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All inclusive

© Daniel Deladonne

Comme la majorité d’entre vous qui lisez ces lignes, je n’ai pas entrepris de carrière professionnelle dans le tennis, la faute à un niveau de jeu insuffisant, à une prédisposition pour la défaite imputable à un mental défaillant et à un goût pour les plats en sauce peu compatible avec la performance. Si toutefois, dans une réalité parallèle où la sauce Grand Veneur aurait été avantageusement remplacée par une grinta d’anthologie et où la côte de bœuf aurait pu nourrir mes appuis en coup droit, si toutefois donc j’avais eu les armes nécessaires pour me lancer dans l’aventure, rien ne dit que je serais parvenu à percer. Parce que dans un monde du tennis de plus en plus compétitif, les places sont chères et reviennent bien souvent à ceux qui, outre le petit truc en plus, bénéficient de l’accompagnement et de la préparation adéquats : les 10 % les mieux lotis. Le tennis est une lutte des places.

 

Le haut niveau, une équation impossible

De la même manière qu’il est difficile de trouver un logement sans emploi et un emploi sans logement, le circuit professionnel, de par son caractère international, s’apparente pour le joueur ou la joueuse qui s’apprête à le rejoindre à une équation à quatorze inconnues : comment réussir à gagner suffisamment d’argent pour financer son projet et sa structure alors qu’il faut disposer d’une structure solide pour espérer rejoindre le top 100 et enfin gagner de l’argent ? Vingt Prix Nobel d’Économie enfermés dans une pièce ne parviendraient pas à formuler une réponse intelligible.

On connaît la petite musique qui revient toujours dans la bouche des observateurs éclairés : à l’heure où le niveau s’homogénéise comme jamais, ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières de diamants. Une préparation physique adéquate, l’accès à la statistique, des conseils professionnels sur la raquette ou le cordage (dont la présence d’un cordeur professionnel lors des grands événements), des opportunités d’accéder à des tableaux via des wild cards, un coach et un sparring partner présents pendant les compétitions, une préparation médiatique : autant d’éléments apparemment anodins qui, mis bout à bout, font gagner plus de confiance, plus de matchs, plus de tournois et incidemment plus de notoriété et de revenus.

Jusqu’à présent, seuls quelques happy fews pouvaient prétendre à pareil accompagnement.  Ce constat est d’autant plus probant dans le tennis féminin, frappé par une crise d’attractivité qui se ressent en termes de manne financière. Certes, les dotations des Grands Chelems (et, petit à petit, des différents Masters 1000) se sont alignées sur celles des hommes, mais c’est l’arbre à dollars qui cache la forêt. Derrière les grandes championnes soutenues par des Fédérations ou des projets privés, c’est la grande famine.

Il était temps que les choses changent. Bonne nouvelle, elles changent.

 

Pépinière

Une nouvelle manière d’accompagner les joueuses est en train de se mettre en place. Pionnière dans la formule qu’elle propose, l’agence EDGE, déjà évoquée dans ces pages, est née de la rencontre entre deux amis entrepreneurs, Daniel-Sacha Fradkoff et Clément Ducasse, passionnés de tennis, et le coach Rick Macci, que tous les spectateurs de La Méthode Williams  King Richard » en VO) identifient désormais comme le plus grand coach américain dont ils n’avaient jamais entendu parler. 

Macci regrettait de ne pas avoir de réel suivi dans sa relation avec les joueuses et les joueurs qu’il contribue à façonner, des sœurs Williams à Kenin en passant par Capriati ou Roddick, faute de quitter son Académie pour brûler les planches du circuit. Daniel-Sacha et Clément ont réfléchi avec lui à un nouveau modèle d’accompagnement pour les joueuses : un modèle « all inclusive », où un nombre limité et exclusif de jeunes joueuses pourraient bénéficier de tous les outils, de toutes les compétences sportives et extra-sportives nécessaires à la réalisation de leur potentiel. Rick Macci dirigerait le volet sportif, Daniel-Sacha et Clément s’occuperaient de la gestion de l’ensemble de la structure. L’agence EDGE était née.

© Daniel Deladonne

Les meilleurs, partout, tout le temps

Imaginez que vous deviez recruter un avocat et un agent pour gérer les questions d’image, de sponsoring, mais aussi les recours sportifs de vos protégées. Imaginez que vous ayez envie que votre joueuse soit plutôt bien représentée, qu’elle signe de beaux contrats et que ses recours aboutissent. Imaginez enfin que vous connaissiez un avocat américain qui s’occupe du running back star des Dallas Cowboys pour qui il a négocié un contrat de $100M, de Conor McGregor ou de Mike Tyson, mais également de diverses stars féminines d’Hollywood. Il est probable que vous le choisissiez, lui. C’est ce que EDGE a fait en s’adjoignant les services de Frank Salzano dès la création de la société en 2018. Sur ce volet comme sur les autres, l’idée était d’offrir aux joueuses de l’agence le meilleur service rendu par les meilleurs professionnels dans chaque secteur de leur développement.

