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Larry Ellison

Un milliardaire au service du tennis

Comme chaque année, Forbes dévoile son classement des vingt plus grosses fortunes mondiales. En 2019, Larry Ellison, actuel président exécutif d’Oracle Corporation (entreprise spécialisée dans les logiciels et le cloud computing) se situe à la confortable septième place (62,5 Milliards de dollars) juste devant Mark Zuckerberg, englué dans l’affaire Cambridge Analytica, et Michael Bloomberg qui vient de se retirer de la course à l’investiture démocrate pour la présidentielle américaine.

 

De décrochage universitaire à milliardaire 

Tout comme le fondateur de Facebook, Larry Ellison est loin d’avoir grandi dans l’opulence. Sa mère, qui l’a mis au monde à l’âge de 19 ans, le délaisse à sa naissance. À neuf mois, il manque de succomber à une pneumonie et semble frappé par un pouvoir divin comme le révèle Mike Wilson, auteur de Inside Oracle Corporation : « La différence entre Larry Ellison et Dieu, c’est que Dieu ne se prend pas pour Larry Ellison. » 

Élevé par sa tante et son oncle, Larry Ellison grandit loin de son New York natal : un deux-pièces à Chicago comme école de la vie, et l’Université de l’Illinois qu’il abandonna deux ans plus tard après le décès de sa mère adoptive. C’est ensuite à l’Université de Chicago qu’il apprendra la programmation informatique, base de sa future réussite.

Il effectue ses premières classes pour la société Ampex qui l’accueille en 1973. Quatre années plus tard, il fonde sa propre entreprise en compagnie de Bob Miner (son ancien supérieur chez Ampex) et Od Oates, puis devient, à force de travail, un nom incontournable du monde de l’informatique. Malgré la concurrence permanente de Microsoft, SAP ou d’IBM, son empire, Oracle Corporation, pèse aujourd’hui 177 milliards de dollars et fait de lui un homme d’affaires reconnu, influent au sein de la Silicon Valley.

Toutefois, il n’oublie pas de s’adonner à certains plaisirs que seuls de véritables milliardaires peuvent s’offrir. Ainsi, en 2005, Larry Ellison acquiert un yacht – le « Rising Sun »,  mastodonte de 138 mètres dont la maniabilité ne lui donne pas satisfaction – qu’il abandonne quelques mois plus tard au profit d’un autre bateau. Dans cet océan de démesure, le fondateur d’Oracle Corporation décide en 2012 de s’offrir, pour 300 millions de dollars, 97 % d’une île hawaïenne nommée Lanai. 366 km² de superficie destinés à une future utilisation touristique respectueuse de l’environnement : nouveau système de filtration des eaux, vignobles bio, meilleures infrastructures de santé, développement d’une agriculture hydroponique… Au début, de nombreux habitants de l’île se réjouissent des mesures bienfaitrices du milliardaire. Seulement, ce « rêve de jeunesse » aux accents philanthropiques fait déchanter certains résidents, au regard des méthodes opaques utilisées par le tout sauf messianique milliardaire. Pire, selon toute vraisemblance, il n’est jamais allé à la rencontre des habitants, préférant déléguer à ses représentants les questions fâcheuses et demandes multiples sur certains de ses fonctionnements occultes, loin des ambitions « d’Éden durable et prospère du Pacifique » affichées lors de l’acquisition.

Son parcours lui attire la sympathie de l’intelligentsia américaine : Tout comme Steve Jobs en son temps, qui le fit entrer au conseil d’administration d’Apple, Elon Musk l’a nommé au conseil d’administration de Tesla. Détenteur d’une quinzaine de propriétés à travers les États-Unis, où il reçoit parfois des personnalités de la politique américaine, Larry Ellison se déclare ouvertement républicain (il a d’ailleurs soutenu Marco Rubio lors des primaires républicaines de 2016). Ainsi, il s’est récemment lié d’amitié avec l’actuel président des États-Unis, si bien qu’une collecte de fonds organisée par Ellison au profit de Trump provoqua l’ire des employés d’Oracle Corporation, pour qui Donald Trump va à l’encontre des valeurs défendues par l’entreprise. Selon certaines indiscrétions, l’entente surprise entre les deux milliardaires serait motivée par leur aversion commune pour Jeff Bezos, PDG d’Amazon et propriétaire du Washington Post.

Le central d'Indian Wells, dans ses jeunes années, avant le rachat par Larry Ellison, © Art Seitz

À 1 h 30 en jet

À Indian Wells, tout ou presque est dans la démesure. Aussi bien les collines qui surplombent les courts que les greens verdoyants ou les luxueux hôtels. Même les palmiers sont immenses. Pendant les 10 jours de son tournoi éponyme, cette ville d’environ 5 000 habitants accueille, chaque année, pas moins de 400 000 visiteurs. Une fréquentation digne d’une levée du Grand Chelem. A l’acquisition du tournoi en 2009, Larry Ellison commencé par investir massivement dans l’aménagement paysager du stade. Désormais, les tableaux de verdure qui bordent le site du tournoi sont en osmose avec l’aride climat californien, ce qui sied parfaitement au Tennis Garden d’Indian Wells.

Larry Ellison ne s’est aps contenté de rendre cet endroit fastueux, un symbole de flore foisonnante. Il en a fait le cinquième Grand Chelem… officieux, rassurez-vous. Car, oui, il n’a pas hésité à débourser plusieurs millions de dollars pour améliorer la fan experience chère aux institutions sportives nord-américaines. Outre sa pluralité de courts réservés uniquement aux entraînements, le jeu lui-même a également bénéficié de la philanthropie du milliardaire.  Tous les terrains sont équipés du  Hawk-Eye : du court central, deuxième plus grand du monde (16 100 places derrière les 23 770 du Court Arthur Ashe) jusqu’à la mitoyenneté des courts annexes.

Au-delà du passage (chaleureusement accueilli) de l’obscurité de l’indoor européen au soleil californien, la dotation, nettement supérieure aux autres Masters 1000, satisfait au plus haut point la majorité des joueurs et joueuses. Par ailleurs, Larry Ellison entretient des relations privilégiées avec les trois joueurs les plus influents du circuit : Federer, Nadal et Djokovic. Quand les enfants du Suisse descendent le toboggan situé dans la majestueuse propriété du milliardaire à Porcupine Creek, Novak Djokovic y dîne avec son épouse tandis que Rafael Nadal sirote de l’eau de coco réfrigérée en compagnie du propriétaire des lieux. Lors du tournoi, les discussions stratégiques à propos de l’avenir du tennis vont bon train, jusqu’à envisager des projets communs. Ellison, qui vit aujourd’hui à Woodside, située à 7 h de voiture d’Indian Wells (mais à 1 h 30 en jet), oscille entre le site du tournoi et sa résidence de Porcupine Creek, berceau de fontaines majestueuses, de multiples terrains de golf et d’un manoir de vingt-sept chambres, le tout adossé aux gigantesques montagnes de Santa Rosa.

Ses investissements colossaux dans le sport ne s’arrêtent pas à la  petite balle jaune. La voile a déjà été frappée du sceau de Larry Ellison. En 2013, l’America’s Cup, légendaire compétition internationale, a vu naviguer les voiliers les plus rapides que ce sport ait connus grâce aux investissements du milliardaire américain. La compétition est, dès lors, plébiscitée par la foule, mais ces bijoux de technologie n’ont pas été conçus dans les règles de l’art. Pénalisée, l’Oracle Team USA est contrainte d’apporter des modifications à ses bateaux. Malgré son quasi-irrattrapable retard (elle est menée 8-1 par les Néo-Zélandais), l’équipe de Larry Ellison s’impose 9-8 au terme d’un final à suspense.


Serviteur du tennis américain 

Mais le BNP Paribas Open d’Indian Wells reste sa plus franche réussite sportive. Depuis l’acquisition, on ne compte plus les innombrables améliorations distillées au sein du tournoi, et notamment les restaurants gastronomiques, dont la nourriture est, selon Ellison, « la meilleure de tous les complexes sportifs de la planète ». Il prévoit également de bâtir un musée  du tennis regroupant des objets inédits, datant de l’ère élisabéthaine. L’an dernier, Tommy Haas confiait à L’Equipe que d’autres projets d’expansion du site pourraient intervenir dans les « deux ou trois années à venir », tels qu’un court n°3 encore plus grand, la construction d’un hôtel plus proche des courts ou encore l’organisation de concerts en plein air.

