fbpx

Roger Federer

Roger Federer
Christopher Clarey
Flammarion, 2022

Une biographie majeure écrite par une référence mondiale du tennis. 

 

Une biographie, c’est le récit d’une vie. Un genre littéraire dont les origines remontent à l’Antiquité. Il s’agit de narrer des vies exemplaires, des modèles à suivre. Une tendance qui s’épuise peu à peu. Et puis, avec les années 80, retour inédit de publications à succès concernant toutes sortes de personnages. Hommes politiques célèbres, peintres, écrivains, artistes. Les grands de ce monde y sont à l’honneur. Les icônes du sport en font partie.

 

Le secret des dieux 

Journaliste sportif américain, correspondant du New York Times et de l’International Herald Tribune, l’auteur Christopher Clarey est une figure du circuit. Il connaît en profondeur le monde du tennis. Pendant plus de vingt ans, Clarey suit le parcours du tennisman suisse Roger Federer aux quatre coins de la planète. 

Il rencontre ses proches, ceux qui ont joué un rôle déterminant dans la carrière de Roger, mais aussi ses grands rivaux : Pete Sampras, Marat Safin, André Agassi, et puis Rafael Nadal et Novak Djokovic, pour n’en citer que quelques-uns. 

« Roger Federer est intéressant parce qu’il s’intéresse aux autres », confie Paul Annacone, un de ses anciens entraîneurs. « C’est sa marque de fabrique (RF), il commence un entretien par une question, un peu comme s’il souhaitait vous renvoyer la balle. Par jeu, par politesse et curiosité, histoire de voir ce que vous allez en faire. » Un test ludique et efficace qui lui permet de renverser très vite la vapeur et de prendre l’avantage dès son retour de service. 

« Roger joue à la balle, mais il joue aussi avec la balle », observe son ami Severin Lüthi. Il joue pour le plaisir un point magnifique. Un point sorti de nulle part, comme par magie. Une autre marque de fabrique RF qui n’a pas fini d’étonner les fans. Deviner d’instinct le meilleur coup à jouer et parvenir à l’exécuter à la perfection, voilà du Roger à l’état pur.

« Comment arrive-t-il à jouer un coup pareil ? » Assez simple, selon l’intéressé : « La stratégie, tout le monde en parle, mais sur le court, il s’agit surtout d’instinct. Tout va tellement vite qu’il faut frapper sans réfléchir. Et puis, il y a aussi une part de chance. »

Dans le domaine du tennis professionnel, ce qui compte c’est surtout ce qu’on fait de ses chances. Un peu comme dans la vie, en somme. Martina Navratilova, la légende tchèque du tennis féminin, ne s’y trompe pas : « Le talent chez les jeunes se remarque vite. Souvent il me suffit de regarder une jeune joueuse marcher pour savoir à quoi m’en tenir. » 

 

Comment Roger est devenu Federer

Le reste, c’est une autre histoire. Des jeunes talentueux, l’histoire du tennis en déborde. De nombreux appelés pour très peu d’élus. Ce qui compte, c’est de savoir le plus tôt possible ce que l’on veut vraiment faire de sa vie. Il s’agit bien pour l’auteur, Christopher Clarey, de parvenir à comprendre. 

Comprendre « comment Roger, un gamin qui décide de quitter l’école à seize ans, est devenu Federer ». Près de six cent pages pour plus de quatre-vingt interviews sur dix-huit mois de travail. En réalité, le livre commence dès 1999, lorsque Federer en était à ses débuts en Grand Chelem à Roland-Garros. L’histoire d’une vie, celle de la carrière d’un des sportifs les plus adulés de la planète, dans un langage clair et direct, accessible à tous en mode conversation. Un ouvrage de référence pour le monde du tennis, du novice au spécialiste.

« Parce que la culture du tennis est plus développée en France qu’aux États-Unis, j’ai ressenti le besoin d’expliquer le phénomène Federer aux anglophones », précise Clarey. 

Concrètement, ça s’est déroulé sur vingt ans, au fil du temps, dans des lieux et des continents différents. Une voiture en Argentine, un chalet en Suisse, ou même à bord d’un jet privé. Peu importe où et quand. Au final, l’homme reste le même. Il devient tout simplement ce qu’il est : le meilleur joueur du circuit.

L’adolescent espiègle, émotif et colérique, se transforme peu à peu sur les courts et finit par atteindre le Graal. La fusion. L’harmonie parfaite du corps et de l’esprit. Un joueur invincible, intemporel. Un « demi-dieu », touché par une grâce naturelle, par l’élégance du jeu, la pureté du geste, le relâchement ultime. Sauf que le miracle ne s’est pas accompli tout seul. Il a fallu travailler dur, très dur, pour en arriver là. 

« Quand je gagne, dit RF, tout paraît facile et simple aux yeux du public ; si je perds, on dira que je n’ai pas suffisamment donné de moi-même, sauf que je donne tout, toujours et à fond, mais ça ne se voit peut-être pas tant que ça. » 

 

Les artisans du génie 

Peter Carter, son premier entraîneur, Chris Marcolli, son psychologue, et Pierre Paganini, son préparateur physique, ont indéniablement contribué à transformer Roger Federer en profondeur. 

