LGBTennis
L’exemple vient des femmes
Megan Rapinoe n’était pas encore née que le tennis féminin s’emparait déjà de luttes sociétales porteuses d’avenir, parmi lesquelles celle de la liberté d’orientation sexuelle. Un statut pionnier qui a fondé toute la crédibilité et l’aura du tennis féminin – chez ces messieurs, c’est une tout autre histoire – en tant que sport gay-friendly. Panorama.
« On s’est moqué de moi pour mon physique, on m’a insultée parce que j’avais fait perdre de l’argent à des parieurs, mais jamais on ne m’a attaquée parce que j’étais homosexuelle. Quand j’ai fait mon coming out, à 22 ans, je n’ai eu que des retours positifs, du reste du circuit comme sur les réseaux sociaux – ce à quoi je ne m’attendais pas forcément. » Bien sûr, il faut résister à la tentation de simplifier l’histoire. Tout un contexte sociétal est passé par là. Mais quand Alison Van Uytvanck revient sur l’annonce publique de son homosexualité, effectuée il y a trois ans de cela, ce sont aussi quarante années d’héritage qui portent leurs fruits.
Pour le tennis féminin, 1981 est la date charnière. Cette année-là, à quelques mois d’intervalle, deux joueuses, et non des moindres, sont « outées » à leur corps défendant : une championne du moment, Martina Navratilova, et, plus qu’une championne, une légende, Billie Jean King, l’héroïne de la « Bataille des sexes » (si vous lisez ces lignes, vous connaissez forcément l’histoire de ce match phare de l’histoire du tennis). « C’était un moment horrible, se souvient King. Si vous êtes “outée”, c’est que vous n’étiez pas prête à dévoiler votre homosexualité devant le monde entier. Cela n’a pas été facile de trouver la bonne façon de réagir. Sans même parler de tous les sponsors perdus dans la foulée. Mais je n’allais pas démentir, même si je n’ai été réellement à l’aise avec cette dimension publique qu’à partir de la cinquantaine. Mais quand je vois les jeunes aujourd’hui dire “Untel est gay, et alors ?”, je me dis que ça valait la peine d’apporter ma pierre à l’édifice. »
« Megan Rapinoe avec 40 ans d’avance »
Car en décidant, au détriment parfois de leurs propres intérêts, d’assumer ce statut de porte-étendard qu’elles n’avaient pas choisi au départ, Navratilova et elle vont immensément faire bouger les lignes et ériger le tennis féminin en sport précurseur dans la reconnaissance et la tolérance vis-à-vis de ce qu’on ne nommait pas encore la communauté LGBT. « Il faut imaginer : “BJK”, c’est Megan Rapinoe avec 40 ans d’avance, avec le contexte que cela sous-entend et la difficulté d’être la première, tous sports confondus », souligne Stephanie Livaudais, qui a beaucoup écrit sur le sujet pour la WTA. Clairement, le tennis féminin n’en serait pas là sans elle. Ce constat vaut pour beaucoup de choses, et particulièrement pour ces valeurs progressistes qui ont contribué à définir la WTA alors que c’était encore un circuit émergent. Au-delà de ses accomplissements sportifs, elle a été une inspiration pour ce qu’elle est. C’est grâce à elle si ensuite toutes les générations de joueuses ont connu des coming out, y compris parmi les meilleures. »
Les graines semées, d’autres se sont chargées de les entretenir : de Gigi Fernandez à Rennae Stubbs, de Lisa Raymond à Amélie Mauresmo, les joueuses de premier plan n’ont jamais manqué pour assurer ces passages de relais générationnels… et ne sont probablement pas pour rien dans le fait qu’aujourd’hui, une dizaine de joueuses en activité ont effectué leur coming out. Sans forcément d’ailleurs – signe que les temps ont changé – que ce geste revête une dimension militante aux yeux des intéressées. Greet Minnen, compagne d’Alison Van Uytvanck : « Quand nous avons quelque part “officialisé” notre couple auprès du public (via un baiser en bord de court à Wimbledon après la qualification de la Belge pour les huitièmes en 2018, ndlr), nous voulions avant tout signifier notre bonheur et le partager. » Avant d’ajouter : « Mais c’est vrai que si nous pouvons aider d’autres personnes, leur dire de faire les choses comme elles le ressentent pour être bien dans leur peau… On a toujours besoin au départ de se raccrocher à un parcours inspirant. Et bien entendu, celui de Billie Jean King l’est particulièrement. Elle est un exemple. Si à notre tour nous pouvons inspirer d’autres personnes… »
« Les intéressées ne sont pas les seules à se sentir concernées »
Et puisque le tennis féminin reste en pointe (et vigilant !) sur le sujet, divers tournois des US Open Series (San Jose, Toronto, Cincinnati et US Open) ont proposé l’an passé des Pride Days sur leur site même : ici en offrant un stand à des associations LGBT, là en organisant une table ronde impliquant les sportifs, ou en distribuant des poignets arc-en-ciel aux spectateurs… « Il s’agit d’offrir de la visibilité, explique Jeff Donaldson de Tennis Canada. C’est important que les tournois aussi martèlent combien le tennis reste un espace amical pour la communauté LGBT. »