Mais certaines de ces décisions sont parfois accueillies avec scepticisme par une partie des joueurs. Quand il a le pouvoir d’assurer un prize money supérieur à tous les autres Masters 1000, il est accusé de favoriser les têtes d’affiches au détriment des joueurs moins bien classés. « Il y aura toujours des gens qui diront que les mieux payés sont trop payés », explique Ellison à Bloomberg Nous espérons arriver à un compromis raisonnable dans lequel les stars continueront à gagner beaucoup d’argent, mais tout en nous assurant que les autres joueurs pourront, également, bien gagner leur vie. » Son sens du consensus est également mobilisé quand l’ancien joueur de tennis sud-africain et directeur du tournoi californien, Ray Moore, déclare que « les femmes devraient remercier les hommes qui ont porté le tennis ». Larry Ellison monte alors au créneau et désamorce la polémique qui entraînera la démission de Moore remplacé par l’ancien numéro 2 mondial, Tommy Haas.

Par ailleurs, Ellison et sa garde rapprochée ont pour quête « d’améliorer le tennis américain ». Ils sont pleinement convaincus que l’émergence d’une figure étasunienne sur le circuit accroîtrait la popularité du tennis, et rappellerait les temps jadis où la prolifération de joueurs américains faisait de ce sport le deuxième plus suivi à travers la planète. C’est à la racine que l’ancien PDG d’Oracle s’attaque au problème : la formation des joueurs revêt un intérêt majeur pour Larry Ellison. Il joint la parole aux actes en 2015, quand Oracle devient le sponsor principal de l’Intercollegiate Tennis Association. Depuis, Indian Wells accueille chaque année, à la fin du mois de mars, une compétition mettant aux prises les meilleures équipes universitaires du pays. Au même titre que son Challenger disputé en préambule du Masters 1000, considéré comme l’un des meilleurs de sa catégorie. Ces engagements qui en appelleront certainement d’autres participeront-t-ils à l’éclosion des futurs Sampras et Agassi ? Avec des moyens, sait-on jamais !

 

La crise de la quarantaine

Il y a quelques semaines, le spectre d’une pandémie mondiale était aussi éloigné de nos préoccupations occidentales et aussi irréel qu’un doublé Roland-Garros – Wimbledon de Bernard Tomic. Le coronavirus est aujourd’hui à nos portes et accessoirement à celles de tous les évènements culturels et sportifs d’Europe. La Suisse a même profité de l’absence prolongée de son icône nationale pour interdire toutes les manifestations rassemblant plus de 1000 personnes jusqu’au 15 mars. Alors que dans le pays du salon de l’horlogerie (annulé), de la culture du consensus et de Roger Federer c’est une catastrophe pour le hockey sur glace, le football et les carnavals en tous genres, on vous explique pourquoi ce n’est peut-être pas une si mauvaise chose pour le monde du tennis.

John McEnroe étalé de tout son long sur le dur l'US Open après avoir pris une balle en pleine caboche, © Art Seitz

Un allègement du calendrier

Il y a bien des années que tous les acteurs du tennis ou presque préconisent l’allègement d’un calendrier aussi overbooké qu’un vol EasyJet le premier samedi des vacances scolaires. Des mesures aussi efficaces que le service d’Elena Dementieva ont donc été prises par les différentes instances pour tenter de remédier à ce problème récurrent. Résultat : une multiplication des compétitions avec l’arrivée de la Laver Cup et de l’ATP Cup et la création de la Piqué Cup sur les cendres de la défunte Coupe Davis, sans compter la refonte de la Fed Cup dont nous avons déjà parlé dans ces colonnes. En plus d’avoir exponentiellement augmenté les efforts consentis par les joueurs à la fibre patriotique aussi développée que le bras gauche de Rafael Nadal et insistant donc pour s’inscrire à toutes ces joutes annuelles, le temps de cerveau disponible de tout un chacun en a été réduit d’autant par l’extrême complexité de toutes les nouvelles formules précitées. On imagine que Gilles Simon ne sera plus le seul à s’attacher les services d’un spécialiste en neurosciences à l’avenir, histoire d’éviter le burnout à la seule lecture des modalités d’un tournoi par équipes.

Et le CoVid-19, plus connu sous le nom de coronavirus, dans tout ça ? En quoi vient-il chambouler ce programme surchargé ? C’est très simple. L’être humain n’est fondamentalement gouverné que par deux choses : l’argent et la peur d’un danger imminent. Très souvent dans cet ordre. Si la seconde nommée prend le pas sur le premier cité, bien aidée par la psychose créée par les gouvernements et relayée par les médias, il y a de fortes chances que le tournoi challenger de Bergame ne soit pas le seul à perdre des plumes. Une mise en quarantaine du circuit dans son ensemble n’était probablement pas au programme des multiples réunions stériles qui ont mené aux réformes mentionnées plus haut, mais il semble difficile d’imaginer une solution plus efficace à la demande persistante d’augmenter les plages de repos de joueurs surmenés. La cerise sur le gâteau étant que Gerard Piqué ne verra aucune différence majeure dans la fréquentation moyenne de ses stades madrilènes en fin d’année en cas d’annulation ou de huis clos.

 

La solution aux problèmes d’insomnie de Guy Forget

Chaque année c’est la même rengaine au mois de février. Federer jouera-t-il sur terre battue cette saison ? Quand l’annoncera-t-il ? Est-ce du bluff ? On peut d’ailleurs répéter le processus au mois de novembre au soir de la victoire du Bâlois aux Swiss Indoors et à la veille de son forfait probable à Bercy. Cette fois au moins, le problème a été réglé rapidement par la bombe lâchée par le Swiss Maestro sur les réseaux sociaux concernant son opération et la pause forcée qui en résulte. Ce qui ne résout évidemment rien pour Guy Forget, directeur du tournoi parisien, qui n’a pas encore vendu ses billets au grand public. Comme beaucoup de pharmacies, on imagine que le patron de la deuxième levée du Grand Chelem avait le masque en apprenant la nouvelle. C’est là que notre nouvel ami un peu collant, le coronavirus, entre en scène. Si la situation actuelle persistait jusqu’en mai (permettez-nous d’en douter autant que de l’accession de Maxime Hamou à la première place mondiale dans les six mois), Roland-Garros pourrait fort bien se jouer à huis clos, risque de contagion oblige. Voilà de quoi mettre fin à toutes les souffrances de l’ancien capitaine de Coupe Davis tricolore. Pas de vente de sésames ô combien stressante en l’absence de la coqueluche (drôlement contagieuse elle aussi) de toutes les foules du monde. Et surtout, le casse-tête des tribunes vides de la discorde à l’heure du déjeuner, celle des petits fours et pause champagne sur le Court Philippe-Chatrier aurait de fortes chances de ne pas faire mousser autant que d’habitude.

Rafael Nadal et son puissant biceps gauche, © Art Seitz

Enfin un adversaire pour Nadal à Paris

Si par hasard la peur prend définitivement le pas sur l’aspect vénal (n’y comptez pas trop), les tournois seront peut-être purement et simplement annulés, à l’image de la finale du Challenger de Bergame dont les points et le prize money ont été distribués aux deux finalistes (Enzo Couacaud et Illya Marchenko) comme s’ils avaient tous les deux perdu ce match. Charmant. Bref, dans ce cas extrême, les 20 titres majeurs de Federer resteront la valeur étalon pour quelques mois supplémentaires, le métronome Djokovic perdra son momentum et Nadal ne touchera pas terre. Cela nous semble d’ailleurs le seul scénario dans lequel la sangsue des Baléares ne gagne pas Roland-Garros cette année (et les 15 prochaines). Ne nous emballons toutefois pas trop. En effet, le président des Etats-Unis lui-même, grand ami de la vérité et de la cause scientifique devant l’Éternel, a placidement affirmé que le virus aurait disparu de lui-même d’ici au mois d’avril. La maladie étant tour à tour importée du Mexique ou un canular inventé par les Démocrates selon la Maison Blanche, la terre ne devrait pas trop trembler par sa faute cette année Porte d’Auteuil.

 

Des économies d’énergie bienvenues

Greta Thunberg herself a osé interpeller l’intouchable monument du sport helvétique au sujet de ses liens étroits avec Crédit Suisse, chantre des sources d’énergie renouvelable et de la lutte pour une planète plus propre s’il en est, à l’aide du hashtag #RogerWakeUpNow. Comment trouver un meilleur moyen de clouer au sol tous les représentants d’un sport dont la vocation est de suivre l’été dix mois sur douze à grand renfort de CO2 et autre gaz à effet de serre qu’une bonne vieille paranoïa ? Dans son souci habituel de communiquer sans la moindre aspérité passible de créer un conflit, Roger nous répondrait peut-être que sa propre mise en quarantaine n’interviendra pas avant le mois d’août 2021, quoi qu’il arrive. Ce qui n’en fera de loin pas un fossile, même sur un circuit à l’énergie et au jeunisme sans cesse renouvelés. Pour le reste, qui vivra verra.

