Un genre de journaliste dans le tennis
Par Thomas Gayet
Attentif à vos élégantes exigences de lecteurs éclairés, il m’aurait plu, pour satisfaire à la coutume, de commencer ce portrait par la description enlevée du bar d’hôtel où j’aurais rencontré Max Zamora, dorures, moulures et garçons pressés sous leur nœud papillon, m’attardant longuement sur les choix de boisson et autres attributs vestimentaires censés dévoiler par signaux faibles la personnalité du podcasteur attitré de Tennis Legend. Las ! Max vit dans le pays basque, j’étais à Paris dans mon appartement dont l’aménagement intérieur, en plus de ne pas vous intéresser, ne regarde que moi (sachez toutefois que j’ai une appétence pour le formica), je buvais du café passable dans une tasse quelconque et l’entretien d’une heure s’est fait par téléphone, de telle sorte que je n’ai pas la moindre information sur ce que portait ou buvait mon interlocuteur en cette matinée grise, ni d’ailleurs si, chez lui aussi, la matinée était grise. Vous ne me tiendrez – je l’espère – pas rigueur de ces manquements à la mienne, de rigueur, étant entendu que Max s’étant fait un nom dans le monde du tennis par la voie du podcast, il semblait approprié de rendre hommage à son art en procédant de la sorte.
Sa tête, on la connaît, celle d’un jeune trentenaire à barbe de trois semaines et air sympa qu’on pourrait croiser dans un bar du 11e ou dans un coworking. Sa voix aussi, on la connaît, puisqu’en trois ans il a réalisé pour Tennis Legend 372 entretiens avec des joueurs, des joueuses, d’anciens joueurs et d’anciennes joueuses, des entraîneurs, des préparateurs physiques, des journalistes, des statisticiens, bref avec tout l’écosystème tennis ou presque.
À tel point qu’il est devenu, pour les fans de tennis que nous sommes (je présume, je présume, mais je doute que vous vous farciriez ces lignes et toutes les digressions dont je me rends coupable si vous n’aviez pas au fond de vous un petit cœur qui bat tennis), la figure incontournable de l’interview tennistique français, une sorte de Nelson Monfort sans oreillette et épargné par la langue de bois d’après match.
Max Zamora se présente aux autres comme un « genre de journaliste tennis ». Généralement, on lui demande : « Ça veut dire quoi, un genre de journaliste tennis ? », ce à quoi il répond : « Bah, je fais depuis trois ans un podcast dans lequel j’interviewe des joueurs de tennis », et la conclusion naturelle tombe : « Ah ouais, en fait t’es un journaliste tennis. » Si Max a tant de mal à se présenter comme journaliste, c’est qu’il s’interroge encore sur sa légitimité faute d’avoir fait une école dédiée. C’est la passion qui l’a amené où il est.
Max et moi avons à peu près le même âge. Nous avons vu les mêmes matchs, été marqués enfants par les mêmes joueurs, Coria, Gaudio, Clément, Roddick, Safin, Kuerten… Mais lui, quand il était jeune, s’imaginait d’abord à leur place. Son rêve aurait été d’être pro, mais il s’est réveillé zéro à 20 ans. Toute son adolescence, il était habité. Son plus grand traumatisme a été l’arrêt de la publication du DVD de Roland-Garros commenté par Lionel Chamoulaud. Habité, je vous dis.
Et une page se tourna. Selon Max, le Big Three était trop bourratif pour le maintenir en appétit, ce à quoi j’ajouterais (rappelons qu’on a le même âge) qu’il en est de Star Wars, des Lego et du tennis comme de toutes les passions d’enfance : on a tendance à s’en défaire au sortir de l’adolescence pour mieux y revenir plus tard. Et comme l’appli Livescore traîne toujours en tâche de fond, ce n’est pas bien difficile de raccrocher les wagons. Encore que, pendant des années, le tennis a été le parent pauvre de l’information sportive. So Foot existe depuis 2003, les Cahiers du football n’en parlons pas, j’en passe et des meilleurs. Mais pour des infos tennis, il fallait attendre la période de Roland-Garros pour voir les médias faire caisse de résonance.
Jusqu’à ce qu’en 2009, Johan Le Mestre et Alexandre Sokolowski décident de créer un blog, Tennis Legend, pour faire vivre leur passion et puis la partager un peu. Le blog est devenu page Facebook, a engrangé des visiteurs, s’est petit à petit fait un nom. En 2014, Max contacte Johan pour lui proposer de réaliser des interviews sur le tournoi de Marseille. Johan fait preuve d’un grand enthousiasme : « Bah, envoie et on verra bien ». Max se motive, réalise ses interviews, trouve le contenu nul et n’envoie rien. Acte 1 d’une rencontre avortée.
L’acte 2 aura lieu six ans plus tard, en 2020. Occupé à s’ennuyer dans la gestion d’une conciergerie Airbnb, Max écoute le podcast Échange d’Antoine Benneteau et se dit qu’il y a quelque chose à faire. Il écrit à Johan qui lui propose d’aller déjeuner, on se met d’accord sur le format, tout va bien, puis un laborantin chinois mange un pangolin à la panure de chauve-souris (je n’ai pas le détail des dernières infos sur le processus exact) et on se retrouve avec une épidémie mondiale qui permettra la création de l’auto-autorisation de sortie. Des tennismen coincés chez eux, du temps à revendre : l’occasion rêvée de faire des interviews.
