fbpx

Et à la fin, Benoît…

Benoit Paire pendant sa défaite face à Aljaž Bedene au 2e tour de l'US Open 2019 | © Antoine Couvercelle

6/0, 1/0, abandon. Pour une reprise, c’était une reprise. Deux semaines après avoir chuté à -15 en Challenger, Benoît Paire a régalé la FFL d’une défaite express contre Borna Ćorić dès son entrée en lice à Cincinnati. Les enseignements à en tirer, pour peu qu’il faille tirer des enseignements d’une bulle, c’est que le régime à base de Spritz et de cuites en direct sur Instagram n’est pas adapté au très haut niveau. Mais cette méforme cachait-elle, déjà, autre chose ? Visiblement malade face au Croate – « Je vais mourir sur le court, donnez-moi des vitamines ! », hurlait-il avant de jeter l’éponge -, le natif d’Avignon était testé positif à la COVID-19 quelques jours plus tard. La sentence ? Pas d’US Open pour lui. Placé à l’isolement avec, en guise de geôlier, un membre de la sécurité en permanence posté devant sa porte, le showman ne régalera pas les tribunes vides de Flushing Meadows cette année. Au moins, cette fois, on ne pourra lui reprocher d’avoir perdu.

L’une des premières fois où l’on a entendu parler de Benoît Paire, c’était lors d’un reportage télévisé en période pré-Roland-Garros, probablement en 2011 ou 2012. On y voyait l’alors jeune Français – pas plus de 22 ans – présenté comme la relève du tennis mondial. Son amitié avec Stan (-islas, comme on disait) Wawrinka meublait une bonne moitié du reportage, avec en voix off ce commentaire mythique qui restera gravé à tout jamais dans ma mémoire. Il disait dans les grandes lignes : « Entre Benoît le talent pur et Stanislas le besogneux, l’alchimie est là. » Un peu moins de dix ans plus tard, l’un a trois titres du Grand Chelem et l’autre a perdu courageusement contre Kei Nishikori en passant à deux points du match. Le sommet d’une carrière française, diront les mauvaises langues. Le sommet, tout simplement, à mes yeux.

© Stan Wawrinka, Instagram

Oui, le sommet, mais le sommet de la « Pairitude », une forme de génie peu courante. Regardez ce type au physique plutôt tonique au regard de ce qu’il s’envoie dans le cornet, aux déplacements plutôt fluides malgré ses grandes cannes, ce type finalement assez lucide sur le court si l’on met de côté les invectives qu’il enchaîne envers lui-même ou les autres et qui font le bonheur d’Internet. Comment parvient-il à décevoir avec autant de constance ? Certes, il était (un peu) à côté de la plaque en hurlant que Tommy Haas était un « mec complètement nul » et qu’en y mettant un peu du sien « ce serait 2 et 2 ». Bien sûr, ses adversaires ont souvent de la « CHAAAATTEEE !». Evidemment, on pourra débattre longuement pour réfuter que, non, Wimbledon n’est pas à proprement parler un « tournoi de merde. » Tout cela existe. Oui. Cela dit, Paire reste un athlète capable de manœuvrer son adversaire malgré un coup droit défaillant, un mental aussi malingre que Schwartzman et un service trop souvent amoureux du filet. 

Parce qu’il a quand même été 16e mondial, le Benoît, malgré tous ses défauts. Et c’est précisément parce qu’il a été top 20 que l’on en est venu bêtement à avoir envers lui des attentes déçues. En ce sens, c’est peut-être l’unique tennisman dans ce cas depuis Federer ou Malisse. On compare Paire à Kyrgios : quelle erreur ! Kyrgios est un athlète tellement né pour le tennis qu’il a fini par le détester. Un sportif porté par le souffle de l’impossible, toujours prompt à faire tomber les statues – ou à balancer un match contre Berankis pour le simple plaisir de rentrer chez lui. Un garçon assez attachant dont les bonnes actions en temps d’incendies en Australie ont redoré l’image. Kyrgios, surtout, est un communicant du tennis, toujours prompt à donner son avis sur le fonctionnement des instances, toujours disposé à se faire la voix des petits face au Big Three (et surtout face à Djokovic). Paire, lui, n’est rien de tout cela. Il fait parfois trembler les grands sans jamais remporter la mise ; il ne balance presque jamais ses matchs, trop occupé à se battre contre lui-même pour les gagner ; il n’est en rien la voix des autres, se contentant de mener à bien sa propre petite carrière en rappelant à qui veut l’entendre qu’il préfère être 24e mondial en buvant des bières que de se battre pour les premières places en sacrifiant tous les plaisirs de la vie. Et pour le reste, « santé Marion ! »

Benoit Paire au cours de sa défaite épique face à Kei Nishikori en huitième de finale de Roland-Garros 2019 | © Antoine Couvercelle

Et pourtant, sa défaite mémorable contre Nishikori à Roland-Garros en 2019 lui est restée sur l’estomac. Kyrgios, lui, n’a jamais l’air particulièrement abattu après une défaite. C’est que Paire, contrairement à l’Australien, a un regard critique sur lui-même. Il rit de bon cœur quand Wawrinka le vanne sur son coup droit et accepte tout à fait de passer pour le rigolo de service, mais il préférerait que tout le monde l’encense. Il est en cela une incarnation étrange de l’esprit français : nous sommes les meilleurs, mais si vous nous enquiquinez trop en cherchant à prouver le contraire, nous nous draperons dans notre dignité bafouée et laisserons passer les occasions rien que pour vous prouver que tout est de votre faute. Qu’importe la victoire pourvu qu’on ait le dernier mot ; qu’importe les amendes pourvu qu’on ait le Spritz. Et lorsque Wawrinka se risque à lui rappeler qu’il est lui, Wawrinka, champion olympique en double, Paire de répondre que sans Federer il n’aurait jamais gagné le tournoi. « Même moi avec Federer, je le gagne, l’or ». Entendez par-là « surtout moi ». De toute façon, c’est improuvable.

À présent, Paire est passé de l’autre côté, celui des espoirs déçus. Rares sont ceux qui parviennent à passer un cap tennistique à l’aube de la trentaine. Récemment, cela dit, il y en a eu : il s’appelle Stan Wawrinka. Pas sûr que Paire ait envie, ni d’ailleurs qu’il soit capable, d’imiter son copain. De toute façon, malgré l’entraînement, il y aura toujours quelqu’un sur son parcours pour le dégoûter aussitôt d’essayer de prouver sa supériorité en ayant l’indélicatesse de jouer sur son coup droit. La victoire est assez noble mais l’affrontement plutôt vulgaire. Et ce même quand on se teint en blond.

Dans cet immense incohérence, il existe finalement une ligne directrice : quoi qu’il advienne, à la fin, Benoît perd.

US Open 2020 : astérisques et périls

Ciel de la finale messieurs de l'US Open 2019 | © Antoine Couvercelle

Nous sommes en 2020 avant le vaccin. Toute l’Amérique est occupée par la pandémie. Toute ? Non ! Car une mégalopole peuplée d’irréductibles sponsors et autres intérêts financiers gigantesques résiste à l’envahisseur (et au bon sens). Alors que le ciel est tombé sur la tête (assurée) des organisateurs de Wimbledon, le tournoi qui fait office de deuxième levée du Grand Chelem cette année aura bien lieu malgré la galère dans laquelle se trouve son pays. Pas de Combat des chefs prévu dans ce qui est habituellement Le Domaine des dieux cependant. L’US Open débutera dans la Grosse P… euh Bulle alors que 34 de ses gladiateurs (dont Nadal, Federer, Wawrinka et plus de la moitié du top 10 féminin, dont trois des quatre dernières lauréates d’un Majeur) ont renoncé à faire La Grande Traversée, ce qui a tendance à semer La Zizanie.

 

Un grand fossé semble s’être creusé entre les partisans de cette formule et ses détracteurs. D’aucuns avancent déjà l’hypothèse que d’éventuels records absolus battus par Novak Djokovic ou Serena Williams dans les prochains mois seraient accompagnés d’une astérisque si d’aventure l’US Open 2020 faisait partie de leur collection de trophées. En tennis comme dans d’autres sports, la vox populi semble avoir décidé d’avance qu’une victoire lors d’une compétition post-COVID tronquée, accélérée ou délocalisée ne pourra tout simplement pas être considérée valide. On est évidemment absolument certain que ce genre d’idée fixe n’a rien à voir avec la présence du PSG en finale de la Ligue des champions ou du « Djoker » comme seul représentant du Big 3 à New York, deux entités sportives dont le nombre de détracteurs semble se multiplier aussi rapidement que les victimes du coronavirus dans une maison de retraite particulièrement mal ventilée. Même si on a tendance à comprendre le point de vue des mauvaises langues précédemment citées sur le principe, notre esprit de contradiction nous dicte tout de même de faire un petit tour des arguments les plus farfelus et non recevables qui ont été mis au service de cette théorie. État des lieux non exhaustif, loin s’en faut.

Novak Djokovic, US Open 2018 | © Ray Giubilo

La mathématicienne

Marion Bartoli, vous vous souvenez ? Figurez-vous que la Française a tenu à préciser à l’antenne du talk show Match Points sur le site tennismajors.com que « tu ne peux pas vraiment dire que tu as gagné un (tournoi du) Grand Chelem quand tu as 20 des 32 meilleurs qui ne viennent pas ». Avant de sortir notre boulier, soulignons l’ironie de ce raccourci. On était pourtant certain qu’il suffisait de remporter sept matches d’affilée pour être reconnu vainqueur d’une quinzaine majeure, peu importe le nombre de têtes de séries tombées avant de croiser votre chemin. On aurait juré qu’un tel concours de circonstances n’occultait en rien la performance et le reste du CV d’un champion qui n’avait rien demandé après tout. On rappellera à tout hasard l’Open d’Australie 2002, Roland-Garros 2009, le bas du tableau de l’US Open 2017 (chez les messieurs) ou encore… Wimbledon 2013 (chez les dames). Bref, on a dû se tromper. Pour en revenir à la donnée du problème, Félix Auger-Aliassime, qui semble avoir des souvenirs un peu plus frais de ses cours de maths du collège (notamment le chapitre sur les fractions), s’est empressé de tweeter son incrédulité. Il a immédiatement été suivi de Benoît Paire, trop content d’ajouter une énième manche aux joutes verbales qui l’opposent depuis plus d’un an à celle qui était connue pour sa technique de service aussi stable que la vie amoureuse de Mark Philippoussis. Pour rappel, la consultante d’Eurosport avait qualifié l’homme aux humeurs aussi équilibrées que son régime alimentaire de « gamin de 8 ans » après son refus (probablement prémonitoire en cette période pré-COVID) de serrer la main d’Aljaž Bedene au deuxième tour de  l’US Open 2019. Pique à laquelle le spécialiste de l’enchaînement revers-apéro avait évidemment répondu en faisant preuve de la maturité propre à l’âge décrit, histoire de faire bon poids. Reste tout de même à savoir si le chiffre 8 était bien celui que notre mathématicienne en herbe voulait avancer. Retour au cas qui nous occupe. On a fait le calcul pour être sûr : 10 forfaits sont répertoriés parmi les 32 meilleures chez les dames alors que 5 des 32 têtes de série masculines sont annoncées non partantes. Même en additionnant, on arrive à un total de 15 sur 64, pas 20 sur 32…

Marion Bartoli, gagnante de Wimbledon 2013 | ©Ray Giubilo

Le féministe

Après ces quelques célébrités, attaquons-nous maintenant au troll lambda sur les réseaux sociaux. Car c’est bien connu, Twitter compte au moins autant de spécialistes de la petite balle jaune que d’épidémiologistes en ces temps troublés. On en a trouvé un magnifique, juste en-dessous d’une liste de forfaits dans le tableau féminin postée par le journaliste portugais José Morgado. Nous tairons le nom de ce docte follower par pudeur, mais sentez-vous libre de le débusquer une fois votre lecture achevée. En plus de la dénoncer, notre nouvel ami a trouvé la solution à la dévaluation des titres délivrés à Flushing Meadows cette année. Vous êtes certainement au courant qu’un débat sans fin fait rage depuis des lustres en ce qui concerne l’égalité salariale entre les circuits ATP et WTA. Les arguments contre cette évolution qui reviennent le plus souvent sont, en général, la durée des matches et la différence d’audience (et donc d’argent amassé via les droits TV et la pub notamment) entre les affrontements masculins et ceux du sexe opposé. Sans entrer dans les détails de la question de la poule et de l’œuf en termes de visibilité du sport féminin, intéressons-nous à la ligne argumentative de notre expert de salon. Celui-ci préconise de retirer une large portion du prize money du tournoi féminin pour l’injecter dans son pendant masculin, puisque la qualité des forces en présence chez ces dames ne reflète pas celle d’un tournoi majeur. Bon sang, mais c’est bien sûr ! Vous en aviez marre de cette année 2020 pourrie ? Votre carrosse réactionnaire pour les années 50 est avancé !

