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Mathieu Forget

La vie en l’air

On connaît le père, un peu moins le fils. Lui aussi a joué au tennis, mais il a finalement choisi la voie des artistes. Danseur, acteur, acrobate et chorégraphe, Mathieu Forget prend plaisir à créer en entremêlant les disciplines. Son dernier projet : sauter en l’air et se faire photographier dans des positions aussi périlleuses qu’esthétiques. Rencontre avec un homme qui vole et dépasse les frontières. 

© Mathieu Forget x Asteryx

Courts : Comment le terrien joueur de tennis découvre-t-il un playground aussi aérien que le tien ?

Mathieu Forget : Depuis que je suis tout petit, j’aime faire le show. J’avais une obsession, les 2Be3, qui étaient chanteurs, danseurs et acrobates. J’ai fait du sport, de la gymnastique, de l’art, du dessin, de la musique. Vers mes 15-16 ans, je suis tombé amoureux de la danse hip-hop. Dans mes premières boums, les danseurs hip-hop étaient les mecs branchés de l’école et je voulais être un peu comme eux. J’ai attrapé le virus de la danse et je me suis mis à fond dans la danse de rue et le hip- hop. En regardant toutes ces vidéos, je suis devenu fan de Michael Jackson et de Usher. J’avais envie d’être dans leurs clips. Alors, quand j’ai fini l’école, j’ai dit à mes parents que je souhaitais partir aux États-Unis pour y faire mes études, que j’avais envie d’être danseur et de vivre mes rêves. Ils m’ont dit que si je jouais bien au tennis, ils me laisseraient partir aux États-Unis. C’était une manière de me challenger pour que je travaille dur pour obtenir quelque chose. Et j’ai réussi. En une année, j’ai énormément progressé, j’ai gagné les championnats de France de troisième série et j’ai eu une bourse pour partir aux USA, à l’université de Californie à Santa Barbara pendant quatre ans. Là-bas, j’ai commencé no 7 dans l’équipe, puis j’ai fini no 1. J’ai aussi été Top 50 universitaire. À côté, j’en ai profité pour prendre énormément de cours de danse, de chant, de piano. J’ai utilisé le système américain qui te permet d’apprendre beaucoup de choses et j’ai terminé avec un bachelor en théâtre et en danse, avec une spécialité dans le design de costume. Ensuite, je suis parti à Los Angeles pour vivre le rêve américain. Danse, travail à la caméra, auditions… une superbe expérience. Après, je suis rentré en France, puis parti à New York. 

 

C : Comme ton parcours l’indique, tu es un artiste multidisciplinaire. Quels sont les mots qui te définissent le mieux ?

M.F. : Je dirais que je suis un créatif, un artiste. Aujourd’hui, je dis que je suis « creator, producer, performer », mais au fond je suis avant tout un artiste, passionné et curieux de tous les arts, même du sport et d’autres milieux dans lesquels on peut trouver quelque chose d’artistique. C’est très dur pour tout artiste de se définir, car les artistes sont souvent curieux et ont envie de toucher à tout. 

© Mathieu Forget x Jon Reyes x Erick Hercules

C : Parmi tous les projets que tu as entrepris, j’aimerais évoquer avec toi les photos dans lesquelles tu te mets en scène en sautant en l’air dans plusieurs positions – artistiques, esthétiques, horizontales. La notion de mouvement y est primordiale. Quel est le sens de cette approche ? 

M.F. : J’ai toujours aimé la photo, la vidéo et les arts visuels en général. Quand les réseaux sociaux ont commencé, j’ai décidé d’utiliser Instagram, largement basé sur la photo, pour me faire découvrir. Mon talent, c’est la danse, j’ai essayé pas mal de choses mais rien n’a vraiment pris. Quand je suis arrivé à New York, je ne connaissais pas grand monde, alors j’ai utilisé cette application pour me connecter avec différents créatifs. Je suivais déjà beaucoup les photographes de rues, New York étant un playground incroyable pour la photographie. Je me suis dit que ce serait cool de faire des photos avec ces gens-là. J’ai commencé à les contacter en expliquant que j’étais danseur et que j’adorerais faire une petite collaboration. J’avais un peu peur à l’époque parce que je n’avais que 2 000 followers sur Instagram et ceux que je visais en avaient au moins 10 000. J’en ai contacté cinq et il y en a quatre qui m’ont répondu tout de suite : « OK ! Cool ! T’es dispo demain ? » Je me suis mis à me connecter avec de plus en plus de monde et à créer des photos très intéressantes. Comme j’avais la chance de beaucoup voyager grâce à mon travail de l’époque, je contactais des photographes dans toutes les villes où j’allais pour entreprendre d’autres collaborations. Au fur et à mesure, l’idée est venue de sauter dans les airs. Un photographe m’a capturé à ce moment-là. J’ai posté la photo et d’un coup, mes interactions ont doublé ou triplé. J’ai compris qu’il y avait quelque chose d’intéressant à faire. Là où ça a vraiment pris, c’est lorsque j’ai rencontré un photographe à Chicago qui s’appelle Zach Lipson. La photo est un peu spéciale parce que je saute et je fais un peu comme Superman avec mon poing. Il a mis tout le focus sur le poing et tout mon corps était un peu flou, en arrière-plan. Cette photo est devenue virale, elle a été repostée je ne sais pas combien de fois dans le monde entier. Du coup, beaucoup de personnes m’ont contacté pour faire des photos de ce genre avec moi. Ensuite, Zach m’a mis en relation avec un autre photographe basé à New York, Erick Hercules, qui fait de la photo de mode et des portraits, mais tout en lévitation. On s’est très bien entendu et c’est comme ça qu’est venue cette idée de créer ma marque à partir de la photographie en l’air, chercher à mettre mon corps dans certaines positions dans des lieux un peu improbables pour créer ces pièces d’arts visuels. 