La faucheuse Roger Federer, © Art Seitz

Hugo Gaston

La jeunesse au service de l’ambition

228e mondial cette semaine du 24 février 2020, Hugo Gaston vient de disputer en Australie son premier tournoi du Grand Chelem chez les professionnels. À seulement 19 ans, il se présente comme l’un des grands espoirs du tennis français.

Petits pas d’ajustement, armé du bras et frappe de balle. À la Ligue de Tennis d’Occitanie, Hugo Gaston répète ses gammes, inlassablement. Ses grands coups droits liftés viennent marteler le bleu des courts avec une intensité rare pour un entraînement. Il faut dire que le jeune homme de 19 ans a des motivations toutes trouvées pour redoubler d’efforts. Après une fin d’année 2019 riche en victoires et trophées sur le circuit ITF, le Toulousain de naissance a obtenu la consécration : une invitation pour disputer le tableau final de son premier tournoi du Grand Chelem, l’Open d’Australie. Un moment unique pour le gaucher au revers à deux mains. « Ça a été une très belle expérience. Jouer des matches comme ça, dans ce genre d’événements, c’est incroyable pour moi ! » Opposé à l’Espagnol Jaume Munar (90e mondial à ce moment), Hugo Gaston en a profité pour prouver au monde du tennis qu’il faudra compter sur lui, et surtout sur sa combativité dans les années à venir. Car s’il a fini par rendre les armes en quatre sets (7/5 5/7 6/0 6/3), il ne l’a pas fait sans combattre, et a sauvé la bagatelle de neuf balles de match avant de s’incliner sur un dernier revers dans le couloir. « J’ai quelques regrets sur la rencontre, notamment dans le premier set où j’ai eu des occasions. Mais je suis quand même heureux d’avoir donné le maximum », analysait-il, lucide, quelques semaines après son périple australien.

La suite, ça a donc été un retour en France et un crochet par les qualifications du tournoi de Montpellier avant de revenir s’entraîner chez lui, à Toulouse. Loin de l’animation des tournois du Grand Chelem, Hugo Gaston s’apprête à retrouver l’anonymat du circuit Challenger pour continuer à progresser. « Il est ambitieux et a très envie de réussir. Sous ses airs détachés, il est très investi dans son sport et le vit de façon très intense », décrit son entraîneur, Marc Barbier. L’objectif affiché : se rapprocher des meilleurs joueurs de la planète pour faire partie des 150 premiers mondiaux d’ici la fin de saison. Au sein d’un tennis français vieillissant et peinant à trouver un successeur à Yannick Noah, dernier vainqueur masculin d’un titre du Grand Chelem, certains espèrent même le voir devenir ce joueur que tout un peuple attend. Mais Hugo Gaston ne pense pas à ça pour le moment. « Je ne me vois pas forcément comme la relève du tennis français, j’essaye de ne pas me mettre plus de pression que cela. Il y a Jo-Wilfried Tsonga qui revient bien même s’il s’est de nouveau blessé, Gaël Monfils qui est encore dans le Top 10. Je trouve que l’état du tennis français n’est pas aussi mauvais qu’on le pense. » Reste que Monfils, comme Tsonga, mais aussi Richard Gasquet, Gilles Simon, Benoît Paire ou encore Adrian Mannarino ont tous passé la trentaine sans avoir réussi à inscrire leur nom au palmarès de l’un des quatre Majeurs. Derrière, l’avenir appartient peut-être à Lucas Pouille (26 ans), Ugo Humbert (21 ans), Corentin Moutet (20 ans) ou… Hugo Gaston. « Si je peux être dans les meilleurs Français, ce sera en tout cas avec plaisir », glisse-t-il, malicieux.

 

« Une vraie singularité dans le jeu »

De ses premiers coups de raquettes à 3 ans au club de Fonsorbes où son père était président – « je jouais tout le temps contre le mur », s’amuse-t-il encore aujourd’hui – à l’Open d’Australie, Hugo Gaston est pour l’instant proche du parcours parfait. Son palmarès parle pour lui. En 2017, il décroche le prestigieux Orange Bowl où ont triomphé Roger Federer, Andy Roddick ou encore Dominic Thiem. Le début de l’explosion qui le conduit, ensuite, à Melbourne, pour remporter le double de l’Open d’Australie Juniors 2018 aux côtés de son ami Clément Tabur. Mais cette année-là, le meilleur restait encore à venir. Celui qui affirme « adorer jouer pour son pays » le prouve de la plus belle des manières en remportant l’or aux Jeux olympiques de la jeunesse à Buenos Aires. Il ajoute à cette consécration deux médailles de bronze : l’une en double garçons, toujours avec Clément Tabur, l’autre en double mixte associé à Clara Burel. Une performance exceptionnelle, d’autant que Hugo Gaston avait le lourd honneur d’être porte drapeau de la délégation sur ces J.O.J. et devait montrer la voie à ses compatriotes. Une mission remplie avec brio, donc, et qui démontre bien, s’il le fallait encore, que le jeune protégé de Marc Barbier est capable d’assumer pleinement un rôle de leader en portant le pays sur ses épaules. Que ce soit à l’ATP Cup, la Coupe Davis ou une quelconque fusion entre les deux, l’équipe de France devrait pouvoir compter sur lui dans le futur.

En attendant, Hugo Gaston continue de travailler, conscient des lacunes actuelles de son jeu. « Ce qui me manque le plus aujourd’hui, c’est la constance sur tout un match et toute une année, explique-t-il. Je suis capable d’avoir un bon niveau de jeu, mais le plus dur, c’est de le garder sur le long terme ». « C’est encore un jeune joueur donc tout son jeu est perfectible, ajoute son entraîneur. Plus on se rapproche du haut niveau, plus cela se joue sur des petits détails. Mais sa technique est, elle, bien en place. Il n’y a pas grand-chose à changer là-dessus ! » En plus de sa technique, Hugo Gaston peut déjà s’appuyer sur un jeu complet, une couverture de terrain remarquable et une main impeccable. Des qualités indispensables compte tenu de son gabarit léger (1,73 m), qui détonne dans un circuit où il est plus fréquent de croiser des gros serveurs dépassant 1,90 m que des joueurs comme Hugo Gaston. Mais cette particularité pourrait bien devenir un avantage pour le Toulousain, adepte des changements de rythme et du jeu de contre. « C’est dur de le comparer à d’autres joueurs, il a une vraie singularité dans le jeu », confirme Marc Barbier. De là à déjà se projeter plus loin ? Ce serait mal le connaître. « Hugo est toujours très mesuré, que ce soit dans la victoire comme dans la défaite. Ce n’est vraiment pas le genre à s’exciter pour rien, il sait qu’il y a encore un long chemin devant lui. »

 

Vers un premier Roland-Garros ?

Un chemin qui passe par des Challengers relevés de ce début d’année 2020, comme ceux de Bergame ou Pau. Des étapes moins reluisantes que le quotidien des meilleurs joueurs du monde, mais pourtant indispensables si Hugo Gaston veut rejoindre son idole d’enfance, Rafael Nadal, au sommet du classement ATP. D’ici là, il pourra s’inspirer de la réussite du Stade toulousain, club dont il est fan et qui vient d’être champion de France de rugby pour la vingtième fois de son histoire en juin dernier. Sa vingtième bougie, le jeune Toulousain la soufflera, lui, en septembre prochain. Entre temps, il espère être invité à disputer le grand tableau de son premier Roland-Garros, après avoir déjà reçu des wild cards pour les qualifications du tournoi les deux dernières saisons. Mais, fidèle à lui-même, Hugo Gaston ne pense pas encore à la terre battue parisienne. « On peut se dire que j’ai de bonnes chances d’avoir une invitation à Roland, mais j’ai aussi eu celle de l’Open d’Australie grâce à une très belle fin de saison 2019. C’était une récompense. J’espère continuer à bien jouer, et si je joue bien, alors on verra pour l’invitation. » L’ocre attendra donc. Patient, il a décidé de ne pas se précipiter et de passer les étapes une par une même si cela doit prendre du temps. Déjà couronné chez les jeunes, il fait partie de ces espoirs qui seront à maturité au moment des Jeux olympiques de Paris en 2024. Il aura alors 23 ans et la génération Tsonga-Gasquet-Monfils-Simon ce sera, a priori, retirée. À ce moment, Hugo Gaston endossera, peut-être, le rôle de leader du tennis français.

