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Carlos Alcaraz 

Apprenti ténor sans barreaux

© Antoine Couvercelle

En février 2018, volant sur ses quatorze balais, Carlos Alcaraz glanait son premier point ATP. Trois ans et deux mois plus tard, avant même de fêter ses 18 printemps, il atteignait la 118e place mondiale. Son meilleur classement, à ce moment-là, sans aucun concurrent plus jeune pouvant se targuer d’être devant lui. Diamant brut, il rêve de briller au sommet du tennis. Mais il le sait, seul un travail sans relâche peut lui permettre d’être assez bien taillé pour espérer y parvenir. 

 

Dans un monde parallèle sans la vingième lere de l’alphabe, forçan les méninges de nore univers à une ceraine gymnasique pour saisir le sens de cee phrase, Carlos Alcaraz aurai un nom de prison. Mais dans notre réalité, le t existe bel et bien. Ça tombe bien, le jeune Espagnol n’a aucun point commun avec l’ancienne « maison » carcérale d’Al Capone. Sur le court, pas de geôliers. Il s’évertue à libérer ses coups. Et, même s’il ne les appellent pas Max, y’en a même qui disent qu’ils les ont vu voler. Ou presque. « Il frappe la balle de façon incroyable, raconte David Goffin, alors 14e mondial, en conférence de presse début février 2021. Je ne sais pas s’il a toujours le même niveau, mais il a réussi une performance énorme. Il m’a tout simplement assassiné. Il ne m’a pas laissé jouer, il a été hyper agressif et m’a envoyé des missiles au retour, en prenant tout en demi-volée. C’était impressionnant. Il a l’air déjà très solide. Il bouge bien et son bras va vraiment vite, donc il peut générer de grosses accélérations avec une grande facilité. » 

Au moment de ces mots, Carlos Alcaraz n’a encore que 17 ans. À Melbourne, au deuxième tour de l’ATP 250 du Great Ocean Road Open, il vient d’affronter, et de battre, le premier top 15 de sa carrière. 6/3 6/3 en 1 h 13. De quoi devenir le plus jeune joueur à s’offrir un adversaire aussi bien classé depuis Richard Gasquet face à Nicolás Massú à Buenos Aires en 2004. Une précocité que le gamin démontre dès ses premiers pas chez les professionnels. En avril 2019, à Villena, proche d’Alicante, il dispute et remporte son premier match en Challenger. À quinze printemps, contre un autre prodige à peine plus vieux : Jannik Sinner. Moins d’un an plus tard, en février 2020, il pousse la porte du circuit principal. Une nouvelle fois, pas besoin d’adaptation. Le succès est à la clé. Et pas n’importe comment. Contre le gaucher Albert Ramos-Viñolas sur la terre de Rio de Janeiro, il sort vainqueur d’une empoignade de 3 h 36. 6/7 6/4 7/6. Fin août, il découvre les joies d’une finale en Challenger. Et la gagne, évidemment. Un mois et demi plus tard, il affiche deux trophées de plus dans cette catégorie de tournois.

À 17 ans et 5 mois, il devient le deuxième plus jeune joueur à glaner trois titres à cet échelon. Derrière Richard Gasquet (16 ans et 10 mois), mais devant Félix Auger-Aliassime, Juan Martín del Potro et Novak Djokovic, qui complètent le top 5 de ce classement. Des résultats qu’il doit, aussi, à une sagesse habituellement caractéristique des plus anciens ; ceux dont l’expérience grandit en même temps que les rides se creusent. « Il a déjà une belle maturité, nous fait remarquer Jean-Christophe Verborg, directeur de la compétition internationale et chargé de superviser les détections chez Babolat, équipementier auquel Carlos Alcaraz fait confiance depuis ses dix ans. Il est très bien éduqué, poli. Pour nous, l’attitude est très importante. Quand on va voir un joueur, que ce soit en match ou à l’entraînement, on regarde beaucoup l’engagement. C’est un bosseur. Il ne s’énerve pas, il garde son sang-froid dans les instants décisifs. Il paraît extrêmement serein. »

© Antoine Couvercelle

« Il a toujours la banane sur le court »

