fbpx

Zoom sur un confinement 3.0

Serena Williams, « Zoom Service » | © Art Seitz

A la mi-mars, la plupart des pays européens, dont la France, la Belgique et la Suisse, basculent vers un confinement, semi-confinement ou encore une situation extraordinaire, selon la sémantique du lieu dans lequel vous vous trouvez (soudain enfermé). Certains sont « en guerre », d’autres préconisent d’avancer « aussi rapidement que possible et aussi lentement que nécessaire ». On vous laisse le soin d’identifier laquelle de ces deux saillies provient du gouvernement d’un pays neutre, chantre du compromis qui ne vexe personne s’il en est. Les écoles, les restaurants, les bars, les commerces non alimentaires et… les installations sportives ferment. Impossible de jouer au tennis à quelque niveau que ce soit, et encore moins au rythme effréné du circuit professionnel. Si les clubs de tennis, certaines écoles et autres lieux de vie sociale et de shopping ont pu timidement rouvrir le 11 mai, moyennant des mesures presque aussi draconiennes que les règles de bienséance dans un salon du All England Club et des effectifs aussi réduits que l’affluence des grands soirs au Stade Louis II, la route est encore longue. Surtout si celle-ci doit traverser de multiples frontières, transiter par de nombreux aéroports et déplacer des foules cosmopolites de continent en continent. Les grands cirques de l’ATP, de la WTA et de l’ITF – pour une fois sur la même longueur d’ondes, à un électron libre parisien près – ont donc dégonflé leurs chapiteaux. Leurs dompteurs de petites balles jaunes prennent leur mal en patience en s’efforçant de ne pas tourner en rond comme des lions en cage. Mais que font-ils au juste ?

 

Ils prennent l’apéro pour tromper l’ennui du confinement

Franchement, on se sentirait mal d’essayer de résumer en quelques lignes tout le génie d’un StanPairo. Si vous suivez le tennis, il est impossible que vous n’en ayez pas vu d’extraits, lu des résumés ou carrément dévoré une double page dans le plus grand canard sportif hexagonal. Et ça c’est si vous n’avez pas bu ces réunions jusqu’à la lie, cocktail et bloc-notes à l’appui, après une semaine entière d’attente infernale. Se connecteront-ils ? C’est donc ça le manque. Bref, nous ne leur ferons pas l’injure de réduire leurs grands crus à un pauvre condensé frelaté car seuls les deux gais lurons de la quarantaine virtuelle savent doser ce savant mélange d’ivresse et de soudaine sobriété technico-tactique qu’ils ont su nous proposer de semaine en semaine. Et si, contre toute attente, vous n’avez jamais entendu parler des StanPairo et que vous lisez ces lignes, c’est probablement que vous venez d’ouvrir un magazine inconnu par erreur chez votre coiffeur (on y voit goutte avec ces masques). Fermez-le vite et abonnez-vous à Stan Wawrinka et Benoît Paire sur Instagram. Quand la deuxième vague dont tout le monde parle autant que d’une première victoire masculine française à Roland-Garros depuis 1983 (même si la seconde risque de se faire attendre plus que l’autre) pointera le bout de son nez, ce sera déjà ça de fait.

 

Ils travaillent sur leur reconversion dans les médias au cas où

Le 22 avril, Roger Federer faisait mine de réfléchir à haute voix sur la possibilité d’unir les circuits ATP et WTA. Quand vous le faites sous la douche entre deux performances vocales dignes d’une éviction de la Star Ac’ en première semaine, ça ne mange pas de pain. Quand le Swiss Maestro reçoit l’écho de ses 12,7 millions de twittos, c’est autre chose. Connaissant la communication du Bâlois, généralement aussi bien huilée que la peau de Dominika Cibulkova sur ses stories Instagram en direct de son yacht estival, on ne peut s’empêcher de penser que tout cela est finement orchestré. Surtout quand douze jours plus tôt, on a déjà assisté à une première union virtuelle entre les deux instances genrées du tennis, via Tennis United.

Kim Clijsters, Roger Federer, Martina Navratilova et Andre Agassi | © Art Seitz

Tennis United, c’est l’émission hebdomadaire des stars du tennis confinées, chapeautée par les chaînes YouTube de l’ATP et de la WTA et présentée par le duo américano-canadien Bethanie Mattek-Sands – Vasek Pospisil, spécialistes de double par ailleurs (voilà qui tombe décidément très bien). Tout ce petit monde travaille bien sûr à distance, comme il se doit (les 2555 km qui séparent l’Arizona de la Colombie-Britannique respectent tout juste les normes édictées par l’OMS). Chaque semaine, outre une sélection des meilleurs challenges vidéos et autres clowneries du Web, on a droit à la réalité de la quarantaine d’une brochette de vedettes de la petite balle jaune (et parfois d’autres sports), de Sofia Kenin à Stefanos Tsitsipas en passant par Andy Murray et Wayne Gretzky. Et c’est là que le bât blesse un chouïa. On l’a vu à travers le gouffre qui s’est creusé entre les propos de Dominic Thiem (lui aussi invité par l’émission qui nous occupe) sur les fonds alloués aux joueurs moins bien classés et le témoignage vidéo d’Inès Ibbou : la notion de réalité a une sale tendance à différer entre le gotha du tennis planétaire et les déshérités des bas fonds du classement mondial.

