, la Gel Resolution 8 propose encore plus d’adhérence. Enfin, la technologie Dynawrap améliore le maintien du pied sur la semelle intermédiaire, notamment dans les déplacements latéraux. » 

Complexe, non ? Pas tant que ça. Si l’on constate bien les torsions et ruptures subies par une paire de chaussures sur un court de tennis, si l’on visualise aisément le grand écart morphologique entre Gaël Monfils, Uma Thurman, Angelin Preljocaj et un(e) troisième série, si l’on a su, un jour, au détour d’une leçon d’anatomie qu’un pied était constitué de 26 os et 16 articulations potentiellement sollicités différemment, on ne peut qu’imaginer ce que serait la chaussure parfaite… ou ce qu’elle ne doit pas être. Car le seul à pouvoir résoudre cette équation du jeu de jambes et du point d’équilibre, c’est le joueur, c’est le danseur, c’est La Mariée tailladée des pommettes aux pieds. Comment cette dernière s’en sort-elle ? Un peu par ses Tai-Chi audacieuses. Beaucoup par sa virtuosité martiale. 

Surtout grâce à Tarantino. Mais, non, décidément, on ne vous souhaite pas qu’il écrive les scenarios de vos prochains matchs de tennis… 

 

Article publié dans COURTS n° 7, printemps 2020.

Le mur ou l’échange avec soi 

© Julien-Paul Remy

Dans l’imaginaire collectif, la notion de mur évoque souvent la séparation, le vide et la fermeture. Au tennis, ce mot recouvre une toute autre gamme de significations : dépassement, ouverture, pont, terrain vertical. Coup de projecteur sur cet acteur de l’ombre à une époque où l’intérêt des clubs pour les murs se lézarde, les ravalant parfois au rang de vestiges d’un temps révolu. Comme semble l’indiquer, de manière prémonitoire et ironique, leur aspect de stèles funéraires colorées.

© Julien-Paul Remy

Le mur représente un miroir, de notre jeu et de nous-mêmes, de ce qu’on fait et de ce qu’on est. Il en va d’un miroir opaque qui, à défaut de renvoyer notre image de manière transparente, ne renvoie pas moins à nous-mêmes : le mur ne nous entend pas mais on s’entend à travers lui, il ne nous voit pas mais on se voit à travers lui. Non pas miroir de notre image, immatérielle, mais miroir de nos actes, concrets et palpables. Immobile dans son impassible force matérielle et brute, imperturbable et invincible. Mobile dans le reflet qu’il renvoie de nos coups. Lieu de contraste entre l’état inchangé de la matière, et le devenir permanent du joueur. 

Le mur figure à la fois le lieu de l’impossible et de tous les possibles : impossibilité de le surmonter et de le vaincre, possibilités multiples de se l’approprier et de développer son jeu. En jouant avec le mur (peut-on jouer contre lui ?), on comprend que le tennis ne se joue pas seulement contre, mais aussi avec. On ne joue plus pour gagner précisément parce que toute issue victorieuse est vouée à l’échec. On ne veut plus gagner parce qu’on ne peut plus gagner ou, du moins, plus gagner contre l’autre. Au contraire, on prend conscience de la possibilité de gagner d’une autre manière, avec et contre soi. L’adversaire se mue en partenaire. On apprend enfin à jouer pour jouer, et/ou à jouer pour mieux jouer. Le mur est un lieu où l’enfant apprend à devenir adulte et où l’adulte apprend à redevenir enfant.

En plus de refléter nos actes, le mur nous tend un miroir de notre imaginaire, capable de se muer en écran qui, parce que dénué de toute image en dehors d’une sphère jaune voltigeant et défiant les lois de la gravité, peut contenir toutes les projections de notre esprit, produits de nos rêves et de nos désirs. Le mur est un vide qui accueille la plénitude. Un écran où l’on s’imagine affronter ses idoles dans des stades pleins à craquer, nous catapultant à la fois sur le terrain et dans les tribunes. Un silence à l’écoute du bruit. Un terrain fixe déterritorialisable. 

Le mur n’est pas un lieu qui ferme mais qui ouvre. Il s’apparente à un pont plus qu’à une barrière, reliant qui on est et qui on devient, le sol de notre présent et le ciel de nos ambitions tournées vers l’avenir. Le mur est une limite qui nous permet de dépasser nos propres limites. Il cristallise une tension entre l’isolement, l’intérieur, la bulle de solitude qu’on se crée et le plein air, le monde extérieur. Le mur nous enferme pour mieux nous ouvrir à nous-mêmes. 

Le mur mêle la course et la boxe. Il partage avec la course la continuité liée à l’absence de limite de temps prédéfinie, le mouvement constant, l’expérience d’une temporalité infinie ainsi que l’idée d’une quête sans autre destination qu’elle-même. Il s’assimile aussi à une cible, à un punching ball de pierre qui, au lieu de se borner à recevoir les coups, les rend systématiquement, sa violence étant proportionnelle à celle qu’on lui inflige. 

