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Indian Wells

Le cool du spectacle

© Stephan Würth / Tennis Fan / Damiani 2019

Ses infrastructures et son plateau lui assurent la carrure non-officielle d’un Grand Chelem. Le BNP Paribas Open lance chaque année, début mars, la première tournée américaine de la saison. Durant 12 jours, la crème de la crème du tennis masculin et féminin pose son sac aux portes du désert californien. Une oasis où se mêlent, sans se heurter, haut niveau et coolitude, où se croisent, sans se bousculer, journalistes du monde entier, passionnés de tennis et retraités mi-cuits, mi-dorés. Ruée vers le tournoi le plus détendu du calendrier. 

« Tout, ici, est first-class : le site, les infrastructures, en passant par la météo et les fans. Il y a une réelle ambiance détendue, les tribunes sont proches du terrain. Les fans peuvent suivre les matches au plus près. En tant que joueur, c’était un plaisir de participer à ce tournoi et je me réjouissais chaque année de venir ici. J’ai vraiment gardé d’excellents souvenirs. » C’est par ces mots que Tommy Haas, l’actuel directeur du BNP Paribas Open d’Indian Wells – plus communément appelé Indian Wells – nous répond à quelques semaines du lancement du tournoi.

L’ancien no 2 mondial prend son rôle à cœur. Et pas seulement en chemise bariolée à manches courtes. En 2017, suite au forfait de Nick Kyrgios quelques heures avant son quart de finale face à Roger Federer, il enfile sa tenue, monte sur le court et joue un set d’exhibition contre Vasek Pospisil, vainqueur d’Andy Murray plus tôt dans le tournoi. Pour amuser le public et atténuer la déception de louper l’affiche de la soirée. Être directeur de tournoi impose le don de soi.

 

Super Mario

« Alors que ma fin de carrière était proche, j’ai commencé à réfléchir au nouveau chapitre à écrire dans mon aventure tennistique. Il m’était impensable de tourner complètement la page et de me distancier de ce sport. Je ne pouvais pas rater cette occasion unique de rester impliqué à un tel niveau et d’apprendre une nouvelle facette du monde du tennis. J’adore par-dessus tout mon rôle de directeur de tournoi », nous dit-il lorsqu’on évoque cette soudaine reconversion. 

« En jouant pendant presque vingt ans sur le circuit, j’ai pu côtoyer les tournois du monde entier et je sais parfaitement ce qui fonctionne ou pas quand on est joueur. Le fait d’avoir pu vivre cette expérience de l’intérieur m’aide à améliorer le BNP Paribas Open année après année. À la fois pour les joueurs, mais également pour les fans et les sponsors. »

En succédant en 2017 à Raymond Moore, licencié avec effet immédiat un an plus tôt pour des propos sexistes 1, Thomas Mario Haas (son nom complet) a hérité de l’un des plus beaux joyaux du circuit mondial. À Indian Wells, le gratin du tennis débarque dans l’opulence, même si, dans l’absolu, il met rarement les pieds dans l’indigence. 

Mais l’Indian Wells Tennis Garden, le nom du club dont le tournoi est résident depuis 2000, offre ce petit plus de confort à la hauteur du niveau de vie de cette localité de la vallée de Coachella, dont la moitié de la population dépasse les 65 ans et qui concentre la plus grande proportion de millionnaires du pays. 

© Stephan Würth / Tennis Fan / Damiani 2019

Sinatra et Liberace

L’arrivée massive de plus de 400 000 spectateurs, venus du monde entier, perturbe à peine la quiétude de cette bourgade de 5 000 âmes, réputée pour son ensoleillement permanent, ses parcours de golf et l’ambiance « wax museum » de ses salons à cocktails sur-climatisés, où se retrouvent les sosies plastiques de Dolly Parton, Sinatra ou Liberace. « L’Indian Wells Tennis Garden est l’une des meilleures infrastructures sportives au monde, et pas seulement en tennis (plusieurs matches de NBA s’y sont déroulés, ndlr). Nous sommes chanceux de voir notre propriétaire, Larry Ellison, investir dans les installations et le tournoi pour assurer aux fans et aux joueurs une expérience de classe mondiale une fois entrés dans l’enceinte », se félicite Haas. 

En 2009, Ellison, cofondateur et ancien PDG d’Oracle, repoussait la menace d’un déménagement du tournoi à Doha ou Shanghai en signant un chèque de 100 millions de dollars. Férue de tennis ‒ qu’elle pratique cinq fois par semaine ‒, l’icône philanthrope de la tech US, troisième fortune du pays, dépense sans compter et a porté, en 2014, la superficie de son jardin à 31 hectares (contre 21 auparavant). Onze de plus qu’à Melbourne et plus du double de l’US Open et de Roland-Garros nouvelle version. 