Et Max s’y met sérieusement. Première interviewée, Ons Jabeur, alors 46e mondiale et dont la gentillesse lui permettra de nouer énormément de contacts supplémentaires. Max interviewe, Max réécoute, Max monte et Max envoie à Johan. Qui ne répond pas. Toujours pas ? Toujours pas. Tant pis, Max se lance.
En trois mois, à raison de deux ou trois entretiens par jour et d’un confinement, Max prépare, réalise et monte 107 interviews. Quand il écoute le premier épisode, trois mois après l’avoir reçu, Johan est formel : c’est pas mal. Ouf.
Côté interview, Max apprend sur le tas. D’abord groupie, il s’aguerrit, se paie sans CPF et à la sueur de son front une formation express de journaliste. Car Max est un bosseur. Aujourd’hui encore, il s’astreint à travailler 9 ou 10 heures par jour, ne s’imposant qu’un répit d’une demi-heure pour aller voir l’océan et ainsi éviter de mener une vie par écran interposé. Et comme souvent, le travail paie.
En quelques mois, l’exposition médiatique de Tennis Legend permet au podcast de trouver son public. Les chiffres d’écoute augmentent, l’audience s’élargit, des badauds se mettent à reconnaître Max dans la rue et le petit miracle du Do it yourself est à l’œuvre. À ceci près que cette activité hautement chronophage et tout aussi édifiante ne rapporte pas un centime. Et que Max n’a pas le chômage.
« Il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions », disait quelqu’un qui n’était manifestement pas confronté à un tigre affamé en pleine jungle. Zoologie sauvage mise à part, l’adage a du bon. Max se creuse la tête et cherche, dans l’éventail des points abordés au cours de son podcast, ceux qui pourraient avoir de la valeur pour les auditeurs. Or, s’il est une chose commune à tous les joueurs, quel que soit leur niveau, quel que soit leur désir de progresser et quelle que soit leur raquette, c’est bien d’être frustrés par leur incapacité chronique à reproduire en match ce qu’ils produisent à l’entraînement. Bingo.
Car au fil des entretiens que Max mène, c’est un petit traité de préparation mentale qui se compose. Santoro, Sam Sumyk, Fabrice Sbarro : tous apportent des réponses qui, mises bout à bout, peuvent aider l’intégralité des joueurs. En s’appuyant sur son carnet d’adresse et sur la convivialité créée avec celles et ceux qu’il interviewe, Max se met à proposer des master class payantes. Et comme on a rarement deux fois l’opportunité de recevoir des conseils personnalisés de Sam Sumyk, les gens s’inscrivent.
Un peu d’air financier et de quoi se détendre sur le court. Invité par Stéphane Houdet à découvrir le tennis fauteuil sur le court devant une caméra, Max réalise que le format pourrait se décliner en vidéo avec d’autres joueurs et d’autres joueuses. J’irai jouer avec est né et, là encore, c’est en se rappelant au (bon) souvenir de celles et ceux avec qui il s’est entretenu que Max lance le format. Leconte, Santoro, Clément, Bahrami répondent présents : et voilà Max, redescendu honnête joueur de troisième série, qui croise le fer avec les stars de son enfance.
Le format vidéo attire les marques et, peu à peu, Max réussit à nouer des partenariats avec elles pour compléter ses revenus. La boutique tourne. La balle aussi.
Mais pour faire tourner la balle, encore faut-il s’entretenir. De peur d’être ridicule, Max se remet à jouer régulièrement, puis goûte à nouveau à la compétition, jusqu’à remonter deuxième série. Le but n’est pas d’aller plus loin, déjà parce qu’à chacun son métier, mais aussi parce que d’anciens joueurs à court de forme pourraient être effrayés d’aller jouer avec un négatif. Ne pas trop la ramener, mettre les autres en valeur : si ce n’est pas du journalisme, ça !
Une chose en amenant une autre, les pros, en plus de répondre à ses questions et de lui renvoyer la balle, écoutent son podcast. De quoi, comme Max plus souvent qu’à son tour, dire « yes » ou « vamos » ?
Devenu incontournable dans un milieu qu’il rêvait de pénétrer depuis l’enfance, Max Zamora ne prend pour autant pas le temps de respirer et de profiter. Suivant un conseil de Benoît Maylin, il veut encore pousser les curseurs, aller plus loin. Plus loin, à 17’000 kilomètres ? C’est ce qu’il a parcouru pour rejoindre Melbourne en début d’année, où il a suivi et exposé les jeunes joueurs et joueuses de l’écurie Edge. Une chance inouïe, bien sûr, qu’il doit aussi à sa capacité hors-norme à donner de la visibilité à un sport souvent décrit en perte de vitesse.
Car Max est un vrai passionné de tennis. Le doux bruit d’une frappe de mule dans les allées des courts annexes de l’Open d’Australie suffit à lui donner le sourire. Et c’est encore mieux quand, par son partenariat avec Edge, il connaît les filles à l’origine des frappes et vit avec elles, auprès de leurs proches et de leur famille, leur ascension vers les sommets.
À chacun les siens. Max, lui, se rêverait commentateur à Roland ou à Bercy. Il couvrira cette année Roland-Garros pour France Bleu. Pas mal, pour « un genre de journaliste dans le tennis ».
Article publié dans COURTS n° 14, printemps 2023.