 

Le philosophe

« Un arbre qui tombe dans la forêt fait-il du bruit si personne n’est là pour l’entendre ? » Cette fameuse citation qui a été attribuée à pratiquement tous les (méta)physiciens de la création, et dont le nombre de reprises à travers les âges est presque équivalent au nombre de raquettes brisées par Marat Safin en carrière, trouve son origine quelque part entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, selon Wikipédia. La voilà remise au goût du jour au temps du corona : un tournoi qu’aucun suiveur ne peut vivre de l’intérieur, qu’aucun public ne peut célébrer et qu’aucun joueur ne peut partager avec ses fans a-t-il vraiment lieu ? Voilà qui pose une vraie question maintes fois évoquée pendant le confinement, notamment lorsque Federer ou Wawrinka ont osé avouer que le tennis ne leur manquait pas, ou qu’ils ne se voyaient pas rejouer à huis clos : le plaisir qu’éprouvent ces champions sur un court a-t-il encore quelque chose à voir avec la pratique intrinsèque de leur sport ? Celle-ci n’a-t-elle plus aucun sens sans la lumière des projecteurs et le culte proche de l’irrationnel que leur vouent certains de leurs fans ? On vous laisse méditer là-dessus, nous on était surtout en charge de la partie sarcastique.

Roger Federer et Stan Wawrinka, Indian Wells 2014 | © Ray Giubilo

Zoom sur un confinement 3.0

Serena Williams, « Zoom Service » | © Art Seitz

A la mi-mars, la plupart des pays européens, dont la France, la Belgique et la Suisse, basculent vers un confinement, semi-confinement ou encore une situation extraordinaire, selon la sémantique du lieu dans lequel vous vous trouvez (soudain enfermé). Certains sont « en guerre », d’autres préconisent d’avancer « aussi rapidement que possible et aussi lentement que nécessaire ». On vous laisse le soin d’identifier laquelle de ces deux saillies provient du gouvernement d’un pays neutre, chantre du compromis qui ne vexe personne s’il en est. Les écoles, les restaurants, les bars, les commerces non alimentaires et… les installations sportives ferment. Impossible de jouer au tennis à quelque niveau que ce soit, et encore moins au rythme effréné du circuit professionnel. Si les clubs de tennis, certaines écoles et autres lieux de vie sociale et de shopping ont pu timidement rouvrir le 11 mai, moyennant des mesures presque aussi draconiennes que les règles de bienséance dans un salon du All England Club et des effectifs aussi réduits que l’affluence des grands soirs au Stade Louis II, la route est encore longue. Surtout si celle-ci doit traverser de multiples frontières, transiter par de nombreux aéroports et déplacer des foules cosmopolites de continent en continent. Les grands cirques de l’ATP, de la WTA et de l’ITF – pour une fois sur la même longueur d’ondes, à un électron libre parisien près – ont donc dégonflé leurs chapiteaux. Leurs dompteurs de petites balles jaunes prennent leur mal en patience en s’efforçant de ne pas tourner en rond comme des lions en cage. Mais que font-ils au juste ?

 

Ils prennent l’apéro pour tromper l’ennui du confinement

Franchement, on se sentirait mal d’essayer de résumer en quelques lignes tout le génie d’un StanPairo. Si vous suivez le tennis, il est impossible que vous n’en ayez pas vu d’extraits, lu des résumés ou carrément dévoré une double page dans le plus grand canard sportif hexagonal. Et ça c’est si vous n’avez pas bu ces réunions jusqu’à la lie, cocktail et bloc-notes à l’appui, après une semaine entière d’attente infernale. Se connecteront-ils ? C’est donc ça le manque. Bref, nous ne leur ferons pas l’injure de réduire leurs grands crus à un pauvre condensé frelaté car seuls les deux gais lurons de la quarantaine virtuelle savent doser ce savant mélange d’ivresse et de soudaine sobriété technico-tactique qu’ils ont su nous proposer de semaine en semaine. Et si, contre toute attente, vous n’avez jamais entendu parler des StanPairo et que vous lisez ces lignes, c’est probablement que vous venez d’ouvrir un magazine inconnu par erreur chez votre coiffeur (on y voit goutte avec ces masques). Fermez-le vite et abonnez-vous à Stan Wawrinka et Benoît Paire sur Instagram. Quand la deuxième vague dont tout le monde parle autant que d’une première victoire masculine française à Roland-Garros depuis 1983 (même si la seconde risque de se faire attendre plus que l’autre) pointera le bout de son nez, ce sera déjà ça de fait.

 

Ils travaillent sur leur reconversion dans les médias au cas où

Le 22 avril, Roger Federer faisait mine de réfléchir à haute voix sur la possibilité d’unir les circuits ATP et WTA. Quand vous le faites sous la douche entre deux performances vocales dignes d’une éviction de la Star Ac’ en première semaine, ça ne mange pas de pain. Quand le Swiss Maestro reçoit l’écho de ses 12,7 millions de twittos, c’est autre chose. Connaissant la communication du Bâlois, généralement aussi bien huilée que la peau de Dominika Cibulkova sur ses stories Instagram en direct de son yacht estival, on ne peut s’empêcher de penser que tout cela est finement orchestré. Surtout quand douze jours plus tôt, on a déjà assisté à une première union virtuelle entre les deux instances genrées du tennis, via Tennis United.

Kim Clijsters, Roger Federer, Martina Navratilova et Andre Agassi | © Art Seitz

Tennis United, c’est l’émission hebdomadaire des stars du tennis confinées, chapeautée par les chaînes YouTube de l’ATP et de la WTA et présentée par le duo américano-canadien Bethanie Mattek-Sands – Vasek Pospisil, spécialistes de double par ailleurs (voilà qui tombe décidément très bien). Tout ce petit monde travaille bien sûr à distance, comme il se doit (les 2555 km qui séparent l’Arizona de la Colombie-Britannique respectent tout juste les normes édictées par l’OMS). Chaque semaine, outre une sélection des meilleurs challenges vidéos et autres clowneries du Web, on a droit à la réalité de la quarantaine d’une brochette de vedettes de la petite balle jaune (et parfois d’autres sports), de Sofia Kenin à Stefanos Tsitsipas en passant par Andy Murray et Wayne Gretzky. Et c’est là que le bât blesse un chouïa. On l’a vu à travers le gouffre qui s’est creusé entre les propos de Dominic Thiem (lui aussi invité par l’émission qui nous occupe) sur les fonds alloués aux joueurs moins bien classés et le témoignage vidéo d’Inès Ibbou : la notion de réalité a une sale tendance à différer entre le gotha du tennis planétaire et les déshérités des bas fonds du classement mondial.

Les cinq premières minutes de l’épisode initial sont un condensé de la déconnexion (un comble pour un show tourné via une plateforme de visioconférence et disponible online) entre l’élite du jeu et sa base. On commence par une visite exhaustive des installations ultra modernes dont disposent nos deux présentateurs dans leurs domaines qui s’étendent sur ce qui ressemble furieusement à la superficie du Luxembourg. Court de mini-tennis, salle de fitness, jacuzzi, terrasse qui pourrait accueillir trois mariages en simultané tout en respectant les règles de distanciation sociale en vigueur, vue à couper le souffle d’Eole en personne. Difficile dans ces conditions de croire au discours de Mattek-Sands en introduction de l’épisode pilote : « Maintenant plus que jamais, nous avons besoin de nous rejoindre et de nous entraider. Je pense qu’il est temps que les circuits se réunissent pour montrer comment chacun gère la situation de l’intérieur. » On imagine tout de même que la plupart du commun des mortels a eu – par obligation – d’autres priorités que dénicher la dernière recette de cuisine à la mode auprès de son influenceuse préférée sur les réseaux sociaux. Mais ça, Tennis United ne nous le dira pas. Et finalement pourquoi pas. On avouera volontiers que ces privilégiés de la raquette nous ont bien fait marrer épisode après épisode malgré tout. Et réunir par le (sou)rire, c’est déjà une vocation fort louable à l’heure où notre monde semble profiter de la crise du coronavirus pour imploser de toutes parts (même si l’épicentre de beaucoup de séismes semble se trouver dans un Bureau qui ne tourne décidément pas rond).

Il serait par ailleurs foncièrement malhonnête de notre part d’ignorer la tribune offerte par Tennis United à Frances Tiafoe, Taylor Townsend, Coco Gauff et bien d’autres dans le cadre du mouvement #BlackLivesMatter. C’est un début d’inclusion. Laisser les voix des seuls acteurs du tennis qui peuvent réellement comprendre ce que cette lutte signifie au quotidien s’exprimer librement, sans entrave, introduction ou même commentaire de la part des hôtes habituels du programme est encore mieux. Notre paire nord-américaine de double mixte a encore jusqu’à la fin juillet (au moins) pour faire de même avec les anonymes du circuit situés au-delà de la 100ème place mondiale et ainsi perpétuer ce processus d’inclusion vanté dès les premières secondes de l’existence de leur nouveau terrain de jeu virtuel.

 

Ils préparent le fameux « monde d’après »

Impossible de ne pas citer le numéro 1 mondial, Novak Djokovic. Le Serbe serait probablement également assez bien classé au hit parade des influenceurs des réseaux sociaux avec ses 7,3 millions de followers sur Instagram. Malheureusement pour le Iznogoud du tennis, celui qui cherche à être calife à la place des deux califes depuis plus de 10 ans maintenant, il reste loin derrière Roger Federer (7,6 millions de followers) et surtout Rafael Nadal (9,3 millions) au niveau popularité. Comme dans la vraie vie en somme. Si on vous parle d’Instagram, c’est que la plateforme de partage de photos (mais pas que) semble être le point de ralliement de toutes les célébrités et leurs fans depuis la fermeture des stades, salles de spectacles et autres points de rassemblement de masse. Ou alors c’est parce qu’on n’a toujours rien compris à TikTok du haut de notre grand âge qu’on vous affirme cela de manière péremptoire, allez savoir. De la séance de gymnastique du duo improbable Venus Williams – Alexander Zverev aux interview décalées de Naomi Osaka en passant par des parties de ping pong ou de tennis virtuel endiablées (et commentées) entre Gaël Monfils et Elina Svitolina, il était impossible de s’ennuyer ce printemps.

Roland-Garros 2017 | © Ray Giubilo

On en revient à Djokovic qui lui, a utilisé sa plateforme pour promouvoir des gourous de la méditation et autres théories plus ou moins fumeuses, ainsi que quelques insinuations anti-vaccin d’un goût plus que douteux. Mais en réalité, on le soupçonne de tenter de détourner notre attention alors qu’il est en train d’activement préparer l’après. Cet après risque de plus en plus de débuter par une phase de huis clos, si les tournois de la seconde partie de l’année comptent avoir une chance de se disputer. Le huis clos, c’est un peu le Graal pour Nole. Federer et Nadal ne seraient plus adulés dans tous les stades du monde. Lui, le Djoker perpétuellement incompris, ne serait plus hué par personne. Il n’aurait plus l’esprit obnubilé par cette quête d’un amour inaccessible et pourrait enfin concentrer toute sa volonté sur un but, un seul : tous les records tangibles détenus par ceux dont les aspects plus immatériels ne seront jamais égalés par le natif de Belgrade. Et si l’Empire de Fedal ne tenait qu’à ce détail qui n’en est pas un face aux invasions venues des Balkans ?

L’éternel faire-valoir des deux titans n’a en tout cas pas perdu ses talents d’acteur pendant ce lockdown. Prêt à tout pour cacher ses réels desseins, il est même allé jusqu’à déclarer aux médias de son pays que les protocoles sanitaires envisagés pour une tenue hypothétique de l’US Open à la fin août étaient tout simplement trop extrêmes pour qu’il s’y plie. Tout en doutant de la tenue de quoi que ce soit cet automne dans la Grande Pomme, plus connue pour ses fosses communes que pour ses attractions touristiques ces derniers temps, gageons que notre ami Novak sera le premier à l’aéroport si d’aventure on se trompait pour la 734ème fois dans nos prédictions de docteur amateur ès COVID-19 depuis la mi-mars.