 

Rio Open

La cité merveilleuse

Depuis la victoire de Gustavo Kuerten Porte d’Auteuil, en 1997, le tennis brésilien connaît un développement sans précédent. Une phase de croissance symbolisée par des joueurs iconiques, mais aussi l’attrait d’un territoire. Depuis 2014, le Brésil accueille chaque année l’ATP 500 de Rio. Un nouveau-né sur le circuit, déjà devenu un rendez-vous incontournable de la Golden Swing, et de la tournée internationale. Une mise en bouche de la saison sur ocre, qui attire chaque année les terriens en recherche de sensations.

Jockey Club de Rio, maison du divertissement

Plus grand tournoi sud-américain, le Rio Open évolue dans un cadre magnifique ! Situé dans le complexe du Jockey Club de Rio, au sein du quartier huppé de Gavea, l’évènement brésilien bénéficie d’une des plus grosses structures sportives du pays. Le club s’étend sur 640 000 m², compte 20 000 associés, écoles, théâtres, mais aussi galeries d’art, et restaurants.
Doté de neuf courts en terre battue, la section tennis du Jockey Club offre un confort unique pour joueurs, spectateurs et acteurs proches du tournoi. Le central, quant à lui, peut accueillir 6 200 spectateurs. Cochée dans le calendrier par les puristes, la terre aussi hostile qu’enivrante du Rio Open est une référence de ce début de saison.

 

« En trois ans, l’Open de Rio s’est non seulement confirmé comme le plus grand événement du calendrier sportif brésilien, mais a également acquis un prestige et une reconnaissance indiscutables. » – Marcia Casz, Rio Open

 

L’un des défis du tournoi brésilien est d’attirer les meilleurs noms du tennis mondial. Rafael Nadal, David Ferrer, Dominic Thiem… Tous ont un jour posé leurs valises dans l’hippodrome. Car Rio De Janeiro est une attraction à elle seule : manifestations culturelles, climat mais aussi tourisme ; la deuxième plus grande ville du pays est désireuse d’être également un lien d’élévateur social.

Outre son plateau sportif des plus garnis, l’ATP de Rio cherche constamment à faire la promotion du tennis local. Chaque année, six jeunes sont sélectionnés pour bénéficier d’un stage à l’IMG Academy de Nick Bollettieri, en Floride.

 

« Depuis notre première année, en 2014, Rio Open soutient, à Rio de Janeiro, d’importants projets sociaux qui utilisent le sport comme outil de développement et inclusion sociale. Nous travaillons toujours à étendre notre mission, et ce partenariat avec IMG Academy est une grande étape. Notre intention est d’encourager les enfants à continuer à pratiquer notre sport afin qu’à l’avenir, ils peuvent être champions à l’intérieur et à l’extérieur des courts. » – Luiz Carvalho, Directeur Rio Open

 

Promotion du tennis local

Le Brésil attend son nouveau « Guga ». Triple vainqueur de Roland Garros et ancien numéro 1 mondial, Kuerten est la tête de gondole d’une génération qui peine à s’imposer. En otage, d’une politique directive, le tennis brésilien souffre d’une méthode de formation partielle. La formation des jeunes est un chantier sur lequel plane un manque de bases et de nombreux  a prioris. Confrontés très tôt aux difficultés du milieu, le taux de perte des joueurs âgés de 18 à 25 ans est énorme. Pour y remédier, les tournois locaux et la fédération délivrent des invitations aux plus jeunes espoirs du pays.
Le Rio Open est une pièce fondamentale au développement du tennis brésilien. Il permet de donner goût aux plus jeunes, mais aussi attirer un public de différents horizons.

 

« Ce qui manque ce sont des bases, des centres d’entraînements nationaux. Les jeunes ont besoin d’émulation pour progresser, de points de repères représentés par des pros déjà installés. Un peu comme au foot, où les meilleurs vont soit au Flamengo, soit au Fluminense. Ce n’est pas spécifique aux Brésiliens. Les Argentins ont les mêmes difficultés mais ils sont plus vaillants, plus courageux au moment d’affronter les moments difficiles. » – Gustavo Kuerten

L’arrivée de l’arbitrage vidéo

Mis en place depuis 2006, l’arbitrage vidéo fait partie intégrante des rencontres sur toutes les surfaces, exceptée la terre battue. L’ATP a finalement décidé d’y remédier. La vidéo donc faire son apparition sur ocre dès le tournoi de Rio 2020. Elle sera également utilisée sur un prochain ATP 250, et un Masters 1000. Après une expérimentation sur le circuit challenger en 2019, c’est désormais sur le circuit principal que le produit sera testé, sans limite de challenge. Un système que bon nombre de joueurs réclamaient depuis plusieurs années.

 

« Bien évidemment qu’il faut le Hawk-Eye (sur terre battue) ! On voit à la télévision des balles qui sont jugées bonnes et le Hawk-Eye nous montre qu’elles sont fautes. Il y a toujours un petit espace entre la ligne, un espèce de petit calcaire et on ne sait pas vraiment si c’est dehors ou non. Je trouve que c’est dommage de laisser ça à l’appréciation de l’arbitre, alors qu’on a les moyens de faire comme sur dur. Avec la vidéo et des caméras pour savoir comment est la balle, il n’y aurait pas de débat et on passerait au point suivant. » – Adrian Mannarino

 

Contrairement à d’autres systèmes, comme Hawk-Eye, où le trajet de la balle est reconstitué virtuellement, FoxTenn génère ses résultats en utilisant la trajectoire réelle enregistrée par des caméras haute résolution. La marge d’erreur est donc réduite, pour se rapprocher de l’infime. Le niveau de précision est garanti par l’utilisation de plus de 40 caméras capables de générer plus de 100 000 images par seconde, 100 fois plus que le système traditionnel.

La tournée internationale de février est une période dure à comprendre pour les suiveurs de tennis. On y trouve un pêle-mêle de tournois, surfaces, mais aussi continents. Au milieu de ce grand désordre, le Rio Open a su se frayer une place de choix dans le calendrier ATP. Du fait de son cadre, son plateau et l’investissement de ses organisateurs, l’ocre brésilienne voit grand et espère intégrer prochainement le cercle fermé des Masters 1000.

La Suisse remet les pendules à l’heure

La FIFA a sa Coupe du Monde au Qatar et ses trophées individuels un tantinet controversés. L’UEFA tient son Euro dans 12 pays improbables et sa Ligue des Nations aux règles aussi complexes que les états d’âme de Goran Ivanišević un dimanche (ou même un lundi) de finale. Les tapis du siège lausannois du CIO gondolent à force d’y balayer les scandales de dopage étatique russe et autres tentatives de corruption. Il était donc plus que temps pour l’ATP, la WTA et l’ITF de revendiquer leur part de ce gâteau à l’arrière-goût pour le moins douteux. Après la Laver Cup, cette exhi… euh cette compétition qui divise autant qu’elle fascine, la Piqué Cup, sorte d’ersatz de Coupe Davis accusée de ne plus être suffisamment “kosmique” dont le fossoyeur fondateur semble en être également le seul supporter, et l’ATP Cup supplantée par les vacances à la neige de Roger Federer dès sa première édition, vous pensiez qu’on avait fini de rire sous le chapiteau du grand cirque qu’est devenu le tennis par équipes ? Séchez vos larmes (de joie bien sûr), on en remet une couche.

© Art Seitz

Le contexte

Figurez-vous que par souci d’inclusion des genres (on n’allait quand même pas laisser le patriarcat s’attribuer tout le crédit de ce naufrage), le pendant féminin de la Coupe Piqué a décidé de suivre son grand frère dans sa tentative de suicide assisté. On vous avoue qu’à 119 ans, on peut comprendre qu’une certaine lassitude se soit installée chez la désormais moribonde Mme Davis. À 56 balais, en revanche, on aurait tendance à se dire qu’un bon psy devrait suffire pour se remettre d’un spleen passager. Rassurez-vous : la Fed Cup, puisque c’est bien d’elle qu’on parle, a prévu son grand saut avec un peu plus de recul que l’arrière du Barça et ses sbires. La mayonnaise n’ayant pas pris pour le Saladier d’argent à la sauce Piqué, il était crucial de ne pas remettre les pieds dans le plat.