Les cinq premières minutes de l’épisode initial sont un condensé de la déconnexion (un comble pour un show tourné via une plateforme de visioconférence et disponible online) entre l’élite du jeu et sa base. On commence par une visite exhaustive des installations ultra modernes dont disposent nos deux présentateurs dans leurs domaines qui s’étendent sur ce qui ressemble furieusement à la superficie du Luxembourg. Court de mini-tennis, salle de fitness, jacuzzi, terrasse qui pourrait accueillir trois mariages en simultané tout en respectant les règles de distanciation sociale en vigueur, vue à couper le souffle d’Eole en personne. Difficile dans ces conditions de croire au discours de Mattek-Sands en introduction de l’épisode pilote : « Maintenant plus que jamais, nous avons besoin de nous rejoindre et de nous entraider. Je pense qu’il est temps que les circuits se réunissent pour montrer comment chacun gère la situation de l’intérieur. » On imagine tout de même que la plupart du commun des mortels a eu – par obligation – d’autres priorités que dénicher la dernière recette de cuisine à la mode auprès de son influenceuse préférée sur les réseaux sociaux. Mais ça, Tennis United ne nous le dira pas. Et finalement pourquoi pas. On avouera volontiers que ces privilégiés de la raquette nous ont bien fait marrer épisode après épisode malgré tout. Et réunir par le (sou)rire, c’est déjà une vocation fort louable à l’heure où notre monde semble profiter de la crise du coronavirus pour imploser de toutes parts (même si l’épicentre de beaucoup de séismes semble se trouver dans un Bureau qui ne tourne décidément pas rond).

Il serait par ailleurs foncièrement malhonnête de notre part d’ignorer la tribune offerte par Tennis United à Frances Tiafoe, Taylor Townsend, Coco Gauff et bien d’autres dans le cadre du mouvement #BlackLivesMatter. C’est un début d’inclusion. Laisser les voix des seuls acteurs du tennis qui peuvent réellement comprendre ce que cette lutte signifie au quotidien s’exprimer librement, sans entrave, introduction ou même commentaire de la part des hôtes habituels du programme est encore mieux. Notre paire nord-américaine de double mixte a encore jusqu’à la fin juillet (au moins) pour faire de même avec les anonymes du circuit situés au-delà de la 100ème place mondiale et ainsi perpétuer ce processus d’inclusion vanté dès les premières secondes de l’existence de leur nouveau terrain de jeu virtuel.

 

Ils préparent le fameux « monde d’après »

Impossible de ne pas citer le numéro 1 mondial, Novak Djokovic. Le Serbe serait probablement également assez bien classé au hit parade des influenceurs des réseaux sociaux avec ses 7,3 millions de followers sur Instagram. Malheureusement pour le Iznogoud du tennis, celui qui cherche à être calife à la place des deux califes depuis plus de 10 ans maintenant, il reste loin derrière Roger Federer (7,6 millions de followers) et surtout Rafael Nadal (9,3 millions) au niveau popularité. Comme dans la vraie vie en somme. Si on vous parle d’Instagram, c’est que la plateforme de partage de photos (mais pas que) semble être le point de ralliement de toutes les célébrités et leurs fans depuis la fermeture des stades, salles de spectacles et autres points de rassemblement de masse. Ou alors c’est parce qu’on n’a toujours rien compris à TikTok du haut de notre grand âge qu’on vous affirme cela de manière péremptoire, allez savoir. De la séance de gymnastique du duo improbable Venus Williams – Alexander Zverev aux interview décalées de Naomi Osaka en passant par des parties de ping pong ou de tennis virtuel endiablées (et commentées) entre Gaël Monfils et Elina Svitolina, il était impossible de s’ennuyer ce printemps.

Roland-Garros 2017 | © Ray Giubilo

On en revient à Djokovic qui lui, a utilisé sa plateforme pour promouvoir des gourous de la méditation et autres théories plus ou moins fumeuses, ainsi que quelques insinuations anti-vaccin d’un goût plus que douteux. Mais en réalité, on le soupçonne de tenter de détourner notre attention alors qu’il est en train d’activement préparer l’après. Cet après risque de plus en plus de débuter par une phase de huis clos, si les tournois de la seconde partie de l’année comptent avoir une chance de se disputer. Le huis clos, c’est un peu le Graal pour Nole. Federer et Nadal ne seraient plus adulés dans tous les stades du monde. Lui, le Djoker perpétuellement incompris, ne serait plus hué par personne. Il n’aurait plus l’esprit obnubilé par cette quête d’un amour inaccessible et pourrait enfin concentrer toute sa volonté sur un but, un seul : tous les records tangibles détenus par ceux dont les aspects plus immatériels ne seront jamais égalés par le natif de Belgrade. Et si l’Empire de Fedal ne tenait qu’à ce détail qui n’en est pas un face aux invasions venues des Balkans ?

L’éternel faire-valoir des deux titans n’a en tout cas pas perdu ses talents d’acteur pendant ce lockdown. Prêt à tout pour cacher ses réels desseins, il est même allé jusqu’à déclarer aux médias de son pays que les protocoles sanitaires envisagés pour une tenue hypothétique de l’US Open à la fin août étaient tout simplement trop extrêmes pour qu’il s’y plie. Tout en doutant de la tenue de quoi que ce soit cet automne dans la Grande Pomme, plus connue pour ses fosses communes que pour ses attractions touristiques ces derniers temps, gageons que notre ami Novak sera le premier à l’aéroport si d’aventure on se trompait pour la 734ème fois dans nos prédictions de docteur amateur ès COVID-19 depuis la mi-mars.