Nick Kyrgios

Rappeur né

Le joueur australien n’a encore jamais intégré le Top 10. Pourtant, il est l’une des attractions principales du circuit. Son talent brut et son franc-parler ne laissent personne indifférent. A la fois génial, fou et impertinent, il bouscule le cadre et les conventions, à la manière des tenants de la culture hip-hop.

Open d'Australie 2020 | © Ray Giubilo

« In the ghetto, in the ghetto… »

Le jour se lève à New York. Les seventies s’éveillent, réveillées par un nouveau genre musical. Le disco est tout neuf, mais son univers insouciant et léger envahit déjà les boîtes de nuit et fait danser Manhattan et Brooklyn. Pourtant, à quelques kilomètres, dans les rues du Bronx et d’Harlem, les communautés noire et portoricaine souffrent. Le chômage de masse s’intensifie, la drogue et la violence aussi. Les gangs fleurissent et les quartiers s’embrasent . Bizarre, bizarre, le monde est devenu un sacré foutoir , mais aucun chanteur disco ne s’attardent sur les ghettos.

En août 1973, tout va changer. Dans le South Bronx , une fête s’organise au sous-sol d’un immeuble. Derrière les platines, Clive Campbell, alias « DJ Kool Herc », a l’idée de mixer deux vinyles  identiques pour en isoler la section rythmique. Et sur un titre de James Brown , il invente une technique révolutionnaire, à l’origine d’un nouveau courant musical et artistique, qu’on appellera plus tard le « hip-hop ». Accaparé par son mix, il est contraint de lâcher le micro au profit de ses potes, qui enchainent les rimes. Leurs textes, plutôt déclamés que chantés, racontent la réalité du quartier, la détresse économique et la misère sociale.

Au même moment, de l’autre côté de l’East River, dans l’arrondissement du Queens, l’US Open démarre sa 93ème édition. Au cœur de Forest Hills, un autre sujet sociétal occupe le monde de la petite balle… blanche, à l’époque. Pour la première fois, le tournoi offre le même montant aux vainqueurs dames et messieurs. Les heureux gagnants cette année là viennent de loin : John Newcombe et Margaret Smith Court. Ils sont Australiens et réussissent l’exploit de s’adjuger les titres en simple et en double. Un braquage loin d’être anodin, si tant est qu’on croie un tant soit peu aux signes du destin. Car s’il existe un joueur de tennis qui aurait pu se fondre à merveille dans cette ambiance créative et participer à l’émergence de cette nouvelle culture urbaine, il s’agit bien d’un autre Australien, plus contemporain : Nick Kyrgios !

Rapper’s Delight

Oui, Nicholas Hilmy Kyrgios, de son nom complet, aurait fait un délicieux rappeur. Son pseudonyme, « Kygs », sonne comme un blaze de DJ ou le nom de scène d’un MC, « Master of Ceremony ». Dans cette uchronie, il n’y a pas de hasard, preuves à l’appui. Savez- vous dans quel pays est né le précurseur new-yorkais du graffiti, l’une des cinq disciplines du hip-hop ? Bingo ! En Grèce, le pays d’origine de Nick Kyrgios par son père, dont le métier n’est autre que peintre décorateur, ça ne s’invente pas ! Le graffeur, lui, s’appelle Demetraki et son tag – le diminutif « Taki 183 » – a inondé les rues de « Big Apple » dans les années 1970. Une empreinte majeure que ne laisseront sans doute pas les autographes du tennisman australien, la comparaison s’arrête donc là.

Alors, quelle personnalité aurait pu incarner Nick Kyrgios, dans cette période de troubles, où le graf était totalement réprimé et le rap en gestation ? La réponse claque, au même titre que ses doigts fantasques : Grandmaster Flash, l’un des pionniers du hip-hop, dans la famille des disc jockey. Né à la Barbade en 1958, Joseph Saddler, de son vrai nom, n’avait que 15 ans lorsqu’il a commencé à animer les blockparties du Bronx. Une précocité analogue à celle manifestée quarante ans plus tard par la comète australienne, d’abord ancien numéro un mondial dans la catégorie junior, puis auteur d’une performance rarissime avant même ses 22 ans : mettre au tapis, dès sa première tentative, Nadal, Federer et Djokovic, soit l’intégralité des membres du « Big 3 ».

Grandmaster Flash | CC Southbank Centre via : flic.kr/p/o1PPU9 | licence : creativecommons.org/licenses/by/2.0/

Encore teenager, Flash développe diverses techniques de deejaying et popularise un procédé aujourd’hui réputé : le « scratching »En un tour de main, il parvient à jongler avec les tubes de Chic, Blondie et Queen. Une créativité évidente qui repose sur une matière première préexistante. Là encore, le parallèle avec Nick Kyrgios s’impose. Son style de jeu, déroutant et aventureux, arpente un solide chemin tracé par les anciens . Deux exemples caractéristiques : le « tweener » de Guillermo Vilas et le service à la cuillère de Michael Chang. Comme le DJ américain dans le registre musical, le génie australien s’inspire des subterfuges échafaudés par les légendes du tennis, avant d’en livrer une version personnalisée.

« Nick est extrêmement doué », résume l’ancien numéro un mondial, Lleyton Hewitt. « Sa capacité à créer du jeu est remarquable. C’est même parfois trop facile pour lui ». L’analogie vaut aussi pour leurs qualités, pour le moins semblables. A l’habileté de Flash, capable de scratcher avec ses pieds, « Kygs » réplique avec dextérité en alternant frappes lourdes et amorties soignées. A sa façon, le tennisman est lui aussi un grand maître du changement de rythme : il hypnotise ses adversaires en revers, puis se mue en super cogneur et balance soudainement un missile en coup droit, rapide comme l’éclair !

The Message

Grandmaster Flash se souvient parfaitement du jour de ses découvertes : « J’avais la sensation que j’allais trouver la solution, et après avoir essayé pas mal de choses, j’ai posé mes doigts sur le vinyle. Je l’ai laissé tourner, puis je l’ai arrêté. Je l’ai laissé tourner une nouvelle fois, puis je l’ai encore arrêté. Et là je me suis dit : “Je peux totalement contrôler ce disque” ! » 

Accélération, décélération. Le DJ comme le tennisman cherchent à maîtriser le tempo car ils préfèrent mener la danse. Seule différence : Flash régule les disques, « Kygz » les balles de tennis. Si l’un marque le beat et l’autre dicte le jeu, ils endossent un seul et même costume, celui du porte-drapeau. Le DJ est en effet un chef de bande, accompagné par cinq fidèles manieurs de mots, les « Furious Five ». L’Australien est également à la tête d’un gang mythique, qui réunit les tennismen enragés, autant talentueux qu’impétueux. Parmi les membres actuels de cette bruyante association de malfaiteurs, dénonçons sans crainte Fabio Fognini, Bernard Tomic, Alexander Bublik, Daniil Medvedev ou encore Benoit Paire. Le petit jeu favori des sociétaires de ce club officieux consiste à casser des raquettes, et leur doctrine à viser les lignes blanches au risque de franchir… la ligne rouge. Mais parfois, derrière ces dérapages, se dégage un message, l’expression d’une souffrance, d’une différence.

Kyrgios, Fognini, Tomic, Paire, Medevdev et Bublik | Montage de Rodolphe Cazejust, photo de base de Scott Lynch via : flic.kr/p/gS6oN8 | Licence CC BY-SA 2.0 : creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0/

Celles de Kyrgios remontent à l’enfance. Jusqu’à l’adolescence, le petit Nicholas était grassouillet et souvent moqué. Son frère Christos raconte : « Nick était joufflu, gros et lent. Rapidement épuisé. Ses coachs lui disaient qu’il n’allait jamais percer. » Aujourd’hui, la plaie a cicatrisé mais « Big Nick » continue de hurler. Un cri de désespoir, comme celui poussé par les jeunes afro-américains parqués dans les ghettos du Bronx, relaté par Grandmaster Flash et ses furieux amis dans le morceau The Message. Le texte évoque la pauvreté et la criminalité qui règnent dans ces quartiers. La métaphore choisie par les auteurs pour représenter cette « zone » ? Une jungle, dont il est presque impossible de s’échapper : « It’s like a jungle sometimes, it makes me wonder how I keep from going under. »

La jungle, pour Kyrgios, c’est le circuit ATP. Il ne s’y sent pas à l’aise, et sa colère, son mal-être, résonnent étonnamment dans ces paroles qu’on l’imagine volontiers prononcer : « Don’t push me cause I’m close to the edge, I’m trying not to loose my head. » (« Ne me pousse pas car je suis proche du bord, j’essaie juste de ne pas perdre la tête. ») Il faut dire que l’Australien parle beaucoup : sur le court, en conférence de presse ou par le biais des réseaux sociaux. Son style est pour le moins brut. Et son ton généralement cinglant. Lisez plutôt cet échange savoureux, mais vigoureux, à l’issue de sa défaite contre Rafael Nadal à Wimbledon en 2019.

– Question du journaliste : « Regrettez-vous de ne pas vous être excusé d’avoir tiré sur votre adversaire dans le troisième set ? »
– Réponse de Nick Kyrgios : « Pourquoi devrais-je m’excuser ? »
– Parce que c’est l’usage, non ?
– Quel usage ?
– Au tennis.
– Ah bon ?
– Quand vous touchez quelqu’un avec la balle…
– Je ne l’ai pas touché, seulement sa raquette. Et pourquoi devrais-je m’excuser ? J’ai gagné le point.
– Cela n’a pas plu à Nadal.
– Et alors ?
– Vous aviez l’air de vouloir le viser…
Je m’en fiche. Pourquoi devrais-je m’excuser ? Combien a t-il remporté de Majeurs ? Combien a t-il gagné sur son compte en banque ? Je pense qu’il peut supporter une balle dans la poitrine. Je ne vais pas m’excuser pour ça. »

Une rhétorique qui s’apparente au discours acerbe de certains rappeurs. Comme eux, Nick Kyrgios n’a pas la langue dans sa poche. Telle est l’autre facette du Docteur Jekyll et Mister Hyde du tennis, pas seulement DJ mais aussi MC.
La suite au prochain épisode .

Cet article est disponible en podcast, tout en musique, ici.

Less is more

Le tennis retrouve le goût des choses simples

Faute de grives, on mange des merles. Mais ça tombe bien : bien cuisiné, le merle, c’est pas mal non plus. Touché de plein fouet par la pandémie du Covid-19, le tennis réapprend ainsi les initiatives nationales… Réapprend ? Car oui, quelque part la crise le ramène à ses fondamentaux historiques. Plus qu’un lot de consolation, un retour aux sources. Voici venu le temps des premiers matchs post-confinement et autres plaisirs minuscules.

© Ewout Pahud de Mortanges

L’Allemagne a initié le mouvement avec la réunion de huit joueurs, parmi lesquels Dustin Brown, établis dans un périmètre de 100 km autour de Coblence. Les États-Unis ont renchéri du côté de la Floride, avec les locaux Opelka et Paul, plus deux « guests » confinés outre-Atlantique, Hubert Hurkacz (coach américain, Craig Boynton) et Miomir Kecmanovic (poulain IMG). Le pendant féminin de l’épreuve est prévu à la fin du mois avec Amanda Anisimova, Alison Riske, Danielle Collins et l’Australienne Ajla Tomjlanovic. La Suède a opté pour la version minimaliste : un unique match caritatif entre les deux frères Ymer. L’Autriche, elle, voit gros avec un évènement mixte très respectablement doté (151 750 €) et qui doit marquer la rentrée d’un premier gros bras, le n°3 mondial Dominic Thiem.

Ainsi va le tennis en temps de pandémie. En attendant la reprise, sans cesse différée, des rendez-vous internationaux (ATP, WTA et ITF ont donné à cette heure rendez-vous au 13 juillet, mais le conditionnel reste de rigueur), chaque pays élabore ses propres initiatives à l’intérieur de ses frontières. La Grande-Bretagne y songe (on évoque un format de huit réservé aux joueurs classés au-delà du ‘cut’ des grands tournois, afin de rémunérer des joueurs réellement dans le besoin), l’Espagne aussi (tournée d’été nationale et/ou évènement organisé à Majorque chez Rafael Nadal), et bien sûr la France, entre un projet estival dans le sud du pays porté par Thierry Ascione et le bébé de Patrick Mouratoglou, l’Ultimate Tennis Showdown, qui promet de réunir 10 joueurs, dont certains de tout premier plan, pour 50 matchs sur plusieurs semaines…

Bref, à chacun ses propositions, plus ou moins ambitieuses, plus ou moins philanthropiques, pour tenter de sauver les meubles et réamorcer la machine, dans un sport dont il apparaît de plus en plus clairement qu’il sera l’un des derniers à pouvoir renouer avec la « vie d’avant » (pensez que l’Open d’Australie réfléchit d’ores et déjà à un public 100 % australien pour son édition 2021 !).