Le mur représente un lieu où l’on s’invente ses propres règles et où le joueur jouit de la plus grande des libertés : celle d’être faillible, de se tromper, de commettre des fautes. Car une erreur sans autre témoin que soi-même échappe au jugement et donc au spectre de l’échec. Le mur est un pédagogue qui ne juge pas, une verticalité horizontale. 

Le mur est un bras de fer avec soi-même, un lieu où l’on est le chasseur et le chassé, le bourreau et la victime, le commanditaire et l’exécutant, le chef d’orchestre et le soliste, le chef et l’esclave, le professeur et l’élève, l’émetteur et le destinataire, l’acteur et le spectateur. Le mur est ce rien capable de tout. À l’image de l’être humain. 

 

Article publié dans COURTS n° 3, automne 2018.

Robbie Koenig

© Robbie Koenig

Last time we saw one of those, God was a boy!…
Call 911!… 
Someone call the police because Roger got out of jail!…
Mentally, he is a fortress…
It’s tennis nearer the gods…
He’s working the angles like a South African diamond cutter…
It’s beyond a joke!…
This is outrageous!…
No mortal may approach…
That is PhenomeNadal!… 
He’s got some reflexes like a mangoose on amphetamines!…
That’s Kyrridiculous! That’s what that is!…
It’s an oil painting of a backhand… 
Oh there’s a ticket to the party!…
Did we just see this?

Sa voix. Son ton. Son accent « sud-af’ ». Son enthousiasme. Son érudition. Sa passion. Et ses punchlines magiques. Robbie Koenig est devenu en près de quinze ans l’une, si ce n’est LA voix anglophone du tennis à la télévision. Et dans le monde entier à l’heure où la digitalisation des médias a aboli les frontières. Ex-professionnel au palmarès modeste – 262e mondial au mieux en simple avant une belle reconversion en double –, Koenig continue de parcourir le monde afin de transmettre sa folle passion pour ce sport. Après avoir rangé ses raquettes, il a découvert combien on pouvait aussi prendre un plaisir fou avec les mots. On va donc l’écouter se raconter. Nous sommes à Melbourne Park, le 31 janvier 2020, attablés au restaurant du centre de presse. Dans une heure et demie, Koenig est à l’antenne pour la demi-finale de l’Open d’Australie, Dominic Thiem vs Alexander Zverev. Cela ne l’empêchera pas de se livrer pendant cinquante minutes d’un flot presque ininterrompu. 

 

« Robert a un rêve »

J’ai un grand frère plus âgé de quatorze années. Il jouait à l’époque de Kevin Curren (finaliste à l’Open d’Australie en 1984 et à Wimbledon en 1985 où il avait battu Jimmy Connors et John McEnroe) qui est de Durban, comme nous. Mon frère était un très bon joueur et quelqu’un de brillant. Mais ma mère n’a pas voulu qu’il parte aux États-Unis pour à la fois suivre ses études, continuer à jouer et pourquoi pas devenir pro. Elle voulait pour lui un « vrai » métier. C’est ce qu’il a fait en devenant avocat. Moi, j’étais le petit dernier. J’avais un peu de talent raquette en main. Un jour mon frère m’a dit : « Si tu veux jouer au tennis, je ne vais pas te laisser commettre les mêmes erreurs que moi et je t’aiderai. » Je viens d’une famille plutôt privilégiée, avec un certain niveau d’éducation, mais je voulais me lancer dans le tennis. Alors il a dit à ma mère : « Robert a un rêve, laisse-le accomplir ce rêve… » 

 

L’Afrique du Sud, terre de tennis

J’ai grandi dans les années 80 dans un pays où le tennis était culturellement important. Kevin Curren et Johan Kriek brillaient ; on avait aussi Christo Van Rensburg. J’ai été élevé dans une vraie culture de club. Je pratiquais d’autres sports, mais à partir du collège, le tennis est devenu ma passion, et même un amour.

Grandir dans les années 80, c’était grandir en regardant Borg et Johnny Mac (McEnroe) à la télévision. À l’époque, les seuls matchs que l’on pouvait voir, c’étaient les demies et la finale de Wimbledon. Mais nous n’avions pas la télévision à la maison. On allait donc chez les voisins d’en face. C’était une vraie fête, un moment à part. Donc Björn et John m’ont accompagné : j’adore Björn, sa « coolitude », mais comme j’étais un joueur de service-volée, j’aime McEnroe et cette obsession du filet. Borg, quelle superstar quand même ! Alors qu’il était si jeune. On voulait tous lui ressembler. 

© Robbie Koenig

Devenir pro… peut-être

À partir de quatorze ans, j’ai commencé à me dire que je pourrais – peut-être, ce « peut-être » est important – devenir un joueur pro. J’ai arrêté le cricket parce que les matchs avaient lieu le même jour que ceux de tennis. Je m’y suis donc mis vraiment mais je n’étais pas parmi les meilleurs : c’est Wayne Ferreira le plus fort de ma génération, avec Marcos Ondruska. On s’entraînait et on jouait des tournois avec Wayne. Comme tout d’un coup il s’est mis à avoir des résultats, ça nous a donné de l’espoir, à des gars comme moi ou Kevin Ullyett. Si lui y arrivait, on avait peut-être aussi notre chance. J’ai joué en simple pendant sept ans et j’ai bloqué autour de la 250e place mondiale. En jouant service-volée, je savais que ce serait compliqué.