 

C : Aujourd’hui, tu es reconnu comme « l’homme qui vole » et tu fais partie d’un groupe nommé Welevitate. Qu’est-ce qui regroupe les membres de cette communauté ?

M.F. : C’est Erick qui a fondé cette communauté. Elle rassemble toutes les photos des personnes qui volent dans le monde entier, mais qui ne sont pas retouchées numériquement. C’est très important, car aujourd’hui, beaucoup d’applications comme Photoshop, InDesign ou Lightroom te permettent de transformer un cochon en une personne. Welevitate, c’est uniquement du réel. Ce sont des gens qui sautent, souvent des danseurs ou des artistes, mais pas forcément. Je me suis joint à lui pour devenir un des représentants de ce mouvement que je trouve incroyable. Il y a presque 30 000 personnes qui nous suivent. C’est cool car je me suis rendu compte que d’autres gens que moi s’intéressaient à ce style de photographies. Aujourd’hui, dans l’équipe Welevitate, on est sept ou huit et on essaie de changer un peu le monde de la photographie. Et je trouve qu’on voit de plus de plus de marques, dans leurs campagnes de publicité, qui utilisent ce côté aérien et magique dans leurs photos. 

© Mathieu Forget x Asteryx

C : Nous allons commencer à parler tennis, mais sans forcément quitter le domaine artistique, puisque certaines de tes œuvres font référence au monde de la petite balle jaune. Comment est apparue l’idée de mêler le tennis et ton expression artistique ? 

M.F. : D’abord, c’est grâce au tennis que j’ai pu partir aux États-Unis pour étudier la danse, le théâtre et le design. Si je n’avais pas eu le tennis, je ne serais pas là où je suis aujourd’hui. Ensuite, même lorsque j’étais joueur de tennis, la danse m’a beaucoup apporté, une certaine souplesse ou encore le contrôle du corps. Pour résumer, le tennis correspondait à mon côté droit et la danse à mon côté gauche. Et pour ce qui est de mes jambes, c’est grâce au tennis que je peux sauter comme je le fais aujourd’hui. Les deux disciplines ont donc été très complémentaires. Les deux m’ont aussi appris des choses différentes : la danse se pratique surtout en équipe, le tennis est plus singulier. 

 

C : Quels sont tes premiers souvenirs de tennis ? 

M.F. : J’ai du mal à me rappeler de mes premiers souvenirs, mais j’ai des photos et j’étais tout petit, je devais avoir 4 ou 5 ans. J’ai commencé très tôt, puis j’ai arrêté à l’âge de 10 ans, je ne peux pas dire pourquoi. J’ai voyagé avec mes parents jusqu’à l’âge de 6 ans et lorsque les gens me demandaient où je vivais, je répondais que je vivais dans l’avion. Je baignais dans le tennis, j’étais dans les garderies des tournois. Mon père m’a raconté qu’une fois, alors qu’il jouait un match hyper important, j’ai réussi à m’échapper de la garderie et à entrer sur le court. Évidemment, il est totalement sorti de son match et il a perdu. J’ai repris le tennis vers 12 ou 13 ans. Je m’entraînais trois ou quatre fois par semaine et je disputais des tournois l’été à Biarritz. Je suis monté 15/1 à mes 17-18 ans. Mais quand j’ai eu l’opportunité de partir aux États-Unis, j’ai commencé à m’entraîner trois ou quatre heures par jour. C’est cette année-là que j’ai gagné l’Espérance à Roland-Garros. Ensuite, je suis parti aux États-Unis. À mon meilleur niveau, j’ai été classé -4/6, mais j’ai gagné jusqu’à -30 et j’ai même battu des joueurs qui étaient « promo ». J’avais un très bon niveau et j’ai même hésité à tenter l’aventure professionnelle. Mais pour cela, je devais lâcher un visa d’étudiant supplémentaire d’un an aux USA. C’était un choix difficile parce que je continuais à progresser et je me demandais si j’avais une chance d’aller sur le circuit. À cette époque, j’étais sparring-partner de Gaël Monfils et Jo-Wilfried Tsonga, donc je jouais avec les meilleurs du monde. Finalement, je me suis écouté et mon cœur était vraiment passionné par l’art et la danse, donc j’ai préféré partir dans cette direction. 