 

Mieux que rien… « et de toute façon, on n’a pas le choix ! »

Ces projets « de substitution » répondent à une double nécessité pour les joueurs : « Retrouver les picotements, l’excitation de jouer au tennis, explique Yannick Hanfmann, 143e mondial, victorieux à Coblence de ce que la petite histoire retiendra comme étant le premier tournoi post-confinement. Sans trop m’avancer, je pense pouvoir dire que c’est la première fois depuis la petite enfance que nous, joueurs de tennis, nous retrouvons si longtemps sans fouler un court. La sensation de manque est réelle, tout autant l’enthousiasme à rejouer. »

Et puis il y a le nerf de la guerre : « J’ai fait quelques économies et je ne suis pas du genre à jeter l’argent par les fenêtres, reprend l’Allemand, 543 000 $ de prize money répertoriés par l’ATP, mais au bout de quelques semaines les choses se compliquent. » Les 3000 $ empochés à Coblence ne compenseront pas le manque à gagner des dernières semaines sur l’ATP Tour (à titre d’exemple, il avait gagné 10 000$ lors de son dernier tournoi, récompense d’un tour franchi en qualifications à Dubaï !), mais qu’on ne s’y trompe pas : réussir, dans le contexte et les contraintes sanitaires actuelles, à monter en un temps record un tournoi de tennis doté de 25 000 $, a relevé de la prouesse.

Il s’agit donc, pour un temps, de faire son deuil des grands rendez-vous et leurs plateaux de 128, 64 ou même 32 joueurs venus des quatre coins du globe. Faire son deuil de l’ambiance, du public… et, pour les joueurs, des coachs en bord de court et des ramasseurs aux petits soins. Mais l’heure n’est pas à faire la fine bouche: « Il y a encore deux semaines, on ne savait pas quand on retrouverait le terrain, contextualise Dustin Brown. Et je pense que tous ceux qui sont là sont heureux d’être simplement revenus. » Les contraintes pratiques (vestiaires séparés, à chaque joueur ses balles, pas de ramasseurs) sont dans ces conditions un moindre mal. Le huis clos, et donc l’absence d’ambiance et un rendu visuel tristounet ? Là est le vrai point faible.

Dustin Brown, Wimbledon 2017 | © Ray Giubilo

Mais les diffuseurs font le pari d’une demande forte chez les fans derrière leur écran, en mode ‘qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse’ : « On n’a pas le choix, de toute façon, assène Mark Leschly, président d’Universal Tennis, à l’origine des deux exhibitions floridiennes, diffusées sur Tennis Channel. Nous essayons de ramener le tennis à la télé et le faisons de manière sûre sur le plan sanitaire. Le monde a changé, nous devons nous adapter et innover. Le sport local et individuel en petits groupes sera la nouvelle norme dans un futur proche. »

 

Un retour aux sources ?

Et, après tout, il le fut aussi dans un passé pas si lointain. Des initiatives à la pelle aux quatre coins du monde, déconnectées les unes des autres et sans cohérence globale ; des plateaux allégés et composés quasi-exclusivement de joueurs locaux, mâtinés d’un ou deux voisins de temps à autre ; des frontières poreuses entre compétition et exhibition, où la seconde peut s’avérer plus attendue que la première selon le pedigree des participants… Est-il besoin de rappeler que tout cela fut le lot du tennis durant la majeure partie du XXe siècle, quand seuls les Grands chelems (et encore, même cette affirmation mérite nuance selon les tournois et/ou les époques) réunissaient tout le monde en une unité de temps et de lieu ?

Entre contraintes des distances et concurrence entre promoteurs (penser au schisme amateurs / professionnels, puis au circuit parallèle WCT aux États-Unis…), le tennis a mis longtemps à devenir le sport globalisé et, quoi qu’en dise, relativement lisible, que l’on connaît aujourd’hui. Sans remonter jusqu’aux images en noir et blanc, Jimmy Connors a encore gagné un certain nombre de ses 109 titres dans une sorte de circuit fermé aux États-Unis, constitué par et pour des Américains, dans des tableaux oscillant entre 4 et 16 participants et où les étrangers étaient aussi rares que les coups liftés dans la panoplie de « Jimbo ». Tout cela est-il si différent des nouveautés printemps-été 2020 pour celles qui sauront tirer leur épingle de jeu ?

 

Avancer ses pions en vue du « monde d’après »

Ce sera même l’ambition – non dissimulée parfois – pour certains : pendant que les gros tournois établis s’arrachent les cheveux, de nouveaux venus se verraient bien profiter du cataclysme pour avancer leurs pions, sur fond de crise de gouvernance du tennis. « Nous voulons profiter de cette période pour montrer notre vision, vante ainsi Patrick Mouratoglou à propos de son Ultimate Tennis Showdown. Pendant cinq semaines, dix joueurs vont s’affronter. Ceci n’est pas un “one shot”, l’UTS est un championnat qui va durer toute la saison et pendant plusieurs années. Les joueurs gagneront des points, de l’argent et il y aura un champion. »

Et si ces points peuvent à terme devenir des points ATP, le champion être reconnu en bonne et due forme dans les palmarès (la Laver Cup a ainsi mis le pied dans la porte en faisant comptabiliser ses rencontres dans les face-à-face de l’ATP) et le rendez-vous s’ancrer résolument parmi les temps forts de l’année tennis… La fragilisation du circuit dans son ensemble avait déjà débuté avant le coronavirus, mais ce dernier va très probablement l’accélérer. Là aussi, le passé s’apprête-t-il à nous tendre un miroir sur ce qui nous guette à l’horizon ? Cette période compliquée et, on le pressent aisément, charnière pour le tennis, est décidément aussi incertaine que fascinante à suivre.

Open d'Australie 2019, pendant la finale dames remportée par Naomi Osaka face à Petra Kvitová | © Ray Giubilo

Pour la postérité, le calendrier de reprise du tennis :
• Allemagne : Tennis Point Exhibition Series, du 1er au 4 mai à Coblence : 8 Allemands dont Dustin Brown.
• Pologne : Marbello Exhibition Series, à partir du 6 mai : 6 joueurs polonais (aucun Top 100).
• Suède : Tennis Against Corona, le 10 mai à Stockholm, avec les frères Ymer.
• États-Unis : UTR Pro Match Series, à Palm Beach du 8 au 10 mai : 4 joueurs dont Hubert Hurkacz et Reilly Opelka. Version féminine du 22 au 24 mai, à 4 aussi dont Amanda Anisimova et Danielle Collins.
• Autriche : Generali Open Pro Series à partir du 25 mai. 16 hommes, dont Dominic Thiem, et 8 femmes.
• République tchèque : à Prague du 26 au 28 mai ; 8 joueurs et 8 joueuses tchèques, dont Petra Kvitová et Karolina Plíšková.
• France : Ultimate Tennis Showdown, à partir du 13 juin sur les courts de l’académie Mouratoglou. 10 joueurs annoncés, dont Goffin, Paire, Fognini et Pouille.
• Serbie : Eastern European Championship, à partir du 15 juin sur les courts de l’académie Tipsarević à Belgrade. Filip Krajinović premier annoncé.

Rome 2006 :

finale épique et source de tension entre Nadal et Federer

Au cours de leurs carrières, Roger Federer et Rafael Nadal se sont affrontés 40 fois dont 16 sur terre battue. Sur la surface de prédilection de l’Espagnol, le Suisse ne compte que 2 victoires : Hambourg 2007 et Madrid 2009. Pourtant, c’est sur ocre qu’a eu lieu leur plus longue empoignade. Une finale romaine que les deux hommes placent au panthéon de leurs affrontements.

Rome 2013, finale | © Ray Giubilo

Roger, êtes-vous rival ou ami avec Rafa Nadal ?
Peut-on être les deux ? Je pense que oui. Vraiment. Rafa est une personne géniale, avec de belles valeurs. Aujourd’hui, il m’a confié avoir pleuré quand j’ai gagné mon Roland-Garros en 2009 tellement il était heureux pour moi.

Vendredi 7 février 2020, 51 954 âmes – record pour un match de tennis – vibrent d’impatience en Afrique du Sud. Dans un Cape Town Stadium plus habitué à accueillir les crampons de joueurs de football ou de rugby, Roger Federer répond à une question au sujet de l’autre héros de la soirée. Rafael Nadal et lui sont à quelques instants de disputer le Match for Africa. Une exhibition caritative témoin, aussi, du lien particulier entre les deux hommes. Celui d’une rivalité amicale s’étant tissée au fil d’années marquées de pléthore de joutes uniques mises en exergue par la dualité de leurs styles. « Au début, Rafa était timide, toujours très respectueux envers les autres joueurs du top 10, et moi en particulier parce que j’étais numéro 1 mondial, se souvient le Suisse au moment de la Laver Cup 2017. Puis sa personnalité s’est affirmée. Nous avons eu de rudes et douloureuses batailles sur le court, quelques brouilles, aussi, mais il y a toujours eu un énorme respect entre nous. » Parmi ces « rudes batailles et quelques brouilles » : Rome 2006.

Comme souvent, Nadal et Federer se retrouvent en finale. La 13e d’affilée pour le Suisse. À cette époque, il règne en empereur sur le circuit. Depuis sa défaite surprise contre l’ado Richard Gasquet en quart de finale de Monte-Carlo 2005, le Bâlois, 24 ans, ne compte que deux tombeurs. David Nalbandian, vainqueur du Masters 2005, et, surtout, Rafael Nadal. Seul Brutus qui parvient alors régulièrement à éliminer César. Face à lui, le Bâlois reste sur 4 défaites en 5 oppositions, dont 3 consécutives. La dernière en date : à Monaco, trois semaines plus tôt. Une lutte de 3 h 50 perdue 6/2 6/7 6/3 7/6 qui donne de l’espoir à l’Helvète. Il estime alors se rapprocher de la bonne stratégie pour venir à bout de sa bête noire sur terre battue. « J’ai joué plus intelligemment qu’à Roland-Garros (demi-finale 2005) aujourd’hui, explique-t-il après la rencontre. Je me rapproche, j’ai fait un pas de plus vers la solution pour le battre sur terre. » Questionné sur cette fameuse solution, il répond malicieusement, sourire en coin : « Je ne vous le dirai pas. »

Nadal veut égaler Vilas ; Federer a un plan

En effet, pourquoi prendre le risque d’informer le rival ? Federer compte déjà 7 titres du Grand Chelem. Seul Roland-Garros manque à sa collection. Le tournoi de la porte d’Auteuil est le but ultime, sur une surface ou Nadal est roi depuis son éclosion. Sacré la saison précédente à Paris – son premier triomphe en Majeur – le gaucher en tenue de pirate accumule les trésors sur l’ocre. Depuis sa défaite face à Igor Andreev à Valence en 2004, il en est à 52 succès de suite. Assis sur ses 19 balais, il vole au point d’être à une unité du record terrien de Guillermo Vilas. Pour ce faire, il doit s’imposer face à Federer au sein du Foro Italico. Là où, un an plus tôt, il sortait gagnant de l’un des plus grands matchs de l’histoire sur terre battue. Au jeu décisif du cinquième set, après 5 h 14 d’un coude à coude d’une intensité rare avec “El Mago” Guillermo Coria. Une expérience à suspens qu’il s’apprête à revivre…

Dès le premier point du match, Federer laisse apparaître les grands axes du plan élaboré avec Tony Roche, son entraîneur. Jouer le revers de Nadal sans trop l’excentrer, à mi-chemin entre le couloir et le centre, pour qu’il n’ait pas d’angle en cas de décalage coup droit, et manœuvrer de façon à pouvoir être agressif et venir finir au filet aussi souvent que possible. Tactique payante. Il réussit le premier break, à 2/1. Et, s’il cède à son tour son engagement dans la foulée, il empoche finalement cette manche initiale – grâce, notamment, à 15 montées réussies sur 18 tentées – au tie-break. De manière écrasante. 7 points à 0. « Je devais être agressif, il ne me laissait pas le choix, explique Federer, dix ans plus tard, pour l’ATP. J’ai bien plus travaillé avec mon coup droit qu’à Monaco. J’ai aussi fait plus de choses en revers. » Avec ce dernier, il utilise l’amorti un peu plus qu’à l’accoutumée. De quoi étonner quand on connaît la vitesse de déplacement de son rival. Mais le toucher du Suisse est régulièrement capable d’éteindre le feu qui anime les jambes de son adversaire.