 

Du simple au double, sur le court et à la banque

Franchement, prendre la décision de me concentrer sur le double n’a pas du tout été difficile, parce que j’aime le tennis. Simple, double, c’est la même chose pour moi ! Et puis je continuais de faire ce que j’aimais et à être payé pour ça. Les sept mois précédant l’US Open 1998, où j’ai perdu au premier tour des qualifs, j’ai dû gagner quelque chose comme 15 000 dollars. Je joue les qualifs du double cette année-là, et ensuite on va même jusqu’en quarts de finale. Là, j’empoche 15 000 dollars en une semaine. Je commençais à vieillir un peu, je m’étais marié. Donc gagner autant en une semaine, c’était pas mal quand même. J’ai donc poursuivi ma carrière en double pendant près de huit ans. C’est sur dur que j’ai eu le plus de succès, même si j’ai remporté mon premier titre sur terre battue, à Kitzbühel, en Autriche.

 

Une demie pour un appartement

Je venais de me marier et on savait depuis Roland-Garros que ma femme était enceinte. J’habitais à Londres, en colocation. Je m’en foutais un peu parce que de toute façon j’étais tout le temps en voyage… Mais avec un enfant en route, ça allait devenir compliqué. Et là, avec John-Laffnie de Jager, mon partenaire et meilleur ami, on se retrouve en quarts de finale de l’US Open contre Neil Broad et Piet Norval, deux gars bien plus expérimentés et mieux classés que nous. Mais bon, on les avait battus l’année d’avant. Je savais surtout que le prize money entre un quart et une demi-finale, ce n’était pas la même chose : ça doublait le montant ! Et moi, j’étais en train d’essayer de m’acheter un appartement à Southfields, à deux pas de Wimbledon. Je n’arrêtais pas de me dire « si je gagne ce match, je vais pouvoir l’acheter, mon appart ! » Je dois l’avouer, il n’y a plus eu que ça qui comptait. Ça a été une motivation incroyable. On a joué sur le Granstand juste avant Karol Kucera et Andre Agassi qui devaient terminer leur match débuté la veille et interrompu par la pluie. Les spectateurs ne voulant pas rater Agassi, le stade était déjà plein. Alors oui, ce n’était pas pour nous, mais n’empêche, l’ambiance a été absolument formidable. On a gagné après avoir perdu le premier set et, au moment de serrer John dans mes bras, je me souviens lui avoir dit : « Ce n’est pas qu’on soit en demi-finales de l’US Open qui est important : ça y est, je l’ai mon appart à Londres ! » C’est mon meilleur souvenir de joueur. Trois mois plus tard, je l’ai acheté. Je l’ai toujours. C’est le meilleur investissement que j’aie jamais fait. 

2019 US OPEN © Ray Giubilo

Au coin d’une rue

L’après-tennis me faisait un peu peur. Mais j’ai trouvé un job assez rapidement. Mon ami Wesley Moody (57 e en simple à son meilleur niveau), avec lequel j’avais joué en double, m’a demandé de voyager avec lui. Je démarre donc le coaching et puis dans le même temps, un jour à Londres au coin d’une rue, je croise mon pote Jason Goodall (ancien 240e mondial puis coach et commentateur). Il avait commencé à commenter des matchs pour ATP Media (maison-mère de Tennis TV) et le TV World Feed. On est en 2006. « Et toi, ça ne t’intéresserait pas de commenter ? », me dit-il. Je décline. Mais il insiste, m’expliquant notamment que John Barrett (ancien joueur anglais des années 50, une légende du journalisme tennis en Angleterre, commentateur pour la BBC) va prendre sa retraite à la fin de l’année. À Indian Wells puis à Miami, comme j’avais des moments libres, je commente tout de même quelques matchs. Ce n’est pas une révélation mais je prends du plaisir. Et puis à Wimbledon, Moody me vire. Je prends conscience d’à quel point le job d’entraîneur est fragile, car je me retrouve alors sans rien. Je reprends les commentaires à Cincinnati et là on me propose de bosser à temps plein pour la saison à venir. J’accepte tout de suite ! À l’époque, il n’y a pas grand monde qui connaît ATP Media. Ils étaient surtout host broadcaster (ce qui signifie produire les images, reprises ensuite par les chaînes diffusant le tournoi, c’est le « World Feed »), chaque pays ayant ses commentateurs. Après trois ou quatre ans, la situation a changé. Les droits du tennis, de plus en plus populaire, sont devenus plus chers, et les chaînes, afin faire des économies, ont pris le World Feed au complet, c’est-à-dire les images et nos commentaires à nous. Cela a été le cas en Asie avec Star Sport par exemple, au Canada, en Afrique du Sud, en Australie et même aux États-Unis car au début de son histoire, Tennis Channel prenait aussi pas mal le World Feed au complet. Tout à coup, on s’est mis à nous écouter un peu partout dans le monde. Ça a été une bascule pour moi. C’est comme ça que j’ai commencé à me faire un petit nom. Ensuite, Tennis Australia et l’USTA (la fédération américaine), qui produisent aussi leur propre contenu, m’ont proposé de travailler avec eux. 