Les tournois, ainsi que l’ensemble de la communauté des joueuses : « J’ai vu Karolina Pliskova porter un de ces poignets et expliquer qu’elle voulait être une alliée pour tous les gays qu’elle connaît, y compris parmi ses proches, témoigne Stéphanie Livaudais. Il y a réellement une culture inclusive à la WTA : les intéressées ne sont pas les seules à se sentir concernées. C’est ce qui permet d’avoir une condamnation rapide et unanime des propos d’une Margaret Court, par exemple 1. Tout n’est pas parfait, bien sûr, j’imagine que dans certains pays faire son coming out demeure inconcevable… mais le tennis féminin me semble largement exemplaire à refléter la tendance progressiste de nos sociétés. »
Jouer contre sa moitié, jouer avec ? Le dilemme (le crève-cœur ?) du tennis
Reste une particularité – un paradoxe ? Opposition directe individuelle, communément considérée comme ce qui se rapproche le plus de la boxe, le tennis était probablement le sport le plus terrible pouvant potentiellement mettre face à face deux personnes en couple à la ville. Rennae Stubbs a partagé sa vie pendant sept ans avec Lisa Raymond – soit deux numéros un mondiales de double à la maison. Elle confirme à quel point la situation peut être difficile : « Au début, nous ne jouions pas ensemble. Quand, un jour, nous avons dû nous affronter, ça a été l’horreur émotionnellement. Je jouais avec Lindsay Davenport, Lisa avec Gabriela Sabatini. La pluie nous renvoie à l’hôtel sans que le match se termine. Nous étions horriblement énervées, chacune pensant qu’elle aurait déjà dû gagner. La scène était un vrai cauchemar ! Le match en plus s’est fini avec des balles de match sauvées par les gagnantes… On s’est dit : “ok, plus jamais ça, il faut qu’on joue ensemble.” »
Le bilan s’est avéré largement positif… même si la fin de leur couple a précipité celle de leur association fructueuse : « Cela nous a tellement réussi qu’on a gagné 17 tournois en deux ans, dont trois du Grand Chelem. Mais c’est un vrai effort de gérer le fait d’être partenaire à la ville et sur le court. L’avantage immense est de vivre ces moments avec la personne qui compte le plus pour vous. La vie sur le Tour est difficile, alors c’est une force de partager tout ça au quotidien. L’inconvénient est que la fin de notre couple a aussi été la fin de notre équipe. Nous n’avons rejoué ensemble que bien plus tard, en 2010. Et c’était chouette d’à nouveau partager ça. Lisa a été ma meilleure partenaire de double, et elle est toujours une de mes meilleures amies. » Comme Martina Navratilova n’a cessé de le dire durant toutes ces années : « Le sexe de la personne que l’on chérit est-il si important ? Ou l’important n’est-il pas d’avoir quelqu’un à chérir ? »
Côté masculin, circulez, y’a rien à voir… Jusqu’à quand ?
Difficile d’imaginer plus grand écart entre les circuits ATP et WTA puisque officiellement, chez ces messieurs, aucun joueur n’est gay ! Les plus grandes figures homosexuelles masculines renvoient à l’ère du tennis en noir et blanc et à convoquer les figures de Bill Tilden (dix titres du Grand Chelem dans les années 1920) et de l’Allemand Gottfried von Cramm, champion 1934 et 1936 de Roland-Garros. Dans l’ère moderne, seul l’Américain Brian Vahaly, 57 e mondial en 2003, a fait son coming out… en 2017, soit bien après sa retraite.
Son analyse : « J’aurais certainement été un joueur plus heureux si je l’avais fait pendant que je jouais. Mais chez les hommes le sujet reste tabou, d’abord parce qu’il n’y a pas d’exemples, personne de qui s’inspirer. Et comme on a déjà beaucoup à faire avec soi-même, à se battre avec ses propres contradictions – ma foi catholique dans mon cas –, c’est compliqué de s’exposer en plus au regard des autres. J’avais aussi peur : peur des réactions des collègues, des sponsors, des fans… La crainte d’être ostracisé l’emporte. Le sport masculin véhicule une image de virilité. Qui veut assumer d’être le premier gay d’un univers où le chambrage se fait souvent par allusions homophobes ? C’est ça la culture du sport masculin. Mais ma conviction est que c’est le bon moment si quelqu’un veut faire son coming out. Bien des exemples issus d’autres sports, de la NBA ou de la NFL, ont démontré que le sport masculin est prêt. Le tennis a juste besoin de celui qui fera le premier pas. »
Article publié dans COURTS n° 7, printemps 2020.
1 Désormais pasteure pentecôtiste, Margaret Court a souvent été créditée de sorties homophobes, au point que les organisateurs de l’Open d’Australie se sont sérieusement interrogés sur la façon de commémorer les 50 ans de son Grand Chelem calendaire de 1970, pour finalement y accorder nettement moins d’écho qu’à la célébration de celui de Rod Laver en 2019.