Roland-Garros 2019, demi-finale | © Art Seitz

La tension s’intensifie

Dans le deuxième set, les deux hommes tiennent leurs services. Le niveau de jeu est spectaculaire. A 5/4 sur l’engagement suisse, Nadal s’offre une balle de set. Raté. Federer tutoie la perfection au moment opportun pour l’écarter grâce à une présence féline au filet. Nouveau jeu décisif. À 2-1 contre lui, le Majorquin manque une volée haute de coup droit « facile ». Signe de la tension extrême du moment, il laisse transparaître sa frustration. Un début de geste de colère fugace qui révèle son envie, finalement réfrénée, d’envoyer valdinguer sa raquette. Malgré cela, il recolle et bénéficie à son tour d’un « cadeau ». À 5-5, il voit Federer rater nettement son attaque sur un coup droit à mi-court. Mini-break décisif. L’Ibérique conclut dès le point suivant, suite à une approche de coup droit slicée. Bien qu’un peu courte, cette montée met Federer sous pression. Le passing de revers reste dans le filet . Un round partout.

Dans l’acte suivant, la tactique, connue, de l’Espagnol fait la loi. « Mon coup droit contre son revers, c’est la meilleure configuration », avait-il d’ailleurs reconnu après leur combat monégasque. Le « surlift » giclant de sa gifle met son opposant en difficulté, le forçant à frapper au-dessus de l’épaule. Nadal réussit le break à 2/2 pour s’imposer 6/4. Au cours du set, la tension monte encore d’un cran. Federer abandonne sa poker face. « Everything all right, Toni ? », lance-t-il ironiquement vers les tribunes. L’oreille des journalistes attrape la pique. En conférence de presse, l’un d’eux questionne : « Était-ce adressé à votre entraîneur (Tony Roche) ? » « Non, répond le Suisse. C’était pour Toni Nadal. Il a fait un peu trop de coaching aujourd’hui. Je l’ai pris sur le fait, et ce n’était pas la première fois. Je lui ai déjà dit plein de fois. Il l’a aussi fait pendant tout le match à Monaco. Mais, apparemment, les arbitres ne gardent pas assez l’œil sur lui. » Il faut dire que  « Tio Toni » est rarement discret pour donner quelques conseils à son neveu.

« Everything all right, Toni ? »

Extérioriser cet agacement a peut-être relâché Federer. Le quatrième set est à sens unique. Après  un premier jeu de 6 minutes au cours duquel il sauve deux balles de break avec autorité, Federer déroule. 6/2. Place au dénouement. Le clou du spectacle. Lors de cet ultime round, le Central romain a des allures de Colisée. Deux gladiateurs s’écharpent, se ruent de coups et courent comme des dératés en soulevant des nuages de poussière orangés. Mais nous ne sommes plus au temps de la Rome antique. Ici, nul ne veut pointer le pouce vers le bas. Les 10 500 spectateurs se lèvent à chaque point pour frapper dans leurs mains jusqu’à en éclater les tympans du voisin. Federer prend rapidement de l’avance. À 3/1 en sa faveur, il sauve une balle de débreak au filet et tient finalement son engagement. Jusqu’à 4/2. Là, l’homme aux 20 titres du Grand Chelem se procure une balle de 5/2. Seul hic, son adversaire use alors à merveille de sa stratégie fatale.

Pilonné sur son revers, Federer est poussé à la faute. Trois fois de suite. Débreak. À 6/5, le Bâlois obtient deux balles de matchs consécutives sur le service adverse. Il tente sa chance, en vain. « Sur la seconde, je me suis précipité (sans être dans la meilleure position), détaille-t-il à l’issue de la partie. J’ai tenté le coup gagnant, pourquoi pas, mais j’étais un peu en retard. La première me laisse plus de regrets, parce que j’étais en bonne position. J’ai voulu frapper un coup droit solide, long, avec beaucoup de lift sur son revers. » Nos deux dramaturges doivent écrire un dernier jeu décisif pour ponctuer leur œuvre. Là, l’Helvète mène 5-3, mais le stylo bave. Derrière son service, il avance dans le court, prêt à dégainer avec son coup droit pour s’offrir trois nouvelles balles de titre, mais l’attaque reste dans le filet. Lors des points suivants, Nadal fait le jeu avec son bras gauche, repousse Federer et le force à plier. Jusqu’à rompre. 7 points à 5. Après 5 h 05, l’Espagnol conserve son titre.

« Il doit apprendre à se comporter en gentleman y compris quand il perd »

« C’est un match inoubliable, déclare-t-il en 2016. J’ai réussi une remontée incroyable dans le cinquième. Je pense que l’un comme l’autre, nous avons joué à un niveau très, très élevé. » « Le niveau du match était énorme, confirme Federer. Nous étions au sommet de nos arts. Et le public était incroyable. » Le Suisse produit ce jour-là un tennis offensif d’une qualité rare sur terre battue. En 179 échanges gagnés – 5 de plus que Nadal – sur 353 joués, il en glane 64 au filet pour 84 montées. Soit une réussite à la volée 76,19 % qui représente 35,75 % de son total de points inscrits. Mais, à chaud, la défaite est difficile à digérer. « Je ne peux m’en prendre qu’à moi-même, j’avais les choses en main et j’ai gaspillé deux balles de match. Il va me falloir un peu de temps pour digérer cette défaite. Je suis assez énervé contre moi-même. » Côté Nadal, on savoure la victoire. Mais un détail a du mal à passer. « Rafa » n’oublie pas la remarque envoyée à son oncle durant l’empoignade. Le lendemain, lors d’une interview accordée à la presse espagnole, il réplique : « Il (Federer) doit apprendre à se comporter en gentleman y compris quand il perd. »

Si poli et élogieux l’un envers l’autre depuis leur première rencontre à Miami, le duo Federer-Nadal vit sa première dispute. Courte. Très courte. Deux semaines plus tard, les deux ennemis sont conviés à Barcelone pour la cérémonie des Laureus World Sports Awards. Le numéro 1 mondial y reçoit le prix de « sportif de l’année », son dauphin celui de « la révélation ». Assis à la même table, les rires annihilent leur différend. « Nous étions assis chacun d’un côté de la princesse, et nous nous sommes rendu compte que tout ça n’était vraiment pas très important, raconte Federer. Toute trace de tension avait disparu lorsque nous nous sommes retrouvés à Roland-Garros. » Marquante par la performance, cette finale romaine révèle aussi le caractère de Rafael Nadal hors du terrain. Après avoir réussi à vaincre le Suisse sur le court, elle lui a permis de rabrouer ponctuellement sa timidité en dehors en se laissant aller à une critique pour tuer le mythe Roger Federer. De quoi poser, aussi, les bases d’une relation d’égal à égal plus propice la naissance de leur future « amicarivalité ».

Open d'Australie, finales 2009 et 2017 | © Ray Giubilo

Le court au temps du corona

« Touche moi pas ». Voilà le genre de phrases à grammaire approximative qui devraient fleurir un peu partout dans le monde une fois le déconfinement prononcé. À défaut de pouvoir faire intervenir le Hawk-Eye pour savoir s’il y avait ou non touchette, on pourra toujours se rabattre sur les sports qui évitent le contact histoire de contourner le problème. Des sports au premier rang desquels on trouve bien sûr le tennis. Ah ça, le tennis est un sport hautement compatible avec les gestes barrières puisque 6 bons mètres séparent les adversaires – du moins lorsque l’on joue en simple. Chacun son matériel, chacun sa place, chacun son tour. Pas de risque de contamination. À part bien sûr pour ce qui est des balles – on est bien obligé de partager. Et des changements de côté. Et des instants passés face à face au filet. Et des moments où l’on se serre la main en fin de match. Et… Ah oui, tiens, ce n’est pas si évident, tout compte fait. Beaucoup de questions au standard.

Michael Mmoh amuse la galerie en détournant le regard au moment où Novak Djokovic lui tend la main | © Art Setz

Le service au corps sera-t-il encore autorisé ? 

Si jusqu’alors le service au corps pouvait passer au mieux pour une espièglerie, au pire pour une fourberie, il sera désormais assimilable à une attaque ad hominem visant à refiler le virus au malheureux adversaire. De là à penser que son interdiction sera prononcée par les autorités du tennis, il y a tout de même quelques pas à franchir. D’abord parce que cela sous-entendrait qu’il existe de fait des autorités du tennis qui parlent d’une même voix ; ensuite parce qu’étant moi-même en léger surpoids, des services légèrement excentrés risqueraient de me viser au corps. Dès lors quelle serait ma légitimité à demander que l’on remette la balle ? Difficile d’arbitrer.

Réponse probable : Oui.

 

Aura-t-on le droit de faire une contre-amortie ? 

Pour l’amortie, la question ne se pose pas. Pour la contre amortie, en revanche, la limonade est tout autre : de fait, la contre-amortie aura pour effet d’attirer l’adversaire dans un périmètre de distanciation inférieur à celui recommandé par les autorités sanitaires. « Gestes barrières ! », pourra gronder l’arbitre en sortant son warning. Mauvaise ambiance.

Réponse probable : Oui, mais pas d’aller la chercher. Après tout, qui est fautif : le piégeur ou celui qui se laisse piéger ?

 

Le service de John Isner peut-il tuer le coronavirus ?

Se prendre une mandale à 250 km/h a tendance à ôter chez soi toute trace de vie et de conscience. Si John Isner vous tire dessus, vous avez une bonne chance d’y passer. Et qu’en est-il du virus ? À en croire les autorités sanitaires compétentes, un « gros coup dans la tronche » ne suffirait sans doute pas à tuer des microparticules largement plus petites que les écarts du cordage. En revanche, il faudrait calculer les kilojoules induits par pareille puissance car à défaut de mourir en crash-test, le virus s’éteint au-delà de 70 degrés. Pas sûr, cependant, que la balle chauffe à ce point-là (même après être passée entre les jambes façon poteaux électriques d’Isner qui n’ont pas la sexyness de celles de Sabatini).

Réponse probable : Non. Mais c’est dommage, cela aurait redoré le blason de la machine à Ace dans nos coeurs.

 

Et la balle qui gagne, Gasquet pourra-t-il la redemander ? 

Sur le papier, rien ne l’en empêche puisqu’il se servirait de la balle qu’il vient lui-même de manipuler sans que l’adversaire ne la touche. Le seul hic c’est à qui la demander ? Car il va de soi que les ramasseurs de balles ne pourront lui rendre une balle déjà touchée. Et notre pauvre Richard obligé, dès lors, de traverser lui-même le terrain pour aller récupérer sa baballe, au risque de se rapprocher de l’adversaire. C’est sans fin, cette histoire (tout comme d’ailleurs l’enchaînement des blessures de Richard).

Réponse probable : Oui,mais avec des gants.

 

Sera-t-il mal vu de changer de côté en contournant le filet sans croiser l’adversaire ? 

Parce qu’on ne voudrait pas se retrouver en quarantaine avec le corona. Mais dès lors comment faire comprendre à l’adversaire que l’on prend ce chemin non par simple précaution hygiéniste mais bien pour lui montrer qu’on ne peut pas l’encadrer ? Il va falloir trouver de nouvelles manières de jouer à « c’est qui qui domine ».

Réponse probable : Ce ne sera pas mal vu, et c’est bien là tout le problème.

 

Ceux qui refusent de serrer la main en fin de match vont-ils devenir des héros ? 

Jusqu’alors on les brocardait, on les méprisait, on les conspuait. Désormais, ils seront dignes d’applaudissements quotidiens au balcon à 20 heures. Oui, au balcon et à 20 heures car ne vous attendez pas à ce que le public les couvre de fleurs : il n’y aura plus de public. Pas sûr d’ailleurs qu’il y aura des arbitres à qui serrer la main. Possible que la main du Hawk-Eye soit un peu moite.

Réponse probable : Non. Ils deviendront simplement des tennismen normaux et plus personne n’en parlera.

Novak Djokovic et Roger Federer en finale de Wimbledon 2019 | © Antoine Couvercelle

Viser l’homme à la volée : prison ou pas prison ?

On en revient plus ou moins au problème du service au corps, à la différence près que l’intention de faire mal est ici plus voyante. Jusqu’alors, les passeurs adeptes de la technique dite du peloton d’exécution s’en tiraient avec un regard noir de l’adversaire et quelques commentaires outrés. Désormais, ils pourraient être assimilés à ceux qui refilent volontairement le virus du SIDA. À moins, bien sûr, que le passing n’intervienne sur le service de l’adversaire, auquel cas les miasmes resteraient en famille (et les cochons seraient ainsi bien gardés).