« Il a toujours la banane sur le court, mentionne également Jean-Christophe Verborg. C’est ce qu’on a aimé chez lui dès le départ, en plus de son niveau. La première fois que j’ai eu l’occasion de discuter plus longuement avec lui, il avait quatorze, quinze ans. Son attitude avant, pendant et après le match était déjà bluffante. Il se donne à fond et, même s’il perd, il garde le sourire et prend le temps de vous parler, d’expliquer. Je ferai mieux la prochaine fois, m’a-t-il dit. Ça pourrait sembler très stéréotypé comme discours, mais il y avait beaucoup de sincérité. Ce gamin a du charisme. » Seul hic dans sa progression l’an passé : la déception du Roland-Garros automnal. Après deux semaines sans compétition, alors qu’il vient de bouffer de la terre à en avoir la bouche pâteuse et reste sur onze victoires en douze matchs sur cette surface – deux finales consécutives en Challenger, dont son premier titre, à Trieste, avec un festival d’amorties –, il chute dès l’entame des qualifications. Devant l’Australien Aleksandar Vukic, malgré une avance lui permettant de mener jusqu’à 6/4 5/2 et d’avoir deux balles de match sur son engagement à 6/4 5/3. Dans la foulée, pendant l’intersaison, il met la gomme pour se donner les moyens d’effacer cette désillusion. 

« J’ai fait tout ce qui était possible au cours de la trêve, explique-t-il pour le site d’actualité El Español début 2021. J’ai amélioré mes routines, j’ai travaillé mon mental. J’ai dû apprendre à endurer les mêmes choses, tout le temps, en restant régulier du début à la fin. Ça a été dur, beaucoup de jours sans repos, mais j’aime sentir que je progresse. J’ai aussi bossé physiquement, sur le cardio et la force. » Déjà affûté, il est désormais plus étoffé. Du haut de son mètre quatre-vingt-cinq semblant taillé dans le granit, il ressent alors le besoin d’avoir un poil plus de maîtrise sur la frappe. À cette période, sans doute pour pouvoir tenir solidement les rênes des chevaux supplémentaires qu’il a sous le capot, il décide de changer de raquette. « Il était avec la Babolat Pure Aero, il est passé à la Pure Aero VS, nous révèle Jean-Christophe Verborg. Il voulait un tout petit peu plus de contrôle, alors, comme on ne pouvait pas se déplacer à cause de la Covid-19, on la lui a envoyée pour qu’il l’essaie. »

« La VS a un tamis plus petit, 632 cm², contre 645 cm² pour la Pure Aero, légèrement plus carré, et un cadre un peu plus profilé, un peu plus fin ; tout en restant une raquette dynamique, ce qu’il aime beaucoup, précise-t-il. C’est quasiment la même que celle disponible dans le commerce. Yannick, celui qui prépare les raquettes de Carlos, ajoute un tout petit peu de poids – elle est à 305 g non cordée pour le public. Comme cordage, il utilise le RPM Blast. » Nouvel instrument en main, le virtuose entame sa saison 2021 tambour battant. Il passe les trois tours de qualification pour l’Open d’Australie et intègre son premier tableau principal en Grand Chelem. Là, il écrabouille Botic van de Zandschulp – 6/1 6/4 6/4 – avant de tomber en quatre rounds devant Mikael Ymer. Une belle partition réussie en s’appuyant sur la fausse note de la porte d’Auteuil. « À Paris [contre Vukic], je n’avais pas su gérer mes nerfs, confie-t-il alors pour le quotidien espagnol Marca. Cette expérience m’a beaucoup aidé pour sortir des qualifications de l’Open d’Australie. » 

« Je veux être agressif dans les moments clés »

Il en a conscience, l’aspect mental et la gestion des émotions sont essentiels pour atteindre les sommets du tennis. « C’est dans ce domaine que je considère avoir le plus de manque, déclare-t-il mi-avril pour le journal La Vanguardia. Je n’arrive pas à rester toujours totalement concentré. Nous travaillons là-dessus à l’entraînement. Je dois chercher à l’être au maximum sur chaque balle. Si je réussis à le faire longtemps à l’entraînement, alors ce sera moins difficile pour moi d’y parvenir en match. Pour ça, je travaille aussi depuis 2019 avec Isabel Balaguer, une psychologue du sport. Elle m’apprend énormément de choses qui m’aident en compétition. » L’un des buts étant de pouvoir atteindre le plus souvent possible l’état d’esprit qu’il recherche dans les moments cruciaux. Pour gagner les manches, pas question d’être petit bras. Plutôt que de compter sur une éventuelle erreur adverse, il tient à prendre les choses en main. 