Rendons donc à Gerard ce qui lui appartient. Exit Madrid et la victoire locale assurée pour les deux prochaines saisons devant un public composé de 99 % d’Espagnols et quelques expats britanniques quand les stades n’étaient pas entièrement vides à une heure avancée de la nuit. Chez ces dames, on ne plaisante pas avec les notions d’équité sportive et de terrain neutre. On a donc choisi Budapest pour les trois prochaines phases finales à 12 équipes. La Hongrie (pays hôte), la France (tenante du titre), l’Australie (finaliste) et la République Tchèque (wild card, on imagine pour services rendus avec ses 6 titres entre 2011 et 2018) sont qualifiées d’office et rejointes par les 8 survivantes d’un premier tour disputé à l’ancienne. Michel Platini ne s’intéressant pas (encore) au tennis et la dernière qualification des Hongroises pour les quarts de finale du Groupe Mondial datant d’une époque à laquelle l’Open d’Australie se disputait sur gazon de fin novembre à début décembre en consacrant Stefan Edberg et Martina Navratilova, on s’est dit qu’on ne risquait pas grand-chose concernant le favoritisme envers le pays organisateur.

Reprends ton souffle, cher lecteur, après cette phrase interminable, car ce n’est pas tout. Dans son infinie sagesse, l’ITF a même compris qu’ajouter une semaine de compétition après le bouquet final regroupant les 8 meilleures joueuses de l’année dernières joueuses plus ou moins valides à la fin octobre était pour le moins scabreux. Fini donc le week-end d’heures sup’ post-WTA Finals, si possible en changeant de fuseau horaire et de surface. Ce sera avril et de la brique pilée en adéquation avec les tournois disputés à cette époque de l’année et les corps meurtris des protagonistes. On se félicitera plus tard d’avoir enfin remis la main sur le dernier stock de bon sens qui traînait encore dans un placard des locaux de la Fédération internationale.

Juste le temps de se pincer pour vérifier qu’on ne rêve pas et il est temps de revenir sur… terre. En effet, au début du mois de février il restait du chemin à parcourir à Bianca, Gabriela, Belinda et Timea avant de peut-être devenir Championnes du Monde de Tennis ® dans une Laszlo Papp Budapest Sports Arena qui sonnera probablement aussi creux qu’un argument d’Emmanuel Macron face à un gréviste opposé à la réforme de *insérez le sujet qui est à la une au moment de votre lecture*. Pour les équipes suisse et canadienne, ce chemin vers le top 12 magyar se nommait « qualifications » et passait par le numéro 1 de l’Allée Roger-Federer et son centre national de Swiss Tennis à Bienne, haut lieu du sport mondial s’il en est. Attirés par le charme désuet d’une désormais rare rencontre à domicile accompagnée de bons vieux relents de chauvinisme, nous y étions aussi.

 

Le cadre

Bienne. Ou Biel (prononcez « Biou ») dans la langue parlée par 55 % de sa population. Une ville bilingue au carrefour des cultures et d’un nombre impressionnant de lacs, symbole du compromis helvétique. Un site web local nous vend même la « métropole horlogère » (sic !) comme un lieu qui « réunit précision suisse et désinvolture française » (on promet qu’on n’invente rien). Difficile donc de trouver meilleur endroit pour accueillir une Fed Cup 2.0 à mi-chemin entre son ancienne version et sa nouvelle mouture. On hésite d’ailleurs tellement entre les deux qu’on a quand même décidé de changer quelque chose à cette phase de qualifications assez old school par ailleurs. Pour des raisons aussi obscures que les choix tactiques de Gaël Monfils, le week-end tennistique est donc désormais avancé de 24 heures. Tant mieux pour les joueuses qui auront un jour off avant d’éventuellement s’aligner en tournoi la semaine suivante et tant pis pour les honnêtes travailleurs qui rateront les deux premiers simples du vendredi. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si notre seule présence fait drastiquement baisser la moyenne d’âge d’un stade qui ressemble à la destination d’une sortie groupée des maisons de retraite de la région. Si on ne savait pas que Bernie Sanders était toujours engagé dans un fébrile processus de recomptage manuel des votes en Iowa à l’heure où nous écrivons ces lignes, on aurait juré l’avoir aperçu à plusieurs reprises.

On a osé écrire le mot « stade » pour qualifier la Swiss Tennis Arena, mais on vous avouera volontiers qu’on a longuement hésité. En effet, cet étrange cube rouge sorti de terre au milieu de nulle part à mi-chemin entre la rase campagne et une bretelle d’autoroute semble peu propice à l’usage de superlatifs. Il suffit de faire quelques pas dans l’enceinte pour s’en rendre compte. Dans un rayon de 10 mètres, vous trouvez pêle-mêle le vestiaire (pour les manteaux des spectateurs, pas celui des joueuses donc), l’accès VIP, l’accès réservé au commun des mortels et autres prolétaires miséreux et ce qui ressemble à des toilettes de chantier on ne peut plus provisoires. Vous conviendrez avec nous que trois urinoirs et deux cabines, ça risquait d’être un peu juste pour les quelque 1 300 curieux (dans une salle qui peut en accueillir 2 500 en se tassant un peu) qui s’étaient massés autour du terrain de jeu de ces dames en ce vendredi d’ouverture de rencontre.

Belinda Bencic, © Antoine Couvercelle

Les forces en présence

On vous citait fièrement plus haut les prénoms de celles qu’on espérait voir fouler le court du chef-lieu du Seeland. Sur un circuit féminin au sein duquel la durée de vie moyenne (à la suite) d’une numéro 1 mondiale est de 12 semaines depuis 2017 (12 passations de pouvoir, 8 reines différentes) et dont les 13 dernières couronnes du Grand Chelem ont été partagées entre 11 joueuses, s’attendre à une certaine continuité était bien naïf. Dans ce microcosme où chaque instant de gloire est aussi fugace qu’un moment de lucidité de Nick Kyrgios, la lauréate d’un tournoi majeur peut passer du toit du monde aux abysses de l’oubli en moins de temps qu’il n’en faut à Benoît Paire pour siffler un cocktail sur une plage des Philippines. Dans un monde où l’on gagne très souvent son premier tournoi majeur entre 19 et 23 ans avant de disparaître des radars, toute prédiction au-delà de 5 minutes semble donc bien hasardeuse. Comme Sloane Stephens et Naomi Osaka (entre autres et à des degrés divers) avant elle, c’est malheureusement ce qui pend au nez de Bianca Andreescu, figure de proue du vaisseau battant pavillon canadien et championne de l’US Open 2019, mais aussi blessée à l’épaule, au dos et au genou la saison dernière pour un total de plus de 4 mois de pause forcée.

Malgré tout, après avoir dû déclarer forfait à Melbourne, l’Ontarienne de 19 ans était annoncée partante pour ces joutes biennoises, tout comme la spécialiste de double et numéro 7 mondiale de la spécialité Gabriela Dabrowski, la gagnante du dernier Roland-Garros junior Leylah Annie Fernandez et celle qu’on surnommerait volontiers la Kournikova québécoise si elle n’avait pas remporté un titre WTA, Eugenie « Blind Date » Bouchard. Du côté suisse, on a un mal fou à retrouver dans nos archives la dernière fois que le capitaine Heinz Günthardt a pu compter sur son escouade au grand complet. Et pourtant, contre toute attente, Belinda Bencic (qui étrennait son matricule 5 au classement WTA pour l’occasion), Jil Teichmann, Viktorija Golubic, Timea Bacsinszky et Stefanie Vögele étaient toutes sur la ligne de départ en ce vendredi 7 février, et ce même si on avait vraiment cru à la reconversion de certaines d’entre elles en tant qu’influenceuses sur Instagram cet hiver.

 

Vendredi

Voici venu le moment de passer au présent de narration pour rester au plus près des évènements palpitants qu’il nous a été donné de suivre tout au long du week-end. Tout commence par un voyage en train sans histoires. Enfin presque. On a tout de même la chance d’assister à un premier échange (verbal celui-là) entre deux authentiques beaufs se rendant ostensiblement au même endroit que nous, mais pour des raisons bien différentes et fondamentalement portées sur l’esthétique. Après quelques commentaires hauts en couleur sur leur vie privée saisis à la volée par tout le wagon, nos voisins de compartiment passent à une analyse très complète du revers d’Eugenie Bouchard. Il y est notamment question de courbes (décrites par une raquette dans l’espace évidemment). On se prend immédiatement à espérer que ces deux chantres du féminisme universaliste seront également assis à côté de nous dans l’arène seelandaise, histoire de pouvoir continuer à profiter de leurs considérations technico-tactiques.