Réponse probable : Pas de prison, mais peut-être la honte à vie.

 

Nadal sera-t-il encore autorisé à faire toute sa routine en se touchant le visage avant de servir ?

Et que je me touche le slip, et que je me touche le visage, et que je me touche le t-shirt, et que je me touche les cheveux, et que je touche la balle. Si ce n’est pas de la provocation, ça… On imagine mal les organisateurs de tournois du Grand Chelem oser recadrer Rafael quant à sa routine. Mais dans le genre transmission de germes, on n’a pas vu mieux depuis les armes bactériologiques irakiennes.

Réponse probable : Il n’est pas certain que le tennis professionnel reprenne avant la retraite de Nadal.

 

Traverser le terrain pour aider l’adversaire à se relever : interdit ou pas interdit ?

Sportmanship et fair-play, comme diraient les Anglais en se targuant d’avoir inventé l’attitude du gentilhomme. N’empêche, la question se posera : un type cloué au sol, blessé, qui gémit dans son coin avant d’abandonner… Le minimum pour l’adversaire est d’oublier la foire d’empoigne pour montrer son côté humain et sauter le filet pour mieux porter secours. À l’avenir, pareil geste d’empathie pourrait s’apparenter à une infection volontaire. On imagine tout de même mal un joueur de tennis laisser agoniser l’adversaire sans prendre au moins le temps d’aller l’achever.

Réponse probable : « Le tennis, ce sont des valeurs », comme dirait la FFT sans vraiment savoir ce que recouvrent ces valeurs.

Pour les amateurs que nous sommes, le tennis sera toutefois praticable à condition de faire attention. Attention notamment aux balles que nous utiliserons car la feutrine peut transmettre le virus. Une bonne idée consisterait dès lors à marquer ses propres balles et celles de l’adversaire avec, par exemple, un simple feutre pour les différencier. D’où l’idée de  la « Courtcinelle » et la « Ballematienne », deux balles (l’une jaune à pois rouge, l’autre blanche à points noirs) qui permettront de customiser le court au temps du corona, pour paraphraser Gabriel García Márquez.

Courtcinelle et Ballematienne | © Diego De Cooman, Courts

Monte-Carlo 2006 :

la rivalité Federer – Djokovic pousse ses premiers cris

Derrière la rivalité opposant Rafael Nadal à Novak Djokovic – 55 matchs –, celle entre Roger Federer et le Serbe est, en terme de chiffres, la deuxième plus importante de l’histoire du tennis. Si le premier de leurs 50 duels, datant de Monte-Carlo 2006, est loin d’être le plus éclatant, il révèle, par le prisme du temps passé, les prémices d’une opposition amenée à dépasser le cadre de son sport.

© Ray Giubilo

« C’est un modèle. Même pour moi, alors qu’il est un de mes plus grands rivaux depuis le début de ma carrière. Quand vous regardez tout ce qu’il a accompli, la façon dont il continue à jouer et gagner, ça ne peut que vous inspirer. » 14 novembre 2019, Novak Djokovic prend deux gros coups sur la caboche. Battu lors de son dernier match de groupe du Masters, il est éliminé de la compétition et doit s’asseoir, jusqu’à la fin de la saison, à côté du trône de l’ATP occupé par Rafael Nadal. Malgré cela, dans un anglais qu’il maîtrise sans difficulté, le Serbe, habile polyglotte, rend hommage à la source de ses malheurs du soir : Roger Federer. Cinq mois après son succès renversant en finale de Wimbledon, le Belgradois vient de perdre le 49e affrontement d’une rivalité née 13 ans et demi plus tôt à Monte-Carlo.

 

Federer, ce « monstre »…

En avril 2006, sur le Rocher, les routes des deux hommes se croisent dès le premier tour. Les visages sont plus joufflus, les tenues plus amples, plus longues, et Djokovic n’est pas uniquement Serbe. La Serbie et le Monténégro ne se séparant qu’en juin de la même année, il est alors Serbo-Monténégrin. Son palmarès sur le circuit principal, lui, n’est rien du tout. Mais il commence à faire du bruit. 67e mondial, il est le plus jeune joueur d’un top 100 sur lequel Federer, 24 ans, règne en maître presque invincible. Depuis son élimination en quart de finale du tournoi monégasque face à Richard Gasquet l’an précédent, le bilan du Bâlois est de 2 défaites en 77 matchs. Soit 97,4 % de victoires. Sa salle des trophées brille déjà de 7 titres du Grand Chelem, 2 Masters et 10 Masters Series – l’ancien nom des Masters 1000. Bref, Dr. Frankenstein du tennis, il est en pleine création de son « monstre ».

« En gagnant semaine après semaine, j’ai créé un monstre, explique-t-il en 2008 dans la foulée d’un revers en demi-finale de l’Open d’Australie contre, ironie du sort, Djokovic. Dès que je perds un set, les gens disent que je joue mal. Je dois (du point de vue des observateurs) gagner chaque tournoi. Pourtant, demie, ça reste un bon résultat. » Mais sur les bords de la Méditerranée, du haut de ses 18 printemps lorsqu’il rencontre le numéro 1 mondial pour la première fois, Djokovic n’a pas peur des monstres. Ça fait bien longtemps qu’il éteint la « petite lumière » pour dormir. Enfant, l’obscurité complète est une alliée, une amie. Celle qui lui permet d’échapper pour quelques heures aux horreurs de la guerre, quand les bombardements ne viennent pas briser le silence de la nuit.

© Ray Giubilo

…que le jeune Djokovic ne craint pas d’affronter

« Ça (la guerre) a contribué à construire la personne que je suis, le joueur que je suis, explique-t-il lors d’un podcast avec Jay Shetty. Ça m’a donné faim de succès, de travail, d’entraînement. Ça a nourri mon envie de vouloir montrer au monde qu’un enfant d’un pays déchiré par la guerre peut devenir le meilleur dans un sport planétaire. » Quand il se pointe sur le fameux court central avec vue sur mer face au roi du circuit, il ne tremble pas. Contrairement à d’autres, il n’est pas du genre à avoir les jambes qui flageolent au point de s’agenouiller et courber l’échine avant même le début de la joute. L’insouciance de la jeunesse, peut-être, mais pas seulement. Celui qui travaille alors avec Riccardo Piatti et manie un cadre Wilson croit dur comme fer en ses capacités. Il semble savoir où il veut – et va – aller. « Vous paraissez déjà très mature », s’étonne d’ailleurs un journaliste à la fin du duel.

Néanmoins, après deux bons premiers jeux, il se montre fébrile. À 1/1, il commet une flopée d’erreurs. 6 au total. Federer, sans lâcher le moindre coup gagnant, obtient le break à sa cinquième occasion. En confiance, il déroule et boucle la manche sur l’engagement adverse. 6/3. Pas de quoi, cependant, enterrer les espoirs du Serbe. Passé par les qualifications, ce dernier a déjà deux matchs dans les jambes. Il retrouve le rythme dès le début du deuxième set. Plus régulier, il est entreprenant aux bons moments, agressif pour retourner les seconds services et place plusieurs judicieuses amorties de revers. Toujours la même. Droit devant. Efficace. Federer en subit les conséquences. Son niveau décline quelque peu.

« Il ne m’a pas rendu les choses faciles, il m’a vraiment fait douter dans le deuxième set, confie l’Helvète en conférence de presse. J’étais devenu le gars qui faisait les erreurs, lui n’en faisait plus et réussissait quelques bonnes frappes. Je pense que le coup droit manqué pour mener 30-0 sur le premier jeu de service que je perds (à 6/3 1/1) m’a coûté le set. » Résultat, nouvelle manche à sens unique. 6/2 Djokovic. Derrière ses lunettes noires tendances (à l’époque) Mirka ne bronche pas. Elle a confiance en son homme, et elle fait bien. Dans le troisième, il creuse l’écart d’entrée. 3/0. « Le fait est qu’il a commencé à jouer de façon plus agressive, explique Djokovic à l’issue de l’empoignade. J’ai reculé de deux mètres. J’ai peut-être manqué de courage, disons, pour tenter des coups gagnants. Deux ou trois points ont décidé du sort de match. »

© Ray Giubilo


«
Il a fait parler l’expérience »

« J’ai eu une opportunité dans le premier jeu à 30-30 (sur le service de Federer), et à 40-30 sur le mien dans le suivant, poursuit-il. Contre un joueur comme Roger, le meilleur du monde, vous ne pouvez pas rater ce genre d’occasions. Ensuite, il a fait parler l’expérience. Il a joué intelligemment, et j’ai commis quelques erreurs qui ont fait tourner le match. » 18 au total dans cet acte final, contre 7 côté Federer. Mais au cours des ultimes échanges, Djokovic dévoile l’une des caractéristiques qui font son essence. À 6/3 2/6 5/3, 40-0, « tellement dos au mur que [s]a colonne vertébrale est en ciment » – comme dirait Youssoupha – il écarte deux balles de match. À l’audace. Celle qui lui permet, entre autres, de sauver sa peau d’un retour gagnant devenu légende en demi-finale de l’US Open 2011 face au Suisse. Là, à Monaco, il vient d’abord terminer au filet après une défense ébouriffante, puis enchaîne avec un retour-volée. Le point suivant, il persiste, percute, mais sa gifle de coup droit sort en longueur. 6/3 2/6 6/3 Federer en 1 h 48. « Good luck », pour la suite, lui glisse Djokovic au moment de se serrer la pogne.

Dès cette première opposition, le vainqueur décèle les possibilités d’un futur trouble-fête prêt à l’enquiquiner sur le long terme. « Assurément, je crois que c’est un bon joueur, observe-t-il. Il est très solide du fond et je pense qu’il a encore une marge de progression dans beaucoup de domaines. Donc il y a du potentiel, absolument. » Si coup droit et service sont encore loin de son niveau actuel, le revers et la couverture de terrain de Djokovic impressionnent déjà. À L’instar de sa qualité de retour. Sur les 656 aces claqués par Federer cru 2006 en 1 229 jeux de services – soit 1 tous les 2 jeux en moyenne – Djokovic n’en prend qu’un seul ce jour-là. Ça, c’est ce qui saute aux yeux, s’imprime sur la rétine quand on le voit évoluer sur le court. En dehors, ce qu’il marque, ce sont les tympans. Par sa volonté, son ambition, sa croyance en lui.


L’un voit « du potentiel », l’autre ne voit pas « d’extra-terrestre »

« Le problème, c’est qu’il (Federer) est tellement bon sur toutes les surfaces qu’il débute chaque match en ayant déjà gagné, explique-t-il devant les journalistes. Parce que tout le monde a peur de lui : “Oh ! C’est Roger Federer ! Je ne peux pas gagner contre lui ! Il est parfait ! Je vais devoir jouer d’une façon dont je ne joue jamais, au-delà de mes limites. Surjouer.” C’est comme ça qu’il gagne avant même d’entrer sur le court. Moi aussi j’ai un peu essayé de surjouer au début. Puis je me suis rendu compte qu’il est bon, oui, le meilleur, mais que ce n’est pas non plus un extra-terrestre. Il joue simplement de façon intelligente et reste très calme. Alors j’ai commencé à jouer aussi, tenir l’échange et le pousser à faire des fautes. (…) À un moment, j’ai eu le match sous contrôle. Je sais que j’ai eu une chance de gagner. » Il la saisit finalement l’année suivante, en finale de Montréal, au cinquième épisode de leur saga. Les « monstres » sont difficiles à dompter.

L’Australie Hewitt la déroute de justesse

C’est avec notre seul doigt encore valide, lavage compulsif de mains et carences en vitamine D et oxygène depuis trois semaines obligent, que nous tapons fébrilement ces lignes. Les médias sportifs du monde entier tournent au ralenti ou nous offrent des rétrospectives, rediffusions et autres live tickers des manifestations et rencontres marquantes d’un passé plus ou moins proche. Et tellement révolu. Faute de contenu récent à se mettre sous la pupille, nous avons décidé d’en faire de même avec un match qui a marqué notre adolescence au fer… vert et or, alors que le pays entier dans lequel nous avons grandi était drapé dans ses couleurs rouges et blanches d’apparat. 21.09.03. Non, ce n’est pas le nombre de jours qu’il nous reste à vivre en lockdown (quoique). Nous sommes le dimanche 21 septembre 2003, Lleyton Hewitt et Roger Federer s’affrontent sur la Rod Laver Arena de Melbourne pour emmener leur équipe nationale en finale de la Coupe Davis (vous savez, cette vieille essoreuse à salade qui a été remplacée par des liasses de billets l’année dernière). Retour teinté de mauvaise foi sur ce qui avait cimenté une rivalité et émerveillé notre regard d’enfant il y a bientôt 17 ans. À l’époque c’était un enregistrement sur bande VHS à visionner le matin suivant, décalage horaire oblige.