 

Enrichir son répertoire 

Je suis naturellement quelqu’un d’enthousiaste et de positif – mon père vient de l’île Maurice, il y avait toujours pas mal d’excitation à la maison –, et quand je regarde les joueurs d’aujourd’hui en action, je m’enflamme, je n’en reviens pas de leur niveau. C’est un autre sport que celui que j’ai pratiqué. Si on n’est pas enthousiaste devant ce spectacle, c’est à n’y rien comprendre. Mes commentaires ne sont qu’une extension de ma personnalité. […] Je serai toujours dans le camp des positifs. C’est tellement facile de critiquer les joueurs quand ils ne sont pas au top. Je sais ce qu’est la pression, par exemple. Avoir joué à un niveau relativement correct me permet de comprendre combien tout cela est compliqué. Agassi avait dit : « Sur 80 matchs dans l’année, j’en joue quatre de bons. Le reste du temps, je ne suis qu’à 70 ou 80 %, simplement à essayer de gagner. » Nous, commentateurs, on ne doit pas oublier cette réalité de la complexité du haut niveau. Ce qui m’a aussi aidé à trouver mon ton, c’est la multiplication des highlights ou des hotshots via les réseaux sociaux. En me réécoutant, j’ai réalisé que je répétais souvent la même chose comme « it’s an amazing shot ». J’ai essayé de trouver des formules pour dire la même chose mais différemment. Je devais enrichir mon répertoire. […] Ce que j’aime, c’est lorsqu’on vient me voir et qu’on me dit : « J’ai le sentiment qu’on se connaît, vous êtes dans mon salon six heures par jour ! » L’important est que les téléspectateurs ressentent que je suis l’un des leurs : un fan de tennis. Je n’ai pas été assez fort pour devenir numéro un mondial mais je suis passionné par ce sport depuis le premier jour. Si je peux permettre à quelques personnes de prendre encore plus de plaisir à regarder du tennis parce que mes commentaires sont bons, alors j’aurai fait mon boulot.

© Antoine Couvercelle

Mark Twain à la rescousse

Je suis un grand lecteur et c’est grâce à ça que j’ai commencé à trouver des formules plus originales. Prenez Mark Twain et son « It’s not the size of the dog in the fight, it’s the size of the fight in the dog… » Eh bien cette phrase, elle colle merveilleusement à David Ferrer, non ? Alors je me suis mis à faire des listes. L’un de mes athlètes préféré est Edwin Moses qui a dit un jour cette phrase magnifique que j’ai utilisée pour une fin de match : « Losing it’s not the end. In fact, it’s the beginning of an inner dialogue upon on which progress depends. » N’est-ce pas merveilleux ? Et puis c’est tellement vrai. J’ai essayé de trouver des propos de personnalités qui parlaient aux gens, pas d’obscurs poètes. L’idée est d’apporter une petite touche poétique ou une réflexion. Il ne s’agit pas d’être toujours en train de hurler et de s’extasier. Mais attention, je ne suis que la cerise sur la gâteau. Le show, ce n’est pas moi.

 

Minuit, Miami, Seppi va servir pour le match…

Je me vois continuer encore dix ou quinze ans. J’ai le bonheur de faire ça. Et spécialement avec cette génération dorée. C’est comme si, au théâtre, j’étais assis au premier rang. Je parle d’eux, je les rencontre, j’ai pu tisser une relation particulière avec certains… j’adore mon job ! En fait, ce n’est même pas du boulot. C’est quoi ma réalité ? Qu’il est minuit à Miami, je commente mon dernier match. Andreas Seppi va servir pour le match contre Tommy Robredo, je sais très bien qu’il va perdre son service et qu’on est là pour encore une heure… Il y a plus grave dans la vie !

 

Les larmes de Dunblane

Le plus grand match que j’ai commenté ? Si je devais en choisir un, ce serait la première victoire d’Andy Murray à Wimbledon en 2013. C’était à la radio. Je connais Andy depuis qu’il a quinze ans. Voir ce gamin contre lequel j’ai joué (une fois, à Nottingham en 2003) devenir ce champion incroyable, le voir se hisser en finale de Wimbledon puis gagner le titre avec tout ce que cela représentait pour les Anglais et pour lui, c’était absolument incroyable. Ivan Lendl l’a dit : il n’avait jamais vu un joueur devoir supporter autant de pression, tant les attentes autour de lui étaient colossales. On ne se rend pas bien compte de ce par quoi il est passé. Et puis ce jour-là, comment ne pas se souvenir du massacre à son école de Dunblane dont il avait réchappé enfant ? Je me suis souvent demandé s’il repensait à ce qui s’était passé ce jour-là. Je m’étais préparé parce que j’avais le pressentiment qu’il allait gagner. Et j’avais rédigé cette formule, au cas où : « Aujourd’hui, comme à Dunblan en Écosse, il y a des larmes, mais ce sont des larmes de joie parce que l’un des leurs vient d’accomplir un des plus grands exploits possible en sport. » Quel moment formidable d’avoir été le témoin de cet événement !

