fbpx

Courts avec vue

© Archives Monte-Carlo Country Club

Qu’y a-t-il de plus beau qu’un ciel bleu azur surplombant les eaux turquoises d’une Méditerranée encadrée par des rochers ? La même vue, en y ajoutant l’ocre ardent de la brique pilée, embrassée par d’implacables lignes blanches. C’est dans ce cadre idyllique du Monte-Carlo Country Club que se déroule depuis 1928 l’un des tournois les plus prestigieux et glamour, qui ouvre la saison européenne sur terre battue et reste une étape privilégiée avant Roland-Garros, attirant chaque année une bonne partie du top 10 mondial. 

 

Pendant onze mois de l’année, le club centenaire Monte-Carlo Country Club – dites MCCC (sans oublier un C) si vous êtes pressés – permet à ses deux milliers de membres de jouer sur 23 courts (21 en terre battue, deux en dur) avec vue sur mer, dans un cadre huppé mêlant distinction et tradition. Le club-house est panoramique, l’endroit couru et la tenue blanche de rigueur. 

Mais la modernité se cache ailleurs. Le club mythique a une dynamique moderne et tournée vers l’avenir : ainsi d’importantes transformations et modernisations sont régulièrement offertes à ses affiliés, pendant que les travaux de rénovation et d’expansion sont menés tambour battant.

La terre battue est choyée et renouvelée avec méticulosité. Le club accueille d’ailleurs régulièrement des joueurs professionnels, pour certains résidents monégasques, comme Novak Djokovic (qui possède d’ailleurs son propre restaurant végétarien dans la Principauté), David Goffin ou Grigor Dimitrov. Avant eux, Nastase, Borg,
Becker, Ivanisevic ou Safin avaient été séduits par les charmes ensoleillés et la fiscalité accommodante de Monaco.

 

Des toits

Des vestiaires leur sont réservés à l’écart de ceux des autres membres du club. Ce qui n’a pas toujours été le cas : à une époque encore dans les mémoires, les casiers devaient se vider pour laisser place aux professionnels. Le panorama non plus n’a pas toujours été aussi somptueux. 

En 1893, le « Lawn Tennis de Monte-Carlo », sa première appellation, est construit sur le toit des caves à vin de l’Hôtel de Paris. Il comprend deux courts en terre battue et un terrain de croquet. C’est là, en 1897, que se déroule la première édition du tournoi monégasque, chez les hommes comme chez les femmes. Il n’en existe alors que neuf autres à travers le monde. 

C’est aussi la grande époque des frères Doherty. Nés à Wimbledon, ils dominent le tennis mondial et remportent à eux deux toutes les premières éditions de la compétition jusqu’en 1906, demeurant encore aujourd’hui parmi les plus titrés : quatre pour Hugh (le cadet) et six pour Reginald, en deuxième place derrière… Nadal et ses dix titres.

Cette même année 1906, sont inaugurés trois courts et un terrain de croquet à La Condamine, deuxième port d’attache pour le club monégasque. L’Hôtel de Paris, aujourd’hui cinq étoiles, souhaitait en effet s’agrandir, obligeant les amateurs de tennis à se rediriger vers ce quartier commerçant, qui accueille aujourd’hui l’arrivée et le départ du Grand Prix de Monaco. Le Néo-Zélandais Anthony Wilding survole alors les débats avec cinq titres au total (troisième joueur le plus titré du tournoi).

Après une pause forcée de quatre années durant la Première Guerre mondiale, Suzanne Lenglen y fait une entrée fracassante en remportant sa première finale 6-0, 6-0 contre la britannique Doris Wolfson. Entre 1919 et 1926, elle comptera onze finales pour onze victoires à Monte-Carlo. Elle jouera même en double avec le roi de Suède Gustave V, sous le pseudonyme de Mister G., grand amateur de tennis et fondateur du premier club de son pays. Elle sera aussi indirectement déterminante dans l’histoire du futur MCCC. 

 

Et encore des toits

Mais avant cela, le quartier commerçant de La Condamine aussi a besoin d’espace et dès la fin de la guerre, pousse le club vers un autre toit. Celui du garage « Auto-Riviera », adjacent des jardins de l’Hôtel-pension de La Festa où l’on trouve déjà deux courts de tennis, sis rue des Roses, Beausoleil. Derrière ces odeurs de vacances, cette jeune commune des Alpes-Maritimes, limitrophe à Monaco, avait été créée en 1904 suite à la pression immobilière qui s’exerçait sur Monte-Carlo, notamment grâce au tourisme et au jeu.

Trois courts, quelques tribunes, des murs d’entraînement et un club-house y sont inaugurés le 21 janvier 1921, cette fois sous le nom de « La Festa Country Club ». C’est le début des années folles, la croissance économique est à son comble. Des personnalités de nombreux pays viennent passer leurs vacances sur le Rocher et une Française domine un tennis mondial qu’elle finira par révolutionner : une certaine Suzanne Lenglen, dans sa légendaire tenue signée Jean Patou. Mais quand un riche mécène américain observe la « Divine » sur la terre battue monégasque, il estime que ce club n’est pas digne de la première vedette féminine de ce sport encore amateur. « Il lui faudrait un écrin à la hauteur de son statut de star et non pas le simple toit d’un garage », aurait déclaré George Pierce Butler. Nous sommes en 1925. La 25e édition du tournoi qui se déroule cette année-là restera inachevée et ne connaîtra jamais de vainqueur, alors que Butler entreprend de convaincre la Principauté. 