Lleyton Hewitt, crème solaire en « guise de peinture de guerre » | © Ray Giubilo

L’Histoire (avec un grand « H »)

Roger Federer est numéro 3 mondial en ce temps-là. On s’arrête ici pour vous rappeler que le G.O.A.T. était encore à cette même troisième place à la fin février 2020, c’est-à-dire il y a quelques semaines (même si tout cela paraît si loin maintenant) et surtout 16 ans et demi après l’affrontement entre deux champions de 22 ans que l’on s’apprête à suivre en votre compagnie. Notre Roger fédéral est en passe de s’engager sur une autoroute qui le mènera sur le toit du monde tennistique d’où il contemplera ses sujets pendant 237 semaines consécutives entre février 2004 et août 2008. Sur cette voie royale, il concassera joyeusement Lleyton Hewitt avec une régularité digne des apparitions plus ou moins sobres de Stan Wawrinka sur Instagram ces derniers temps, ce qui finira par donner au duel qui nous occupe le statut d’anomalie.

Lleyton Hewitt justement, parlons en. Le roquet des antipodes est en chute libre après presque deux ans passés au sommet du classement ATP et deux titres majeurs. En 2003, il a été vaincu par la malédiction des huitièmes de finale à Melbourne, par Tommy Robredo et (surtout) par ses nerfs à Paris, puis par Ivo Karlovic, au service (canon) de Sa Gracieuse Majesté, d’entrée à Londres avant d’atteindre, tout de même, les en quarts à New York. Il est encore 7ème mondial en septembre, mais sa non-qualification pour le Masters de fin d’année dont il est le double tenant du titre le fera chuter à la 17ème place, son pire classement depuis ses 19 ans. Soyons clair, l’ensemble du tennis tricolore actuel – Gaël Monfils excepté – signerait des deux mains pour une telle « chute ».

Pour ce qui est de la rencontre de Coupe Davis qui nous passionne aujourd’hui, l’Australie mène deux victoires à une après les promenades de santé de Federer et Hewitt le vendredi et la victoire de la paire Arthurs / Woodbridge face au duo Federer / Rosset en cinq manches le jour suivant. Une issue qui laissera des traces physiques et mentales indéniables du côté helvétique.

 

L’histoire (avec un petit… enfin bref, vous avez compris)

On apprend en début de match que Federer en est à 10 victoires consécutives en simple dans cette compétition alors que son adversaire australien a remporté 11 de ses 12 derniers duels dans la spécialité. Mwouais. On se contentera de ces chiffres médiocres pour cette fois. Le dernier homme à avoir battu les deux compétiteurs du jour ? Nicolas Escudé, les deux fois en 2001. Si vous cherchez une anecdote à réciter fièrement à votre prochain Skypéro avec 15 collègues qui luttent pour une prise de parole un brin alcoolisée et tellement éphémère, on a trouvé du lourd. Pas d’inquiétude, vous n’aurez pas le loisir d’expliquer qui est ce Nicolas Escudé ou ce que diable était cette « coupe dévisse » car vos collègues les plus vocaux et anxieux (un combo létal) auront déjà repris le contrôle du crachoir.

 

La stat’

Avant le premier lancer de balle du quatrième acte de cette demi-finale Australie-Suisse, Hewitt mène 6-2 dans ses confrontations directes avec celui qui n’est pas encore tout à fait le Swiss Maestro et n’a qu’un titre du Grand Chelem à son actif. Après sa victoire du jour, la mobylette d’Adélaïde ne damera le pion du futur monarque absolu de l’échiquier tennistique qu’à deux reprises (en 2010 et 2014) pour 16 dérouillées. Quelqu’un a dit « passage de témoin » au fond de la salle ?

À cette époque, Roger Federer ne compte encore « qu'un » titre du Grand Chelem à son palmarès : Wimbledon 2003 | © Ray Giubilo

Le cadre

Comme notre machine à remonter le temps est tombée en panne et que les pièces nécessaires à sa réparation ne sont pas disponibles pendant le confinement, nous avons dû nous résoudre à visionner cette partie sur YouTube. Autant vous dire que la qualité des images de Channel 7 sur lesquelles nous avons mis la main par ce biais nous a fortement aidé à comprendre le ressenti potentiel de Gilbert Montagné dans un stade de tennis. La couleur verte de ce qui était encore du Rebound Ace d’une lenteur à provoquer l’impatience de Rafael Nadal au service n’aide pas à se faire une idée des trajectoires de ce projectile qui nous semble effectivement être une balle.

 

Le banc suisse

On vous parlait de notre machine à remonter le temps défectueuse, mais du côté de la chaise du capitaine helvétique, tout fonctionne ! On se frotte les yeux en voyant un Marc Rosset aussi affûté que sautillant, sermonnant le petit Roger à chaque changement de côté, ainsi qu’un George Bastl et un Ivo Heuberger semblant aussi détendus que s’ils n’avaient aucune chance de jouer une minute dans cette rencontre. Euh, ah ben oui, ils ont raison en fait. On aperçoit même une jeune et (presque) énergique version de Severin Lüthi en arrière-plan. À ce moment-là, personne n’imagine que l’ex-622ème mondial deviendra l’homme fort de la Nati 2 ans plus tard et le restera pendant 15 ans (série en cours). On n’y croit toujours pas en écrivant ces lignes, on vous rassure. Une pensée émue pour celui qui a été de l’épopée lilloise de 2014 et dont le contingent actuel est composé d’Henri Laaksonen, Adrien Bodmer, Marc-Andrea Hüsler, Antoine Bellier, Luca Margaroli et Sandro Ehrat. On raconte même que les braves George et Ivo se réveillent tous les week-ends en sueur après avoir rêvé de leurs rôles de numéros 1 et 2 incontestables de la Dream Team 2020.

 

L’interview d’avant-match

On vous parlait du grand Marc, nous le retrouvons avant l’entrée des joueurs sur le court au micro de nos confrères australiens, dans la langue de Nicole Kidman. Pas de pertes humaines à déplorer malgré l’assassinat de la plupart des prépositions et la mutilation de la conjugaison dans son ensemble.

 

Le service minimum

On allait vous parler de celui de Hewitt, dont le ratio doubles fautes / aces dans le premier set est de 3/1, mais ce qui nous frappe le plus d’entrée de jeu est ailleurs. Tout est dans l’attitude de Federer, qui nous semble avoir un dixième de la concentration et de la rigueur extrêmes que l’on s’est habitué à voir de semaine en semaine au cours des dernières années. On se prend tout à coup à penser aux Thiem, Zverev, Tsitsipas, Medvedev, Rublev, De Minaur et autre Kyrgios, épinglés à la moindre incartade et raillés pour leur mental et leur palmarès qui ont autant de soucis au démarrage que la Fiat 509 de Gaston Lagaffe. Et on ne peut s’empêcher de se demander quel aurait été le traitement médiatique de ce Roger-là, mi-génie mi-dilettante, s’il avait été confronté à la meilleure triplette de l’histoire de ce sport et non à un pouvoir de transition du haut de ses tout juste 22 printemps. Le droit au challenge n’en étant pas encore un (le Hawk-Eye ne sera implémenté qu’en 2006), celui dont le visage poupin trahit encore beaucoup d’émotions évite au moins la frustration du seul outil tennistique dont il ne réussira jamais à prendre la mesure.

Lleyton Hewitt au service | © Ray Giubilo

Le revers de la médaille
Bien calé dans notre fauteuil en 2020, on se demande d’abord pourquoi Hewitt semble atteint de Nadalite aiguë et pilonne autant le revers de son adversaire d’entrée de jeu. La réponse tombe assez vite : eh bien parce que la mouture 2003 du revers du Bâlois ne ressemble pas encore à grand-chose. En tout cas pas à la version qui prédomine depuis son retour foudroyant après une pause forcée de 6 mois en 2017. Côté efficacité, on est plus proche de Marc Rosset (décidément omniprésent dans cet article) en fin de carrière que de Novak Djokovic. Le détenteur de la plus grande collection de jumeaux de Suisse occidentale rend une copie incluant un total de 51 fautes directes (!) dont au moins 52 en revers. On imagine le Sylvester Stallone des Baléares affûter sa diagonale coup droit lasso-revers expiatoire adverse devant sa télévision, pour se préparer à enlever 6 de ses 7 premiers affrontements avec sa proie favorite dès l’année suivante.

 

Le come on-omètre
Très franchement, on a longtemps hésité entre le compteur des exclamations de joie du local de l’étape et celui de ses incantations un peu plus scabreuses (celles qui se déclinent en général en f*** en anglophonie). On s’est finalement souvenu que cet article allait probablement être publié à une heure de grande écoute et qu’il valait mieux ne pas s’attirer les foudres du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel. Surtout en cette période sombre dans laquelle certains gouvernements vont jusqu’à utiliser les outils de géolocalisation des téléphones portables de leurs concitoyens pour savoir si plus de cinq d’entre eux ont décidé de se rassembler dans un parc sans respecter les normes de distanciation sociale. Bref, il s’avère que Lleyton Hewitt s’est fendu de 29 « COME ON ! » au cours de cette partie endiablée. Probablement la statistique la plus parlante du match. Le nombre d’éructations de l’homme à la casquette à l’envers est en effet presque aussi fiable que le décompte officiel des jeux pour suivre le score. Voyez plutôt : 7 cris en première manche (5-7), 1 tout petit sursaut en deuxième manche (2-6), 7 vocalises en troisième manche (7-6 en étant revenu de nulle part), 6 au quatrième set (7-5) et finalement 8 au cinquième (6-1). Le come on-omètre indique donc l’intensité et l’issue de chaque reprise avec la précision d’un coucou… australien, bien remonté pour l’occasion.

 

Le break décisif
7-5 6-2 5-3. Service à suivre. Roger Federer est sur le point d’enquiller une 30ème manche victorieuse consécutive en Coupe Davis. Un retour du Speedy Gonzales d’Australie-Méridionale semble aussi probable qu’une participation de Stephen Hawking au 110 mètres haies des prochains Jeux olympiques. Et pourtant, alors qu’il ne lui reste que 4 petits points à marquer pour remporter un match qu’il domine de la tête et des épaules, le Federer Express a le visage fermé de celui ayant conscience que ses combats face à Hewitt se sont jusqu’alors trop souvent apparentés au châtiment de Sisyphe. 3 minutes et 6 points plus tard, le débreak qui change tout est fait. C’est le début d’un concept popularisé bien des années plus tard par le PSG : la remontada. « RF » passera 3 fois à 2 points de l’emporter puis sa chance aura passé. Un peu comme le style vestimentaire d’Yves Allegro dans les tribunes ce jour-là.

 

La minute géographique
« He’s down but he’s up ! », s’exclame Sandy Roberts, le commentateur principal de Channel 7 pour l’occasion, lorsque celui qui était alors le fiancé de Kim Clijsters (après le 17ème gros plan sur l’annulaire de la Belge, on a capté) se retrouve au sol après avoir remporté un point improbable, au filet, pour sceller son retour à deux sets partout. En effet, il paraît difficile d’être complètement à la verticale quand on vit Down Under.

 

La minute phonétique
C’est avec Sandy Roberts, John Alexander et Jason Stoltenberg que nous avons passé ces trois heures et huit minutes de notre séjour terrestre. 188 minutes au cours desquelles nous avons désespérément cherché à identifier le premier adversaire de Lleyton Hewitt deux jours plus tôt. Un certain « Kwatokvil ». Santé ! Ça tombe bien, c’est le mot d’ordre ces temps. D’ailleurs c’est le moment de retourner désinfecter les moignons qui nous servent encore de membres supérieurs.

