fbpx

Amélie Oudéa-Castéra

le tennis comme tremplin

Fraîchement coupée, la pelouse confère au court un luxe presque oxymorique : entre l’arène où les deux gladiateurs vont s’affronter et la noblesse de la surface qui renvoie une image asymétrique, comme si, encore intacte, elle n’existait que pour le bonheur des yeux, et qu’il ne fallait surtout pas la fouler. La perfection exhalée n’est pas sans rappeler celle que visent deux jeunes joueuses qui vont rentrer sur l’un de ces terrains annexes de Wimbledon dévolus aux jeunes et aux seconds couteaux, ceux-là mêmes qui racontent l’éclosion. Sous le soleil capricieux de juillet, virant coruscant par intermittence, Martina Hingis et Amélie Castéra sont stoïques, elles ne veulent – déjà – rien laisser à l’adversaire ; malgré tout, un petit rien les confond, quelque chose dans le regard, pas totalement rogue, plutôt sévère. La Suissesse est favorite, tout juste auréolée d’un Roland qu’elle a empoché sans perdre le moindre set, quand la Française, de deux ans son aînée, reste sur deux demi-finales à Paris et à Flushing. Un duel qui promet et qui sera, elles ne le savent pas encore, un point de bascule dans leurs vies. Le premier set est accroché et, pour la première fois, Castéra se sent vraiment capable de battre celle qui deviendra la plus jeune gagnante d’un tournoi principal de Grand Chelem depuis plus d’un siècle. Sur une faute de revers, son point faible, elle finit par perdre 6-4. Pas du genre à ressasser, forte d’une confiance en soi déjà très développée, elle revient sur le court animée d’une rage de vaincre et remporte le deuxième set sur le même score, exsudant la persévérance comme autant de litres de sueur. S’il fallait s’arrêter sur un moment charnière dans la carrière sportive d’Amélie Castéra, nul doute qu’il s’agirait de celui-là. Elle y tutoie les sommets, se sent capable de tout, et ne s’imagine aucune limite : elle est en train de faire vaciller celle que tout le monde s’accorde à voir comme LA future grande. Comment ne pas s’en griser ?

Mais, percluse de crampes, elle finit par perdre le troisième et le match avec une défaite et des regrets à jamais en guise de médaille d’honneur. Fugace, le moment n’est néanmoins pas dénué de tout intérêt. Cette saison 1993-1994 restera comme son acmé, mais aussi son plafond de verre, lequel, loin d’être un rebut, constituera aussi le premier jour du reste de sa vie, utilisé comme rampe de lancement vers des altitudes certes différentes mais non moins élevées.

L’excellence en maître-mot

Ointe dès le plus jeune âge par ses pairs, la jeune Castéra décide de faire carrière lorsque le plus grand nombre n’a pas dépassé le stade phallique de Freud. Pour la cornaquer, se succéderont trois coachs, la probité chevillée au corps, tous différents dans leurs manières de l’entraîner, mais unanimes : bourreau de travail, elle avait tout d’une excellente joueuse et « aurait très bien pu faire carrière » et « aller chercher le top 100 », nous raconte le premier, Jean-Luc Cotard, de la FFT. Alors qu’elle n’a que 10 ans, il la prend sous sa houlette : « C’était une bonne petite gauchère », se remémore, thuriféraire, celui qui sera nommé DTN trois décennies plus tard, avant de préciser : « Elle était dotée d’une belle technique et d’un super physique, son revers à une main en faisait déjà une joueuse à part. » Mieux, il sent le phénomène et veut relever le gant : « Je me suis tout de suite dit ″ne te plante pas, tu as affaire à quelqu’un qui ressent tout, à qui tu ne peux pas raconter d’histoire.″ » Signe qui ne trompe pas, leur collaboration évolue et devient un temps plein, facilité par le régime de scolarité aménagé que suit la collégienne à Duruy dans le 7e arrondissement de Paris. Moins de deux ans plus tard, leur travail paie. Déjà. Elle remporte l’Orange Bowl en 1992, ce championnat du monde officieux des préados que Cotard évoque comme « un superbe moment où, sous la chaleur de Floride, Amélie s’est surpassée et a vécu un des plus beaux moments de sa carrière sportive ». À la manière d’une tortue sagace, parabole chère à Jean-Luc Mélenchon – avec qui la future Castéra aura maille à partir dans sa deuxième vie –, Cotard analyse en voyant plus loin : « Je pense que ce sont de très bons souvenirs qui font qu’elle a, enfant, pris goût à l’excellence. »Quand on est heureux de se sentir compétent, on a d’autant plus envie de succès et le mécanisme est enclenché. »