Jil Teichmann, © Art Seitz

Malheureusement, cet espoir ne sera pas le seul à être déçu. En effet, on attendait la sixième joueuse mondiale et la plus glamour des joueuses classées au-delà du top 250 du côté canadien et voilà qu’on se retrouve avec une ado engagée dans la deuxième rencontre de Fed Cup de sa très jeune carrière et son aînée de 10 ans n’ayant pas disputé un simple dans un tableau principal depuis septembre 2018 et actuellement classée 448ème. Sans faire injure à Fernandez et Dabrowski, nous nous résignons donc à deux parties sans grand relief (un comble en terres helvétiques), la faute à un poignet montréalais douloureux et aux séquelles des multiples bobos listés plus haut. « Genie » n’étant pas sortie de sa lampe, la lumière tarde à venir. Les seules saillies auxquelles nous assistons sont les sautes de concentrations de Jil Teichmann, qui trouve le moyen de ne pas régler l’affaire si rapidement que cela (7-6 6-4) après avoir remporté les 10 premiers points du match face à une adversaire tour à tour tétanisée telle Caroline Garcia par la perspective d’une qualification pour un deuxième tour et résiliente comme Novak Djokovic dans sa quête d’un dixième de l’aura de Fedal. On en oublierait presque que la brave Jil, dont la solidité sur les points importants est parfois aussi impressionnante que le ratio de victoire(s) de Richard Gasquet face à Rafael Nadal, en est à sa première titularisation dans cette compétition.

On retiendra également les efforts redoublés de la capitaine de l’équipe à la feuille d’érable dont le prénom semble l’avoir prédestinée à fouler le sol de la patrie de Johanna Spyri. Heidi, puisque c’est effectivement ainsi que la Canado-Égyptienne a été baptisée, ne laisse pas sa protégée respirer une seule seconde aux changements de côté, noyée qu’elle est sous un flot incessant d’encouragements. Et pourtant, celle dont le meilleur classement en carrière a été une 146ème place en 2012 est loin d’avoir fait un Tabakh en tant que joueuse en son temps. On profite de l’effroi causé par ce jeu de mots de bas étage pour écraser une petite larme en se remémorant un autre capitaine, le charismatique et fort disert Severin Lüthi de la grande époque, dont les hurlements de joie résonnent encore dans les couloirs du Stade Pierre Mauroy.

On profite également de la formalité administrative accomplie par Belinda Bencic en écartant l’infortunée Gaby Dabrowski (6-1 6-2 en 56 minutes) pour faire quelques recherches et ainsi apprendre qu’il n’y a que 9 gauchères dans le top 100. Un peu plus et on avait le temps d’étendre nos statistiques au top 200. Qu’à cela ne tienne, on vous dira quand même que la première rencontre du jour a mis aux prises 20 % des gauchères de l’élite puisque l’entrée de Fernandez dans ce club très fermé n’est plus qu’une question de temps. Le temps justement, on risque d’en avoir beaucoup samedi. Du coup on se demande déjà ce qu’on fera pour le tuer si Bencic tient son rang et que la qualification de la phalange helvétique est entérinée après le premier des trois matches prévus. On utilisera peut-être ces quelques heures de chômage technique pour se demander ce qu’on aurait pu faire de ces 69 francs suisses qui auraient dû nous donner accès à plus de 4 heures de tennis. Ou alors, on prendra quelques minutes pour s’interroger sur l’accès d’autodérision extrême qui a conduit le docte préposé aux platines de la Swiss Tennis Arena à penser que faire entrer l’équipe locale au son de Wannabe des Spice Girls était une riche idée. Notre dernière piste de réflexion est une question qui nous taraude l’esprit depuis l’interview post-match de Teichmann. Celle qui est née à Barcelone de parents zurichois et a passé son adolescence à Bienne est en effet la seule participante à cet affrontement à avoir prononcé, contrainte et forcée par son interlocuteur, exactement trois mots en français, pas un de plus (« Allez la Suisse »). Pour deux nations plurilingues incluant toutes deux une partie francophone évoluant dans une cité dans laquelle absolument tous les noms de rues sont soigneusement déclinés dans les deux langues locales quel que soit le bus dans lequel vous montez, c’est un peu fort de café.

 

Samedi

Le Securitas Suisse Fed Cup Team ® et le Huiles Essentielles de Bois de Caribou Team Canada (non, on plaisante, juste le Canada, pas de sponsor titre pour eux) sont donc fidèles au rendez-vous de samedi sur le coup de 13 heures. Enfin surtout du côté nord-américain. Tant Eugenie Bouchard dans les tribunes, occupée à battre le record du monde de selfies avec des fans émoustillés à chaque pause d’une minute trente, que Leylah Annie Fernandez sur le terrain. En effet, cette dernière (17 ans) donne une véritable leçon de jeu vers l’avant et de gestion de la pression à la « vétérane » Belinda Bencic (22 ans) sous nos yeux ébahis (2-6 6-7). Le champagne est donc repoussé de deux tours d’horloge au moins. Vigilante face à une Gaby Dabrowski transfigurée par rapport à la veille, Jil Teichmann évite non sans trembler légèrement que la rencontre soit retournée comme un pancake de la Belle Province, ce qui aurait été la cerise sur le sundae, avouons-le. Un peu plus et on se demandait si le terrain était lourd ou si les sangliers servis à l’hôtel soleurois dans lequel les Suissesses étaient logées avaient mangé des cochonneries.

Le verdict reste sans appel malgré l’accident de parcours du début de journée. 6-3 6-4 dans ce quatrième et dernier affrontement, trois victoires à une pour les ouailles de Günthardt (qui fêtait d’ailleurs son accession à un âge certain samedi), tout est bien qui finit bien en somme. On terminera avec l’impact non négligeable du message de Greta Thunberg sur les habitudes de l’Helvète lambda. À voir le nombre de grosses cylindrées à la sortie des festivités et le relatif confort en ce qui concerne l’espace dans le bus qui nous mène à la gare, il faut probablement se préparer à quelques vendredis de grève supplémentaires dans le monde estudiantin. En attendant, #DestinationBudapest. En avion.

Eugenie Bouchard, © Art Seitz

L’Australian Open Festival

retrouvailles enivrantes

Par Steve Collis, CC by 2.0 : commons.wikimedia.org/wiki/File:Rod_Laver_Arena_(8984015851).jpg

Il fait déjà chaud, tout le monde est euphorique car aujourd’hui les stars sont de sortie : Rafa, Roger ou encore les locaux De Minaur, alias « Demon », et Thompson sont prêts à chauffer Melbourne Park.

Le tramway 70 est bondé, les enfants s’impatientent, les femmes se pomponnent malgré la chaleur tandis que les hommes, eux, s’affairent aux pronostics. Quelques minutes plus tard, nous apercevons des buildings à droite, des restaurants, des commerces, comme une impression d’avoir fait du sur place. C’est alors que s’entremêlent mélodies et brouhahas, la Rod Laver Arena commence à se remplir, la journée ne fait que commencer.

Cette affluence était loin d’être gagnée il y a encore 20 ans. Longtemps considéré comme le parent pauvre du tennis, le premier tournoi du Grand Chelem de la saison a souffert des années de son éloignement géographique mais aussi de ses déménagements successifs. En effet, l’Open d’Australie aura vu du paysage : le tournoi a posé ses valises à Perth, Brisbane, Adélaïde, Sydney, et même en Nouvelle Zélande. Un périple qui a pris fin à Melbourne, terre d’accueil depuis 1972.

 

« Borg et Connors ne venaient presque jamais. Agassi a mis du temps. Le déménagement mais aussi le changement de date ont été déterminants. » – Roger Federer

 

L’AO a fait plus d’une fois le tour du calendrier, et parfois deux comme en 1919 où la compétition s’est déroulée en janvier puis en mars de la même année. N’arrivant pas à trouver sa place, le tournoi s’est essayé en août, avant Noël, instaurant même une finale le jour de l’an 1977. Un méli-mélo de dates qui n’a pas trouvé preneur. Et pourtant, ce tournoi a du charme. Seul Grand Chelem à se disputer en centre-ville, vous n’y trouverez ici aucune file d’attente. Un étrange paradoxe loin des allées bondées de Roland Garros, et de « The Queue » à Wimbledon.

L’année 2020 quant à elle, restera malheureusement dans les annales. Les feux ravagent l’Est de l’Australie depuis plusieurs mois maintenant. Cette catastrophe écologique détruit la faune, la flore et terrorise les habitants de tout un pays. Canberra, ville la plus polluée du territoire, a vu son Challenger délocalisé à Bendigo. En effet, la qualité de l’air est sept à huit fois supérieure au taux acceptable. Des conditions qui ne jouent pas en faveur du Happy Slam, censé ouvrir la saison tennis. Cependant, annuler ou reporter l’Open d’Australie serait rajouter une catastrophe économique à la présente écologique. Des millions de dollars s’envoleraient… la nature agit, l’homme fait, disait Kant.