L’expertise juridique et le sponsoring US non lié au tennis avec Franck Salzano, le savoir-faire tennistique et technique avec Rick Macci, tout cela n’était qu’un prélude, complété par l’arrivée comme investisseur et partenaire de Luca Bassi, Managing Director chez Bain Capital à Londres et un des plus fins connaisseurs dans les domaines du sport, de la technologie et des médias. Pour répondre aux besoins toujours plus nombreux du tennis professionnel, EDGE a récemment demandé à Fabrice Sbarro, pionnier de la statistique dans le tennis qui accompagne depuis des années plusieurs Top 10 ATP & WTA, de rejoindre son équipe pour diriger la division EDGE Analytics, qui comporte entre autres deux experts de la préparation physique. L’agence en a fait de même avec Guillaume Ducruet, ancien head of global marketing chez Tecnifibre / Lacoste pendant plus d’une décennie, qui apporte tout à la fois aux joueuses de l’équipe son expertise matérielle pour les raquettes et le cordage, sa connaissance du sponsoring et tout son réseau dans le monde du tennis. Ainsi en va-t-il de son partenaire Dieter Calle, spécialiste de la personnalisation de raquettes qui customise les outils de travail des joueuses représentées par l’agence afin de maximiser leurs sensations et leur performance. EDGE a aussi mis en place un partenariat exclusif avec un des plus grands clubs historiques en Europe, géré par une ex-joueuse top 50 WTA et son mari avocat (vice-président de la Fédération Allemande de Tennis), de manière à fournir aux joueuses le pendant sur le Vieux Continent de ce que l’agence leur met à disposition en Floride dans l’Académie de Rick Macci. À noter que, pour ne rien laisser au hasard, EDGE a même co-organisé la construction d’un terrain en vrai gazon (similaire à Wimbledon) pour permettre exclusivement à ses joueuses de préparer la saison sur herbe dans des conditions uniques.

Une foule de compétences absolument impossibles à réunir pour une joueuse isolée (ou même via une des grandes agences traditionnelles ou des investisseurs). Le tennis féminin en voie de professionnalisation se résume bien souvent à une hydre joueuse-coach où le coach est accessoirement le père. Malgré toutes les qualités dont celui-ci peut faire preuve, il y a fort à parier qu’il ignore absolument tout du travail physique propre à la pratique du tennis, des subtilités du matériel et du cordage, de la stat dédiée à la fois à sa joueuse tout comme à la préparation de match et du gain potentiel qu’une customisation de sa raquette pourrait apporter à sa protégée. On ne peut pas l’en blâmer, il n’a pas été formé pour. Mais si l’on ajoute à cela un système de croyances digne de l’horoscope et des approximations digérées de-ci, de-là, on se retrouve dans une impasse où la joueuse ne bénéficie pas des conditions nécessaires à sa réussite.

C’est en cela qu’EDGE séduit : cette panoplie sur-mesure mise à disposition des joueuses, l’agence la conforte en faisant appel à des experts dont la compétence ne peut pas être remise en cause. Pas de sorcellerie, juste de l’expertise. Et tout cela, gratuitement, ou presque.

© Daniel Deladonne

Un nouveau modèle d’encadrement

Car EDGE ne monnaye pas ses services (au contraire, l’agence fournit même du financement à chacune de ses joueuses pour leur permettre de voyager sur les tournois et de payer leurs propres coachs privés) mais espère un potentiel retour sur investissement en tant que partenaire de ses athlètes. Si l’agence réussit à porter des joueuses à un très haut niveau, elle percevra alors une part limitée de leurs gains, et ce uniquement si elles atteignent les derniers tours des plus grands tournois. Mais pas tout de suite, pas à l’heure où les prix remportés ne couvriraient pas leurs dépenses quotidiennes. Un modèle économique aux antipodes des contrats de représentation classiques, dans lesquelles les joueurs et les joueuses ne valent que pour ce qu’ils rapportent immédiatement. Un modèle profondément humain.