Pierre Paganini rencontre RF dès 1995 et le rejoint pour de bon en 2000. Il aidera Roger à éviter toute blessure grave en lui permettant de conserver sa rapidité et son agilité. La recette Paganini peut se résumer comme suit : un travail acharné et constant, oui, mais constellé de salutaires plages de détente et d’évasion pour garder le moral du joueur. 

Chris Marcolli, c’est autre chose. Grâce à lui, RF affronte très tôt ses faiblesses psychologiques. Il n’a pas encore dix-sept ans quand leur collaboration commence. Marcolli se concentre sur quelques éléments clés. Les yeux, et la façon dont les joueurs s’en servent. L’intentionnalité entre les points. La gestion du stress et de la pression. Mais au-delà de ces aspects, la vraie question que pose ce psychologue du sport, est de savoir si le joueur est en paix avec lui-même et son environnement. S’il est capable d’appréhender les vertus de l’instant présent sans être distrait ou perturbé par des facteurs exogènes. « Préférez-vous être là, maintenant, sur le court, ou bien ailleurs, en train de résoudre d’autres problèmes ? »

« Je crois que Roger se sert encore de ces procédés durant ses matchs », dira plus tard sa mère Lynette. 

L’australien Peter Carter occupe quant à lui une place à part chez Roger Federer. Un coach éclairé, son premier entraîneur, un véritable ami. Carter meurt à trente-sept ans, victime d’un accident de la route en Afrique du Sud. Federer a une vingtaine d’années, il est anéanti. 

Selon beaucoup de ses proches, c’est à partir de là que s’est produit un véritable déclic chez ce jeune joueur : « D’un coup, Roger est devenu un homme, un athlète inspiré, conscient de la mission qui lui échouait : devenir le meilleur joueur de tous les temps. »

Reste une figure de proue dans le cercle intime de Roger Federer, sa compagne Miroslava Vavrinec, Mirka, devenue son épouse en 2009. Coordinatrice, chargée de relations avec la presse, Mirka est une ancienne joueuse du Top 100 dotée d’une volonté à toute épreuve. Contrainte à renoncer à sa carrière en 2002 en raison d’une blessure au pied, elle s’emploie dès lors à promouvoir celle de Roger. Grâce à elle et à leurs quatre enfants qui voyagent avec le couple depuis leur naissance, la vie de RF peut s’écouler paisiblement, comme un long fleuve tranquille. 

« Dès le début, Mirka était convaincue que je ne devais pas gâcher mon talent, explique Federer. Elle savait qu’avec mes aptitudes je pouvais aller beaucoup plus loin, et cette foi m’a vraiment boosté. » L’intimité familiale et l’équilibre que Roger et Mirka parviennent à préserver fera des miracles : « Je ne peux bien jouer au tennis que quand je suis heureux, confie encore Federer. Oui, le tennis est au centre de mon attention, mais pour que ça marche, le reste de ma vie doit absolument être intact. » Mirka y travaille tous les jours.

 

Au bout du rêve

Avec vingt titres en Grand Chelem et une longévité exceptionnelle, aussi bien à la tête du classement ATP que sur le circuit, Roger Federer marque à jamais l’histoire du tennis. À l’heure de sa retraite, il se hisse au-delà du palmarès de ses pures performances sportives. La fascination qu’il continue à exercer sur le public dépasse de loin les résultats époustouflants obtenus tout au long de sa carrière. Roger Federer n’est pas simplement le sportif le plus encensé de la planète, c’est aussi le « grand gentleman du tennis », celui qui a su mieux que quiconque se faire aimer de tous, grâce à un comportement irréprochable. 

Après le temps des larmes et de l’adolescence, aucune vague intempestive ne viendra troubler la sérénité et la concentration de Roger sur les courts. Au sommet de sa gloire, pas non plus d’étalage inutile. De l’humilité sincère, cordiale et enjouée. De l’équilibre et du respect avant tout. Envers soi-même et les autres. Tous les autres, depuis les joueurs jusqu’au public des coulisses. De la rigueur helvétique, assortie d’une touche séduisante de pudeur et de vérité. Un sourire qui fait le tour du monde. Classe, naturel, élégance, amabilité. Un brin d’humour relax, cool. On y est. 

Et après ? « Après, c’est assez simple, dirait-il sans doute aujourd’hui, il suffit de vouloir continuer. » Oui, continuer jusqu’au bout. Au bout du rêve. Roger y parvient de main de maître. Avec ou sans raquette, à quarante-et-un ans, il est loin d’avoir terminé :

« La vie est belle, elle n’en finit pas de recommencer. »

Le « phénomène Federer » suscite l’admiration générale, mais aussi une inlassable curiosité. Journaliste sportif depuis trente ans, Christopher Clarey couvre son premier Grand Chelem à Wimbledon en 1990. Au fil des ans, il devient un grand spécialiste de la presse écrite internationale du tennis. 

Marié à une Parisienne, il vit et travaille en France et aux États-Unis.  

 

Article publié dans COURTS n° 13, automne 2022.