Roger Federer, Open d'Australie 2017, © Ray Giubilo

Une ambiance décontractée unique au monde

En attendant le début des matchs, pourquoi ne pas faire un tour au « Grand Slam Oval », cette immense aire de jeux à quelques mètres des courts. L’endroit parfait pour occuper les enfants. Tennis de table, hologramme, jeux d’eau et une multitude d’activités plus ludiques les unes que les autres sont à leur disposition, pour une poignée de dollars australiens. Non loin de cette cohue juvénile, certains profitent du soleil, sur les transats, bercés par les premières frappes de la journée.

 

« Food, kids, music and tennis. Cela fait partie de la culture australienne, de notre manière de profiter de l’été. » – Jo Juler, chef marketing du tournoi

 

C’est ce qui fait son charme, l’Australian Open est un lieu où l’on sert du tennis comme nulle part ailleurs. Il y a toujours de la musique, des odeurs, des activités en tout genre au point même qu’on oublierait que des matchs se jouent. Il est l’heure de passer à table, là encore c’est une explosion des sens. Des milliers de spectateurs carburent au champagne, au spritz ou encore au vin local. Faites aussi votre choix entre les pizzas, nachos et autres fins gourmets, mais vite car Demon n’est plus très loin de valider son billet pour le tour suivant.

 

Qu’en pensent nos joueurs ?

La Fédération australienne ne lésine pas sur les moyens. Accueil, privilèges, confort, le premier majeur de la saison gâte ses invités tout comme ses joueurs, qui fêtent leurs retrouvailles après une trêve bien méritée. Personne ne manque appel, Denis Shapovalov est sur place depuis une dizaine de jours afin de perfectionner son revers lifté. Gaël Monfils, lui, a pris le temps de s’exprimer entre deux échanges avec son pote Stan.

 

« Je n’ai jamais très bien joué ici mais c’est un très joli tournoi. J’aime beaucoup. Les conditions de jeu sont bonnes même si ça a été accéléré. » – Gaël Monfils

 

Cordages en abondance, restaurants à volonté, hôtels grand luxe, ou même la plage à quelques encablures des practices. Ici les joueurs sont rois pour les organisateurs mais aussi pour les fans. Melbourne est une ville cosmopolite où une multitude de nationalités se mélangent, vivent ensemble. Drapeaux et maquillages sont de sortie : le géant américain Christopher Eubanks peut compter sur ses supporters, juste derrière, les afficionados espagnols vibrent aux rythmes des glissades de Nicolas Kuhn, tandis que les fidèles tchèques s’apprêtent à rendre un hommage poignant à Tomas Berdych.

Les fans sont en nombre tout comme les peoples. Will Smith, Eva Longoria, David Beckam, cette brochette de célébrités ont tous foulés la Rod Laver Arena pour admirer les meilleurs joueurs du monde qui répondent toujours présent. Novak Djokovic n’a jamais raté aucune édition en 14 participations. Roger Federer, lui, n’en a loupé qu’une seule en 1999. Ils fuient l’hiver européen pour rejoindre le soleil australien peu après les fêtes. David Goffin avait posé ses valises quelques heures après Noël l’année passée pour taper la balle avec Marin Čilić. De même pour Dominic Thiem qui posait ses gifles de revers devant quelques fans. Melbourne aime les joueurs et les joueurs aiment Melbourne.

Rod Laver en compagnie de Roy Emerson, © Art Seitz

Les nuits melbourniennes

La journée est bien avancée, la lumière du jour laisse paisiblement place aux artifices de la Birrarung Marr. Les guirlandes scintillent, les néons se dressent tout autour de l’entrée de l’Australian Open Festival. Attention zone réservée aux détenteurs du « Ground Pass » qui équivaut à 50 dollars australiens. Le prix à payer pour profiter des deux concerts hebdomadaires et de la chaude ambiance des night sessions.

 

« Les gens ici aiment le sport mais le tournoi est fait pour intéresser aussi ceux
qui n’aiment pas le tennis » – Jo Juler

 

En innovant ses concepts, l’Open d’Australie souhaite attirer d’autres publics, les jeunes mais aussi les touristes, car personne ne doit rater le plus grand événement organisé dans l’hémisphère sud.

 

« Ils remplissent les stades, ils inspirent les jeunes générations à prendre une raquette et d’une manière plus globale nous encouragent à repousser les limites. Pour ces raisons et plus encore, nous investissons considérablement dans la prise en charge des joueurs avec des installations de pointe, une équipe de services amicale et une rémunération appropriée » – Craig Tiley, directeur du tournoi

 

L’argent ne fait pas le bonheur mais presque… À la fin des années 1960, Rod Laver fut le premier joueur à dépasser le million de dollars de gains, des dizaines d’années plus tard, le tennis a considérablement augmenté sa manne financière. Depuis 2001, la dotation globale de L’AO a augmenté de plus de 351% passant de 13,9 M$ australiens à 62,9 M$ en 2019. Elle est déjà loin l’époque où Borg, Vilas, Connors, ou encore McEnroe boycottaient le tournoi.

La nuit est tombée, les bières coulent à flots, des milliers de spectateurs discutent et dansent au rythme des concerts nocturnes. C’est à ce moment de la journée que le Festival de l’Open d’Australie abat ses meilleures cartes. Non vous ne rêvez pas, vous êtes à Melbourne, la saison tennis est lancée.

Jannik Sinner

La glace et le feu

© Ray Giubilo

Le visage encore (très) juvénile, Jannik Sinner soulève le trophée de vainqueur des Next Gen ATP Finals, le 9 novembre 2019 à Milan, quasiment à domicile.
Sinner, un nom que l’on a vraiment découvert ces derniers mois, l’Italien a connu une ascension formidable, qui l’a conduit à marcher sur les pas de Hyeon Chung et Stefanos Tsitsipas en devenant le troisième vainqueur de ce « Masters des jeunes », alors qu’il était de loin le plus jeune joueur de la compétition.
La première des curiosités chez Jannik Sinner, c’est d’abord son nom. Un nom qui ne rappelle pas vraiment la langue de Dante, le jeune homme vient d’Innichen (ou San Candido en italien), une petite ville du Sud-Tyrol, tout près de l’Autriche, où l’Allemand est encore très utilisé. Avant son ascension tennistique, sport que son père lui a fait découvrir à 7 ans, Jannik Sinner a d’abord évolué à un très bon niveau en ski avant de choisir le tennis à 13 ans.

 

« Ils étaient tous excités de me voir jouer »

C’est sans doute ce que l’on appelle un prodige, un enfant surdoué qui montre de grandes facilités dans un domaine. Jannik Sinner s’est vite révélé comme un « prodige » au tennis, à 13 ans il rejoint Bordighera – près de Vintimille – et Ricardo Piatti, le « sorcier » du tennis italien, celui qui amena Ivan Ljubicic vers les sommets, qui fit progresser Richard Gasquet et qui eut aussi sous sa responsabilité Novak Djokovic, Milos Raonic et plus récemment Borna Coric.

Un moment marquant pour le jeune homme : « Ce n’était pas facile de quitter la maison, mais j’étais heureux. » Loin de sa famille, Jannik Sinner découvre la curiosité que son tennis provoque chez de tels entraîneurs, de quoi lui donner la force nécessaire pour croire en lui : « Je me souviens qu’il y avait beaucoup d’entraîneurs me regardant le premier jour là-bas et ils étaient tous excités de me voir jouer. Ils étaient très sûrs de ce qu’ils faisaient et essayaient toujours de m’aider sur le court, cela m’a rendu plus certain sur ma décision d’aller là-bas. »

Une école du très haut-niveau, Ricardo Piatti prend le temps avec son élève, comme il le déclarait au mois d’août, en pleine ascension de Sinner : « Jannik n’est pas un phénomène, il a encore tellement à apprendre. Avec Jannik, nous menons un projet à long terme. Je ne pensais pas qu’il allait progresser si vite. »

© Ray Giubilo

« Quelque chose a changé à Bergame »

Une saison flamboyante, achevée par un titre aux Next Gen ATP Finals, quasiment à domicile à Milan. Si Jannik Sinner mène un projet à long terme avec Ricardo Piatti, l’année 2019 fut celle d’une rapide ascension vers les sommets pour l’Italien. Une année débutée à la 553e place et terminée – déjà – solidement installé dans le top 100 mondial, au 78e rang. L’année 2019 de Jannik Sinner, c’est un condensé d’une progression d’un joueur vers les sommets du tennis, une entrée réussie chez les « grands », lui qui fut peu en vue sur le circuit junior. Après une demi-finale dans un 25 000$ au Kazakhstan, un titre tonitruant au Challenger de Bergame, à 17 ans, il s’inscrit comme un phénomène de précocité.¹
« Quelque chose a changé à Bergame », déclarait avec le recul le jeune homme sur cette victoire à Bergame, toujours à domicile – mais au niveau inférieur – il enchaîne avec dix victoires de rang dans des tournois 25 000$ de Trente et Santa Margherita di Pula. La machine est lancée.