Pour ces filles dont l’horizon a longtemps été familial, il est évidemment nécessaire de recréer des conditions de progression qui allient tout à la fois la chaleur humaine, la proximité et l’excellence. C’est là une autre des caractéristiques de l’agence. Les managers et les experts sont dévoués aux joueuses, ils les connaissent et prennent soin d’elles. Lorsque l’une des joueuses s’est retrouvée équipée de mauvaises chaussures lors d’un tournoi où la surface s’appréhendait plus sûrement avec des chaussures de gazon que de terre battue, un des founding partners de EDGE n’a pas hésité à prendre sa voiture et une de ses propres paires (le miracle des gémellités de pointure) pour les porter jusqu’à elle. Une anecdote pas si anecdotique tant elle en dit sur la proximité entre le staff et les sportives. Il n’est pas rare, d’ailleurs, que celles-ci passent quelques jours avec leur entourage (coach, famille) chez l’un ou l’autre des managers quand la localisation d’un tournoi s’y prête.

Autre signe que le fonctionnement de EDGE s’apparente à celui d’une famille idéale, l’absence de conflit d’intérêt dans les résultats de ses joueuses. Pas de compétition mal placée, pas de favoritisme. Le succès d’une joueuse peut être bénéfique à toutes en attirant les projecteurs sur la structure générale. En choisissant les joueuses à qui l’agence offre ses services, EDGE fait un pari sur l’avenir, un pari par nature incertain. Parce qu’elles changeront de projet ou faute de résultats, certaines joueuses ne perceront peut-être pas au plus haut niveau et ne devront alors rien rembourser à l’agence. Ce risque ne remet pas en cause le fonctionnement général ; mieux, il le conforte en permettant à chacune des championnes de s’épanouir dans sa vie et dans sa pratique sans subir la pression supplémentaire de devoir un jour renvoyer l’ascenseur (et la monnaie) quand bien même tout ne se passerait pas comme prévu.

 

Statistiques et customisation : le futur ne se bâtit pas (seulement) à renfort de voitures volantes

Fabrice Sbarro l’explique très bien : il y a 15 ans, quand il s’est lancé dans son activité de statisticien pour les tennismen, sa proposition ressemblait à un OVNI. Depuis 2017, la situation a changé. Aujourd’hui, ce sont près de 25 % des joueurs et des joueuses du Top 100 qui ont recours à ces outils d’analyse qui servent tout autant à objectiver le jeu de l’adversaire qu’à identifier ses propres forces et faiblesses, loin des idées préconçues et des pensées magiques. La force de la data est là : ce qu’elle dit est vrai, même si le chiffre brut ne peut se passer d’une analyse ultérieure. De fait, si elle ne mesure pas l’impact physique subi par l’adversaire quand on lui multiplie les slices très bas, elle sera en mesure de dire si lesdits slices ont conduit à gagner ou à perdre des points. Un outil fabuleux pour mieux se connaître, progresser et commencer à parler tactique. D’autant plus fabuleux que les coachs, encore eux, décidément, négligent souvent cette approche tactique quand ils ne la basent pas sur des impressions que les chiffres pourraient contredire. D’où la nécessité de travailler main dans la main avec eux, et non pas contre eux.

À plusieurs centaines d’euros la fiche personnalisée, sans compter le coût des abonnements annuels, rares sont les joueurs et encore plus les joueuses à pouvoir s’offrir pareil service. La jeune garde impétrante de EDGE y a droit gratuitement. Un avantage indéniable sur la concurrence, à court comme à long terme. La statistique donne des informations sur chaque adversaire et permet donc d’augmenter ses chances de le battre ; elle permet dans le même temps de mieux s’entraîner et donc de progresser. Les statistiques, comme tous les autres outils, sont mises au service de la joueuse et de son coach pour mieux préparer les entraînements et les matchs. Un cercle vertueux.

Vertueux, le petit cercle plombé que pose Dieter Calle sur le cadre des raquettes des joueuses de EDGE l’est aussi. Il y a une forme de fascination à voir comment des ajouts minimes peuvent bouleverser l’équilibre d’une raquette, la frappe de balle qui s’ensuit et, in fine, les sensations du joueur. Là encore, ce travail est une aide à la performance et permet de balayer des pensées magiques devenues vérité à force d’être répétées. Comme l’explique Guillaume Ducruet, on ne liftera pas davantage avec une raquette lourde en tête. Pour lifter, il faut que le poignet puisse tourner ; pour que le poignet puisse tourner, il faut qu’il ait suffisamment de force pour exercer une rotation rapide. Avec un cadre lourd, la manœuvre est plus complexe. Et voilà la physique élémentaire percutée de plein fouet par la biomécanique.