 

Federer : «Alors les gars, vous en pensez quoi ? »

Parmi les grands matchs que j’ai commentés, il y a la finale ici à l’Open d’Australie en 2017 entre Rafa et Roger. À 3-1 contre lui dans le cinquième set, avec Mark Petchey et Joshua Eagle, on se disait qu’il allait encore se faire bouffer par Nadal dans un grand match. On termine nos commentaires et, franchement, on n’arrivait pas à croire ce que l’on venait de voir. Après, dans un couloir de la Rod Laver Arena, on entend un gars de la sécurité qui dit « excusez-moi, libérez le passage, Monsieur Federer arrive ». Il était entouré par dix personnes mais il nous a vus. Il avait le trophée dans les mains. Il est venu vers nous, s’est arrêté. Et nous a dit en se marrant : « Alors les gars, vous en pensez quoi ? » Inoubliable ! 

 

Article publié dans COURTS n° 7, printemps 2020.

Le retour du champagne ?

© Antoine Couvercelle

Au sortir d’une ère marquée par l’omnipotence d’un tennis préformaté du fond de court avec un revers à deux mains bien campé sur ses appuis, la nouvelle génération incarnée par des joueurs comme Tsitsipas ou Shapovalov semble ramener dans son écume le goût du revers à une main et, avec lui, celui du tennis champagne. Signe d’une (r)évolution impulsée par l’héritage de Roger Federer, cycle naturel des choses ou simple illusion ? 

Il en faut peu, parfois, pour être heureux. En l’occurrence une simple statistique, très anecdotique dans le fond, mais accueillie sous les vivats de la foule lors de la finale du Masters 2019 entre Stefanos Tsitsipas et Dominic Thiem : c’était la première finale 100 % revers à une main dans la prestigieuse épreuve de fin d’année depuis 2006. À l’époque, de nombreux observateurs, et non des moindres, prédisaient la mort imminente du revers à une main et de ses artistes déraisonnables, censés cracher leurs dernières flammes avant de se faire doucher, définitivement, par le froid pragmatisme des épiciers au revers à deux mains. La victoire inéluctable de la fourmi sur la cigale, en quelque sorte. 

Le problème est qu’en tennis – et c’est valable pour les lignes qui précèdent comme pour celles qui vont suivre –, toutes les théories trop hâtivement avancées finissent par être balayées un jour, effacées par les vents contraires du lendemain. Notre sport, comme la mode, n’est qu’affaire de cycles et c’est bien là, aussi, ce qui fait le charme de cette discipline universelle, qui accorde sa place aux petits comme aux grands, aux costauds comme aux malingres, aux attaquants comme aux défenseurs. Et donc au revers à deux mains comme au revers à une main !

Ce dernier, douze années après les funestes prédictions sur son avenir, tient à nouveau le haut de l’affiche. À vrai dire, dans cet espace-temps, on a un peu l’impression de n’avoir entendu parler que de lui, par l’intermédiaire évidemment de son plus célèbre représentant, Roger Federer, dont c’est pourtant le point faible avéré. Grâce aussi à deux autres « monobras » plutôt à leur aise dans la spécialité, Stan Wawrinka et Richard Gasquet, qui eux en ont fait un point fort, surtout ce dernier dont c’est même l’arme maîtresse. Après quoi, de plus jeunes ont repris le flambeau avec panache : Tsitsipas et Thiem, donc, mais aussi Grigor Dimitrov et désormais Denis Shapovalov, principalement. Avec eux, plus de doute : le revers à une main survivra !

© Antoine Couvercelle

Revers à une main : la qualité, pas la quantité

Mais quitte à passer pour un pisse-froid, cette vision romantique du revival inespéré du revers à une main ne résiste pas complètement à l’analyse des chiffres. Car dans le même espace-temps, il a diminué de moitié au sein de l’élite du top 100, dont il ne représente plus que 15 % contre encore 29 % à la fin de la décennie précédente. Oui, il serait hâtif, sinon erroné d’affirmer que le revers à une main est en train de faire son retour en force. La différence, en revanche, c’est que ces revers à une main sont désormais concentrés dans le sommet de la pyramide quand ils étaient plus anonymes il y a dix ans. Autrement dit : on trouve peut-être moins de revers à une main aujourd’hui, mais ils performent mieux.

À moins que ce ne soient leurs propriétaires qui, globalement, performent mieux ? On peut aussi poser la question en ces termes et se demander du coup, comme ce bon vieux Nick Bollettieri avait eu un jour l’impudence de le faire avec Roger Federer, s’ils ne seraient pas encore meilleurs, voire proches de l’imbattable avec un revers à deux mains. Une interrogation qui revient à ouvrir un comparatif à ciel ouvert entre les deux revers. Débat impossible ? Certaines données chiffrées semblent pourtant apporter une réponse assez claire, qui ne va pas plaire aux puristes : il semblerait que, dans l’absolu, le revers à deux mains soit une bien meilleure option.

 

Le revers à deux mains, un meilleur coup ?