© Archives Monte-Carlo Country Club

Des terrasses

Mission réussie : sur quelques hectares de terrains de la commune française de Roquebrune-Cap-
Martin, s’occuperont bientôt jour et nuit plus de 1 500 ouvriers pour ériger des bâtiments Art déco dessinés par le célèbre architecte Charles Letrosne. Et sur un terrain abrupt peu accueillant, les fameuses terrasses surplombant la Méditerranée. Deux ou trois courts habillent chacune d’elles, séparées par des cyprès ou des pergolas fleuries.Vingt au total, dont douze pour la compétition. L’inauguration a lieu en février 1928, le Français Henri Cochet est le premier à y remporter la victoire, avant de prendre dix mois plus tard le nom actuel de « Monte-Carlo Country Club ». 

La Deuxième Guerre mondiale donne un coup d’arrêt de six ans à la compétition et en 1947, le Suédois Lennart Bergen s’impose chez les hommes quand l’épouse de George Butler et sa fille Gloria sont de retour à Monte-Carlo. Elles s’échinent alors à inviter les meilleurs joueurs du monde entier et à donner une aura de fête au tournoi. Avec notamment, dès 1951, cette idée impensable aujourd’hui : le « Gloria Butler Show », une folklorique « soirée des joueurs ». Pendant 21 ans, Gloria Butler imaginera des sketchs interprétés par des joueurs déguisés, dans des décors de cabarets. Après une longue pause de 1975 aux années ‘90, le mercredi de la semaine de compétition verrait encore aujourd’hui les champions se prêter au jeu, si l’on en croit le directeur du tournoi. « à mon époque, on se limitait à chanter ou à danser le french cancan. Désormais, tous les tics des uns et des autres sont repérés. Novak excelle dans les parodies, aussi bien celle de Borg que de McEnroe. Et quand les joueurs imitent Nadal en train de tirer sur son short, c’est à tomber par terre ! » expliquait Zeljko Franulovic au journal Le Monde en 20151.

 

L’ère Open

Grâce aux investissements et à la créativité de la fille Butler, le tournoi préserve son prestige. Le cadre demeure idyllique, de nombreux étrangers, notamment américains, font le voyage pour assister aux matchs. Mais c’est le début de l’ère Open qui donnera le dernier élan nécessaire. 1968 marque la fin des « tournois amateurs », avril 1969 sera le premier Open monégasque avec un « Men’s Single First Prize » à 12 000 francs français (soit moins de 2000 euros). Un certain Zeljko Franulovic remporte l’édition suivante… il en est le directeur depuis 2005. Nastase soulèvera la coupe l’année d’après, avant Vilas (qui affrontera Connors dans une finale jamais terminée pour cause de pluie en 1981), Borg, Wilander… La route des années ‘80 est glorieuse, bien accompagnée par les retransmissions télévisées. L’engouement est certain, mais la place est aussi réduite sur les terrasses : le tournoi féminin passe à la trappe en 1979. 

Les années ‘90 le confirment : avant Roland-Garros, Monte-Carlo reste la meilleure préparation, dans une ambiance jet-set autour d’une famille princière très médiatique. Il faut aussi y être vu, quand on est simple spectateur, quitte à écorcher la vue. Le succès engloutit les tribunes face à la mer dans un attelage installé le temps du tournoi sur l’entièreté des terrains autour du central. Les meilleurs spécialistes s’y imposeront (on pense évidemment à Sergi Bruguera ou encore Thomas Muster), tandis que d’autres grands noms – comme Boris Becker et même la légende Federer – ne parviendront jamais à s’y imposer.

En 2007, un an après l’arrivée de Rolex dans le nom et sur les bâches, coup de chaud sur le Rocher. L’ATP pense à déclasser Monte-Carlo et lui ôter le statut de Master Series, à la recherche d’une place de choix pour Shangaï et le marché asiatique. Les joueurs poussent de la voix, Nadal et Federer (à qui le trophée a toujours échappé mais à qui aussi le casier numéro 1 est réservé) en tête. Le tournoi est maintenu et même élu par les joueurs « meilleur ATP Masters Series de l’année 2007 ». Mais contrairement aux autres tournois de la même catégorie, les trente meilleurs joueurs mondiaux ne sont pas obligés d’y participer. Le climat, la vue, le prestige et l’expertise du club sont de bons incitants. Comme le prize money de la compétition. En 2017, devant les désormais 10.000 spectateurs du court central, rebaptisé deux ans auparavant Court Rainier II, Nadal a remporté la 111e édition du tournoi de Monte-Carlo et 820 035 euros. Il y a soulevé sa 10e coupe monégasque, toujours remise par un membre de la famille princière.            

 

Article publié dans Courts n° 1, printemps 2018.

1 Lemonde.fr, « Jet-set et match à Monte-Carlo », avril 2015