 

Post-scriptum
On ajoutera tout de même que celui qui porte encore un catogan du plus bel effet à ce moment-là gagnera 26 des 28 simples qu’il disputera à la suite de cette défaite dans ce qui était la plus belle des compétitions en l’an 16 av. G.P. (n.d.l.r. Avant Gérard Piqué). Seuls John Isner (sur la terre battue de Fribourg en 2012) et Gaël Monfils (face à un Federer au dos en vrac à Lille en 2014) battront « Rodge » en Coupe Davis après cette cruelle désillusion australienne. En ce qui concerne son adversaire, la période qui suivra l’obtention du saladier en novembre 2003 face à l’Espagne de Ferrero et Moya verra l’Australie entrer dans une ère de gueule de bois intense malgré une fiche de 20-7 rendue, en simple, entre 2004 et 2015 par celui qui pose désormais son docte postérieur sur la chaise de capitaine (voire capitaine-joueur de double à la Rosset) lors des rencontres de son pays en Piqué Cup et en ATP Cup. Une gueule de bois partagée par l’équipe rouge à croix blanche dont les couleurs n’ont plus été portées par Roger et Stan depuis 4 ans. Pour mieux revenir en 2021 et ainsi obtenir leur sésame pour les J.O. de Tokyo 2020 (vous savez, ceux qui se disputeront en avril 2021, il faut suivre enfin !) ?

Et s’ils osaient ?

D’un coup d’un seul, la menace est devenue réelle. D’un revers de la main sur une table déjà bien rase, tout a été balayé. Bien avant que la plupart des pays européens suivent l’exemple de l’Italie et ferment leurs écoles, universités, centres sportifs et lieux de divertissement et alors que les fédérations de football, hockey sur glace et autres sports d’équipes tergiversaient encore, les instances du tennis mondial, elles, ne plaisantaient déjà plus. Surtout, elles ne laissaient pas planer la menace d’une désobéissance civile d’une stupidité rare – Paris est décidément magique – en jouant des tournois à huis clos. Indian Wells, la grand-messe californienne de mars et officieux cinquième Grand Chelem, était purement et simplement rayé du calendrier à quelques heures des premiers coups de raquette. Une annulation qui en a appelé beaucoup d’autres puisque l’ATP et la WTA décidaient dans la foulée de prendre un break décisif de 6 semaines, Masters 1000 de Miami et phase finale de Fed Cup compris. À court d’actualité (un comble pour un suiveur de la caravane de la petite balle jaune), il ne nous restait plus qu’à sombrer dans la nostalgie d’un passé moins anxiogène. D’ailleurs on ne va pas se mentir, comme on vient de vous annoncer que vous devez vous terrer dans votre cave avec toutes les réserves de pâtes, de papier hygiénique et de solutions hydro-alcooliques de la planète pour une durée indéterminée, il ne vous reste pas grand-chose d’autre à faire que lire ce qui suit.

L'embrassade entre Marat Safin et Lleyton Hewitt après la victoire du Russe en finale de l'Open d'Australie 2005 | © Ray Giubilo

Lleyton Hewitt, Juan Carlos Ferrero, Marat Safin, Andy Roddick, Gustavo Kuerten. Qu’ont tous ces anciens numéros uns mondiaux en commun outre le fait d’avoir gagné autant de Grands Chelems en carrière à eux cinq que Roger Federer à lui seul entre 22 et 25 ans ? Est-ce le nombre de séjours à l’hôpital combinés des disciples du génie helvétique qui feraient passer Basile Landouye pour un hypocondriaque notoire dont nous nous apprêtons à vous parler ? Ou encore le fait qu’on se moquerait encore de cette génération de transition entre les règnes de Pete Sampras et Andre Agassi et celui du Big Three And A Half (à une hanche britannique près) si Grigor Dimitrov n’était pas passé par là ? Eh bien pas du tout. Figurez-vous que nous avons ici les têtes d’affiche (avec le Swiss Maestro justement) de la campagne 2001 de l’ATP intitulée « New balls please. » Quésaco ? Souvenez-vous, l’ancêtre de l’actuel outil de propagande #NextGen qui tente péniblement de nous faire croire qu’il reste des joueurs compétitifs de moins de 32 ans sur un circuit dont l’âge moyen se rapproche dangereusement de celui d’un patient à risque en cas de contraction du coronavirus. Et s’ils revenaient ? Si l’envie les prenait d’imiter leurs consœurs Kim Clijsters, Patty Schnyder et Tatiana Golovin, récemment sorties de leurs retraites respectives pour un dernier tour d’honneur ? L’ancien joueur Rodolphe Gilbert, cité par l’excellent Rémi Bourrières sur le site Eurosport.fr, affirmait récemment que « beaucoup d’hommes aimeraient rejouer, mais n’osent pas. » Et s’ils osaient, eux ?

Si vous vous souvenez de l’authentique coup de maître publicitaire de la cellule communication de l’ATP cité plus haut, si vous avez encore un vieux poster estampillé « New balls please. », « New champions! » ou encore « Who’s next? » (rien à voir avec le COVID-19) qui traîne dans un coin de votre grenier, c’est désormais officiel. Il faut vous rendre à l’évidence: vous avez atteint un certain âge, et même un âge certain. Tout le contraire de ces légendes des années 90 et 2000 qui ont mis un terme à leur carrière à l’âge où les Stan Wawrinka de ce monde atteignent leur maturité dans le contexte actuel. Et si, jaloux du succès du triumvirat de trentenaires qui imposent leur empire au monde connu, ils franchissaient le Rubicon du bon sens pour tenter un improbable come-back ? Avouez que, les génies pas tout à fait compris  – Daniil Medvedev et Nick Kyrgios – exceptés, la sinistrose nous guette en ce qui concerne la classe biberon des courts de la nouvelle décennie qui s’annonce. Le charisme combiné de Sascha Zverev et Milos Raonic atteint presque celui d’un coton-tige, Kiki Mladenovic a clairement obtenu la garde du style capillaire du Poulidor autrichien dans la rupture et le ténébreux Stefanos, pas toujours le foudre de guerre attendu, semble attendre que l’orage (tsitsi)passe. On ajoutera qu’on ne vexera probablement pas grand monde en ne prédisant pas de Majeur pour De Minaur, dont le chemin semble semé d’embûches malgré son explosivité. Quant au pari Rublev, pourtant pavé de bonnes intentions, il semble quelque peu embourbé pour l’instant. Le retour triomphal de la vieille garde redonnerait assurément un peu d’intérêt à la lutte de bas de tableau qui fait rage entre les sujets du duo absolutiste Fedal et de celui qui les surpassera certainement largement au niveau comptable, mais qui n’effleurera probablement jamais leur aura (même s’il vendrait père et mère pour y arriver). Mais quel rôle joueraient-ils exactement ?

Lleyton Hewitt, demi-finale de l'US Open 2002 face à Andre Agassi | © Ray Giubilo

Lleyton Hewitt – quitte ou double

Le Rocky Balboa des antipodes se la jouerait en mode furtif. Personne n’ayant jamais su s’il avait vraiment pris sa retraite, un retour passerait également inaperçu. En effet, même si l’ancien lauréat du titre fort envié de « sportif le moins admiré de la planète » (attribué par le magazine australien « Inside Sport » en 1999) a mis un terme officiel à sa carrière de joueur de simple le 21 janvier 2016 (défaite face à son double ibérique David Ferrer à Melbourne), tout n’est pas aussi… simple justement. Pas moins d’une dizaine de come-backs en double ont suivi cette retraite toute relative, de mars 2016 à janvier 2020, série en cours. De l’auto-sélection en Coupe Davis à la wild card à Wimbledon en passant par des passages improbables sur la terre battue de Houston ou au challenger de Surbiton, « Rusty » ne connaît pas l’usure. Sa 456ème place au classement de la spécialité lui permettrait de faire un retour tonitruant en passant par les qualifications du tournoi Futures de Bagnoles-de-l’Orne par exemple.

Juan Carlos Ferrero avec Abreu et Laska, ses deux ramasseurs de balles préférés, en 2001 | © Ray Giubilo

Juan Carlos Ferrero – retour sur terre

Nous étions au tournoi comptant pour le Champions Tour se disputant dans le cadre majestueux du Royal Albert Hall de Londres en novembre dernier. A voir le moustique d’Onteniente, probablement piqué dans son orgueil de double tenant du titre, piétiner sans ménagement un Tommy Haas exsangue (dans un tournoi exhibition donc), on commence à avoir quelques soupçons concernant l’identité d’au moins un des retraités en mal d’adrénaline mentionnés par Rodolphe Gilbert. On imagine que la préparation mentale serait la clé d’un retour réussi pour l’avant-dernier vainqueur de Roland-Garros avant l’avènement de l’Incroyable Hulk de Manacor. Il en faudrait des séances sur le divan pour assimiler le fait qu’on est passé d’une époque où on pouvait cueillir Martin Verkerk comme un Oranje mûr en finale d’un tournoi majeur à une ère dans laquelle empocher un grand titre s’apparente à un crossover entre Le Choc des Titans et Les Douze Travaux d’Hercule.

Marat Safin, en pleine bataille d'eau avec Anna Kournikova | © Ray Giubilo

Marat Safin – roulette russe

Tout le monde se souvient des fameuses – et nombreuses – « cousines » du playboy moscovite qui garnissaient les tribunes de Melbourne (notamment) il y a une vingtaine d’années. Les plus anciens ont également encore en mémoire le début de striptease effectué après une passe d’armes au filet dans la cinquème manche de son match à rallonge face à Félix Mantilla sur la terre battue parisienne en 2004. Le showman russe et ses facéties n’ont jamais vraiment été remplacés sur le circuit. Kyrgios et Medvedev, que nous mentionnions plus haut, sont clairement candidats à sa succession, mais il manque aux deux écuyers l’adoubement du maître pour accéder à la chevalerie du rire. Goran Ivanišević lui-même l’avait fait pour Safin en expliquant que chaque génération avait son propre Goran et que son héritier, lui au moins, savait casser ses raquettes avec esprit. Et des raquettes, il en a brisé quelques unes de rage au cours de sa carrière. Du haut de ses 1055 outils de travail détruits (statistique tenue par l’intéressé lui-même) dont 48 en une seule saison, le grand Marat reviendrait pour terminer la formation des quelques jeunes loups qui se disputent son rôle sur cet ATP Tour qui manque de mordant.

Andy Roddick, pendant sa victoire face à Andy Murray à Wimbledon en 2009 | © Art Seitz

Andy Roddick – point de non-retour

Une réapparition de l’Américain sur le circuit est certainement la plus improbable des cinq, et pour cause. Celui dont la carrière a été réduite en miettes par Roger Federer refuserait probablement de remettre ne serait-ce qu’une chaussure sur un court avant d’avoir la preuve formelle que son bourreau a posé les plaques. Comment lui en vouloir ? Non content d’avoir été renversé par le Federer Express à 21 reprises, 8 de ces déconvenues sont intervenues en Grand Chelem, dont 4 en finale. Quand on sait que le palmarès d’A-Rod est resté désespérément bloqué à une couronne majeure, on mesure un peu mieux l’étendue des dégâts. D’autant plus qu’en bon citoyen helvétique, l’homme aux 103 titres ne rangera sans doute pas ses raquettes avant d’avoir atteint l’âge légal de la retraite à 65 ans. Comme ses compatriotes ont pris la fâcheuse habitude de confondre la Suisse et la Suède, on imagine que seul le fameux syndrome de Stockholm pourrait convaincre le natif du Nebraska de revenir défier le G.O.A.T.

Gustavo Kuerten intronisé au Hall of Fame, Roland-Garros 2017 | © Ray Giubilo

Gustavo Kuerten – arrache-cœur

« Guga » a laissé son cœur sur les courts ocres de Paname, la dernière fois en 2001. Depuis 2009 et le crime de lèse-majesté de Robin Söderling sur un Court Philippe-Chatrier proche de l’émeute pro-suédoise, on a la preuve que la pompe aortique du fantasque brésilien ne trouvera jamais de rival en la personne de Rafael Nadal, même au soir de son 75ème sacre le 7 juin 2082. Les quelques infidélités faites au triple vainqueur de l’épreuve en faisant les yeux doux à RF seront vite pardonnées au public tricolore. Tant mieux, car après son dernier passage sur le billard, le nouveau BFF de Greta Thunberg risque d’éviter les promenades printanières à l’ombre des serres d’Auteuil pour privilégier les pique-niques estivaux dans les parcs londoniens à l’avenir. Juste à temps pour que le Geignard de Florianopolis (rapport au son produit au contact de la balle, pas à son humeur d’ordinaire plutôt joviale) vienne enfin récupérer son bien, 19 ans après. Euh ouais, enfin si la terre (battue) a recommencé à tourner d’ici là. Rien n’est moins sûr.
Deleted: P.S. : le télétravail étant impossible dans le microcosme sportif, la saison risque de se terminer sur PlayStation. Andy Roddick serait sûrement d’accord de revenir dans ce cas.