Ces chiffres, nous sommes allés les glaner dans l’inépuisable banque de données collectées par Fabrice Sbarro, un entraîneur suisse féru de statistiques, domaine qui lui a ouvert les portes d’une collaboration avec deux joueurs du top 10. Sur son site internet Tennisprofiler, celui qui a par ailleurs écrit un livre à vocation tactique (Quel joueur êtes-vous ?) prend soin de hiérarchiser, sur la base des innombrables matchs qu’il analyse lui-même en permanence, les coups les plus efficients du circuit (top 100 principalement), selon un algorithme complexe reposant sur deux critères principaux : la différence points gagnés/fautes directes sur un même coup, et le comparatif avec les adversaires sur ce même coup. 

La prédominance des revers à deux mains (le Français… Antoine Hoang figure en tête devant Nishikori, Nadal, Djokovic et Paire) est nette dans ce classement où seul le revers à une main de Richard Gasquet pointe dans le top 10. Et encore, il faut le relativiser puisque, on l’a dit, le classement – basé sur l’étude de la saison 2019 – est pondéré par la valeur des adversaires affrontés. Or le Français, beaucoup blessé l’an dernier, n’a guère affronté les tout meilleurs. Derrière Richard arrive Dominic Thiem à la 12e place et, plus surprenant, Dan Evans à la 15e. Les Federer, Wawrinka et Tsitsipas ne figurent même pas dans le top 20. On nous aurait menti ? Non, répond Fabrice Sbarro, mais « le problème par rapport à l’estimation des revers à une main, c’est que l’on confond souvent la beauté et l’efficacité. Ça a été longtemps vrai pour Roger Federer qui avait par le passé un revers à une main défensif, même s’il a ensuite apporté quelques changements qui lui ont permis de remonter dans mon classement. L’autre exemple type, c’est Stan. Il a un superbe revers, qui a d’ailleurs été très efficace, mais en 2019, pour des raisons qui lui appartiennent, il a commis un nombre d’erreurs hallucinant sur ce coup qui est devenu moyen, voire faible. » Mais quoi qu’il arrive, on continuera toujours de s’extasier sur le revers de Wawrinka comme on le fait à juste titre sur celui de Gasquet, probablement le seul joueur en activité dont le revers à une main est supérieur au coup droit, chose qui est plus répandue chez les revers à deux mains. 

© Antoine Couvercelle

Quand Djokovic jouait à une main…

Alors, s’il en est ainsi, pourquoi tout le monde ne jouerait-il pas son revers à deux mains, sachant que même Roger Federer a dit que c’est le coup qu’il enseignerait à ses enfants ? D’abord parce que tout le monde n’a pas les aptitudes biomécaniques pour cela. Dans la série des théories quelque peu suspectes, l’une de celles qui a longtemps circulé, venue des États-Unis, disait que le revers à une main engendrait davantage de contraintes biomécaniques que le revers à deux mains. « Alors qu’il n’y a aucun coup plus naturel que le revers à une main puisque c’est le seul coup où l’épaule dominante est en avant du corps, donc le seul coup où le corps est naturellement tourné dans la bonne direction », comme le constate Jan de Witt, l’ancien entraîneur allemand de Gilles Simon, réputé pour sa boulimie d’analyses. 

Le fait que les enfants (surtout les filles) optent en masse pour le revers à deux mains, au début, vient plutôt tout simplement d’une question de force. On le sait peu mais Novak Djokovic, poussé en ce sens par sa première monitrice, Jelena Gencic, s’était essayé au revers à une main dans sa jeunesse. Il n’a pas prolongé l’expérience parce qu’il se sentait «trop faible ». Et il a bien fait, assurément. D’autres en revanche aurait été tout aussi inspirés de switcher mais ne l’ont jamais fait, soit parce qu’on ne leur a pas proposé, soit parce qu’ils n’ont pas osé, pris dans l’engrenage des résultats immédiats. Car switcher, comme l’ont en revanche entrepris à l’adolescence (ou juste avant) des joueurs comme Thiem, Wawrinka, Tsitsipas ou même Edberg et Sampras avant eux, c’est l’assurance de rétrograder sérieusement pendant une saison ou deux, le temps que tout se mette en place. « D’une manière générale, le revers à une main est un coup qui demande plus de temps car c’est un coup très exigeant physiquement », observe Laurent Raymond, entraîneur du Français Corentin Moutet dans les structures de la FFT. « On ne peut pas compenser avec la main gauche comme avec le revers à deux mains, donc il faut être très bien placé et bien ancré dans le sol. Tsitsipas, quand il était junior, ne tenait pas du tout son revers à une main. C’est à partir du moment où il est devenu fort physiquement qu’il est devenu fort sur ce coup. On voit d’ailleurs que ce renouveau du revers à une main se fait avec une génération de joueurs très athlétiques et puissants. »

© Ray Giubilo

Rod Laver : « Tout dépend de ce qu’on veut faire de son jeu »