 

Zorba le Grec

À 75 ans, Nicolas Kelaidis porte beau et se raconte avec bonhomie et acuité, loin des galimatias qu’il nous promettait. Avec Amélie Castéra, leurs deux caractères bien qu’éloignés se sont vus comme connectés par le tennis. L’entente est immédiate, le respect mutuel. S’il ne l’entraîne qu’à partir de 1993, les résultats sont immédiats. En l’espace d’une saison, l’adolescente accède à pas moins de trois demi-finales de Grand Chelem : « C’était la meilleure joueuse française en jeunes, elle avait l’envie de travailler toujours plus et ne rechignait devant aucun effort », se souvient-il, dithyrambique. Parce que le tennis est, par essence, un sport de longue haleine, à peine quelques mois après le début de leur collaboration, l’US Open se profile. Une aubaine : c’est aux États-Unis que la jeune fille a remporté son plus beau trophée et elle se sent capable de rééditer la performance. Mal embarqué, son tournoi commence au deuxième tour par un bagel d’entrée, mais, résiliente, Castéra se relève et remporte le match puis se prend à espérer… jusqu’à arriver en demi-finale, une première à ces hauteurs. Laquelle, si l’on se fie au score, est une déculottée (2-6, 2-6), mais pas pour la Parisienne, « pas vraiment du genre à ruminer », selon Zelaidis. Ce léger poncif et quelques regrets évacués, on la retrouve à Roland huit mois plus tard, âgée de 16 ans et sûre de sa force comme rarement. Cette fois aucun accident de parcours n’est à déplorer et, selon le septuagénaire : « Elle fait un tournoi exceptionnel, sa technique et surtout sa science du jeu font sensation. » Comme à Flushing, elle s’arrête néanmoins en demies. Pas le temps de ressasser, Wimbledon arrive à grands pas et, malgré ce match d’anthologie joué contre la future vainqueur du tournoi, elle en ressort cette fois écœurée, une chose à laquelle elle n’a jusqu’alors jamais goûté, ayant eu l’heur de grandir dans une famille bourgeoise du 16e arrondissement dépouillée de toutes ébauches de cahots. « Il y avait la place », ne cesse-t-elle de se répéter. Ce sentiment a-t-il, dès lors, infusé en elle jusqu’à lui faire perdre de sa détermination et, par un effet de causalité, la haute opinion qu’elle se faisait d’elle-même ?

 

Chant du cygne

Malgré un quart à Wimbledon l’année suivante, puis un huitième de finale à l’Open d’Australie en 1996, l’ascenseur paraît ensuite bloqué. Bloqué à l’étage des espoirs et des promesses. Bloqué avant d’avoir pu confirmer. C’est à ce moment-là que, « de son propre chef », Amélie Castéra sollicite un joueur en fin de parcours, qui n’avait « pas d’expérience en coaching », Éric Winogradsky. « On a collaboré pendant quelques mois, le temps pour elle de se rendre compte qu’elle ne pourrait pas aller plus haut », raconte-t-il, lucide. « C’est une jeune femme qui a toujours été très ambitieuse et elle a compris qu’elle n’atteindrait pas le niveau auquel elle aspirait », poursuit celui qui deviendra une décennie plus tard le coach à succès de Tsonga. Pis, alors que son tennis déraille, un mal-être plus profond la submerge : « Le terrain était devenu anxiogène, donc certains jours on passait du temps chez moi, avec ma famille à discuter de la vie. » Végétant autour de la 240e place WTA, plus atrabilaire que jamais, l’idée de mettre un terme à sa carrière commence alors doucement à cheminer chez celle qui vient de fêter ses 18 ans : « Du jour au lendemain, elle m’a dit qu’elle souhaitait mettre un terme à sa carrière et reprendre les études », se rappelle l’ancien finaliste du double Porte d’Auteuil en 1989. Mais, là où l’amertume prévalait un an plus tôt, la clairvoyance prend le pas et cette décision agit comme un second souffle pour Castéra qui, virant sa cuti, s’autorise même à surseoir à sa décision et disputer une dernière rencontre, à Roland, avec Mauresmo. L’autre Amélie. D’un an sa cadette, elle agit comme un miroir inversé de sa carrière : moins prometteuse qu’elle ado, mais infiniment plus forte sur le circuit principal. Elles perdent, sous les olas d’un public français qui ne perçoit pas totalement ce qui se joue ce jour-là : l’avènement et la fin comme intriqués dans une rencontre.