© Mathieu Forget x Erick Hercules

C : Le tennis comme l’art se pratiquent sur un terrain de jeu. Existe-t-il des similitudes entre ces deux mondes ? 

M.F. : Bien sûr ! Premièrement, je pense que tout artiste a besoin d’une certaine rigueur de travail. Ce que j’essaie de conserver du tennis, c’est cette rigueur. Quand je jouais, il fallait s’entraîner tous les jours, s’étirer, avoir une bonne alimentation et bien dormir. Aujourd’hui, des artistes se disent qu’ils peuvent se coucher à cinq heures du matin, ne pas travailler et se laisser aller, juste parce qu’ils sont artistes. J’étais moi-même un peu comme ça mais aujourd’hui je réalise qu’être artiste, c’est un job comme un autre, cette rigueur est nécessaire. Ensuite, les deux univers demandent beaucoup de créativité. Dans le tennis de haut niveau, les coups ne suffisent plus, tout le monde sait les faire. Alors il faut réfléchir à la bonne tactique, savoir comment s’adapter face à l’adversaire, trouver la stratégie pour gagner les matchs. C’était la même chose pour moi quand je passais des auditions. Quand tu passes une audition pour danser pour Jennifer Lopez ou Justin Bieber, il faut s’adapter. Connaître les chorégraphes, leur style de danse, savoir comment s’habiller. Même chose dans la photographie ou sur les réseaux sociaux. Il faut réfléchir à une stratégie en fonction de la marque avec laquelle tu veux bosser. 

 

C : Un autre point commun, peut-être : l’échange ou le partage. Peut-on considérer que les joueurs de tennis, comme les artistes, sont des passeurs d’émotions ? 

M.F. : Tout à fait. Surtout sur scène. Personnellement, c’est lorsque je suis avec du public, en train de danser ou de faire un show, que je me sens le mieux sur Terre. On reçoit une énergie incroyable de la part du public. Aujourd’hui, même via les réseaux sociaux, il existe aussi une audience qui échange avec toi. Dès que tu postes quelque chose, tu peux tout de suite savoir si ton projet plaît. 

 

C : L’esthétique et le chorégraphique semblent aussi réunir le tennis et la danse. Y a-t-il des joueurs ou des joueuses qui t’évoquent cet aspect ? 

M.F. : Bien sûr. J’ai une théorie, qui vient de mon grand-père, sur la définition d’un artiste. Un artiste, c’est une personne qui parvient à élever sa profession ou son art au stade le plus haut possible. Pour moi, Roger Federer, Rafael Nadal, Novak Djokovic, Andy Murray et tous les meilleurs du monde sont des artistes du tennis. Gaël Monfils aussi. Ils ont tous une manière de jouer qui est unique et ils le font avec élégance et facilité, ce qui demande non seulement du travail mais aussi du talent et une créativité d’artiste incroyable. Du point de vue du show, je suis un grand fan de Gaël, qui est d’ailleurs un bon ami. Comme moi, il adore sauter, faire des mouvements extraordinaires et des passing shots dans tous les sens. Bien sûr, on ne peut pas nier le talent et la légèreté de Roger Federer quand il joue. Cela m’inspire énormément dans mon travail. Le plus dur est de réussir à faire des sauts périlleux tout en donnant cette idée de facilité. Réussir à capturer ce moment quand je suis à l’horizontale ou à la verticale et donner l’impression que c’est hyper facile, comme si je buvais un café le matin. 

© Mathieu Forget x Asteryx

C : Sur ton site internet, tu cites plusieurs sources d’inspiration, notamment des artistes mais aussi deux joueurs de tennis, Rafael Nadal et Guy Forget. En quoi, selon toi, sont-ils des exemples à suivre ? 