Un souci de la démesure et du détail à l’image des installations, qui comptent vingt terrains d’entraînement et neuf de compétition. Le Stadium 1, le central, avec ses 16 100 spectateurs, est le deuxième plus vaste de la planète derrière l’Arthur-Ashe de Flushing Meadows. Le Stadium 2, sorti de terre en 2014, dispose de 6 000 places et se trouve ceinturé par de nombreux restaurants (le site en compte 21 au total) et concessions. Parmi eux, le mondialement connu Nobu, dont le Wagyu steak à 140 dollars les 100 grammes se savoure à une table dominant le terrain. « D’autres peuvent s’essayer au hot-dog, avec l’assurance de goûter les meilleurs hot-dogs préparés par Josiah Citrin, deux étoiles au Michelin2. » Rien de moins. À Indian Wells, on se sustente pendant que d’autres se dépensent. 

 

Ruée vers l’or

Cependant, il serait caricatural de réduire l’assistance à ses seules expériences culinaires haut de gamme. Les spectateurs du BNP Paribas Open, comme on le dénomme depuis 2009, possèdent une réelle culture du tennis et suivent avec attention et ferveur les exploits des champions. Si, au milieu du XIXe siècle, les chercheurs d’or y faisaient étape avant de reprendre leur ruée vers les mines du Colorado, désormais les visiteurs d’Indio viennent admirer d’autres pépites, masculines et féminines.

Le tournoi, qui se dispute sur douze jours, est l’un des rares du circuit à réunir joueurs et joueuses au même moment. En dehors des quatre Majeurs, il est le seul avec Miami à proposer un tableau principal de 96 joueurs.euses dont 32 têtes de série exemptées de premier tour. Comme en Grand Chelem, le candidat à la victoire finale doit passer sept tours au total pour espérer décrocher un chèque de 1,34 million de dollars. Chez les hommes, le format en deux sets gagnants accélère la succession des rencontres, à l’inverse des trois sets en Grand Chelem. De quoi suivre attentivement le défilé des stars de la raquette.

© Stephan Würth / Tennis Fan / Damiani 2019

Last Action Hero

Le tout dans une ambiance de club de vacances, où les spectateurs du jour troquent lunettes, casquette et crème solaire contre une petite laine pour assister aux rencontres du soir. Cette atmosphère se ressent jusque dans la salle de presse où le décalage horaire permet aux journalistes d’aménager un temps de travail flexible. D’ailleurs, contrairement aux tournois du Grand Chelem, accrédités et joueurs.euses partagent le même espace. À Indian Wells, le détenteur du précieux laisser-passer peut patienter à la cantine à côté d’un Rafael Nadal en plein étirement pour combler l’attente d’un plat de pâtes. 

Cette promiscuité vous immerge dans un remake de Last Action Hero, dans lequel un jeune garçon plonge dans les aventures de son héros grâce à un ticket magique. Dans la vallée de Coachella, la fiction côtoie la réalité. En définitive, rien d’anormal : Hollywood n’est – en théorie – qu’à deux heures de route et la toute proche Palm Springs est le lieu de villégiature préféré des stars du showbiz. Il est commun, dès lors, de croiser dans les travées de nombreuses vedettes du septième art, Steve Carell, Will Ferrell ou Ben Stiller, régulièrement poings serrés et lunettes vissées sur le nez. D’autres, comme John McEnroe ou Bill Gates, prennent place aux côtés de Larry Ellison, le maître des lieux, heureux d’avoir pu voir, en 2015, Serena Williams tourner la page de douze années de boycott 3. 

Un autre défi attend Larry Ellison : organiser la finale de la Coupe Davis. Investisseur et fervent défenseur de la nouvelle formule controversée de la compétition, le milliardaire a posé sa candidature pour accueillir la phase finale en 2021. Une façon, s’il le fallait encore, de positionner davantage Indian Wells sur l’échiquier mondial. Et qui sait, d’amadouer par la promesse du soleil et des palmiers, les plus réfractaires à cette nouvelle compétition.  

 

Article publié dans COURTS n° 4, printemps 2019.

1 Ray Moore avait suscité l’indignation en stigmatisant le tennis féminin : « si j’étais une joueuse, je me mettrais à genoux pour remercier Dieu que Roger Federer et Rafael Nadal aient vu le jour, car ils ont porté notre sport », avait-il déclaré.

2 « At Indian Wells, Tennis Comes With a Generous Serving of Opulence », Ben Rothenberg, New York Times, 18 mars 2017.

3 Les sœurs Williams ont boycotté le tournoi de 2002 à 2014, après que le public, persuadé que leur père Richard avait décidé à l’avance du sort de la demi-finale opposant les deux joueuses, eut conspué Serena Williams pendant toute la finale et encouragé son adversaire Kim Clijsters. Les Williams avaient qualifié cette attitude de « raciste ».