 

Toutes premières fois

L’accélérateur est en marche, Jannik Sinner fonce vers le top niveau avec une première victoire sur un top 100 au Challenger d’Ostrava – Jiri Vesely, 91e mondial – un premier succès sur le grand circuit à Budapest – contre le local Mate Valkusz – il est invité à disputer le premier Masters 1000 de sa carrière à Rome.

Le jeune homme va se révéler sous les projecteurs, qu’il va vite apprendre à apprécier. Il sauve une balle de match contre Steve Johnson (1-6 6-1 7-5) et s’offre un deuxième tour de gala contre Stefanos Tsitsipas. L’expérience est brève mais riche, Jannik Sinner ne peut rien faire contre le Grec, il s’incline 6-3 6-2 mais a retiré de précieux enseignements de cette rencontre : « En jouant contre Tsitsipas, j’ai essayé de de comprendre son niveau, et de comparer avec le niveau où j’étais. Être sur le court central à Rome fut une sensation vraiment particulière, surtout d’avoir le public en train de vous soutenir. C’était un peu étrange d’avoir autant de personnes autour de moi mais j’ai aimé ça. »

Des débuts sur herbe modestes mais sans démériter, Jannik Sinner sort des qualifications à Bois-le-Duc et échoue de très peu au premier tour des qualifications de Wimbledon contre Alex Bolt, Retour sur le dur aux Etats-Unis, la surface préférée du Tyrolien, et un second titre dans un Challenger, à Lexington, où il fit preuve de force mentale en remportant quatre rencontres en trois sets et prenant sa revanche en finale contre Alex Bolt.

Jannik Sinner débarque à Flushing Meadows dans la peau du joueur que tout le monde attend aux qualifications. Le jeune homme se montre combatif pour décrocher le précieux sésame, surtout au deuxième tour contre Viktor Galovic², il défie Stan Wawrinka sur le Louis Armstrong Stadium pour son premier match dans un tableau final en Grand Chelem. S’il se procure de nombreuses occasions (14 balles de break), il s’incline en quatre manches contre le très expérimenté Suisse, c’est sans doute cela l’éducation au haut-niveau : « J’ai bien joué à l’US Open, c’était la première fois de ma carrière que je me qualifiais pour un tableau final en Grand Chelem. J’ai très bien joué contre Stan Wawrinka. »³

© Ray Giubilo

Adoubé par Novak Djokovic, préservé par Riccardo Piatti

Une saison qui s’est poursuivie de la plus belle des manières, Jannik Sinner s’offre une première demi-finale sur le grand circuit à Anvers, il s’incline à nouveau contre Wawrinka, puis succède à Stefanos Tsitsipas au (jeune) palmarès des Next Gen ATP Finals. Un triomphe pour celui qui était invité dans ce « Masters des jeunes », et deux ans plus jeune que ses rivaux, il expédie Alex de Minaur (alors 18e mondial) en finale, 4-2 4-1 4-2, une victoire qui a impressionné, à commencer par Jannik Sinner en personne : « Je n’ai pas les mots… Il est un joueur incroyable, j’ai seulement essayé de jouer mon jeu et de ne pas faire d’erreur. Je n’en ai pas fait beaucoup aujourd’hui, alors je suis très content de ma performance. »

Le « phénomène » Sinner a conquis la planète tennis, il est déjà invité à Doha, Montpellier, Marseille et Rotterdam pour 2020, il a aussi reçu l’onction de Novak Djokovic après sa victoire à Milan : « Félicitations à lui pour avoir remporté les Next Gen ATP Finals à Milan. C’était une victoire très impressionnante contre de Minaur, finaliste l’année dernière et qui est déjà un joueur expérimenté. Il est certainement la prochaine star que les gens regarderont. J’ai travaillé avec lui plusieurs fois à l’Académie Piatti, Il a toujours été un jeune homme très dévoué, très respectueux, il est entre de bonnes mains car Riccardo est un très bon coach. »

Les mots sont forts, mais ils ne surprennent pas quand on sait que le Serbe a partagé avec Sinner un de ses entraînements dans « son » tournoi de Monte-Carlo, Novak Djokovic a aussi en commun avec l’Italien d’avoir été associé au « gourou » Riccardo Piatti, ce dernier se sert de son expérience avec le « Djoker » pour aider Jannik Sinner et pour lui faire comprendre nécessité d’une extrême la rigueur pour accéder aux sommets, même si Piatti a reconnu dans La Stampa n’avoir jamais travaillé avec un joueur aussi bon que Sinner au même âge : « Cela ne veut pas dire qu’il deviendra le nouveau Djokovic. Je l’ai expliqué à Jannik après sa défaite contre Stan Wawrinka lors de l’US Open. J’ai entraîné Novak Djokovic quand il avait le même âge, il était fort, mais il lui a fallu sept années pour remporter l’US Open. Pour Sinner, les quatre ou cinq prochaines années seront la clé. »

 

Tête froide, tennis flamboyant

Grisé quelque peu par la reconnaissance et le soutien du public lors des Next Gen ATP Finals, Jannik Sinner est revenu « chez lui » terminer sa saison avec un troisième titre en Challenger à Ortisei : « L’année a été longue et je suis heureux d’avoir un peu de temps libre. J’ai hâte de m’entraîner pour la prochaine saison. » Le jeune homme garde son calme et prend son temps, bien entouré, il semble avoir le mental pour devenir un grand champion.

Calme, serein, déterminé, Jannik Sinner manifeste un tempérament plus fougueux dans son tennis. Un jeu qui se distingue par un revers à deux mains somptueux, c’est d’ailleurs son coup préféré, une prise de balle précoce, une capacité à accélérer le jeu à n’importe quel endroit du court et une maîtrise de l’ensemble des coups du tennis. Une technique très pure qui s’illustre par la tension des cordages de l’Italien, qui corde ses raquettes à 28 kilos, ce qui lui offre une grande précision dans ses frappes et un grand contrôle de la balle. Une tension dans le cordage rendue possible par la qualité technique de l’Italien et la grande explosivité de ses frappes.

Une facilité dans le tennis qui rappelle les plus grands joueurs, Riccardo Piatti encense son protégé : « Le tennis n’est pas un travail, c’est un jeu. Jannik me rappelle un homme très fort qui aime jouer au tennis. » Une comparaison avec Roger Federer, puisque c’est de lui qu’il s’agit, qui fait sans doute plaisir à Jannik Sinner, ce dernier a plusieurs fois confié que le Suisse est son idole, avec qui il s’est entraîné à plusieurs reprises.

Mais pour accomplir la grande destinées à laquelle il est promis, Jannik Sinner devra garder le calme dans sa tête et la fougue dans son tennis. Du haut de sa 78e place mondiale, il commence à contempler les tout meilleurs joueurs mondiaux et à les affronter. Déterminé, il semble taillé pour éviter tous les pièges dans lesquels d’autres sont tombés.
« Ce n’est que le début du voyage », déclarait Riccardo Piatti au mois d’août, qui n’hésite pourtant pas à comparer son élève avec Roger Federer. Phénomène de précocité, Jannik Sinner reste concentré sur son glorieux dessein, Ne lui dîtes pas qu’à quelques jours près, il est entré dans le top 100 mondial au même âge que sa glorieuse idole…

¹ Parmi les joueurs ces dernière années à avoir remporté un Challenger à 17 ans seulement, on retrouve Felix Auger-Aliassime, Denis Shapovalov, Alexander Zverev, Borna Coric et Nick Kyrgios.
² Après avoir concédé le premier set 6 jeux à 4, il remporte finalement les deux dernières manches 7-6 (2) 7-5
³ Stan Wawrinka s’impose 6-3 7-6 (4) 4-6 6-3 en 2 heures et 49 minutes de jeu
Propos tenus lors d’un entretien avec l’ATP