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Carnet de balles

© Art Seitz

Objet de toutes nos attentions, pour ne pas dire de nos obsessions, la balle de tennis est le produit d’un formidable savoir-faire. À l’image de celui de Wilson, devenu l’an passé partenaire officiel de Roland-Garros. Un nouvel épisode marquant dans la saga de cette marque plus que centenaire.

 

« Une balle de tennis est le corps ultime. Parfaitement ronde. Répartition égale de la masse. Mais vide à l’intérieur, complètement vide. Sujette aux caprices, sensible à la force – que tu l’utilises bien ou mal. Elle reflètera ton propre caractère. Elle n’a pas de caractère en soi. C’est du pur potentiel. » L’écrivain américain David Foster Wallace, disparu en 2008, n’a jamais été avare d’emphase et de métaphores lorsqu’il écrivait sur le tennis, ou sur Roger Federer, l’un de ses sujets de prédilection. Considérer la balle comme un miroir de notre tempérament est une piste intéressante. L’image est assez belle, même. Notamment au tennis, où on se la renvoie et où s’installe une forme de discussion. À la colère d’une frappe lourde, répond la douceur d’une amortie. À un slice vicieux qui « s’enterre », réplique un lob qui caresse le ciel. 

Les hommes ne s’enverraient pas des balles avec ce drôle d’ustensile appelé raquette depuis la naissance du jeu de paume au XIIe siècle si cela n’était pas vecteur d’émotions. Ah, le bonheur ultime d’une frappe bien centrée et fluide ! Quelle joie d’avoir réussi à diriger cette capricieuse boule de feutre là où ne se trouve pas l’adversaire. Dès qu’il a compris combien cette pelote pourrait être une source de plaisir et d’affrontements, un sentiment qui trouve ses racines dans l’enfance, l’homme a pris soin de bichonner la balle de tennis. D’autant plus depuis qu’on a eu la bonne idée de marier le caoutchouc et le feutre, à la fin du XIXe siècle. La dorloter, à la fois dans sa conception et dans les moyens de la conserver. 

Une société américaine va alors jouer un rôle déterminant dans cette histoire, à partir de 1914. Son nom : Schwarzschild & Sulzberger. Son activité : l’emballage… alimentaire et plus particulièrement celui de la viande ! Mais très vite, elle se lance dans la diversification de produits provenant des abats d’animaux comme les boyaux. Ainsi l’entreprise rebaptisée Wilson en 1915, du nom de son nouveau patron Thomas E. Wilson, fabrique du cordage pour les raquettes de ce sport en pleine expansion, le tennis. Thomas Wilson accélère même la transformation de son entreprise en rachetant la Chicago Sporting Goods Company, embryon de ce qui va devenir une multinationale et une des marques les plus emblématiques de l’histoire du sport. Parallèlement, Wilson, en partenariat avec la Pennsylvania Rubber Company (l’ancêtre de Penn), commence à fabriquer des balles en 1926. Mais aussi, dès la fin des années 20, fort de sa maîtrise des emballages, les premiers tubes métalliques sous pression destinés à préserver la durée de conservation desdites balles. Le principe est simple : la pression d’air dans la boite est égale à la pression dans la balle elle-même. Tant que la canette est scellée, la vivacité de la balle demeure intacte. « C’est la plus grande évolution jamais connue dans l’histoire du tennis », annonce alors fièrement la marque au logo en W. 

Ces premières boites sont reconnaissables à la petite tache de soudure, sur le couvercle ou le fond, témoin de l’endroit où l’air sous pression a été injecté. On les ouvre en déroulant une fine bande de métal sur une clé, processus familier aux amateurs de sardines. Il est amusant de noter que cette technologie (allons-y pour les grands mots) sera freinée pendant la Seconde Guerre mondiale en raison de la pénurie d’acier, obligeant alors les fabricants, Wilson y compris, à ranger les balles dans des boites en carton ou des sacs en papier imperméables. Le métal reviendra en force dans les années 50, puis dans les années 70 avec l’ouverture de la boite grâce à une petite languette libérant l’air. Ce « pschitt ! », qui rappelle celui de l’ouverture d’une canette de soda, est devenu l’un des sons préférés des joueurs de tennis, signe que le bonheur de la première frappe n’est plus très loin. Wilson introduit ensuite la boite en plastique en 1984, le « Wilson Squeezable Pressure Pack », un tube transparent où les balles sont toujours sous pression évidemment, mais désormais visibles. Une innovation qui fera des émules.

Côté balles, Wilson a rapidement innové. Comme le rappelle Richard Hillway, spécialiste américain de l’histoire du tennis, la firme de Chicago avait même imaginé des balles pour jouer en altitude, où la résistance de l’air est moindre, permettant auxdites balles de « voyager » plus vite. Nous sommes alors en… 1956. « J’ai grandi en jouant au tennis à Greeley, Colorado, à 1 500 mètres d’altitude. Avec ces balles, dans lesquelles il y avait moins de pression et qui étaient plus lourdes, on en mettait plus dans le terrain », se souvient-il. Sur un marché de plus en plus concurrentiel, l’autre grande date dans l’histoire de Wilson est certainement 1978, lorsque la marque est choisie pour devenir la balle officielle de l’US Open. C’est une date clé, car le Grand Chelem américain quitte l’ambiance chic du West Side Tennis Club de Forest Hills et son Har-Tru (la terre battue grise) pour l’ambiance plus rock de Flushing Meadows et ses courts en dur (Decoturf).