« Beaucoup de joueurs se tendent sur les points importants, constate-t-il pour Tennis Majors fin décembre 2020. Ils ne veulent pas commettre une erreur, donc ils attendent que l’adversaire fasse la faute. Personnellement, je préfère prendre le risque. J’ai le sentiment que c’est la bonne façon de faire. Au moins, je suis maître de mon destin. Et l’adversaire pourrait être un peu impressionné de voir que j’y vais, que je le mets sous pression. Juan Carlos Ferrero [son coach] me le répète tous les jours : je dois être agressif dans les moments clés. » Et le mentor est plutôt satisfait des progrès de son protégé dans ce domaine. « Quand je l’ai rencontré pour la première fois, il avait quatorze ans, se souvient l’ancien no 1 mondial pour l’ATP en mars 2020. C’est sur le plan mental qu’il a le plus progressé depuis. »

Directeur de son académie – la JC Ferrero Equelite Sports Academy – basée à Villena, le vainqueur de Roland-Garros 2003, aux dépens de l’inénarrable Martin Verkerk, prend le jeune Alcaraz sous son aile à partir de septembre 2018. « La première fois que je l’ai vu jouer, c’était lors d’un tournoi à l’académie, nous en organisons beaucoup, poursuit-il. Il est de Murcie [il est né à El Palmar, juste à côté], à une heure de l’académie. C’était donc facile d’aller voir ses matchs dans le coin. Je me rappelle de lui participant à des Futures à quatorze ans, et gagner ses premiers points ATP. J’entendais parler de ce gamin qui jouait déjà à un niveau tellement élevé, donc j’ai pris ma voiture pour voir ça. Il a le même agent que Pablo [Carreño Busta], qui s’entraîne à l’académie. Ça a facilité les bonnes relations pour qu’il nous rejoigne. » Élevé sur l’ocre du sud de son pays, Carlos Alcaraz n’est pas le joueur ibérique caricatural qu’on pourrait imaginer, ce crocodile qui se terre trois mètres derrière sa ligne de fond en laissant ses cordes mordre la balle pour lifter jusqu’à l’éternité s’il le faut. 

© Antoine Couvercelle

« Je rêve d’être no 1 mondial et de gagner un titre du Grand Chelem »

« Quand il joue, il se passe quelque chose, je trouve, nous décrit Jean-Christophe Verborg. Il n’a pas un tennis stéréotypé. Il frappe fort, il monte à la volée, il fait des amorties, il réfléchit… Tout ça de façon assez naturelle. Il sait faire énormément de choses. Dans le scouting [la détection, métier que Jean-Christophe Verborg a exercé pendant sept ans pour Babolat], une chose est très importante : le son de la balle à l’impact, au moment de la frappe. Et la première fois que j’ai pu le voir jouer personnellement, il m’a marqué sur cet aspect. Ça m’avait fait un peu la même chose avec Rafa en 2001 [l’année où Jean-Christophe Verborg et Babolat font signer Nadal]. Vous sentez qu’il se passe un truc. Et il est aussi très fair-play. » Illustration à Estoril. Sorti des qualifications, Carlos Alcaraz affronte Marin Čilić sur la brique pilée de l’ATP 250 portugais. À deux jeux partout dans l’ultime round, sur une balle de break en sa faveur, le juge de ligne annonce une faute du Croate. Mais, avant même que celui-ci n’esquisse le début d’une contestation, le surnommé « Carlitos » vérifie : ça touche. Il rend le point, sous les applaudissements de son coach. 

Finalement, après un troisième set âpre de 53 minutes, il s’incline 6/3 1/6 6/4. Sans jamais renoncer à la volonté d’imposer sa loi. « Il aime être très agressif, tout le temps, analyse Ferrero, toujours pour l’ATP. Il aime rester proche de sa ligne. Ce n’est pas un joueur typique de terre battue. Il aime finir les points au filet. Je pense même qu’il peut devenir un peu meilleur sur dur que sur terre, vu la vitesse à laquelle il progresse. Et il adore le gazon. » À tel point que le principal intéressé, qui rêve « d’être no 1 mondial et de gagner un titre du Grand Chelem », « préfère Wimbledon à Roland-Garros ». Un point commun avec le Rafael Nadal époque adolescente. « Je préfère le dur intérieur et l’herbe, même si j’aime aussi la terre, déclarait celui-ci, à seize ans, lors d’une interview pour la télévision espagnole. Le tournoi que je préfèrerais gagner ? Wimbledon. » Un parallèle, cocasse, entre les deux compatriotes que nous arrêtons ici. « La comparaison avec Rafa, bien qu’inévitable, est trop démesurée et inutile, lâche Ferrero lors d’un entretien accordé à Eurosport.es. Nous savons tous qu’il est impossible d’égaler les accomplissements de Rafa. » Mais Toni Nadal, lui, estime qu’il faut d’ores et déjà accepter ce jeu médiatique. 