 

Une carrière en demi-teinte ?

S’il est une constante chez Amélie Castéra, c’est la volonté d’excellence, mais aussi donc, si l’on voulait être vache, le fait de caler avant la finale. Une première grille de lecture voudrait que cela soit déjà un accomplissement, qu’évoluer à de telles hauteurs si jeune soit une performance qui se passe de mots. A contrario, une autre interprétation serait que, malgré des qualités évidentes, une limite existe pour la jeune Amélie Castéra. Une hypothèse qui est battue en brèche par ses entraîneurs. Lesquels évoquent de concert le fait qu’elle ait décidée de son propre chef l’arrêt de sa carrière et qu’elle aurait très bien pu « faire top 100 », le sacro-saint classement en dessous duquel une joueuse ne vaut – peu ou prou – pas grand-chose. Au total on peut imaginer que Castéra, la jeune fille parfaite, forte à l’école, au tennis et cultivée, a en fait construit une telle exigence, à n’en pas douter exacerbée par ses parents, qu’elle s’en est trouvée prisonnière. À cet égard, il est intéressant de se pencher sur son histoire d’amour avec Gustavo Kuerten, survenue l’année de son premier sacre à Roland, en 1997. Elle dure à peine quelques mois, mais la marquera à jamais, et lui fera sentir – par procuration – le poids de la victoire. L’a-t-elle fuie ? L’a-t-elle en fait jamais voulue ? Était-ce une projection de sa famille, notamment son père directeur historique de Publicis, qui l’a biberonnée « à la gagne » ?

Contactée, la ministre n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations, sans doute occupée à éteindre l’incendie qu’elle a elle-même provoqué avec sa guerre picrocholine contre l’école publique ou, tout à sa volonté de ne pas revenir sur ses années tennis, ne souhaitant pas désépaissir un mystère qui se fait brumeux : pourquoi, joueuse, n’est-elle jamais sortie de sa chrysalide ?

 

Marchepied

Mettre en perspective sa carrière sportive et professionnelle avec ce que l’on peut qualifier d’insatiabilité chronique justifie de se pencher sur son passage à la FFT. Nous sommes alors en 2021, et celle qui est entre-temps devenue Amélie Oudéa-Castéra occupe un poste important – et très lucratif – chez Carrefour, après une décennie chez AXA. Elle rêve néanmoins de retrouver son terrain de prédilection : le tennis. Forte d’un carnet d’adresses où se bouscule le Tout-Paris, elle décide de se lancer à l’assaut de la FFT, en duo avec Gilles Moretton. À lui la présidence, à elle la direction générale, un poste hybride où ses prérogatives seront nombreuses. Animal politique déjà, elle profite d’un article dans Les Échos pour sortir la sulfateuse et dénoncer l’ancienne direction, « les apparatchiks de la balle jaune, Bernard Giudicelli et Jean Gachassin ». Une stratégie qui paie puisque l’ancien 65e mondial est élu triomphalement, aidé il est vrai par les errements de l’administration du truculent Corse, et ne tarde pas à la nommer numéro 2 de la Fédération. La paire durera quatorze mois, le temps pour elle de s’adonner à des missions aussi nébuleuses que « manager l’action quotidienne des directions de la FFT de façon à mener avec succès la phase de renouveau de la fédération », ou encore, « conduire la feuille de route stratégique du projet ″Ensemble Pour un Autre Tennis″ », dixit la maison mère. Des projets qu’elle n’aura finalement que le temps de caresser puisque son désir de politique prend vite le pas sur ses premiers amours. Appelée à devenir Ministre des Sports depuis le premier mandat de son camarade de promotion à l’ENA, un certain Emmanuel Macron, elle franchit le Rubicon après leslégislatives de 2022, remplaçant au pied levé l’ancienne nageuse Roxanna Maracineanu, démissionnaire après sa défaite dans les urnes. De là à voir son escale dans les bureaux de l’avenue Gordon-Bennett comme un tremplin vers le poste qu’elle convoitait, le seul digne de ses ambitions… il n’y a qu’un pas, qu’on vous laissera jauger à l’aune des éléments susmentionnés. La politique, en poison insidieux qui rhizome chez quiconque y a goûté, lui a ainsi fait définitivement changer de route. Mais, il est une certitude dans la vie d’Amélie Oudéa-Castéra : son amour pour le jeu… qu’elle semble avoir transmis à son fils. Âgé de 12 ans, Pierre joue déjà les premiers rôles en France, marchant dans les pas de sa mère. Parviendra-t-il seulement à se départir de son statut d’enfant de la balle ?