Depuis cette date, le dernier grand rendez- vous de la saison et la firme de Chicago ne se sont plus quittés, un mariage qui a fait de Wilson la marque spécialiste des balles à destination des courts en dur. En 2006, les organisateurs de l’Open d’Australie choisissent également Wilson. C’est un succès. Lorsqu’on demande aux champions quelle marque ils préfèrent pour jouer sur dur, Wilson l’emporte haut la main, à 79 %, selon un sondage réalisé pendant les Internationaux d’Australie 2016. 

Cette image de marque très forte de balles pour courts en dur, un marché dont Wilson est le leader, n’a évidemment pas empêché la firme américaine d’entamer une diversification. Depuis 1984, balles indoor, gazon et terre battue sont venues grossir la production. Wilson devient même la balle officielle de plusieurs tournois sur terre battue en Amérique latine et un nouveau pas de géant est franchi en 2020, lorsque la marque s’associe au tournoi de Roland-Garros. Mais Wilson a déjà marqué de son empreinte le tournoi grâce à la longue liste des vainqueurs équipés en W, tels Tony Trabert, Chris Evert, Jim Courier, Justine Henin, Gaston Gaudio, Serena Williams, Simona Halep ou Roger Federer, le dernier en date chez les messieurs. 

La balle Wilson en majesté sur la terre battue de la porte d’Auteuil, c’est un sacré événement dans le microcosme du tennis. Une démarche qui témoigne d’une volonté de s’installer plus encore en Europe. « Wilson est très heureux de cette alliance avec la FFT, explique Hans-Martin Reh, directeur général de Wilson Racquet Sports. Notre passion et notre détermination à proposer la meilleure expérience sur les courts en terre battue fait écho à la mission de la FFT. C’est la raison pour laquelle cette association semble si naturelle. Nous sommes une marque innovante et guidée par le design, toujours en quête de nouvelles idées pour développer notre sport. »

La balle Roland-Garros est le fruit d’un long travail pour coller au plus près aux caractéristiques de celle utilisée précédemment. « D’un point de vue purement technique, les balles sont pratiquement identiques à celles de 2019. Le poids, le rebond et la taille sont très proches », selon Jason Collins, directeur mondial des produits sports de raquette chez Wilson. « Mais la FFT nous a donné carte blanche sur le développement produit, sans aucun prérequis et en ayant confiance en notre savoir-faire, ajoute Bertrand Blanc, directeur commercial mondial des sports de raquette chez Wilson. Nous avons soumis plusieurs échantillons, puis les joueurs et les joueuses ont rendu leur verdict. » Ces tests ont été réalisés par plusieurs pros français et étrangers, sur des balles sans marquage, afin que les joueurs ne soient pas troublés dans leurs ressentis. « La balle Roland-Garros est une vraie balle de terre battue, elle est vive et prend bien les effets, précise Bertrand Blanc. Elle répond bien sûr aux critères très stricts imposés par la Fédération internationale pour l’homologation des balles de compétition en matière de rebond et de diamètre. » 

Techniquement, rappelons que la plus grande différence entre des balles pour terre battue et des balles à destination de courts en dur réside dans la feutrine et le noyau. « L’humidité est naturellement présente dans l’argile qui constitue la terre battue. Nous avons donc développé une technologie de résistance à l’humidité qui réduit la quantité d’eau absorbée par la feutrine pendant le jeu, poursuit Bertrand Blanc. Comme les échanges sont généralement plus longs sur terre battue, il est important de conserver les caractéristiques de la balle le plus longtemps possible. Cette technologie réduit également l’accumulation de poussière et de saleté, ce qui permet à la balle de maintenir l’éclat de la feutrine jaune dans le temps. Le noyau est aussi essentiel. Avec des échanges plus longs, nous avons dû nous assurer que le produit résiste aux contacts répétés en développant un mélange spécifique. »

« Chaque fois qu’il y a un changement, les joueurs sont extrêmement sensibles et malheureusement, parfois, la perception prend le pas sur le bon sens. » Jason Collins évoque ici le fait que les Internationaux de France 2020, pandémie oblige, se sont déroulés à l’automne dans une humidité et un froid qui n’avait rien à voir avec les traditionnelles conditions de jeu au printemps. Une situation météo qui a logiquement un peu alourdi les balles lors de la première semaine du tournoi. Au bout du compte, Rafael Nadal a remporté son treizième titre en surclassant Novak Djokovic en finale ; et chez les dames, Iga Swiatek, avec son tennis joliment offensif, est devenue la première Polonaise à remporter un tournoi du Grand Chelem, à 19 ans seulement. Une belle conclusion pour cette grande première de Wilson à Roland-Garros. 

Article publié dans COURTS n° 11, printemps 2021.