Peu importe l’acharnement mis à essayer de l’arracher, l’étiquette de « nouveau Nadal » continuera à coller aux basques du jeune Murcien. « La première fois que j’ai vu Carlos jouer, c’était à un tournoi de l’académie de mon neveu [la Rafa Nadal Academy, à Majorque], relate « Tio Toni » dans une chronique pour El País. Malgré sa défaite ce jour-là, je lui avais prédit un avenir particulièrement brillant. Son agent, Albert Molina, qui est un bon ami, m’a un peu réprimandé en disant que mes mots mettaient trop de pression sur le garçon. Parfois, l’entourage d’un joueur prometteur, par son envie de le protéger et de l’aider, essaie de créer une bulle qui me semble inutile. Tous ceux qui veulent réussir au plus haut niveau devront endurer une pression qui les accompagnera tout au long de leur carrière. Carlos n’y échappera pas. Il devra vivre avec et sera inévitablement comparé à Rafael. Je le vois avec une tête suffisamment bien faite pour supporter cette pression, ainsi que les compliments et les attentes engendrés par son tennis. Parmi les qualités nécessaires pour devenir un grand joueur, il en a déjà beaucoup. » 

« Je n’ai aucun doute sur sa capacité à faire partie des meilleurs joueurs du monde » Rafael Nadal

Au milieu de tout ce qu’il suscite, Carlos Alcaraz continue d’avancer. Tel un apiculteur dans une combinaison donnant des allures d’astronaute, il poursuit sa marche en avant malgré la nuée d’abeilles qui bourdonne autour de lui. « J’essaie de ne pas y prêter attention, explique-t-il pour La Vanguardia. Je suis conscient de tous ces commentaires, mais je ne leur accorde pas trop d’importance. Chaque joueur est unique et suit son propre chemin. Il n’y aura pas d’autre Rafael Nadal dans l’histoire. » Pour lui, « le Taureau de Manacor » reste avant tout « [son] idole en raison de sa personnalité, de son attitude et de sa passion pour le tennis ». Un modèle devenu cadeau. Peu après sa première demi-finale sur le circuit principal, en avril lors de l’ATP 250 de Marbella, il reçoit une invitation pour Madrid. Là, tombeur d’Adrian Mannarino 6/4 6/0 pour son entrée en lice, il ouvre son compteur en Masters 1000 et s’offre le droit de défier Nadal. Le 5 mai 2021, le jour de ses 18 ans.

Comme le dit Daniil Medvedev, « la première fois que vous affrontez un membre du Big 3, c’est très compliqué, il faut déjà réussir à s’habituer à leur qualité de balle qui est, chacune dans son style, particulière, unique ». En difficulté pour maîtriser le (sur)lift du maître de la terre, notamment sur les tentatives d’accélération en prise de balle précoce, l’élève prend un cours de 1 h 15. 6/1 6/2. Peu importe. Bien que sèchement battu, Carlos Alcaraz ne laisse pas le rêve devenir cauchemar. « C’était incroyable de vivre mon anniversaire en jouant contre Rafa, s’enthousiasme-t-il en conférence de presse. J’apprends vraiment de lui et je pense que ce match peut me faire grandir en tant que joueur. Cette rencontre va beaucoup m’apprendre. Je suis vraiment heureux de cette journée. Après la partie, Rafa m’a souhaité un bon anniversaire, en me disant aussi que je devais continuer à travailler dur. » Intraitable sur le court Manolo-Santa de la Caja Mágica, l’aîné iconique se montre bien plus généreux à la sortie.