Ce travail personnalisé sur le matériel ne relève donc pas d’un simple caprice, ni de la seule optimisation matérielle. Il permet d’enclencher un travail physiologique et biomécanique et, là encore, d’identifier des points de travail chez les joueuses, à leur service et à celui de leur performance. Sans parler de la confiance engendrée.

© MONOKROM Agency
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Redonner au circuit féminin son pouvoir d’attraction

Qu’on s’accorde ou non sur la qualité du fond de jeu dans le tennis féminin, il n’en demeure pas moins une donnée objective : Świątek et Sabalenka attirent moins de foules qu’Alcaraz et Tsitsipas, à niveaux équivalents. Un problème conjugué d’exposition médiatique, de jeux parfois trop semblables, de sexisme latent, de leadership du circuit et de doubles fautes. Un problème global, d’autant plus crève-cœur que le niveau moyen aujourd’hui n’a rien à envier aux grandes heures des Williams-Henin ou des Graf-Hingis qui déplaçaient les foules. Récemment, Sorana Cîrstea témoignait auprès d’Eurosport : son équipementier lui aurait dit qu’il valait mieux, pour réussir en tant que joueuse de tennis, être jolie et vingtième mondiale que moche et numéro 1. Et si on parlait tennis ?

Le modèle de EDGE promet de remettre le court au milieu du village. En faisant un travail à 360 degrés. Un travail d’abord sur la diversité des profils : les joueuses qui ont rejoint EDGE viennent de tous les milieux, de tous les pays. Cette diversité implique d’effectuer un travail sur leur image, sans mentir, en mettant l’accent sur leur histoire, leur parcours, des données plus intéressantes que la seule mise en valeur plastique terriblement machiste ; un travail sur le jeu, pour que les personnalités des joueuses s’expriment sur et en dehors du court. C’est dans ce cadre que EDGE a mis en place un partenariat avec le média « Tennis Legend » et Max Zamora, dont le podcast est bien connu des passionnés, pour permettre aux fans de suivre les coulisses de la carrière de ses joueuses sur le circuit. De quoi bousculer le stéréotype de la joueuse performante et slave qui bourrine à droite et à gauche. Un travail global pour préparer des carrières sur la durée, qui encadre donc toute la vie de la joueuse et qui ne peut s’opérer que dans la bienveillance et le respect. Pour promouvoir le tennis féminin en général et ses protégées en particulier, EDGE s’est aussi associé avec Noah Media, une award-winning production company spécialisée dans les documentaires sportifs (dont 14 Peaks, Arsène Wenger : Invincible, ou d’autres sur Manchester United, la Formule 1…, réalisés pour Netflix, Amazon, la BBC, Canal+, la FIFA, la Champions League, les Jeux Olympiques…), qui suit depuis début 2022 plusieurs joueuses de l’agence sur et en dehors des courts dans le cadre d’un docu-série destiné à une des plus grandes plateformes de streaming.

Tout ce travail coûte énormément mais produit aussi des résultats indéniables, EDGE peut en témoigner. Elli Mandlik, fille de Hana Mandlíková, (vainqueure de Grands Chelems en tant que joueuse puis coach), a progressé de 500 à 120 WTA cette année, en battant des joueuses du Top 25 lors de grands tournois et en passant à 2 points de la victoire face à la numéro 3 mondiale. Petra Marčinko, devenue à 15 ans numéro 1 mondiale junior fin 2021, est la première joueuse à remporter l’Orange Bowl à la fois en simple et double. Elle a enchaîné avec le titre à l’Australian Open et avec des victoires face au top 100 avant de gagner l’ITF de Poitiers il y a quelques semaines. C’est la première fille à gagner un ITF 80k à cet âge-là depuis plus de quatre ans. Kristina Dmitruk était numéro 2 mondiale junior l’année passée et a remporté Wimbledon en double filles, avant d’atteindre la finale de l’US Open en simple. Alycia Parks, qui vient de remporter son premier titre WTA 500 en double, est désormais classée dans le Top 75 en simple après avoir battu consécutivement Karolina Plíšková (ex-numéro 1 mondiale) puis Sakkari, puis de gagner deux des trois derniers tournois WTA de 2022.

On pourrait multiplier les exemples mais il faut surtout noter que toutes les filles (EDGE en aide actuellement une quinzaine qui ont entre 15 et 21 ans) observent une courbe de progression régulière depuis qu’elles ont rejoint l’équipe.

En football, le Real Madrid des Galactiques a tout gagné. Il paraît que l’histoire bégaie. 

 

Article publié dans COURTS n° 13, automne 2022.

© Daniel Deladonne