M.F. : D’abord, mon père. Il a été un super joueur de tennis, mais il a été aussi un papa tellement gentil et tellement humble. Il voyageait beaucoup mais quand il était là, il passait beaucoup de temps avec nous. Il m’a aidé à faire ce que je voulais faire, il m’a permis de partir aux États-Unis, il m’a aidé financièrement. Non seulement c’est un très grand champion – et cela demande beaucoup de travail – mais il a gardé cette simplicité que j’espère aussi conserver si un jour je réussis dans mon milieu. Ensuite, Rafael Nadal. Lui aussi a une humilité incroyable. C’est un mec super gentil. J’ai eu la chance de le rencontrer une ou deux fois. Il est toujours très sympa, toujours très cool avec tout le monde. Sur le terrain, beaucoup de gens disent qu’il est méchant et qu’il a la hargne, mais moi je trouve incroyable sa capacité à se transformer en une machine, à ne jamais se déconcentrer et à être à 100 %. Il a travaillé d’arrache-pied pour réaliser ses rêves tout en gardant cette modestie. Le combo des deux, c’est le but ultime. 

 

C : On fait un petit pas de côté pour parler ping-pong. Tu as travaillé plusieurs années pour SPIN, une entreprise qui développe la pratique du tennis de table aux États-Unis de façon fun et innovante. Quel était l’objectif de ce concept et qu’est-ce que cela t’a apporté de fréquenter cet univers ? 

M.F. : L’histoire est drôle car le nouveau propriétaire de SPIN m’a rencontré autour d’une table de ping-pong à Biarritz. Je jouais au tennis de table avec mon père et mes amis, je faisais des saltos, bref je faisais un peu le singe. Il a adoré mon énergie et m’a expliqué le but du concept : créer des espaces conviviaux où les gens peuvent jouer au ping-pong et boire une bière en même temps. L’idée était aussi de changer l’image du ping-pong qui est un sport vu comme principalement asiatique, geek et pas très branché. J’y ai travaillé six ans en tant que directeur artistique. J’avais pour mission d’essayer de modifier l’image de ce sport, en rendant le tennis de table plus cool et en le mélangeant avec d’autres disciplines. J’ai organisé des événements et des soirées où j’ai mixé le ping-pong avec du breakdance et avec du tennis. Des mannequins sont venues jouer en talon. On a également travaillé avec des associations caritatives. On a eu des tonnes de célébrités, comme Florida Georgia Line, Justin Bieber ou encore Usher. Comme je connaissais le monde du hip-hop et le street art, je me suis aussi occupé de la décoration d’intérieur. C’était un terrain de jeu incroyable. 

© Mathieu Forget x Asteryx

C : Depuis ton enfance, tes passions te permettent de voyager beaucoup et de faire de nombreuses rencontres. Est-ce une richesse supplémentaire ?

M.F. : Humainement, voyager est quelque chose d’incroyable. On apprend tellement sur les différentes cultures, sur les gens, sur les manières de vivre, sur les idées. Ça ouvre énormément l’esprit et, artistiquement, ça donne de l’inspiration. Grâce à SPIN, au tennis et à l’université, j’ai eu la chance de beaucoup voyager aux États-Unis, en Europe ainsi qu’en Afrique du Sud et au Mexique. C’est quelque chose que je souhaite à tout le monde, notamment aux jeunes artistes. C’est d’ailleurs l’une des prochaines étapes de mon travail, j’ai envie de partir en Amérique latine ou en Asie. J’ai envie d’apprendre de toutes ces cultures. Aujourd’hui, je suis qui je suis parce que j’ai grandi en Europe mais j’ai appris de la culture américaine, ce qui me permet de fusionner les deux pour créer ce que je fais. Si demain j’ai aussi une inspiration asiatique, je pourrais l’ajouter à mon travail d’artiste, dans ma manière de danser, de m’habiller ou de communiquer avec les gens. Le travail de tout artiste est de comprendre le monde pour raconter son histoire le plus authentiquement possible. 

 

C : Une dernière question. Si je te dis « la vie est une œuvre d’art », qu’est-ce que cela t’évoque ? 

M.F. : C’est ma citation préférée, de Georges Clemenceau. Je l’ai lue quand je devais avoir 12-13 ans et elle m’a tout de suite marqué. Elle est simple mais tellement vraie. Je vois vraiment la vie comme une œuvre d’art. Au fur et à mesure, on dessine notre histoire, on a des hauts, on a des bas. La vie est faite de couleurs, de rencontres, d’amours et de chagrins, elle est faite d’un peu de tout. Un jour, j’espère que mon travail, qui est très visuel, pourra inspirer d’autres gens à vouloir vivre leurs rêves et à créer leurs propres œuvres d’art. 

 

Article publié dans COURTS n° 8, été 2020.

© Mathieu Forget x Asteryx