Des joueurs dont le profil offensif est une autre caractéristique, probablement liée aussi, on y reviendra, à cette pratique du revers à une main. Cela nous ramène au choix initial : un revers à une main, à la base, ce n’est pas un choix d’efficacité statistique ou d’esthétisme, c’est avant tout une question de feeling corporel et d’état d’esprit. « Tout dépend de ce que l’on veut faire de son jeu », disait l’an dernier, lors de sa venue à Roland-Garros, Rod Laver, l’emblématique champion de la dernière génération majoritairement écrasée par le revers à une main, avant que Jimmy Connors et Björn Borg n’opèrent la révolution. « Choisir le revers à deux mains, c’est privilégier la cadence et la vitesse. À une main, vous avez plus de flexibilité, la capacité de varier davantage. » 

 Même si Nadal est une exception notable dans la « caste » des deux mains, le revers à une main, grâce à la plus grande liberté qu’il accorde au bras, à l’avant-bras et au poignet, permet incontestablement de générer plus de spin, donc de donner plus de volume et d’angles à la balle. C’est peut-être pourquoi, contrairement à une (autre !) idée fausse, il n’est pas seulement l’apanage des attaquants, mais est aussi très prisé des puncheurs voire des défenseurs, à l’image d’une vague importante de terriens hispanophones. Mais c’est vrai qu’il accorde aussi à ceux qui veulent se projeter une capacité à assurer une meilleure transition vers l’avant : les joueurs dotés d’un revers à une main sont généralement plus enclins à maîtriser la volée et le slice, un coup devenu très important pour apporter un peu de douceur dans ce monde de brutes. « Si vous regardez les meilleurs, tous maîtrisent parfaitement le slice », fait d’ailleurs remarquer Roger Federer.

 

Un « sauté » de revers à une main

Aujourd’hui, l’influence de ce dernier est évidente dans le choix de jeunes joueurs de se tourner à nouveau vers le revers à une main. On le voit dans les clubs mais aussi dans l’élite puisque les plus jeunes, comme Tsitsipas ou Shapovalov, n’ont jamais caché avoir beaucoup admiré le champion suisse. Le mimétisme les a peut-être ainsi inconsciemment guidés vers le one hand, auquel le frétillant Canadien s’est même permis d’apporter une recette nouvelle : le revers à une main « sauté », « un coup occasionnel mais qui devrait à mon avis faire partie du jeu à l’avenir, reprend Laurent Raymond. Car c’est un coup qui permet de ne pas se laisser dominer par la balle et qui va dans le sens de l’évolution constante du jeu : ne pas subir l’échange, être au contraire celui qui dirige. » 

On le voit bien avec ces illustres représentants de la NextGen dont on peut aussi se demander s’ils pratiquent naturellement un tennis plus offensif parce qu’ils sont dotés, au départ, d’un revers à une main, ou si c’est l’évolution du jeu vers l’offensive qui a naturellement « sélectionné » ceux qui jouent leurs revers à une main. C’est l’histoire de l’œuf et de la poule… On n’aura jamais la réponse, et peu importe. Reste aujourd’hui le plaisir de constater que le revers à une main est là, et bien là, au sommet du tennis mondial. Et deux mains… pardon, demain ? C’est un autre jour. En attendant, champagne ! 

 

Article publié dans COURTS n° 7, printemps 2020.

Lettre ouverte à Nick Kyrgios

40ème joueur de tennis mondial,
mais tellement plus haut en valeur absolue

© Ray Giubilo

Cher Nick,

Je me permets de te tutoyer, j’espère que tu ne m’en voudras pas. De toute façon, si je t’adressais cette lettre un jour, je te l’écrirais dans ta langue maternelle qui ne s’embarrasse pas de ce genre de différenciation futile. Et si, par le miracle d’Internet, cette missive finissait par te parvenir, à la manière d’une bouteille jetée dans les méandres du Web, tu te la ferais traduire, ce qui rendrait ce paragraphe complètement nul et non avenu.

Je t’écris à la suite de ton message adressé à ta communauté via ton compte Instagram le lundi 6 avril 2020. J’en retranscris ici le contenu brut, sans prendre la liberté de le traduire : 

« If ANYONE is not working/not getting an income and runs out of food, or times are just tough…
Please don’t go to sleep with an empty stomach. Don’t be afraid or embarrassed to send me a private message. I will be more than happy to share whatever I have. Even just for a box of noodles, a loaf of bread or milk. I will drop if off at your doorstep, no questions asked ! » 

A la lecture de ces lignes, rapidement relayées par la plupart des instances médiatiques en lien avec le tennis sur leurs réseaux sociaux, deux réactions diamétralement opposées – un peu comme ton talent et certaines de tes prestations parfois jugées indignes de celui-ci – me sont immédiatement venues. Je n’arrivais pas à savoir si ton geste était incroyable ou incroyablement naïf.

J’avoue avoir trop vite raisonné de manière pragmatique. Un peu comme nos gouvernements qui débutent leurs conférences de presse par l’économie avant de passer à la santé, somme toute secondaire dans le fonctionnement de nos nations capitalistes. « Que se passera-t-il si tu reçois des messages de Syrie ou tout simplement de l’autre bout de l’Australie ? », ai-je pensé. J’étais évidemment passé à côté du message essentiel de ton appel virtuel.