« Carlos joue de façon très agressive, répond Nadal devant les journalistes. Il est très jeune et a déjà un haut niveau de tennis. Je crois vraiment qu’il va devenir un joueur fantastique dans un futur proche. Il est complet. Gros coup droit, gros revers, super déplacement, et il n’a pas peur d’aller très souvent vers l’avant. Évidemment, il a encore des progrès à faire, notamment au service, mais il a tout le temps devant lui. Bien sûr, ce ne sera pas facile. Être l’un des meilleurs du monde et rivaliser pour les titres les plus prestigieux est une tâche ardue, mais c’est un gros bosseur, suffisamment humble pour ne pas se relâcher. Je n’ai donc aucun doute sur sa capacité à y arriver. Et c’est un bon mec, passionné par le tennis. » S’il est ainsi loué, y compris sur sa personnalité, c’est aussi parce que Carlos Alcaraz a de temps en temps la chance de s’entraîner avec « l’Ogre de l’ocre ». Comme à Melbourne et Marbella en 2021, un peu moins de deux ans après une session en compagnie de Roger Federer sur le gazon de Wimbledon.

© Antoine Couvercelle

Carlos Alcaraz, ce geek du tennis

« C’est toujours un privilège de taper avec de tels champions, s’émerveille-t-il au sujet de ces expériences. J’ai aussi eu l’occasion de le faire avec Dominic Thiem, entre autresÇa permet de voir et de sentir au plus près leur qualité de balle, leur rythme, et de constater à quel point c’est dur mentalement face à eux, ajoute-t-il. Parce que la marge d’erreur est bien plus mince. Il y a beaucoup de petites choses à en tirer, et ce sont celles qui font la différence au bout du compte. Ce que Nadal, Federer et Djokovic ont fait est incroyable. Ce sont des extraterrestres, il n’existe personne d’autre comme eux. S’ils sont encore à ce niveau à leurs âges, ce n’est pas une question de chance ou de coïncidence. La clé, c’est le travail ; être humble et jouer chaque jour comme si c’était le dernier. » Si Novak Djokovic ne figure pas encore dans sa liste de ses prestigieux partenaires d’entraînement, il lui accorde une place de choix au moment de dresser le portrait-robot du joueur parfait. Une machine invincible qui aurait « le retour et le revers de Djokovic, la mentalité de Nadal, le coup droit de Federer et le service d’Isner. » 

Une sélection pouvant paraître évidente, certes, mais qui est celle d’un vrai connaisseur. Si le tennis est un virus, Carlos Alcaraz est malade à en éclater le thermomètre. « Je suis tout ce qu’il se passe dans notre sport, détaille-t-il pour Marca en janvier dernier. Futures, Challenger, circuit principal : je regarde tous les résultats. Je connais beaucoup de joueurs [des circuits secondaires] par leurs noms sans savoir comment ils jouent ou quelles têtes ils ont. J’aimerais tous les observer pour avoir une idée de leurs jeux au cas où je devrais les affronter. Oui, on peut dire que je suis complètement dingue de tennis. Je veux être au courant d’absolument tout : qui a gagné, qui a perdu, dans tous les matchs, tous les tournois. » Véritable geek de la balle jaune, il sait sans doute que précocité ne rime pas toujours avec sommets. Dans l’histoire écrite au passé proche, au XXIe siècle, seuls cinq autres ados ont signé, comme lui, leur première victoire sur le circuit principal avant leurs 17 ans : Richard Gasquet, Rafael Nadal, Ryan Harrison, Bernard Tomic et Cristian Garín. 

Tous, à des échelles différentes, sont d’excellents joueurs. Mais certains n’ont jamais eu la destinée qu’on leur dessinait. Seul Nadal a atteint les objectifs dont rêve Alaraz : no 1 mondial et titre en Grand Chelem. Ryan Harrison n’a jamais dépassé le 40e rang de la hiérarchie planétaire – ce qui est déjà exceptionnel – et la carrière de Bernard Tomic a sombré dans les remous d’une vie tumultueuse. La réussite précoce ne mène pas forcément vers un horizon radieux. Un fait dont l’Espagnol a certainement connaissance, et qu’il garde probablement dans un coin de son esprit. En piqûre de rappel. Au cas où. D’après Nietzsche, « les convictions sont des prisons », et Carlos Alcaraz semble du genre à éviter de gâcher son potentiel en l’enfermant dans une cellule de fausses certitudes. Et si jamais il lui arrivait de se relâcher en se reposant sur la croyance que ses acquis suffiraient à le mener où il veut, nul doute que son entourage, Juan Carlos Ferrero en tête, se chargerait de mettre les points sur les i et les barres aux t. 

 

Article publié dans COURTS n° 11, printemps 2021.