© Art Seitz

Ce message essentiel se décline en hashtags, ceux qui suivent le texte que j’ai retranscrit plus haut dans ton post original. #JoinTheCause #CopyAndPasteIfYouCanAndAreWilling. Les Etats-Unis ont prévu d’injecter 1500 milliards de dollars pour relancer leur économie. En Chine, c’est 400 milliards de yuans qui vont y passer. En ce qui concerne l’économie mondiale, c’est 5000 milliards de dollars qui sont préconisés par le G20 pour stabiliser le patient capital. Je ne sais pas toi, mais moi j’ai un vertige soudain. A plus petite échelle (enfin, façon de parler, surtout vu depuis les premiers échelons de ladite échelle), Roger Federer et Novak Djokovic ont déjà effectué des versements d’1 million chacun à leurs pays respectifs. Rafael Nadal s’est fendu d’une vidéo appelant aux dons à la Croix Rouge. Tous ces champions comptent sur le soutien d’autres multimillionnaires en leur demandant aussi de #JoinTheCause en quelque sorte. Tous les chiffres mentionnés jusqu’ici sont inimaginables pour le commun des mortels que nous sommes et c’est justement là que ton message, Nick, sera bien plus porteur que celui de tes puissants collègues.

Comprends-moi bien, je ne suis pas en train de critiquer les gestes charitables du Big Three ou de quiconque en cette période de crise. Je ne me prononcerai pas non plus sur les montants débloqués par les trésoreries de certaines des nations les plus riches du monde ni sur leur décision de le faire uniquement dans ce contexte précis car leur importance, leur existence et leur provenance défient mon imagination. Mais si ce soir, après avoir applaudi les professionnels de la santé, de l’alimentation et les autres membres des métiers essentiels à notre survie depuis mon balcon du troisième étage, j’ai envie de faire quelque chose de plus terre-à-terre au-delà du symbole, je sais maintenant vers quel message me tourner.

En effet, contrairement à Roger Federer, je n’ai pas accumulé 93 millions de dollars en 2019, je n’ai pas signé de contrat de sponsoring à neuf chiffres en achetant mon dernier t-shirt et je ne suis pas exactement proche de devenir le quatrième sportif à atteindre la barre du milliard de dollars de gains en carrière. Mais, plus modestement, déposer un paquet de pâtes ou un litre de lait devant la porte d’un voisin âgé, à risque ou en difficulté financière est tout à fait à ma portée. Et c’est là toute la force de ton message, Nick. Il s’adresse VRAIMENT à tout un chacun (« ANYONE », comme tu l’as toi aussi capitalisé). Un peu comme ton tennis et ton personnage, sans lesquels l’ATP aurait encore bien plus de mal à se vendre auprès du jeune public. Quoi qu’en disent tes (nombreux) détracteurs dont je n’ai jamais fait partie, étant moi-même un des fidèles passagers du « Kyrgios Bandwagon » depuis bien des années maintenant.

© Ray Giubilo

Tu ne pourras probablement pas directement assurer l’approvisionnement des pays en proie aux guerres ou à la famine ni même aider plus qu’un pourcentage somme toute minime de tes concitoyens à toi tout seul. Mais si ta publication convainc un nombre respectable de tes 2,3 millions de followers tous réseaux confondus de faire un petit geste, elle aura un impact immédiat sur le quotidien de toute une frange de la population mondiale dont la misère est bien plus ordinaire mais tout aussi réelle en ces temps difficiles. Et souvent tout autant ignorée par les plus nantis de ce monde que celle qui fait d’ordinaire la une des journaux télévisés. 

Merci, Nick. On te reproche souvent d’être le Dr. Jekyll et Mr. Hyde du tennis, l’homme qui peut alterner coups de génie et abandon de poste au milieu d’un affrontement, donations aux victimes des incendies de janvier dernier et pétage de plombs intégral dans l’exercice de ses fonctions. Toutes ces facettes ne font pas de toi un schizophrène. Elles font de toi un être humain accompagné de son cortège de contradictions, comme nous tous. Même si contrairement au citoyen lambda, les tiennes sont généralement scrutées, jugées et parfois amplifiées en mondovision. Merci d’avoir choisi d’être cet humain aujourd’hui. 

Ne péchons pas par excès de candeur, sans ton statut de star de la petite balle jaune, pas grand monde n’aurait été mis au courant de ton action. Mais si tu avais décidé de t’adresser à tes fans du haut de ton piédestal au lieu d’en descendre pour te mettre à leur hauteur, si tu t’étais exprimé de manière impersonnelle à travers ton compte en banque ou via un communiqué de presse plutôt que par ta simple conscience citoyenne, tes mots auraient perdu une bonne partie de leur force. 

Voilà, Nick, je crois que je t’ai tout dit. Je me trouve actuellement dans une position frustrante – mais que je sais également privilégiée – de patient à risque ayant le luxe de rester chez lui la plupart du temps sans crainte salariale. Faute de pouvoir marcher dans tes traces, je me permets à travers cette lettre ouverte de tenter de jouer un très – trop – modeste rôle de relais de ton message. #JoinTheCause.